Articles de Paris-Normandie 30 janvier 2016

Affaire de la Josacine. Jean-Marc Deperrois clame toujours son innocence

Publié 30/01/2016 á 23H10

Justice. Jean-Marc Deperrois, condamné à vingt ans de prison pour avoir empoisonné au cyanure la petite Emilie Tanay, continue de clamer son innocence. Après l’échec de deux requêtes en révision de son procès, il persiste à chercher un élément nouveau qui lui permettrait de relancer l’affaire de la Josacine.

Jean-Marc Deperrois a conservé, dix ans après sa libération, une énergie à toute épreuve pour prouver son innocence (Photo Boris Maslard)

Jean-Michel Dumay, journaliste, auteur d’une contre-enquête sur l’affaire

Jean-Marc Deperrois, lors de son arrivée au palais de justice de Rouen (photo d’archives presse normande)

                Deux dates restent à jamais associées à l’affaire de la Josacine empoisonnée. Le samedi 11 juin 1994, le jour de la fête médiévale de Gruchet-le-Valasse, une petite fille de 9 ans, Émilie Tanay, s’effondre vers 20 h 15 au domicile de Jean-Michel et Sylvie Tocqueville, chez qui elle passe la journée. Elle décède quelques heures plus tard à l’hôpital du Havre. Le 25 mai 1997, Jean-Marc Deperrois, chef d’entreprise et 2e adjoint au maire de Gruchet-le-Valasse, est condamné par la cour d’assises de Seine-Maritime à Rouen à vingt ans de réclusion criminelle pour empoisonnement avec préméditation ayant causé la mort d’Émilie. Entre deux, on assista à l’une des plus tumultueuses affaires judiciaires encore aujourd’hui comparée à l’affaire Grégory. Car la mort d’Émilie est un empoisonnement au cyanure qui, l’enquête le dira plus tard, a été introduit dans sa Josacine, un antibiotique que l’enfant prenait pour soigner une bronchite.

                La passion amoureuseIl avait été confié par Denis et Corinne Tanay, les parents d’Émilie, aux époux Tocqueville, plus tôt dans l’après-midi. La gendarmerie en charge de l’enquête met en place un dispositif exceptionnel, car au départ, on soupçonne un empoisonnement de nature industrielle sur un médicament pris par des milliers de patients. Mais c’est la piste locale que privilégient les enquêteurs qui auscultent les emplois du temps, mais aussi la vie privée des principaux protagonistes : les époux Tanay, le couple Tocqueville, Denis Lecointre, ami des deux familles, venu sur place juste après le drame. Ils s’intéressent également à Jean-Marc Deperrois, adjoint au maire de Gruchet-le-Valasse et chef d’entreprise dont l’atelier se trouve à proximité de la maison des Tocqueville. Surtout, les gendarmes découvrent que Jean-Marc Deperrois et Sylvie Tocqueville entretiennent une liaison amoureuse.

                Le 26 juillet, l’élu est placé en garde à vue et s’enferre dans le mensonge en niant avoir acquis du cyanure, ce qu’il admettra plus tard. Mais ce cyanure qu’il dit avoir utilisé pour des expériences sur des métaux au sein de son entreprise, il s’en débarrasse, quelques jours après le décès d’Émilie, en le jetant dans la Seine pour, dit-il, ne pas être inquiété par l’affaire. Pour les enquêteurs, il devient le suspect principal, échafaudant ce qui reste aujourd’hui la thèse officielle : Jean-Marc Deperrois s’est introduit chez les Tocqueville vers 17 h, ce samedi 11 juin 1994 à l’heure où la maison était vide, a empoisonné la Josacine avec son cyanure, qu’il croyait destinée à son rival Jean-Michel Tocqueville, dont il voulait se débarrasser pour vivre au grand jour sa passion amoureuse.

                Un procès en surchauffe. Cette version va déclencher les rivalités entre pro et anti-Deperrois. Et les médias se repaissent d’une vallée du Commerce décrite comme ravagée par les haines, les clans faits de notables dominants d’un côté et des petites gens de l’autre. De son côté, Jean-Marc Deperrois dénonce une erreur judiciaire, clamant une innocence relayée par sa femme, Anne-Marie.

                De leur côté, les époux Tanay, peu ménagés par l’enquête à ses prémices, s’abstiennent de tout commentaire en espérant une justice exemplaire au nom d’Émilie.

                Pourtant, le procès en mai 1997 au palais de justice de Rouen va se dérouler dans une atmosphère surchauffée. On parle d’un procès sans aveux, sans témoins et sans preuves formelles. La condamnation à vingt ans de prison de Jean-Marc Deperrois se fait donc, comme le précisera le procureur du Havre Marc Gaubert dans ses réquisitions « sur un faisceau de présomptions précises, concordantes et finalement accablantes. » Pourtant, l’affaire reste, à ce jour, toujours empoisonnée.

PH. L.

Les points qui continuent de semer le doute

 - Les analyses du cyanure. En l’absence du lot de cyanure acquis par Jean-Marc Deperrois, dont il s’est débarrassé dans la Seine, les analyses ont fait l’objet de batailles sans fin. Le cyanure de la Josacine a néanmoins été reconnu similaire aux lots vendus par le fournisseur de l’accusé. Mais le cyanure ayant causé la mort d’Émilie Tanay était fortement dégradé, alors que celui de Jean-Marc Deperrois était neuf. Le cyanure utilisé à l’usine Oril de Bolbec venait aussi du même fournisseur. Seuls les derniers lots de l’entreprise ont fait l’objet d’analyses. L’enquête a admis que Jean-Marc Deperrois avait chauffé son cyanure plusieurs semaines pour le dégrader. Ne possédant pas d’étuve, il aurait pu le déposer dans la boîte à gants de sa voiture. Une hypothèse jamais prouvée. 

               

 -  Les écoutes téléphoniques. Le 16 juin 1994, soit cinq jours après le décès d’Émilie, les gendarmes interceptent une conversation téléphonique entre Jean-Michel Tocqueville et Denis Lecointre. Cette conversation très hachée témoigne de l’inquiétude des deux hommes. Deux phrases prononcées par Denis Lecointre interrogent : « Parce que t’à l’heure, tu vas passer heu, à la télé toi avec ton produit qu’t’as mis dans la Josacine ! » Puis plus tard : « De t’façon, on est bien clair, nous, on s’est pas vus dans la journée, j’délire pas quoi, j’veux dire... » Inscrites au dossier pénal, elles ne constituent pas un élément nouveau, même si elles n’ont pas été présentées au procès. 

 

 -  L’ammoniac. Le cyanure mélangé à la Josacine provoque au bout d’une heure une forte odeur d’ammoniac, vite insoutenable. Pourtant, l’infirmier du Samu qui intervient juste après le décès d’Émilie ausculte le flacon de Josacine et n’y signale aucune mauvaise odeur. Le flacon qui reste à Gruchet-le-Valasse est apporté à l’hôpital du Havre par Denis Lecointre vers 23 h. Là encore pas d’odeur suspecte décelée. Mais plus tard dans la nuit, une infirmière découvre une forte odeur qui lui brûle les voies respiratoires. L’accusation ayant décrété que Jean-Marc Deperrois avait empoisonné la Josacine à 17 h, l’absence d’odeur d’ammoniac jusqu’à 23 h reste inexpliquée. Jean-Marc Deperrois y voit la preuve de son innocence.

 

Jean-Marc Deperrois a conservé, dix ans après sa libération, une énergie à toute épreuve pour prouver son innocence (Photo Boris Maslard)