Nos commentaires sur la décision de rejet de la 3ème requête par la commission d’instruction.
La troisième requête en révision de la condamnation de Jean-Marc Deperrois, déposée le 12 janvier 2023, a été déclarée irrecevable par la commission d’instruction de la Cour de révision et de réexamen le 20 juin 2024. Lire le texte intégral (lien)
Les réponses données par la commission nous paraissent en contradiction avec les dispositions de la loi du 20 juin 2014 relative à la réforme des procédures de révision (articles 622 *(1)et 624-2 *(2) ) . C’est ainsi que, selon nous, aucun compte n’a été tenu des éléments suivants :
1/ Incompatibilité entre le comportement de l’enfant après la prise de son médicament, tel que décrit par les témoins, et une intoxication foudroyante au cyanure. Le Professeur Baud a révélé que l’intoxication de la victime avait été foudroyante ; elle s’est effondrée dans les secondes après l’ingestion de cyanure. Or, d’après les témoins, l’enfant est restée active un quart d’heure après la prise de sa Josacine, ce qui met le médicament hors de cause.
La Commission répond que l’interrogation sur le déroulement des faits n’est pas de nature à remettre en cause le constat de l’ingestion d’une dose mortelle de cyanure par l’enfant - point [41] de la décision.
Ce que personne ne conteste ! Et qui ne répond pas à la question posée.
2/ Incompatibilité des dosages en cyanure dans le sang prélevé sur la victime et dans le flacon de Josacine empoisonnée, constatée par le Professeur Baud.
La Commission répond que l’absence d’étude comparative entre les teneurs en cyanure dans le flacon et dans le sang de l’enfant « ne constitue pas une cause de révision dans la mesure où une telle expertise aurait pu être demandée au cours de l’instruction » [51].
Demandée par qui ? La Commission semble mettre la carence en ce domaine au détriment du seul requérant et de ses avocats, la justice étant mise hors de cause, alors qu’elle aurait dû instruire aussi à décharge. On en conclut qu’ aucune lacune dans l’enquête et les expertises, aucun manquement dans l’exploitation des données recueillies, dans leur analyse et dans les conclusions à en tirer, ne pourraient jamais donner lieu à une révision, quand bien même ils fragiliseraient ou contrediraient la décision de culpabilité.
Nous estimons, au contraire, que si les données dont on disposait, ou dont on aurait pu disposer aux assises aboutissent, après coup, à une conclusion de nature à remplir les conditions de l’article 622, il s’agit alors bel et bien d’une « révélation » au sens des textes susvisés.
3/ Absence de reconstitution des événements de la soirée, signalée par la requête.
Les dépositions de ces témoins sur place et celles du personnel soignant présentent des incohérences. Il aurait fallu faire une reconstitution des faits.
Réponse de la Commission : « La reconstitution de la soirée évoquée par la demande aurait pu être sollicitée en son temps » [48].
La Commission note donc que cette reconstitution n’a pas été effectuée. Le magistrat instructeur n’aurait-il pas pu l’ordonner ? Est-il trop tard pour le faire ?
4/ Les éléments inconnus de la juridiction lors du procès sur lesquels ont pu s’appuyer les précédentes requêtes de Jean-Marc Deperrois n’ont pas été pris en compte par la Commission. Contrairement à ce que prévoit la loi en son article 624-2 *(2). A savoir :
La découverte, par Jean-Michel Dumay, de cette phrase dite à M. Tocqueville par son ami D. Lecointre « Tu vas passer à la télévision, toi, avec ce que tu as mis dans la Josacine » [49] et [53]. Les deux protagonistes n’ont été interrogés sur le sens de cette phrase que lors de la deuxième requête en révision, et d’après nous n’ont fourni aucune explication valable à leur conversation. Nous avons le sentiment que leur interrogatoire par les magistrats n’avait pour objet que de donner l’impression que la justice faisait les investigations demandées, pour mieux justifier un refus prévu d’avance.
La dite phrase a été considérée comme n’apportant rien de nouveau car elle figurait dans le dossier d’instruction, bien qu’elle n’ait jamais été mentionnée aux assises (question de «l’ élément non débattu »).
La thèse, (considérée comme « plausible » par la justice elle-même), d’une absorption accidentelle de cyanure par l’enfant, et de l’introduction du cyanure dans le médicament après le décès de la victime [50].
Dans la 2è requête en révision, une fausse description du flacon par les témoins le soir du drame [47]. L’argument qui revient toujours est que « les expertises et investigations ont suffisamment révélé que la dose reçue était mortelle ». Ce qui n’est nullement contesté et ne répond pas aux objections.
On notera qu’aucune mention n’est faite, dans la décision de rejet, de l' absence d’odeur du flacon le soir du 11 juin. Preuve pourtant déterminante présentée lors de la 2ème requête.
5/ Non prise en compte des questions de la partie civile.
Les parents d’Emilie ont demandé des réponses à leurs questions, formulées dans une lettre à la présidente de la commission à l’occasion de la 2è requête [36]. Leur démarche est balayée ici en une simple phrase [54].
Conclusion.
Les réponses de la Commission éludent la plupart du temps les questions posées, et répondent à côté de leur objet ; en particulier, personne ne conteste que le décès d’Emilie soit dû à l’ingestion de cyanure. Les magistrats donnent aux dispositions de la loi des interprétations que nous jugeons abusivement restrictives, ce qui leur permet de s’en affranchir.
622 *(1) L’article 622 de la loi du 20 juin 2014 stipule que l’on peut demander la révision « lorsque, après une condamnation, vient à se produire un fait nouveau ou à se révéler un élément inconnu de la juridiction au jour du procès de nature à établir l’innocence du condamné ou à faire naître un doute sur sa culpabilité ».
624-2 *(2) L’article 624-2 de la loi stipule que la commission « prend en compte l’ensemble des faits nouveaux ou des éléments inconnus sur lesquels ont pu s’appuyer une ou des requêtes précédemment présentées … ».