LES ANALYSES CHIMIQUES INNOCENTAIENT DEPERROIS

On nous demande parfois comment nous pouvons être « sûrs » de l’innocence de Jean-Marc Deperrois. Une partie de la réponse est ici.

(Cet exposé est basé sur la contre-expertise faite par le Professeur Rosset des rapports des experts judiciaires MM Lhermitte, Molinaro et Verger . Les mentions en gras sont de notre fait.  Pour voir l'original du rapport de M. Rosset cliquer ici )                              

En résumé

Rappelons que dès la fin de sa garde à vue, le 27 juillet 1994, Jean-Marc Deperrois avait été incarcéré, considéré comme le principal suspect de l'empoisonnement du médicament d'Emilie Tanay.

Le 9 mai, il s’était procuré un cyanure neuf en poudre de chez Prolabo.

Le 17 juin, six jours après le drame, apprenant qu’une enfant avait été empoisonnée au cyanure chez son amie Sylvie Tocqueville, à 50 m de son entreprise, il avait jeté le cyanure en sa possession.Les experts ont donc été réduits à utiliser des échantillons de cyanures saisis, entre autres et surtout, chez le fournisseur de Deperrois, Prolabo, pour les comparer avec le cyanure trouvé dans le flacon d’Emilie (que nous appellerons ici « cyanure du flacon » pour la commodité de l’exposé)  afin de déterminer s'ils avaient la même origine de fabrication.

Ils se sont aperçu que le cyanure du flacon était dégradé, fortement oxydé. Plutôt que d’admettre l’explication la plus évidente, - à savoir que si le cyanure du flacon était dégradé à ce point, c’est qu’il était très vieux - les experts se sont mis à rechercher comment Jean-Marc Deperrois aurait pu dégrader lui-même son cyanure neuf en l’espace d’un mois.

Leur tentative de démonstration se fonde sur des hypothèses  incertaines ou invraisemblables, et l’élimination des éléments qui la contredisent. 

        - Elle suppose un ajout criminel de 15,6 ml de cyanure liquide au médicament sans modification notable de son niveau, ce qui implique qu’il n’ait pas été préparé correctement par Mme Tanay, contrairement à tous les témoignages, dont le sien.

        - Elle suppose un chauffage préalable de ce cyanure liquide à 50° constants, pendant 13 jours et nuits … dans la boîte à gants d’une voiture !

        - Elle élimine tous les éléments qui la contredisent. Après avoir eux-mêmes chauffé du cyanure neuf liquide pendant 13 jours en étuve, les experts n’ont pas obtenu pour autant les caractéristiques du cyanure du flacon, ni reproduit l’étrange coagulation qui y est apparue au lendemain du drame. Ces éléments, en faveur d'un cyanure ancien et d'une dégradation de longue durée, ont été écartés des conclusions, non recherchés,  ou non expliqués.

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1/ Comment expliquer l’aspect de la Josacine empoisonnée ?

 

                Au petit matin du 12 juin, lendemain du drame, le contenu du flacon de Josacine empoisonné n’était pas homogène : il présentait une étrange coagulation de couleur jaune orangé clair, que les experts ont tenté d’expliquer. 

            Mais en versant du cyanure frais dans de la Josacine, ils n’obtenaient aucune coagulation, et leur mélange devenait brun foncé au bout de 48 h. Cette coloration foncée n’est jamais apparue dans la Josacine empoisonnée. 

            Après de multiples expérimentations et calculs, les experts ont conclu que le cyanure du flacon était trop dégradé pour provoquer cette réaction de brunissement. Au lieu d'envisager l'hypothèse d'un cyanure ancien, ils se sont alors mis à rechercher comment Jean-Marc Deperrois aurait pu dégrader lui-même un cyanure neuf, en l’espace d’un mois maximum.

 

      2/ Un cyanure introduit sous forme de poudre, ou en solution ? 

           Comme le cyanure ne se dégrade que très lentement s’il est conservé à sec, et beaucoup plus vite au contact de l’eau, les experts ont basé leur hypothèse sur l’idée que le cyanure avait été vieilli sous forme liquide, et ajouté ensuite à la Josacine (15,6 ml selon leurs calculs). 

            Autre avantage de cette hypothèse : tenter d'expliquer la présence de 7 à 8 impuretés dans le cyanure du flacon, alors qu'on ne les retrouve simultanément dans aucun cyanure Prolabo. Elles proviendraient pour partie, selon eux, des 15,6 ml d'eau de l'apport criminel (voir infra).

            Ce sont là les raisons pour lesquelles l'enquête a systématiquement rejeté l'idée que le cyanure ait été introduit sous forme de poudre. 

    3/ 15,6 ml de solution cyanurée versée dans la Josacine sans en augmenter le niveau ?

            L'hypothèse d'un apport criminel de 15,6 ml se heurtait à un problème : le niveau du médicament dans le flacon était normal ce soir-là. Rappelons que le niveau de la Josacine à préparer est marqué par un trait sur le verre du flacon : avant usage, on doit verser de l’eau sur la poudre antibiotique jusqu’à ce trait, bien secouer, puis ajuster le niveau au besoin. Tous les témoins ayant vu le flacon le soir du 11 juin ont attesté que le niveau du médicament était légèrement en dessous du trait, après la prise d'une cuillère par l'enfant.

            L'hypothèse du versement d'un trop-plein a été rejeté par les experts pour plusieurs raisons (calculs des volumes et présence des impuretés, notamment le zinc).

            Pour envisager un ajout liquide de 15,6 ml, soit trois cuillères et demie, sans que le niveau du médicament paraisse anormal, il fallait donc supposer que le médicament était nettement sous le trait de jauge gravé sur le flacon, après sa préparation par la mère d’Emilie. Elle aurait omis trois cuillères et demie en préparant le flacon ? C'est d'autant plus improbable que Mme Tanay a indiqué avoir vérifié le niveau du médicament avec sa fille, « en posant le flacon à plat sur la table ».            En réponse à une question de la défense, l'expert M. Molinaro a d'ailleurs admis que si le médicament avait été préparé correctement "[son] rapport n'aurait aucune raison d'être" (voir infra).

 

      4/ Un cyanure chauffé à 50° constants pendant 13 jours et nuit dans la boîte à gants d’une voiture ?

 

            Comment expliquer que l'apport de cyanure n'ait pas fait brunir le médicament ? Après de multiples essais, les experts ont trouvé que le chauffage d’un cyanure liquide à 50° constants pendant 13 jours et nuits consécutifs le dégrade suffisamment pour qu’il ne puisse plus provoquer le brunissement de la Josacine.  Ils ont donc imaginé que Jean-Marc Deperrois aurait ainsi chauffé son cyanure, mais sans expliquer ni pourquoi, ni comment, il se serait livré à une telle manipulation.

Pourquoi ? Jean-Marc Deperrois n’avait pas besoin de chauffage pour son expérience de noircissage des métaux qui consistait seulement à dissoudre son cyanure en poudre dans de l’eau et à y tremper des morceaux de métal qu’il saisissait avec une pince, afin de les faire noircir. Et s’il avait vraiment voulu empoisonner quelqu’un, le cyanure neuf en poudre tue tout aussi bien …

Comment ? Pour obtenir une chaleur constante de 50° pendant une si longue période (13 jours et nuits d’affilée), il faut une étuve industrielle que son entreprise ne possédait pas. On a alors imaginé qu’il avait pu laisser son mélange dans la boîte à gants de sa voiture, qui aurait chauffé au soleil (sic).

Il faisait alors 17° à 18° à l’ombre en moyenne le jour et 11° en moyenne la nuit en cette période de fin mai / début juin 94 dans le pays de Caux, en Normandie, entre Rouen et Le Havre. Quand bien même il peut faire très chaud dans une voiture exposée au soleil, on voit mal comment une température de 50° pourrait s’y maintenir par temps couvert et même la nuit ! (voir infra en Annexe le rapport du Professeur Storck à ce sujet).

        Mais de toute façon, quand bien même on admettrait cette étrange hypothèse, le chauffage à 50° constants d’un cyanure neuf liquide pendant 13 jours en étuve n’a jamais permis aux experts d’obtenir la teneur en oxalate, la série complète d’impuretés et l’étrange coagulation qui ont été trouvées dans le flacon empoisonné. Ils n’ont obtenu que le « non brunissement ».

 

5/ Les caractéristiques du cyanure du flacon qui ne correspondaient pas à ce qui était recherché ont été écartées des conclusions, ou non recherchées, ou non expliquées.

 

            Les experts se sont manifestement focalisés sur la recherche d’une origine commune du cyanure du flacon avec l’un des lots de cyanures saisis pour comparaison, conformément à la question posée par le juge. Tout ce qui ne permettait pas cette identification, ou l’infirmait, a été écarté ou non expliqué, et notamment tout ce qui indiquait qu'on était en présence d'un cyanure ancien, ayant subi un long vieillissement.

            ● L’oxalate qui résulte de la dégradation du cyanure : écarté.

            Le flacon d’Emilie contenait en grande quantité ( 2.619 ppm)* un produit résultant de la dégradation du cyanure au contact de l’air et de l’eau : l’oxalate. Il n’y a pas d’oxalate dans les cyanures neufs, ou seulement à l’état de traces.

            L’expert qui a chauffé des cyanures en solution à 50° constants a constaté l’apparition d’oxalate, mais en quantités qu’il ne semble pas avoir mesurées. Il explique : « Donc l’oxalate n’a pas une origine exogène et n’est pas une impureté des cyanures. De ce fait, je n’ai pas retenu ce composé pour mes investigations » (Réponse de M. Molinaro aux questions de Maître Trinité-Confiant du 11/12/1995).

            L’oxalate ne donne en effet aucune indication quant à l’origine de fabrication du cyanure (puisque tous les cyanures, quelle que soit leur origine de fabrication, sont susceptibles de se dégrader en produisant de l'oxalate). Mais une telle quantité d’oxalate contredit bel et bien l’hypothèse que le cyanure du flacon ait pu avoir été acheté neuf un mois auparavant.

            (De même que la rouille, qui ronge une épave abandonnée depuis des décennies sur une plage, ne permet pas de savoir dans quel chantier ce bateau avait été fabriqué, mais prouve à l’évidence qu’il ne pouvait avoir été acheté à l’état neuf un mois auparavant …)

*(ppm = partie par million. Donc 1 ppm correspond à 1 milligramme par litre)

           ● Les autres produits de la dégradation : non recherchés.

            Les experts n’ont pas recherché les autres produits de la dégradation du cyanure, (cyanates, carbonates, formiates) qui auraient pu fournir des informations sur les conditions dans lesquelles cette dégradation s’était produite, et peut-être aussi expliquer l’étrange coagulation qu’on y a trouvée au matin du 12 juin.

            (Nota : L'accusation contre Jean-Marc Deperrois est basée sur le postulat qu'il a lui-même dégradé son cyanure. Comment alors se dispenser d'étudier en quoi a consisté cette dégradation et quels en sont les produits ?)

 

Les impuretés qui ne correspondaient pas : écartées.

            Le cyanure du flacon d’Emilie contenait aussi un grand nombre « d’impuretés », ce qui indique qu’il datait vraisemblablement d’une époque ancienne, lorsque les techniques industrielles de purification des cyanures n’étaient pas encore aussi performantes que dans les années 90.

            Sur les sept impuretés recensées dans le flacon de Josacine empoisonnée, (calcium, magnésium, plomb, cuivre, phosphates, potassium, strontium), les experts n’en ont retrouvé que trois (phosphates, potassium, strontium), présentes simultanément, à des teneurs « comparables », dans certains lots seulement de cyanures Prolabo (et qui plus est, pour l’une de ces impuretés, les phosphates, l’expert ayant indiqué que ses « résultats ne sont fiables qu’à 20% près ».)

            En outre, on ignorait de quel lot provenait le cyanure que Jean-Marc Deperrois avait jeté ; on ne pouvait donc savoir s’il avait contenu ou non ces trois impuretés. 

            Ce qui n’a pas empêché l’un des experts, M. Verger,  d’affirmer en cour d’assises que les trois impuretés étaient la « signature du produit» qui avait tué Emilie.

            Par ailleurs, les importantes teneurs des impuretés calcium, magnésium, et cuivre dans le flacon empoisonné ne se retrouvaient dans aucun des cyanures Prolabo saisis pour comparaison. Ces éléments ont été purement et simplement écartés de la synthèse finale comme ayant été, selon l’expert, « amenés par une autre source » ou "ayant une provenance exogène".         

            Les nitrates et les sulfates ne correspondaient pas non plus pour la raison inverse, car il n’y en avait que très peu dans la Josacine empoisonnée, et beaucoup trop dans les échantillons de cyanures saisis pour qu’ils soient compatibles. Les experts ont écartés les nitrates et les sulfates de leur synthèse finale.

            ● L’étrange coagulation : jamais expliquée, de l’aveu de l’expert lui-même.

            Le flacon d’Emilie présentait, au lendemain du drame, au petit matin, une étrange coagulation décrite par l’infirmière comme « un crachat visqueux orangé qui colle aux parois du flacon » quand elle le secoue. Il dégageait aussi une odeur qui lui a provoqué des brûlures dans le nez et les voies aériennes.

            On a vu que cette étrange coagulation n’a jamais été reproduite en chauffant un cyanure neuf à 50° pendant 13 jours et nuits, de l’aveu même d’un des experts. En effet, interviewé en 1999 dans le Journal du Dimanche, M. Molinaro a évoqué l’affaire de la Josacine et déclaré : « Le cyanure trouvé dans la Josacine avait un aspect un peu coagulé. Nous n’avons jamais pu expliquer pourquoi. Nous aussi sommes parfois confrontés à l’impossible … » (Cité par Jean-Michel Dumay, Affaire Josacine Le poison du doute p. 185).

            ● L’odeur ammoniaquée du mélange : ignorée.

            Les experts ont enfin négligé de s’intéresser à l’odeur ammoniaquée qui se dégageait du flacon empoisonné le 12 au matin, mais qui n’avait pas été remarquée le 11 au soir, et qui constituera quelques années plus tard un nouveau motif pour réclamer la révision de la condamnation de Jean-Marc Deperrois.   Voir : La preuve par l'absence d'odeur

 

Conclusion

 

Que conclure d'un tel acharnement à écarter ou ignorer tous les éléments qui contredisent l'hypothèse de l'accusation ? Les scientifiques n'ont-ils pas pu, pas su ou pas voulu les voir ? 

Pendant les analyses chimiques, Jean-Marc Deperrois était déjà emprisonné, considéré comme le principal suspect. Le cafouillage de l'affaire Gregory était dans toutes les mémoires. On n'avait plus le droit de changer d'avis, plus le droit d'admettre avoir fait fausse route. Fallait-il donc que les analyses chimiques paraissent corroborer l'hypothèse de l'enquête ?

Question d'autant plus grave que, pour le grand public comme pour les magistrats, la "vérité scientifique" a la réputation d'être plus fiable que des témoignages ou des aveux,  parfois douteux, souvent contestés. Si les analyses scientifiques, elles-mêmes, peuvent apparaître orientées par les conclusions de l'enquête, au lieu que ce soit l'inverse, faudrait-il alors envisager un organisme de contrôle et de vérification des expertises judiciaires ? Un organisme totalement indépendant des autorités, et financé par des adhésions provenant du grand public ? De telles institutions existent déjà dans d'autres domaines : associations de consommateurs, lutte pour les droits de l'homme, ou pour la protection de l'environnement par exemple.

Jean-Marc Deperrois n’a donc pas seulement été condamné « sans aveu, ni témoin, ni preuve formelle », comme l’a indiqué l’Avocat Général lors de son réquisitoire. Il a été condamné alors que l’on disposait de la preuve que le cyanure trouvé dans la Josacine d’Emilie ne pouvait manifestement pas être le sien. 

 

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ANNEXE 

Deux contre-expertises contradictoires.

Après la condamnation de Jean-Marc Deperrois, la défense avait demandé à M. Rosset, Expert agréé par la Cour de Cassation, son avis sur le travail des experts judiciaires. M. Rosset a bien précisé dans son introduction qu’il avait seulement accepté de « donner un avis strictement limité aux données scientifiques […] et à l’interprétation que l’on peut en faire ». L'exposé ci-dessus est basé sur ses observations.

Le rapport de M. Rosset (septembre 2001) étant très critique vis-à-vis des expertises judiciaires, la partie civile a demandé un autre avis à un autre expert, M. Storck (janvier 2002). La Commission de révision des condamnations pénales, dans sa décision de 2002 rejetant la requête en révision de Jean-Marc Deperrois, précise que « ce spécialiste s’est attaché à démentir, point par point, les observations de Monsieur Rosset ». 

On notera que, contrairement à M. Rosset, M. Storck s’appuie souvent, dans son rapport, sur des considérations juridiques, faisant valoir que tel élément contesté « n’est pas un élément nouveau » ou « n’apporte rien de nouveau » ; il fournit ainsi des arguments pour le rejet de la demande de révision.

MM Rosset et Storck n’ont donc pas travaillé dans la même optique. 

Voir :     Deux contre-expertises contradictoires

 

LA PLAINTE POUR FAUX-TEMOIGNAGE

Dans le courant du mois de septembre 1994, Jean-Marc Deperrois étant déjà incarcéré depuis le 27 juillet, le juge d’instruction a déclaré  à l’un de ses fils : « Les analyses ne sont pas encore revenues, mais je sais qu’elles sont mi-figue, mi-raisin. J’ai encore une petite chose à vérifier et, si c’est bon, votre père sortira bientôt ! ». (Anne-Marie Deperrois, Erreur sur le coupable, Préface de Bernard Clavel, Edition n°1, février 1998, p.92).

            Ce qu’il avait à vérifier : un témoignage à charge, survenu le 31 août, lors de la troisième enquête « de voisinage » des gendarmes chez des voisins des Tocqueville.

            Ces témoins auraient vu Jean-Marc Deperrois sortir de chez les Tocqueville 13 jours avant le drame, (un jour où il avait passé en fait tout l’après midi à distribuer des tickets à la kermesse de l’école de ses enfants), et aussi tourner autour de la voiture des Tocqueville, avec  l’air de vouloir « faire du mal », sur le parking devant la mairie, le 8 mai, ( jour où ce parking est interdit aux voitures). Ils seront soupçonnés par les magistrats eux-mêmes de faux-témoignage. Mais leur témoignage permettra de relancer l’enquête, au moment où elle risquait de tourner court, et fondera la thèse de la « préméditation ».

            Il sera ensuite fait obstruction à la plainte de Jean-Marc Deperrois contre eux pour faux témoignage, ce qui sera reconnu par la Cour de Cassation le 14 mai 2002.

            

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