- Pourquoi Deperrois a-t-il jeté son cyanure et nié en avoir acheté ?

Le drame du décès de la petite Emilie s'est passé le 11 juin, chez Sylvie Tocqueville, avec laquelle Jean-Marc Deperrois avait eu une relation extra conjugale plusieurs mois auparavant, tout près du petit bâtiment où il travaille. Il utilisait à cette époque du cyanure pour étalonner ses caméras à infra-rouge dans le cadre de sa spécialité, la thermographie industrielle.

Le 16 juin au soir, on apprend que la Josacine d' Emilie contenait un toxique. Le 17 au matin, la radio annonce qu'il s'agissait de cyanure. Jean-Marc Deperrois va alors s'inquiéter, et même paniquer, à l'idée des ennuis que la détention de cyanure pourrait lui occasionner si la presse, notamment, en avait connaissance, et si elle apprenait son ancienne liaison avec Sylvie Tocqueville. Il ne veut pas être " mêlé à cette sale histoire ".

Le 17 juin, il décide alors de jeter son cyanure dans la Seine, et tous les éléments métalliques de ses essais sur une décharge publique. Les enquêteurs, de leur côté, ont appris l'existence de cette liaison, et ils ont surpris une conversation téléphonique entre Jean-Marc Deperrois et M. Bodson, au cours de laquelle ce dernier lui demande s'il " n'a pas été inquiété ". Ils parlent d'un " produit " qui a été jeté.

Mis en garde à vue, le jour-même où il doit partir voir un important client dans l'est de la France, Jean-Marc Deperrois dit n'avoir jamais acheté de cyanure. Il espère ainsi ne pas se retrouver impliqué dans cette affaire, et s'en sortir au plus vite. Mais à partir du moment où il a adopté cette ligne de conduite, il ne peut plus s'en dépêtrer, sauf à admettre qu'il a menti. Il est donc acculé à continuer, et va s'entêter à nier, même lorsqu'on lui amènera Bodson, en pleine nuit, pour lui être confronté. Ce dernier, un confrère dans le domaine de la thermographie industrielle, a en effet admis lui avoir fourni du cyanure pour lui faire gagner du temps. La facture était évidemment au nom de l'entreprise de M. Bodson, déjà client chez Prolabo. Il avait été convenu entre eux qu'il le lui refacturerait ultérieurement. Deperrois continue pourtant à nier, et va jusqu'à accuser Bodson d'être un menteur. Finalement, en fin de nuit, comprenant que ses dénégations font de lui un " coupable idéal ", il reconnaît avoir acheté ce cyanure par l'intermédiaire de M. Bodson, mais affirme n'être pour rien dans le décès de la petite Emilie.

L'équation qui va causer sa perte commence alors à se mettre en place, avec une redoutable efficacité :

"Il a menti = Il ment toujours = Il est l'assassin" (*).

Il est aussitôt déféré devant le juge, qui le met en examen pour empoisonnement et le fait incarcérer. Il est convenu que des analyses vont être commandées à différents experts pour identifier l'origine du cyanure du flacon empoisonné, en le comparant notamment aux cyanures de la marque Prolabo. Si elles l'innocentent, il sera libéré. En attendant, le juge promet, au nom du secret de l'instruction, que le silence sera gardé sur tout cela. Les analyses vont prendre beaucoup de temps. Au cours de l'été, la presse apprend que le deuxième adjoint au maire a été incarcéré, et le scandale éclate. La vie de Jean-Marc Deperrois s'écroule en très peu de temps.

Pourtant, les analyses n'ont pas confirmé les soupçons des enquêteurs : le cyanure du flacon d'Emilie s'est avéré être un produit très dégradé, ce qui n'est pas le cas du cyanure neuf de Jean-Marc Deperrois ( Les analyses chimiques innocentaient Deperrois) .

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(*) L'un des éléments qui seront retenus contre lui sera l'imprécision de sa réponse à la question : "Quand avez-vous jeté votre cyanure ?"

- Il répond en garde à vue qu'il l'a jeté quand il a su que l'enfant était morte par ingestion de cyanure.

- Les enquêteurs insistent pour savoir à quelle date exacte il l'a su.

- Deperrois ne se souvient pas de la date exacte, et répond que c'était " le 16 ou le 17 juin ".

- Trois ans plus tard, au moment du procès, il croira se souvenir que c'était le 16. Cette erreur sera         considérée comme une présomption de culpabilité, selon l'équation suivante :

"Il dit avoir jeté son cyanure le 16 juin = Il l'a donc jeté avant que l'annonce n'ait été faite à la radio que du cyanure était en cause = Il est l'assassin".

Or, se souvient-on habituellement de la date à laquelle on a appris un événement ? On se souvient plutôt de la date de l'événement lui-même. Ne peut-on admettre que Jean-Marc Deperrois ait pu, trois ans plus tard, confondre la conversation du 16 au soir, par laquelle il entend parler d'un toxique dans le médicament, avec l'annonce concernant le cyanure du 17 au matin ?

Les témoignages des voisins Madeleine, qui s'avèrent impossibles aux dates qu'ils ont avancées, lui seront néanmoins portés à charge, car on admettra qu'ils ont pu se tromper de dates. Mais si on l'a admis pour eux, pourquoi pas pour lui ?

En outre, s'il était coupable, n'aurait-il pas bien préparé ses réponses à ce genre de question, afin de savoir quoi répondre ?

Et surtout, pourquoi aurait-il gardé son cyanure du 11 au 16, pendant cinq jours, au risque d'être surpris par une soudaine perquisition ?