La justice estime "plausible" l'hypothèse de l'accident camouflé

Dans l'affaire de la Josacine, la justice estime "plausible" l'hypothèse de l'accident camouflé.

« le Monde » du 23 novembre 2005

Le journaliste du "Monde" Jean-Michel Dumay et le PDG des éditions Stock ont été relaxés du délit de diffamation pour avoir soutenu cette thèse dans un ouvrage d'enquête.

(Les caractères en gras le sont du fait du comité de soutien à Jean-Marc Deperrois)

Le tribunal correctionnel du Havre a relaxé, lundi 21 novembre, du délit de diffamation notre collaborateur Jean-Michel Dumay et le PDG des éditions Stock, Jean-Marc Roberts, qui étaient poursuivis pour un livre sur l’affaire de la Josacine paru en 2003 (Le Monde du 29 septembre). Dans cette contre-enquête intitulée Affaire Josacine, le poison du doute, qui développe un article publié dans le Monde daté du 23 novembre 2005, Jean-Michel Dumay soutient qu’Émilie Tanay, décédée en 1994 d’une ingestion de cyanure, a pu ne pas être victime d’un crime passionnel raté, comme l’a conclu la cour d’assises de la Seine-Maritime en condamnant Jean-Marc Deperrois à vingt ans de réclusion, en 1997, mais d’un accident domestique camouflé a posteriori.

Dans ses attendus, le tribunal observe que « la matérialité des diverses imputations » contenues dans le livre est « avérée » et « rend plausible l’hypothèse formulée » par l’auteur et l’éditeur, même s’ils n’en rapportent pas "la preuve complète et absolue". Me Malka Kreizel-Debleds, avocat de Jean-Michel Tocqueville, qui poursuivait le livre, a fait appel.

DÉMARCHE LÉGITIME

Étayée par une étude des 2 000 pièces du dossier que les juges qualifient de « minutieuse », et notamment par la révélation d’écoutes téléphoniques passées inaperçues aux yeux des enquêteurs et des avocats du condamné, l’hypothèse développée dans le livre met en cause Jean-Michel Tocqueville, chez qui l’enfant était gardée le soir du drame, et l’un de ses amis, Denis Lecointre. Selon cette hypothèse, l’enfant aurait ingéré par erreur du cyanure, qui se trouvait au domicile de M. Tocqueville : un accident que ce dernier aurait tu à l’équipe médicale intervenue sur place, puis camouflé en versant a posteriori le produit mortel dans le flacon de Josacine que l’hôpital allait réclamer.

Reprenant une argumentation déjà développée par la cour d’appel de Toulouse, en 2004, qui avait débouté M. Lecointre d’une plainte contre Le Monde, les juges du Havre ont accordé le bénéfice de la bonne foi à Jean-Michel Dumay en estimant que « [sa] volonté de tenter de réparer ce qu’il estime être une erreur judiciaire [devait] être considérée comme une démarche légitime de la part d’une personne qui a vocation à éclairer l’opinion ». Le journaliste, selon eux, « a apporté à la rédaction de son livre des éléments sérieux puisés au cours de l’enquête, de l’information judiciaire et également tirés des débats de la cour d’assises », qu’il avait suivis. « [Il] est resté dans son rôle, écrivent-ils, la sincérité de sa démarche ne peut être suspectée ».

« Il a objectivement présenté les faits » et « n’a pas méconnu ses devoirs de prudence que lui impose son activité professionnelle », ne faisant preuve « d’aucune animosité à l’encontre de M. Tocqueville ». Le délit de diffamation n’est donc pas constitué.

Plus généralement, écrivent les juges, « la liberté d’expression relative aux affaires judiciaires correspond à une nécessité sociale fondamentale, [qui] vaut non seulement pour les informations ou idées accueillies avec faveur ou considérées comme inoffensives ou indifférentes, mais aussi pour celles qui heurtent, choquent ou inquiètent ».

Sur le fond, ils relèvent que l’auteur du Poison du doute et son éditeur, " établissent la possibilité "  pour les époux Tocqueville d’avoir détenu du cyanure chez eux et que «  des incohérences existent dans les explications données [par les Tocqueville] sur les circonstances dans lesquelles l’enfant a pris son médicament », notamment au vu des témoignages du médecin et de l’infirmier anesthésiste intervenus le soir du drame.

Enfin, affirment-ils, « il est certain que les écoutes entre MM. Tocqueville et Lecointre [interceptées au tout début de l’enquête] présentent un caractère troublant ». Alors que, le 16 juin 1994, les journaux télévisés annoncent le retrait du marché de la Josacine, M. Lecointre s’inquiète auprès de M. Tocqueville de ce que ce dernier risque de « passer à la télé » : « Toi, avec ton produit qu’t’as mis dans la Josacine ».

S’appuyant sur les « éléments nouveaux » apportés par la contre-enquête et de nouvelles expertises, qui rendent, selon lui « vraisemblable » l’hypothèse de l’accident domestique camouflé, Me Thierry Lévy a déposé, début septembre, une deuxième requête en révision du procès de M.Deperrois, qui a toujours clamé son innocence.

Pascale Robert-Diard

Article paru dans l’édition du Monde du 23/ 11 /2005