Deux contre-expertises contradictoires

ANNEXE au chapitre sur les analyses chimiques.

Après la condamnation de Jean-Marc Deperrois, la défense avait demandé à M. Rosset, Expert agréé par la Cour de Cassation, son avis sur le travail des experts judiciaires. M. Rosset a bien précisé dans son introduction qu’il avait seulement accepté de « donner un avis strictement limité aux données scientifiques […] et à l’interprétation que l’on peut en faire ». (Voir notre chapitre basé sur ses observations : LES ANALYSES CHIMIQUES INNOCENTAIENT DEPERROIS).

Le rapport de M. Rosset (septembre 2001) étant très critique vis-à-vis des expertises judiciaires,  la partie civile a demandé un autre avis à un autre expert, M. Storck (janvier 2002). La Commission de révision des condamnations pénales, dans sa décision de 2002 rejetant la requête en révision de Jean-Marc Deperrois, précise que « ce spécialiste s’est attaché à démentir, point par point, les observations de Monsieur Rosset ».

On notera que, contrairement à M. Rosset, M. Storck s’appuie souvent, dans son rapport, sur des considérations juridiques, faisant valoir que tel élément contesté « n’est pas un élément nouveau » ou « n’apporte rien de nouveau » ; il fournit ainsi des arguments pour le rejet de la demande de révision.

MM Rosset et Storck n’ont donc pas travaillé dans la même optique.

On trouvera ci-dessous, pour ceux qui ont le temps – et le courage – d’en lire davantage, des précisions supplémentaires sur les éléments qui nous paraissent les plus révélateurs dans cette affaire. Nous expliquons, le cas échéant, en quoi nous estimons que M. Storck n’a pas répondu au fond aux critiques de M. Rosset. Notre travail n’a pas la prétention d’être exhaustif. On peut se reporter aux originaux :

Rapport de M. Rosset cliquer ici

Rapport de M. Storck cliquer ici.

Dans le corps du texte, les mentions R. et S. renvoient aux pages correspondantes des rapports de MM. Rosset et Storck.

(Les remarques du Comité de soutien sont en italiques et entre parenthèses. Les mentions en gras sont de notre fait.)

 

1/D’abord une précision : les deux flacons de Josacine.

Le traitement d’Emilie avait commencé dans un premier flacon, récupéré après le drame dans la poubelle de ses parents, et dans lequel il restait encore un peu de médicament. Ce premier flacon a servi de témoin (Scellé N°1 ou Josacine de référence ou Josacine témoin) pour comparaison avec le flacon empoisonné (Scellé N°8 ou Josacine empoisonnée). Cette comparaison a permis d‘évaluer quelles impuretés provenaient du cyanure lui-même, et non du mélange eau + Josacine qui peut en contenir aussi.

On notera que ces deux flacons ont été préparés à plusieurs jours d’intervalle, donc pas avec la même bouteille d’eau : or, pour isoler l’apport en impuretés du seul cyanure, il faudrait que les conditions de fabrication des deux flacons soient identiques, ce qui n’a pu être vérifié en ce qui concerne les eaux utilisées.

2/ Jean-Marc Deperrois aurait dégradé son cyanure par chauffage à 50° constants pendant 13 jours et nuits, en le laissant dans sa voiture qui aurait chauffé au soleil de Normandie ?

M. Storck écrit que « l’hypothèse […] selon laquelle une boîte à gants pouvait générer une température avoisinant les 50°C est parfaitement plausible […]. En fait, sa voiture [de Jean-Marc Deperrois] était fréquemment exposée au soleil, surtout que la période se situe en mai et juin. » Il signale que la température, dans une voiture au soleil, est très supérieure à la température extérieure, surtout dans l’espace confiné d’une boîte à gant, et qu’il y a eu plusieurs journées où les températures ont dépassé 20° et « même 22,9° le 13 mai et 28,9° le 1er juin et, d’autre part, que GRUCHET-LE-VALLASSE se trouve à 30 km du HAVRE et que la température est toujours plus élevée à l’intérieur des terres qu’au bord de la mer » (S. p.5-6).

(Remarque du comité de soutien. Cette réponse  ignore, de manière très surprenante, le protocole de chauffage décrit par l’expert M. Molinaro : il ne s’agissait pas d’atteindre 50°C momentanément, le temps d’une belle journée ensoleillée par exemple ; le cyanure devait être maintenu à 50° constants, pendant 13 jours et nuits consécutives.  Outre le fait qu'il faut beaucoup plus que 29° à l'ombre pour obtenir 50° dans une boîte à gants, on voit mal comment une pareille température pourrait se maintenir dans un véhicule par temps couvert, et même la nuit !  Que la Commission de révision des condamnations pénales ait considéré que M. Storck avait parfaitement répondu à toutes les objections laisse rêveur.)

3/ Le cyanure a-t-il été versé dans la Josacine en solution ou en poudre ?

L' hypothèse du versement d'un cyanure en solution pose le problème du niveau du liquide dans le flacon, qui n’a pas paru anormal aux témoins ce soir-là. MM Tocqueville et Lecointre ont même témoigné avoir remarqué que ce niveau était sous le trait de jauge après consommation de la première cuillère par l’enfant (5ml). Et l’infirmier du SMUR témoignera en 2003 : « J’ai noté le niveau. Il était légèrement en-dessous ».

Madame Tanay avait décrit ainsi la préparation du médicament : « Donc, une fois le flacon ouvert, j’ai ajouté de l’eau de la bouteille jusqu’au trait qui apparaît sur le flacon. J’ai ensuite refermé et secoué le flacon afin d’obtenir un mélange bien homogène. Emilie m’a dit alors, je crois : « T’as mis assez d’eau Maman ? ». Je lui ai alors montré en posant le flacon à plat sur la table que le niveau était correct ».

La démonstration des experts s’appuie donc sur la première partie de sa déclaration : « J’ai ajouté de l’eau jusqu’au trait », et le fait qu’elle n’a pas précisé avoir procédé à un réajustement. L’accusation affirme que le médicament ainsi préparé était donc nettement sous le trait de jauge, de telle sorte que l’ajout de 15,6 ml de cyanure liquide pouvait passer inaperçu. 

Ce qui précède contredit par contre la précision donnée par la suite, selon laquelle Mme Tanay et sa fille ont vérifié toutes les deux le niveau du produit.

En réponse à une question de Maître Trinité Confiant, avocate de Jean-Marc Deperrois, M. Molinaro répond le 11/12/1995: « Il est bien évident que, si madame Tanay avait réajusté le niveau, [mon] rapport n’aurait alors aucune raison d’être (D’où l’importance des déclarations de Madame Tanay). Si Madame Tanay n’a pas réajusté le niveau, elle a donc mis 32ml +/-2 d’eau et les conclusions de mon rapport restent valables. »

Or le réajustement du liquide, « au besoin » comme l’indiquent les instructions, n’est pas toujours nécessaire, si l’eau a été versée du premier coup un peu au-dessus du trait de jauge, ce que font souvent les personnes habituées à préparer ce genre de médicament. Après rétractation du mélange, il se retrouve alors juste au bon niveau.

Cette hypothèse implique donc qu'il manquait environ trois cuillères à la suspension antibiotique après sa préparation, ce qui paraît hautement improbable à tout parent habitué à préparer ce type de médicament.

M. Rosset pense « beaucoup plus probable » que le cyanure ait été introduit sous forme de poudre, ce qui ne modifie presque pas le niveau du mélange (R. p.24-30).

M. Storck, arguant que Mme Tanay « n’a pas dit qu’elle avait ajouté de l’eau une deuxième fois » (S. p.10-17), soutient néanmoins que le cyanure a été versé sous forme liquide, ce qui va dans le sens de l’hypothèse de l’accusation puisqu’un cyanure en solution est susceptible de se dégrader plus rapidement. 

Et M. Storck explique : « Un cyanure en poudre, à l’état solide, convenablement conservé à l’abri de l’air ne se dégrade pas ou se dégrade très peu » (R. p. 24-30 et 47 et S. 10-19 et p.33-34).

(Remarques du comité de soutien. Jean-Marc Deperrois avait, précisément, un cyanure en poudre neuf, depuis seulement un mois. Son cyanure ne pouvait pas, en si peu de temps et bien au sec dans son bidon, produire une telle quantité d’oxalate, ce que confirme la remarque précédente de M. Storck.

L’hypothèse de l’usage d’un cyanure en poudre implique donc bien qu’il soit très ancien (S. p.5 et R. 24-47). Rappelons qu’une poudre blanche de nature inconnue avait été retrouvée chez les Tocqueville par les enquêteurs, sur une feuille de papier journal. Elle n’a jamais été analysée.

Signalons tout de même pour mémoire une dernière hypothèse, qui n’a été retenue par personne : celle d’un cyanure liquide ancien et très concentré. La femme de ménage des Tocqueville disait avoir aperçu chez eux un étrange flacon sur le réfrigérateur, dont la description faisait penser, d’après un habitant de la région, à des flacons de cyanure liquide concentré, pouvant servir autrefois, dans les années 70, à préparer des appâts pour tuer les souris ou les taupes. Ce flacon n’a pas été retrouvé (Cf. Jean-Michel Dumay, Affaire Josacine Le poison du doute, Stock p.157-159).

Quelques gouttes d’un tel concentré auraient-elles pu suffire à apporter les 4,6 g de cyanure environ trouvés dans le flacon empoisonné, sans modification notable du niveau du médicament ?

D’après la Commission de révision des condamnations pénales, un spécimen de ce genre de flacon, présenté par l’habitant qui avait ainsi témoigné, n’a été reconnu ni par Mme Tocqueville, ni par sa femme de ménage, ni par son fils.)

4/ Outre les oxalates, il existe d’autres produits de la dégradation des cyanures : les cyanates, carbonates ou formiates (R. p.9). 

Les experts ne les ont pas recherchés dans le flacon empoisonné. D’après M. Rosset, les carbonates auraient peut-être permis d’expliquer l’étrange coagulation qui s’est formée dans le flacon. (R. p.16-19).

M. Storck indique qu’ « il n’entrait pas dans la mission de M. Molinaro de rechercher les produits de dégradation du cyanure de sodium. » (S p.9). 

(Remarque du Comité de soutien.  L'accusation contre Jean-Marc Deperrois est basée sur le postulat qu'il a lui-même dégradé son cyanure. Comment alors se dispenser d'étudier en quoi a consisté cette dégradation et quels en sont les produits ? )

5/ L’étrange coagulation

Description du flacon empoisonné.

Au petit matin du 12 juin, lendemain du drame, l’infirmière aux urgences pédiatriques a fait les constatations suivantes à propos de l’aspect du flacon de Josacine d’Emilie : « A ma grande surprise, en l’agitant, le contenu ressemble à un crachat visqueux, orangé, qui colle aux parois du flacon ». Elle parle aussi « d’un aspect visqueux, grumeleux ».

Elle n’avait rien remarqué de ce genre la veille au soir, en réceptionnant le flacon, ni pendant la nuit. Le médecin de garde avait observé le flacon au cours de la nuit, « avant 2h30 du matin » (Dumay p 116), et lui avait trouvé un aspect normal. La réaction de coagulation s’est donc produite en fin de nuit.

L’expert M. Molinaro décrit le flacon, le 3 juillet 1994 : « La suspension, […] n’est pas homogène ; on distingue une phase liquide jaune clair, dans laquelle se trouve de la matière coagulée également jaune clair le tout faisant un peu penser à du lait caillé ». (R. p. 14-15 et 43-44).

M. Molinaro a signalé par ailleurs, le 11/12/1995, en réponse à une question de la défense, qu’il avait, dès le début des expertises, « choisi de travailler sur la phase liquide des « sirops » de Josacine […] considérant qu’il était peu probable que phase liquide et solide des flacons aient été prélevées [par l’hôpital du Havre et l’IRCGN] de manière homogène. […] J’ai donc, lors de mes nombreux travaux, prélevé beaucoup de phase liquide des flacons sans pour autant prélever de phase solide […] ».

Les essais avec des cyanures neufs.

On a vu qu’en 1994, les expérimentations par M. Molinaro de l’effet du cyanure neuf, en poudre ou liquide, sur de la Josacine, n’avaient rien donné en matière de coagulation. M. Rosset signale qu’il aurait fallu chercher l’anion carbonate, résultant du vieillissement, et s’étonne que ce n’ait pas été le cas (R. p.16-19).

M. Storck affirme que la question de la coagulation a reçu une réponse « pleine et entière » dans un autre rapport de M. Molinaro, daté du 20 avril 1995 (S. p. 9). Ce dernier y indique avoir obtenu, toujours à partir de cyanures neufs, un « aspect grumeleux » qu’il estime liée à l’addition de 15,6 ml de cyanure liquide, ce qui aurait pour effet d’entraîner une diminution de la densité du mélange. Il ajoute : « Lorsque ces flacons […] ainsi préparés sont agités, ils montrent effectivement un aspect grumeleux, aspect qui s’atténue après une agitation plus énergique des flacons ».

M. Rosset constate qu’ « aucune mesure [de cette densité] n’a été effectuée » et qu’ « on ne retrouve pas, dans la description de Monsieur Molinaro, l’aspect coagulé, « crachat visqueux », « lait caillé » ; seul un aspect « légèrement grumeleux » est souligné, ce qui n’est pas la même chose ». (R. p. 43-47).

(Remarques du Comité de soutien :

1/ M. Molinaro pense peu probable que la phase liquide et la phase solide des Scellés de Josacine aient été prélevées de manière homogène, et décide de travailler seulement sur la phase liquide. On ne pouvait donc pas mélanger ces deux phases dans le flacon empoisonné ? Il s’agissait donc bien, dans la Josacine empoisonnée, d’une véritable coagulation, non réversible, et pas d’un simple précipité qui disparaît quand on secoue le produit.

2/M. Molinaro obtient, en chauffant des cyanures neufs, un « aspect grumeleux » en agitant le flacon, et constate son atténuation en l’agitant plus énergiquement. Cela ne correspond pas à la description de l’infirmière, selon laquelle le « crachat visqueux » du flacon d’Emilie se collait aux parois après agitation ; elle n’a jamais signalé qu’il s’atténuait.

3/Rappelons que M. Molinaro lui-même a admis n’avoir jamais expliqué la coagulation (voir supra).

6/ Le zinc

Le flacon empoisonné présentait une teneur en zinc supérieure à celle du flacon témoin. Les experts ont attribué cet apport de zinc à l’eau de ville, ayant séjourné dans de vieilles tuyauteries, avec laquelle aurait été préparée la solution de 15,6 ml de cyanure.

Pendant l’enquête, les prélèvements effectués - uniquement - dans les locaux de l’entreprise de Jean-Marc Deperrois, ITI, ont montré que l’eau y avait une teneur en zinc compatible avec ce qui avait été trouvé dans le flacon empoisonné.

A la demande de la défense, à la fin de l’instruction, d’autres prélèvements ont été effectués chez les parents et grands-parents d’Emilie, et à la pharmacie, mais … toujours pas dans la maison où le drame s’est produit. (Dumay p. 157 et 196) 

Répondant aux questions de l’avocate de Jean-Marc Deperrois, M. Molinaro écrivait en décembre 1995 : « Je dis, en résumé, que l’eau ayant été utilisée [pour la préparation supposée de 15,6 ml de cyanure liquide] est certainement une eau de ville dont les teneurs en Zn, Sr, K, PO4 et SO4 sont comparables à celles trouvées dans les eaux prélevées au robinet de la société ITI à Gruchet-le-Valasse. Ces conclusions permettent de ne pas exclure cette eau mais ne permettent en aucun cas d’affirmer que cette eau est celle qui a été utilisée. »

Cette compatibilité de la teneur en zinc avec l’eau de l’entreprise ITI a pourtant été retenue dans l’acte d’accusation.

A la demande du Comité de soutien, en 2004, soit sept ans après la condamnation de Jean-Marc Deperrois, une analyse de l’eau coulant au robinet de la cuisine du logement de fonction de Sylvie Tocqueville a été faite, avec son accord et celui de la mairie, par le CNRS. Les résultats ont confirmé la présence de zinc au même titre que ce qui avait été trouvé dans l’entreprise de Jean-Marc Deperrois.

(Remarque du Comité de soutien. La maison des Tocqueville, où le drame s’est produit, est située à 50 m environ de l’entreprise ITI. Que l’eau de cette maison n’ait pas été analysée lors de l’enquête nous semble révélateur de la manière dont elle a été orientée.)

Pour M. Rosset, l’apport de zinc pourrait s’expliquer soit par la Josacine elle-même - ce qui est vivement contesté par M. Storck – soit par l’usage d’un cyanure ancien qui contient beaucoup d’impuretés (R. p. 37-40 et S. p.20-24).

7/Les impuretés.

Après les travaux de M. Molinaro, les scellés avaient été confiés à un autre expert, M. Verger, avec pour mission d’analyser les impuretés dans 91 échantillons de cyanures de diverses provenances, incluant évidemment des cyanures Prolabo, et de les comparer avec les impuretés du cyanure du flacon.

Il se trouve que la Josacine contient aussi des impuretés, ainsi que l’eau avec laquelle on la prépare. On a vu que les experts disposaient d’un premier flacon de Josacine d’Emilie récupéré dans la poubelle (Scellé N°1) ; en comparant les restes du contenu de cette Josacine témoin non empoisonnée avec la Josacine empoisonnée (Scellé N°8), on pouvait tenter de faire la part des impuretés provenant du cyanure lui-même.

- Pour les nitrates, et les sulfates (R. p. 36 et 80), il y en avait moins dans la Josacine empoisonnée que dans la Josacine témoin. M. Rosset constate qu’aucun des lots de cyanures neufs examinés ne contient une teneur en nitrates suffisamment faible pour être compatible avec le contenu du flacon (R. p72). La constatation est la même pour les sulfates (R. p.80).

M. Rosset estime que ce n’est pas une raison pour ne pas prendre en considération les nitrates et les sulfates, et les écarter comme l’a fait l’expert M. Verger (R. p.113).

La réponse de M. Storck (S. p.31) se fonde sur une affirmation erronée, selon laquelle il y aurait davantage de sulfates et de nitrates dans la Josacine empoisonnée (Scellé N°8) que dans la Josacine témoin (Scellé N°1). Or c’est exactement le contraire de ce que M. Molinaro avait calculé (R. 73).

- Pour le calcium, et le magnésium M. Storck estime que ces impuretés ont pu être apportées par l’eau ayant servi à préparer la solution aqueuse de cyanure (S. p. 32). On retrouve ici l’hypothèse d’un ajout de 15,6 ml de solution cyanurée.

Pour l’hypothèse d’un apport de magnésium par l’eau de ville, M. Rosset est catégorique : « L’apport [de magnésium] par l’eau ne peut être retenu car les eaux de distribution de la région ne contiennent que très peu de magnésium. » (R. p.110).

- Pour le cuivre, MM. Rosset et Storck n’ont pas utilisé les mêmes chiffres, M. Storck utilisant un tableau de « résultats bruts » non exploitables. (R. p.111 et S. p.33).

            On se souvient que M. Molinaro avait prélevé seulement la « phase liquide » du flacon de Josacine empoisonnée pour ses travaux (voir supra). Dans une réponse à l’avocate de Jean-Marc Deperrois, en décembre 1995, M. Molinaro expliquait que lorsque le flacon est arrivé ensuite chez l’expert M. Verger, les deux phases se trouvaient « dans des proportions tout à fait différentes de ce qu’elles étaient initialement. […] Les approches analytiques de M. Verger visant à déterminer la composition initiale de la JOSACINE (y compris en cyanure) sont donc, indépendamment de sa volonté, erronées. Seuls ses résultats concernant les éléments directement apportés par le cyanure de sodium et exprimés par g ou kg de cyanure […] sont exploitables […]».

            Il semble que ce soit l’avis de M. Verger. En effet, il a d’abord calculé les teneurs des impuretés dans les Scellés 1 et 8 de Josacine, et dans les échantillons de cyanures à étudier, obtenant ce qu’il appelle des « résultats bruts ». Il précise ensuite : « Les différents scellés en notre possession possèdent des caractéristiques très différentes en ce qui concerne leur taux d’hydratation […]. Afin de s’affranchir de ces différences, tous les calculs seront exprimés par rapport à la substance sèche qui est une constante commune […] ».

            Il exprime ensuite tous les calculs par rapport à la substance sèche, ce qui donne pour la teneur en impureté cuivre :

- Dans les flacons de Josacine d’abord, 2 ppm environ dans le Scellé 1 (Josacine témoin , 6 ppm dans le Scellé 8 (Josacine empoisonnée)

- Directement apporté par le cyanure ensuite, en soustrayant l’apport par la Josacine et rapportée à la matière sèche : 23 ppm de cuivre.

Pour M. Rosset, cette teneur « est une valeur très élevée ; elle ne peut provenir d’un cyanure de sodium récent mais pourrait provenir d’un cyanure ancien plus impur que les cyanures récents ».

            La réponse de M. Storck s’appuie sur le tableau des « résultats bruts » des teneurs en cuivre des cyanures et des flacons de Josacine. Ils« expliquent parfaitement » selon lui la teneur en cuivre de la Josacine empoisonnée reçue par M. Verger. Or on vient de voir pourquoi ces chiffres n’étaient pas exploitables, de l'aveu même de l'expert Verger qui les avait calculés.

        Cette réponse est d'ailleurs contraire à l’opinion de M. Verger lui-même, qui affirme : « L’apport de ces métaux [cuivre, calcium, magnésium]dans le scellé 8 ne peut trouver son origine que dans une provenance exogène ». Et M. Verger confirme dans sa conclusion : « Les éléments suivants : oxalates, cuivre, calcium, magnésium ne sont pas apportés par le cyanure de sodium dans le flacon de Josacine, et ont été amenés par une autre source ». Il écarte donc, purement et simplement, tous les éléments à décharge.

        M. Rosset fait remarquer que : « Les impuretés comme les ions nitrate, sulfate, calcium, magnésium, cuivre, oxalate dont on ne parvient pas à expliquer les teneurs [dans les lots de cyanures saisis pour comparaison] ont été simplement écartés ».

        La réponse de M. Storck comporte la remarque suivante : « Contrairement à ce qu’a écrit le Professeur Rosset dans sa conclusion (page 116 de son rapport), Monsieur VERGER n’a pas exclu les teneurs en nitrates, sulfates, calcium, magnésium, cuivre et oxalates, puisqu’il les a analysées, et comparées avec les teneurs du scellé 1 (Josacine non empoisonnée) et du scellé 8 (Josacine empoisonnée). »

(Remarque du Comité de soutien. Cette réponse de M. Storck est un argument à visée juridique : la présence de ces impuretés ne serait pas un « élément nouveau » puisqu’elles étaient déjà connues des experts, et qu’elles ont pu être discutées par toutes les parties. Mais si l’on veut la vérité sur le cyanure trouvé dans la Josacine d’Emilie, cette réponse élude la question de fond : après les avoir en effet analysées et comparées, que fallait-il conclure de la présence de ces impuretés qu’on ne retrouve jamais dans aucun lot des cyanures saisis ?

Pourquoi ne pas avoir seulement envisagé que ces éléments ont très bien pu être apportés par un autre cyanure ? Un cyanure manifestement très vieux, et chargé en impuretés et produits de sa dégradation …).

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LA PLAINTE POUR FAUX-TEMOIGNAGE

Dans le courant du mois de septembre 1994, Jean-Marc Deperrois étant déjà incarcéré depuis le 27 juillet, le juge d’instruction a déclaré  à l’un de ses fils : « Les analyses ne sont pas encore revenues, mais je sais qu’elles sont mi-figue, mi-raisin. J’ai encore une petite chose à vérifier et, si c’est bon, votre père sortira bientôt ! ». (Anne-Marie Deperrois, Erreur sur le coupable, Préface de Bernard Clavel, Edition n°1, février 1998, p.92).

            Ce qu’il avait à vérifier : un témoignage à charge, survenu le 31 août, lors de la troisième enquête « de voisinage » des gendarmes chez des voisins des Tocqueville.

            Ces témoins auraient vu Jean-Marc Deperrois sortir de chez les Tocqueville 13 jours avant le drame, (un jour où il avait passé en fait tout l’après midi à distribuer des tickets à la kermesse de l’école de ses enfants), et aussi tourner autour de la voiture des Tocqueville, avec  l’air de vouloir « faire du mal », sur le parking devant la mairie, le 8 mai, ( jour où ce parking est interdit aux voitures). Ils seront soupçonnés par les magistrats eux-mêmes de faux-témoignage. Mais leur témoignage permettra de relancer l’enquête, au moment où elle risquait de tourner court, et fondera la thèse de la « préméditation ».

            Il sera ensuite fait obstruction à la plainte de Jean-Marc Deperrois contre eux pour faux témoignage, ce qui sera reconnu par la Cour de Cassation le 14 mai 2002.

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