Texte de la 3è requête en révision


A Mesdames et Messieurs les Présidents et Conseillers composant la Commission d’Instruction des demandes en révision et en réexamen de la Cour de Révision et de Réexamen

 

 

 

5 quai de l'Horloge

75001 Paris

 

 

 

 

Requete en révision

 

 

 

 

Monsieur Jean-Marc DEPERROIS

Né le 19 mai 1951 à Gruchet-le-Valasse (76)

De nationalité française

Retraité

Élisant domicile chez Maître Valérie ROSANO, 18 rue Ernest Cresson 75014 PARIS

 

 

 

 

Ayant pour avocat

 

Maître Valérie ROSANO

Avocat à la Cour

18 rue Ernest Cresson – 75014 PARIS

Tél. 01.42.22.46.47 – Fax. 01.40.20.43.76

Palais A 727

v.rosano@cabinet-rosano.com

 

 

 

 

 

 

 

 

 


 

A L'HONNEUR DE VOUS EXPOSER

 

 

LE RAPPEL DES FAITS TEL QU’IL RESSORT DE L’ACTE D’ACCUSATION

 

Le samedi 11 juin 1994, vers 15h15, Corinne PAILLARD épouse TANAY quittait son domicile où elle habitait avec son époux Denis pour accompagner à Gruchet-le-Valasse leur fille unique Émilie, née le 19 février 1985, qui était invitée à passer le week-end chez son camarade de classe Jérôme TOCQUEVILLE à l'occasion de la fête médiévale.

 

Madame TANAY arrivait vers 15h30 au domicile des époux TOCQUEVILLE, situé au centre du village, dans l'immeuble de la Mairie, dont Sylvie TOCQUEVILLE était secrétaire, et y rencontrait Jean-Michel TOCQUEVILLE qui l'attendait avec ses deux enfants Jérôme et Bertrand.

 

La petite Émilie avait eu une bronchite le mercredi 8 juin. Il lui avait été prescrit par le médecin de prendre de la Josacine comme antibiotique, à raison d'une cuillère dose 2 fois par jour, et de l'Exomuc comme fluidifiant.

 

Madame TANAY déposait les médicaments bien en évidence sur la table de la salle à manger et recommandait à Sylvie TOCQUEVILLE de veiller à ce qu'Émilie prenne bien ses médicaments avant le repas du soir.

 

Avant le départ pour le repas du soir qui devait avoir lieu à l'Abbaye de Gruchet-le-Valasse, Sylvie TOCQUEVILLE ouvrait les médicaments et invitait Émilie à les prendre. Celle-ci préparait une cuillère de Josacine qu'elle absorbait et à laquelle elle trouvait mauvais goût de telle sorte qu'elle se rendait au robinet de la cuisine pour boire de l'eau et se rincer la bouche. Elle disait que le sirop était mal dosé et que ce n'était pas bon, puis elle absorbait l'Exomuc et remettait les médicaments en place dans leur emballage sur la table de la salle à manger.

 

Vers 20h15, les époux TOCQUEVILLE quittaient la maison pour gagner à pied leur garage distant d'une cinquantaine de mètres avec les enfants. Émilie s'écroulait au sol inconsciente et Jean-Michel TOCQUEVILLE constatait que son regard était fixe et que de la salive sortait de sa bouche

 

Sa femme appelait le Samu à 20h19, après avoir joint Denis LECOINTRE, un ami, et tenté en vain de joindre les parents d'Émilie au téléphone.

 

Les médecins du service médical d'urgence de Lillebonne trouvaient l'enfant dans un état de détresse neurologique très avancé, avec un pouls très bas, un coma profond et une tension imprenable. Ils constataient la présence de bave à la commissure des lèvres et de sang dans la bouche en raison d'une morsure de la langue. Ils tentaient en vain de la ranimer puis à 21h00 la transportaient par ambulance à l'hôpital général du Havre au service de réanimation pédiatrique. Pendant le trajet, l'enfant était victime de plusieurs arrêts cardiaques.

 

Le décès d'Émilie TANAY était annoncé à 22h30 après qu'un scanner ait été effectué. La mort était consécutive à des défaillances cardio-vasculaires graves accompagnées d'une chute très importante de la réserve alcaline sur fond d'importants troubles neurologiques et respiratoires. Les médecins s'avéraient incapables de comprendre les causes et proposaient une autopsie médicale que les parents acceptaient.

 

Le lendemain dimanche à 5 heures du matin, Madame HEUZE, infirmière, transférait une partie du flacon de Josacine qui avait été amené et remis la veille au soir par un ami des familles à la demande des médecins du SMUR de Lillebonne dans un flacon stérile pour le remettre au laboratoire de l'hôpital aux fins d'analyse. Elle constatait que le sirop était visqueux et grumeleux, et en le humant elle ressentait une brûlure à l'œsophage.

 

Une autopsie était pratiquée le lundi 13 juin par le Docteur El HAITE mais ne permettait pas d'expliquer les causes de la mort. A l'occasion de cette autopsie, il était prélevé des viscères conservés dans du formol, du sang et du liquide gastrique qui étaient confiés pour analyse avec le flacon de Josacine au responsable du laboratoire de toxicologie de l'hôpital Manot, le Docteur GOULE, expert près la Cour d'appel de Rouen.

 

Le 14  juin 1995, la Josacine contenue dans le flacon était analysée. Il était observé un liquide jaune, d'aspect grumeleux, ayant une odeur d'amende amère et ammoniacale avec une présence de sodium de 44 g/I qui dans un premier temps suggérait une intoxication par un produit domestique à base de soude. Mais une réaction positive au test de Guignard indiquait très clairement la présence probable de cyanure.

 

Le docteur ANAGNOSTIDES, expert en médecine légale près la Cour d'appel de Rouen, pratiquait à la demande du Parquet du Havre et du juge d'instruction deux compléments d'autopsie le 14 et 21 juin. Les conclusions et l'étude du dossier médical l'amenaient à conclure qu'une intoxication aigüe au cyanure était vraisemblablement à l'origine du processus mortel.

 

Michel LHERMITTE, pharmacien chimiste principal, chef du département de toxicologie de l'Institut de Recherches Criminelles de la Gendarmerie Nationale, confirmait ce diagnostic. Il mettait en évidence la présence de 3,35 grammes de cyanure de sodium dans le flacon de Josacine utilisé par la victime peu avant son décès, soit une quantité reconstituée de 26,8 grammes par litre. Il retrouvait également du cyanure dans le sang prélevé par les réanimateurs hospitaliers le 11 juin ainsi que dans le liquide gastrique prélevé le 13 juin et ainsi que dans le sang prélevé lors de la contre-autopsie judiciaire effectuée le 14  juin .

 

Il confirmait les analyses du Docteur GOULE en notant la présence de 42 grammes par litre de sodium comme le fera ultérieurement le commandant MOLINARO pour le plasma.

 

L'expert LHERMITTE concluait que le taux de cyanure trouvé dans le flacon de Josacine utilisé par la victime avant son décès était compatible avec un empoisonnement et un décès par absorption de cyanure. Il précisait que la prise d'une cuillerée-mesure de 5 ml était suffisante pour entraîner la mort d'un enfant à raison de la présence de 134 mg de cyanure et ajoutait qu'aucun produit ménager ne contenait de cyanure de sodium.

 

*

*      *

 

Le 16 juin, une information judiciaire était ouverte pour empoisonnement avec préméditation contre personne non dénommée par le Procureur de la République du Havre et confiée à un juge d'instruction.

 

A la suite de cette procédure et de l'information judiciaire, Monsieur Jean-Marc DEPERROIS était mis en examen et placé sous mandat de dépôt le 27.07.1994.

 

Par arrêt en date du 19 décembre 1996, sa mise en accusation devant la Cour d'Assises de la Seine Maritime était prononcée.

 

Par arrêt en date du 25 mai 1997, la Cour d'Assises de la Seine-Maritime condamnait Jean-Marc DEPERROIS pour empoisonnement avec préméditation à 20 ans de réclusion criminelle.

 

Monsieur Jean-Marc DEPERROIS voyait la décision de la Cour d'Assises confirmée par arrêt de la chambre criminelle de la Cour de Cassation en date du 21 octobre 1998.

 

Monsieur Jean-Marc DEPERROIS a toujours affirmé son innocence.

 

Il a déposé deux requêtes en révision, lesquelles ont été rejetées.

 

La commission de révision des condamnations pénales a, dans sa décision du 16 décembre 2002, rendu sur une première requête, rappelé que l'explication de la mort par empoisonnement au cyanure le 11 juin 1994 d'Émilie TANAY avait donné lieu à de nombreuses hypothèses :

 

-          Contamination du médicament lors de sa fabrication ; acte de malveillance au sein de l'entreprise ;

-          Contamination du médicament par un produit domestique contenant du cyanure ;

-          Acte de vengeance ;

-          Erreur sur la victime.

 

La commission a ajouté que cette dernière hypothèse, qui a servi de base à la condamnation de Monsieur Jean-Marc DEPERROIS, avait été retenue après vérification et élimination des autres.

 

Il convient d'analyser les charges retenues contre lui par l'arrêt de la chambre d'accusation et qui ont fait l'objet du débat devant la Cour d'Assises de Seine Maritime. L'accusation estimait avoir établi :

 

1)   Que Jean-Marc DEPERROIS avait un mobile et qu'il voulait s'en prendre à Jean­ Michel TOCQUEVILLE.

 

2)   Qu'il avait eu l'opportunité le 11 Juin, entre 16 et 17 heures, d'entrer dans le domicile des TOCQUEVILLE par la cour intérieure de la Mairie et d'avoir eu accès au flacon de Josacine.

 

3)   Que Jean-Marc DEPERROIS avait détenu du cyanure de sodium lorsque le flacon de Josacine d'Émilie TANAY avait été empoisonné avec un tel produit. Qu'il l'avait acquis dans des circonstances que l'accusation trouvait particulièrement curieuses alors qu'il demandait au même moment à Jean-Michel TOCQUEVILLE de quitter sa femme.

 

De nombreuses expertises ont été ordonnées tendant à établir que le cyanure de sodium retrouvé dans le flacon de Josacine était compatible avec celui détenu par Jean-Marc DEPERROIS.

 

Si la quantité de cyanure a été identifiée à la fois dans le flacon de Josacine et dans le sang d’Émilie TANAY, dont il est acquis qu’elle est particulièrement importante, aucun expert ne précisera la nature de l’intoxication dont l’enfant a été victime, ni ne s’interrogera sur la compatibilité entre cette quantité et la chronologie des faits rapportées par les témoins.

 

Par ailleurs, les conclusions des expertises ont conduit l’accusation à en déduire qu’Émilie TANAY étant décédée d’une intoxication au cyanure, le flacon de Josacine était à l’origine de l’empoisonnement.

 

Toutefois, s’il est acquis qu’Émilie TANAY est effectivement décédée du fait de l’absorption de cyanure, aucun élément du dossier ne permet d’établir que la quantité de cyanure retrouvée dans le corps d’Émilie TANAY était compatible avec celle quantifiée dans le flacon de Josacine.

 

Par analogie, on imagine mal que dans le cas d’un homicide par balle, aucune expertise ne soit ordonnée pour établir la concordance entre l’arme du crime supposée et le projectile retrouvé dans le corps de la victime.

 

Tel est pourtant le cas en l’espèce.

 

Il va être démontré que des éléments nouveaux survenus depuis l'arrêt de condamnation du 25 mai 1997 établissent que la quantité de cyanure supposément ingérée en provenance du flacon de Josacine, définissant la nature de l’intoxication, le déroulement des faits, de la prise du médicament par Émilie TANAY jusqu’à l’arrivée des secours, est incompatible avec un empoisonnement au cyanure par le flacon de Josacine.

 

En effet, aucune reconstitution de la soirée n’a été réalisée au cours de l’instruction, pas plus qu’une expertise judiciaire portant sur l’adéquation entre la quantité de cyanure absorbée, les conséquences médicales d’une telle absorption et les faits relatés par les témoins n’a été ordonnée.

 

De la même façon, la compatibilité entre la quantité de cyanure retrouvée dans le flacon de Josacine et celle dans les prélèvements effectués sur Émilie TANAY n’a pas été réalisée.

 

Par ailleurs, il apparaît que certains faits ont été sciemment dissimulés aux enquêteurs et au magistrat instructeur, et qui ont été révélés postérieurement à la condamnation.

 

Monsieur DEPERROIS a sollicité Monsieur le Professeur BAUD, toxicologue clinicien et médecin réanimateur, spécialiste des cyanures.

 

Les éléments, soumis dans la présente requête, sont de nature à faire douter de la culpabilité de Monsieur Jean-Marc DEPERROIS alors qu’ils n'ont été ni envisagés ni à fortiori explorés, ce qu'ils n'auraient pas manqué de l'être s’ils avaient été connus des enquêteurs.

 

 

Ils seront examinés ci-après.

 

 I.         Les données scientifiques quant à la quantité mortelle de cyanure incompatibles avec l’empoisonnement d’Émilie TANAY par le flacon de Josacine

 

A.                      La dose létale résultant d’une ingestion de cyanure de sodium

 

Au regard de la littérature scientifique, il apparaît que la dose létale minimale, pour un adulte de poids et de taille moyen, « par ingestion, induisant l’effet maximal c’est-à-dire la mort, est de l’ordre de 69 (INRS) à 74 mg (Erdman) de cyanure de sodium ». (rapport BAUD Q1 page 4).

 

Le Professeur BAUD précise que pour apprécier la dose létale chez un enfant de 9 ans, mesurant à peine 1,40 cm et pesant moins de 25 kgs, ce qui correspond à la morphologie d’Émilie TANAY telle que précisée par sa mère (Corinne TANAY- la réparation volontaire édition Grasset page 174), « l’âge n’intervient que par l’effet du poids réduit par rapport à la dose dans le sens d’une augmentation de la dose d’exposition par rapport à un adulte avec toutes les conséquences que cela induit ».

 

Il conclut :

 

« La dose létale minimale de cyanure de sodium NaCN par ingestion induisant l’Effet maximal c’est-à-dire la mort d’un adulte de 70 kg est de 69 (INRS) à 74 mg (Erdman). Chez une enfant pesant 25 kg la dose létale correspondante se situerait entre (69/70kgs) x25 = 25 mg et (74/70) x25 = 26 mg de cyanure de sodium.

Les doses ingérées de cyanure de sodium régulièrement rapportées comme étant létales dans la littérature avec un éventail de doses allant de 106 à 300 mg chez l’homme adulte correspondrait chez une enfant de 25 kg à, respectivement : (106/70) x25 = 38 mg et (300/70) x25= 107 mg de cyanure de sodium.

Il ressort de ces calculs que la dose létale minimale de cyanure de sodium en ingestion chez une enfant de 25 kg est de l’ordre de 26 à 38 mg de cyanure de sodium, valeurs bien corrélées avec la valeur rapportée par les précédents experts (PEPIN & RICORDEL, p 112). » (Rapport BAUD Q1 page 10)

 

Le dosage du cyanure contenu dans le flacon de Josacine a été effectué par Monsieur LHERMITTE, expert désigné par le Juge d’instruction, dans le cadre de son rapport (D 621), soit en mesurant directement la quantité d’ions cyanure, soit indirectement par la mesure de la concentration en ion sodium.

 

1)       Dosage dans le flacon de Josacine :

Mesure d’ions cyanure :

 

Le flacon de Josacine, objet du scellé 8, contenait 26,8 g/L d’ions cyanure.

Rapportée à une cuillère dose de 5ml de Josacine, la quantité d’ions cyanures est de 134 mg.

 

Mesure de la concentration en ion sodium :

 

La concentration moyenne en ion sodium contenue dans le flacon de Josacine retenue par Monsieur LHERMITTE et reprise ensuite par Monsieur MOLINARO est de 48g/L, ce qui représente 54,3 g/L d’ion cyanure.

Rapportée à une cuillère dose de 5ml de Josacine, la quantité d’ions cyanures est alors de 272 mg.

 

2)       Dosage dans les prélèvements :

 

S’agissant des prélèvements effectués dans l’organisme d’Émilie TANAY, il ressort qu’ils contenaient en ions cyanure

 

-          Sang hépariné prélevé en réanimation le 11 juin 1994 (scellé 11) = 5 mg/l

-          Sang prélevé lors de la contre-autopsie le 14 juin 1994 (scellé 3) = 0,11mg/l

-          Liquide gastrique (scellé 9) = 82,5 mg/l

 

L’expert LHERMITTE conclut que de ces dosages, « les taux de cyanure trouvés dans le flacon de JOSACINE et dans les liquides biologiques sont compatibles avec un empoisonnement et un décès par absorption de cyanure de sodium».

 

Or, sur la base des données de Monsieur LHERMITTE, le Professeur BAUD précise que le taux de cyanure de sodium retrouvé dans le scellé 8 correspond de 4 à 16 fois la dose létale. (rapport BAUD Q3 page 5)

 

Pour rappel, Messieurs PEPIN et RICORDEL indiquent que « la quantité absorbée par l’enfant… correspond à 10 fois la dose moyenne mortelle pour un adulte » (Rapport page 114)

 

Pourtant, cette information permet de qualifier la nature de l’intoxication au cyanure subie par Émilie TANAY, ce qui n’a jamais été mis en évidence.

 

 

B.                       Les différentes formes d’intoxication au cyanure

 

Les différentes expertises réalisées au cours de l’instruction n’ont, à aucun moment, rappelé les différentes formes d’intoxication au cyanure, rapportées par la littérature scientifique.

 

L’expertise réalisée dans le cadre de la deuxième requête en révision de Monsieur DEPERROIS, et par voie de conséquence, inconnue de la juridiction ayant condamné ce dernier, a été confiée à Messieurs PEPIN et RICORDEL.

 

Ils précisent qu’il existe trois formes d’intoxication par inhalation « foudroyante, aiguë, et légère » (page 107 du rapport).

 

Ces trois phases sont identiques en cas d’ingestion de cyanure, correspondant au décès d’Émilie TANAY.

 

Elles sont décrites par le Professeur BAUD, sollicité par Monsieur DEPERROIS dans le cadre de la présente requête (rapport Q2 pages 7 et 8) :

 

Les formes mineures :

 

Elles se résument à quelques vertiges avec bouffées d'angoisse parfois associés à des céphalées, des nausées et des vomissements, une sensation de striction laryngée. La concentration sanguine en cyanure est souvent détectable au-dessus de 0,1 mg/L, de l’ordre de 0,5 mg/L, elle est inférieure à 1 mg/L.

 

La forme mineure se caractérise par l’absence d’incapacitation et de décès.

 

Les formes aiguës :

 

Elles se caractérisent par l'apparition d'un tableau clinique qui associe une atteinte neurologique, respiratoire et cardio-vasculaire.

 

L'atteinte neurologique se manifeste la première par une symptomatologie non spécifique qui apparaît dans un délai allant de quelques minutes à quelques dizaines de minutes selon la dose et ne dépassant jamais une heure pour l’ingestion des sels inorganiques de cyanure. Elle associe angoisse, céphalées, vertiges, troubles de la vision et de l'audition, état confusionnel, agitation incohérente, troubles de la conscience allant de la perte de conscience jusqu'au coma profond volontiers convulsif.

 

L'atteinte respiratoire se manifeste par l’apparition rapide après la survenue des troubles neurologiques mêmes mineurs d’une dyspnée à type de dyspnée d’acidose métabolique, ample et profonde. Elle témoigne de l’apparition d’une acidose lactique qui est secondaire au blocage de la respiration mitochondriale aérobie. Puis survient une dépression respiratoire avec ralentissement de la fréquence respiratoire qui s’arrête brutalement (apnée prolongée) et qui est incompatible avec la vie en l’absence de secours primaires (pompiers, ambulanciers, infirmiers équipés).

 

Dans la forme aigüe, il est possible de distinguer ces deux phases de défaillance respiratoire qui existent également sur le plan cardiovasculaire avec une phase précoce de tachycardie sinusale et d’hypertension artérielle (« rush catécholaminergique » = libération brutale de quantités importantes de neuromédiateurs à effet stimulant cardiovasculaire, suivie de l’apparition progressive d’une hypotension voire d’un état de choc (pression artérielle inférieure à 90 mm Hg chez un sujet dont la pression artérielle de base est normale et d’un ralentissement de la fréquence cardiaque passant par une bradycardie (pouls < 45 pulsations/min) pouvant aboutir à un arrêt de l’activité électrique et mécanique du cœur. La caractéristique de cette bradycardie est sa réversibilité par l’atropine montrant un effet du contrôle neurologique vagal du système cardiovasculaire stimulé par l’ion cyanure.

 

Le patient peut décéder d’un arrêt cardio-respiratoire s’il n’est pas pris en charge précocement c’est-à-dire dans les 30 minutes environ qui suivent l’ingestion. S’il a présenté un arrêt cardiorespiratoire il peut présenter des séquelles, essentiellement neurologiques [4]. La durée de cette intoxication est de l’ordre de quelques heures, raccourcie par les traitements antidotiques spécifiques.

Les concentrations sanguines en cyanure sont souvent de l’ordre de 1 à 2,5 mg/L.

 

La forme aigüe se caractérise par la présence d’une incapacitation à type de confusion mentale, d’agitation incohérente, de convulsions ou de coma qui sont encore réversibles spontanément et mieux sous l’effet des antidotes spécifiques (hydroxocobalamine, thiosulfate de sodium, agents méthémoglobinisants), la réversibilité est possible avec guérison complète mais des séquelles neurologiques sont fréquentes, des décès peuvent conclure une évolution défavorable survenant en heures ou en jours en cas d’encéphalopathie post-anoxiques séquellaire.

 

Les formes foudroyantes :

 

La victime s’effondre dans les secondes voire quelques minutes après l’ingestion, le délai devenant alors difficile à mesurer. Paulet citant Tardieu rapporte que le tableau foudroyant s’observe aussi bien par inhalation que par absorption d’une dose élevée de cyanure.

Les signes cliniques comportent :

 

-          Une perte de connaissance qui se manifeste par un effondrement brutal, souvent suivi de convulsions ou mouvements anormaux et rapidement d’un coma avec des réponses inadaptées à toutes stimulations qui devient rapidement aréactif et avec mydriase bilatérale.

-          Puis un arrêt cardio-respiratoire qui apparaît dans les minutes qui suivent l'ingestion d’une dose massive de sels inorganiques de cyanure. L’existence de mouvements respiratoires à type de gasps correspondent à la reprise respiratoire rapportée lors des expérimentations animales. La survenue brutale après effondrement de gasps en l’absence de conscience sont considérés comme traduisant un arrêt cardiaque.

-          La mort peut même survenir en 5 minutes après ingestion d’une forte dose de cyanure, avec un arrêt cardio-respiratoire constaté postérieurement.

-          Les concentrations sanguines en ion cyanure sont au moins de 2,5 mg/L et souvent plus.

-          La forme foudroyante se caractérise par la présence d’une incapacitation à type d’emblée de coma qui se manifeste chez un sujet debout par un effondrement brutal avec une perte d’emblée de la réactivité aux ordres verbaux. Cet effondrement est rapidement suivi de l’installation d’un arrêt respiratoire suivi d’un arrêt cardiaque, tous les deux réfractaires au traitement symptomatique mais pouvant être améliorées par des antidotes.

 

Il est à noter que les valeurs de concentrations sanguines et les tableaux cliniques décrits dans ce rapport concordent avec ceux rapportés par le Pr RICORDEL et le Dr PEPIN en page 107-108 de leur rapport. »

 

Il convient donc de s’interroger sur la forme d’intoxication subie par Émilie TANAY, au regard de la quantité de cyanure analysée, des symptômes décrits à la fois par les témoins directs et par les membres du SMUR.

 

C -          Une intoxication foudroyante incompatible avec l’absorption de la Josacine empoisonnée

 

Si l’on retient la dose de cyanure contenue dans une cuillérée de Josacine, comme ayant été à l’origine de l’empoisonnement d’Émilie TANAY, et relatée dans le rapport de Monsieur LHERMITTE, la quantité d’ions cyanures ingérée est de 134 mg.

 

Sachant que la dose létale minimale, pour une enfant ayant la morphologie d’Émilie TANAY, est de l’ordre de 26 à 38 mg de cyanure de sodium, soit une moyenne de 32mg, la quantité de cyanure contenue dans une seule cuillère dose de Josacine, correspond entre 4 et 16 fois la dose létale minimale.

 

Rappelons également que Messieurs PEPIN et RICORDEL ont indiqué que la dose ingurgitée par Émilie TANAY correspond à « dix fois la dose moyenne mortelle pour un adulte», sans pour autant qualifier la nature de l’intoxication, ce qui au regard de la quantité de poison ingérée ne laisse pourtant aucun doute.

 

De ce fait, le Professeur BAUD conclut qu’« en retenant une dose d’exposition d’Emilie TANAY égale à la quantité de cyanure apportée par une cuillère-mesure de Josacine empoisonnée correspondant à plus de 4 fois la dose létale pour une enfant pesant 25 kg, l’expression clinique aurait été foudroyante avec survenue dans les secondes qui suivaient l’ingestion d’un effondrement et dans les minutes après du décès. » (rapport BAUD Q3 page 5)

 

Messieurs PEPIN et RICORDEL mentionnent qu’en cas d’intoxication foudroyante, « la mort peut survenir en 2 à 3 minutes par arrêt respiratoire ou en 6 à 8 minutes par arrêt cardiaque post-anoxique ». (page 107)

 

Il s’ensuit que l’intoxication d’Émilie TANAY est foudroyante.

 

De ce fait, le Professeur BAUD a été interrogé sur la possibilité d’un ralentissement des effets d’une intoxication foudroyante au regard de la quantité de cyanure supposément ingérée en provenance de la Josacine, du goûter pris par Émilie TANAY et des données autopsiques.

 

Rappelons que le détail du goûter pris par Émilie TANAY résulte des côtes du dossier. (D59 page 5 – D73 – D74)

 

Or, le Professeur BAUD conclut tout au contraire que « le contenu gastrique par son pH tel que mesuré et celui des aliments ingérés, pris séparément, permettent d’affirmer qu’ils étaient des facteurs favorisant la survenue d’une intoxication cyanhydrique foudroyante, eu égard à la dose supposée ingérée, par la transformation dans l’estomac du sel sodique de cyanure en acide hydrocyanique non ionisé et gazeux et dans un état physico-chimique provoquant son absorption simultanée par la muqueuse gastrique et par voie respiratoire. » (Rapport BAUD Q5, page 7)

 

Les signes cliniques présentés par l’enfant, qui résultent à la fois des témoins directs que des membres du SMUR, confirment l’intoxication foudroyante au cyanure, ce que confirme le Professeur BAUD (rapport Q4 page 3).

 

Il est donc acquis qu’Émilie TANAY a été victime d’une intoxication foudroyante, impliquant un décès quasi-immédiat.

 

Or, cette intoxication foudroyante eu égard à la quantité de cyanure ingérée apparaît totalement incompatible avec la chronologie des faits rapportées par les témoins et exclut tout empoisonnement par le flacon de Josacine.

 

 

II - Le déroulement des faits relatés par les témoins est incompatible avec un empoisonnement par le flacon de Josacine

 

A.                  La chronologie des faits telle qu’elle ressort des dépositions des témoins directs

 

Seules quatre personnes étaient présentes le soir des faits aux côtés d’Émilie TANAY pendant la période allant du moment où elle a pris le médicament et l’arrivée des secours, les personnes relatant directement ou indirectement ce dont elles ont été témoins.

 

Il convient de les reprendre individuellement.

 

D8 - Jean-Michel TOCQUEVILLE : Émilie « a bu une cuillère de sirop et aussitôt elle m’a demandé de l’eau pour se rincer la bouche car elle trouvait que le sirop avait mauvais goût. Elle s’est rincée la bouche à l’évier de la cuisine. Ensuite de quoi elle a pris l’Exomuc.

Après qu’elle ait pris ses médicaments, avec mes enfants, ils sont retournés jouer à l’extérieur pendant le temps que mon épouse et moi finissions de nous préparer. Cela a duré quelques minutes.

Nous étions prêts à partir pour la soirée vers 20 heures 15. Nous nous sommes regroupés et nous nous sommes dirigés vers le garage pour prendre la voiture. Le garage est distant d’une cinquantaine de mètres de l’habitation. Pour nous rendre au garage, ma femme me précédait avec les enfants qui couraient et chahutaient. Tout le monde est rentré dans le garage afin de monter dans le véhicule. C’est au moment où elle arrivait dans le garage qu’Émilie TANAY s’est effondrée au pied de la voiture. Sur le coup pendant qu’elle jouait, je l’ai interpelée pour lui dire de ne pas salir son costume. Elle ne m’a pas répondu. Elle était tombée sur le côté droit. Je l’ai retournée et c’est à ce moment que j’ai constaté qu’elle était inconsciente. Elle avait les yeux fixes comme dans le vague. De la salive sortait de sa bouche. Je l’ai prise dans mes bras pour la transporter dans le salon à la maison. Je l’ai allongée sur le canapé et nous avons appelé le SAMU de LILLEBONNE. »

 

D10 – Sylvie TOCQUEVILLE : « Émilie TANAY a pris la bouteille de Josacine et le sachet d’Exomuc. Elle a pris ses médicaments. Aussitôt après cette prise, elle a dit que cela n’était pas bon et elle s’est dirigée dans la cuisine pour boire ou se rincer la bouche avec de l’eau, directement au robinet, d’après ce que m’a dit mon mari. Je ne l’ai pas suivie.

Vers 20 heures ou 20 heures 05, les enfants étant costumés, sont sortis hors du domicile sur la place devant chez nous en nous attendant. À ce moment, j’ai entendu mon plus jeune fils pleurer, il avait chuté et s’était blessé à la main. Je l’ai soigné et nous sommes partis en direction du garage. Il était 20 heures 15. À ce moment, Émilie sautillait, s’amusait et paraissait heureuse.

C’est au moment où on se trouvait tous dans le garage, prêts à monter en voiture, qu’Émilie TANAY s’est écroulée comme une masse. Mon mari, croyant à une farce de sa part, lui a demandé de se relever pour ne pas salir son costume. Il n’a eu aucune réponse. Devant ce fait, nous nous sommes précipités vers elle. Nous l’avons relevée, elle avait les yeux qui tournaient mais elle ne répondait à aucune question. Elle ne réagissait plus du tout. Mon mari l’a transportée dans ses bras jusqu’au salon et il l’a allongée sur le canapé. »

 

D59 – Jean-Michel TOCQUEVILLE : « Pendant qu’Émilie prenait son sirop j’étais dans la cuisine. Au moment de la prise du sirop j’ai entendu dire par Émilie « Ah c’est mal dosé ». Elle est venue dans la cuisine et m’a demandé de l’eau. Elle s’est rincée la bouche au robinet de l’évier. Elle a bu l’eau, elle n’a pas recraché l’eau du robinet.

Ensuite, Émilie a rejoint mon véhicule stationné dans le garage. C’est en arrivant au garage qu’Émilie s’est effondrée. Ma femme qui était dans le garage l’a ramenée aussitôt. À ce moment, j’ai pensé qu’Émilie faisait une bêtise et je lui ai dit « Émilie fait attention à ton costume » car auparavant Bertrand avait sali le sien suite à une chute et il s’était blessé à la main et avait du sang sur le costume.

Voyant qu’elle ne revenait pas à elle, je l’ai prise dans mes bras et je l’ai conduite sur le canapé de la salle à manger. Immédiatement, ma femme a appelé le SMUR. »

 

D60 – Sylvie TOCQUEVILLE : « Émilie déchire devant moi un sachet d’Exomuc puis se dirige dans la cuisine. Je reste occupée dans la salle à manger. Elle revient et prend une cuillère de Josacine. Émilie dit que c’est pas bon. Elle retourne dans la cuisine où se trouve mon mari. Elle boit ou se rince la bouche directement au robinet. Je dis à Émilie de ne pas oublier de mettre son col roulé car il va faire froid.

Je monte à l’étage chercher un pull pour chacun de mes fils. J’habille le plus petit. Puis j’enfile ma robe. C’est Émilie qui ferme elle-même ma robe (série de crochets dans le dos). Les enfants sortent. Bertrand tombe sur la place. Il se blesse la main. Il saigne. Il pleure. Je lui mets un pansement. Puis nous nous dirigeons tous vers le garage, situé à 50 mètres environ de la maison. Il est 20 heures 15. Émilie sautille dans son costume de bouffon. Elle est très belle. Puis, dans le garage, brutalement, Émilie s’écroule « comme une masse ». Mon mari croit à une farce… elle ne bouge pas. Nous nous précipitons sur elle. Elle est inanimée. Mon mari la transporte dans ses bras et la dépose sur le canapé. Nous prévenons immédiatement le SAMU. »

 

D 74 – Jérôme TOCQUEVILLE : « Émilie boit son sachet qui se dissout dans l’eau puis la Josacine. Elle prend une cuillère à café de Josacine. Elle a utilisé la cuillère en plastique qu’il y a dans la boîte. Elle a tout de suite dit « beurk c’est pas bon. » après elle a bu un peu d’eau dans la cuisine. Un petit peu de temps après, Émilie a dit à maman « j’ai mal à la tête ». Elle a précisé avoir envie de vomir. Cependant, nous avons revêtu nos costumes afin d’aller à la fête. Elle allait entrer dans la voiture quand soudain elle est tombée. Elle s’est tenue au mur et s’est affaissée. Papa l’a portée sur le cabinet. Papa a appelé le SAMU. »

 

D689 – Sylvie TOCQUEVILLE (notes dactylographiées 16/08/94) : « avant de se changer, je dis à Émilie de prendre ses médicaments. Ils sont toujours sur la table de la salle à manger, à l’endroit où Corinne les a posés. Devant moi, Émilie déchire un sachet d’Exomuc. Moi, j’ouvre la boîte dans laquelle se trouve la Josacine mais je ne sors pas la bouteille. Elle va dans la cuisine boire Exomuc et revient dans la salle. Je la laisse prendre elle-même sa cuillère de Josacine. Je lui demande de faire attention, de ne pas tacher la table. Elle dit que « c’est pas bon ». Elle va dans la cuisine où se trouve mon mari. Elle boit, se rince la bouche directement au robinet. Elle revient dans la salle et me dit «maman l’a pas fait comme d’habitude. » je dis à Émilie de mettre son pull à col roulé car il va faire froid. Elle s’habille en bas (mon mari l’aide). Moi je monte à l’étage chercher un pull pour mes enfants. Lorsqu’ils ont revêtu leur costume, je m’habille à mon tour. Émilie me rejoint dans ma chambre. C’est elle qui ferme les crochets au dos de ma robe. Les enfants sortent. Bertrand, le plus jeune de mes fils, tombe et se blesse à la main. Il pleure, saigne. Je lui mets un pansement. Puis nous nous dirigeons tous vers le garage, situé à 50 mètres environ de la maison… Il est 20 heures 15. Émilie sautille dans son costume de bouffon. Brutalement, dans le garage, Émilie s’écroule, sans dire un mot. Mon mari lui dit « Émilie, relève-toi, tu vas salir ton costume. » elle ne bouge pas. Nous nous précipitons sur elle. Je pose sa tête sur mon bras. Je l’appelle : « Émilie », plusieurs fois. Elle ne réagit pas. Elle ne nous voit plus. Ses yeux « tournent ». J’essaie de la soulever mais ne peux pas. Mon mari la prend dans ses bras. Je les précède, ouvre la porte de la maison. Il l’installe sur le canapé. »

 

 

B.                  La chronologie des faits telle qu’elle ressort des dépositions des témoins indirects

 

La chronologie des faits a également été rapportée par des témoins indirects qui ont recueillis les propos des témoins directs.

 

D7 – Docteur MAGUER : « Émilie TANAY signalée comme ayant chuté vers 20 heures 15 avec perte de connaissance au moment de l’absorption. Émilie TANAY s’est plainte du goût désagréable du médicament et a aussitôt pris un verre d’eau.

La chute avec perte de connaissance intervient ¼ d’heure après la prise du médicament.

 

D38 – Docteur ANAGNOSTIDES : « La fillette vers 20 heures aurait pris elle-même sa cuillérée de Josacine, lui aurait trouvé un mauvais goût et se serait alors rincé la bouche. Quinze minutes plus tard, elle devait s’effondrer et malheureusement elle n’a pu être réanimée. »

 

D83 – Monsieur PREMEL-CABIC, infirmier : « J’ai appris que l’enfant après avoir pris son médicament, a joué dans le garage en attendant le départ, avec d’autres enfants, et que avant de monter dans la voiture, elle aurait eu, à ce moment, son malaise, accompagné de convulsions. »

 

D89 – Docteur HENAFF : « La femme m’a déclaré que juste avant de partir, l’enfant avait pris ses médicaments et que l’enfant lui avait dit que son médicament était plus mauvais que lorsque c’était sa mère qui lui préparait, puis au moment de monter dans le véhicule pour partir à leur soirée, l’enfant a eu une perte de connaissance généralisée avec convulsions. »

D418 – Monsieur OUINE, 1er adjoint : « je suis passé devant la mairie. J’ai aperçu les époux TOCQUEVILLE et trois enfants. Il devait être 20 heures 35. Madame TOCQUEVILLE verrouillait la porte de son domicile tandis que Monsieur TOCQUEVILLE, suivi de trois enfants, dont les deux siens, se dirigeaient vers son garage. »

 

 

C.                       La chronologie des faits telle qu’elle ressort de l’acte d’accusation

 

D1843 - « Avant le départ, Sylvie TOCQUEVILLE ouvrait les médicaments et invitait Émilie à les prendre. La petite fille préparait une cuillère de « Josacine » qu’elle absorbait, et à laquelle elle trouvait mauvais goût, de telle sorte qu’elle se rendait au robinet de la cuisine pour boire de l’eau et se rincer la bouche. Elle disait que le sirop était mal dosé et que ce n’était pas bon, puis elle absorbait l’Exomuc et remettait les médicaments en place dans leur emballage sur la table de la salle à manger. Jérôme TOCQUEVILLE indiquera par la suite qu’Émilie lui avait alors dit qu’elle avait mal à la tête et envie de vomir.

 

Vers 20 heures 15, les époux TOCQUEVILLE quittaient la maison pour gagner à pied leur garage distant d’une cinquantaine de mètres. Les enfants couraient devant en riant, et Émilie, qui sautillait et paraissait heureuse, y entrait, mais parvenue au niveau du véhicule, s’écroulait au sol. Pensant à un jeu, Jean-Michel TOCQUEVILLE l’invitait à se relever, puis, se penchant sur elle, constatait qu’elle était inconsciente, que son regard était fixe, et que de la salive sortait de sa bouche. »

 

 

D.             La synthèse de cette chronologie

 

Il ressort de ces différents rappels, qu’Émilie TANAY a pris son médicament de Josacine, qu’elle s’est rincée la bouche, sans recracher selon le seul témoin direct de la scène, Jean-Michel TOCQUEVILLE, qu’elle a enfilé son costume de bouffon, qu’elle a aidé Sylvie TOCQUEVILLE à s’habiller en fermant les crochets de sa robe en montant à l’étage de la maison, qu’elle est redescendue au rez-de-chaussée, qu’elle est sortie de la maison et a joué avec les enfants TOCQUEVILLE, qu’elle s’est dirigée avec ces derniers vers le garage situé à une cinquantaine de mètres du domicile, et qu’à proximité du véhicule, elle est tombée inanimée.

 

Ces faits se seraient déroulés entre 19 heures 45/20 heures et 20 heures 15 environ, la première heure correspondant à la prise de la Josacine et la seconde à l’effondrement de l’enfant.

 

Il est acquis qu’Émilie TANAY est décédée d’une intoxication au cyanure.

 

 

E.                       La chronologie est incompatible avec une intoxication foudroyante établie scientifiquement

 

Il est établi qu’Émilie TANAY, au regard de la dose de cyanure retrouvée dans les prélèvements effectués, est décédée d’une intoxication foudroyante, impliquant un décès quasi-immédiat.

 

De la même façon, il ressort de la chronologie rapportée qu’Émilie ne serait décédée qu’environ ¼ d’heure après avoir ingéré de la Josacine, laquelle serait à l’origine de l’empoisonnement, et que l’enfant aurait effectué un certain nombre d’actions, entre la prise du médicament et son effondrement.

 

Toutefois, eu égard à la dose particulièrement forte ingérée supposément en provenance du flacon de Josacine, le Professeur BAUD alerte sur l’incompatibilité absolue entre le moment de la prise du médicament, les conséquences d’une intoxication foudroyante et les différents comportements attribués à Émilie TANAY, par les témoins directs, jusqu’à son effondrement dans le garage.

 

Le Professeur BAUD explique qu’«à la suite d’une intoxication foudroyante le délai d’apparition de l’incapacitation se décompte en secondes et au plus en minutes. Rappelons que l’incapacitation est neurologique par altération des fonctions supérieures très rapidement suivie de l’altération de la conscience et de la motricité. Comme cela est illustré par le cas rapporté par RICORDEL et PEPIN (Rapport d’expertise), et pour lequel nous avons démontré qu’en 8 secondes l’individu était devenu incapable de décrire le ressenti de son intoxication, témoignant de l’apparition de l’incapacitation ».

 

Il poursuit en indiquant qu’à partir de ces certitudes (Rapport BAUD Q4 pages 4 et 5) :

 

         i.            Il apparaît possible mais peu probable qu’Emilie TANAY ait pu dire « c’est pas bon » rapporté par Sylvie GIBEAUX, épouse TOCQUEVILLE (D60), formulé comme « A c’est mal dosé » par Jean-Michel TOCQUEVILLE (D59) et « beurk c’est pas bon » par Jérôme TOCQUEVILLE (D74).

       ii.            Il est improbable qu’elle ait pu aller à la cuisine qui nécessite une orientation spatiale et une motricité conservée.

      iii.            Il n’est pas possible qu’elle ait pu ouvrir le robinet et boire de l’eau en ingérant comme rapporté par Mr Jean-Michel TOCQUEVILLE (D59), la déglutition est une activité complexe qui nécessite une conscience et une coordination neuromusculaire. En effet la déglutition est une des actions la plus compliquée chez un sujet aux fonctions de vigilance altérée même a minima étant d’avaler de l’eau.

   iv.            Il est impossible qu’Emilie TANAY ait pu dire à sa mère qu’elle avait mal à la tête Jérôme TOCQUEVILLE (D74) et qu’elle ait dit son envie de vomir à Jérôme TOCQUEVILLE (D74).

    v.            Il est impossible qu’Emilie TANAY soit revenue dans la salle à manger pour dire à Sylvie GIBEAUX, mère de Jérôme TOCQUEVILLE (Annexe 3) « maman ne l’a pas fait comme d’habitude ».

   vi.            Il est impossible qu’Emilie TANAY ait pu revêtir son habit de fête comme rapporté par Jérôme TOCQUEVILLE (D74).

vii.            Il est impossible qu’Emilie TANAY ait pu attendre en restant asymptomatique pendant que Mme Sylvie GIBEAUX, épouse TOCQUEVILLE (D60) portait assistance à son fils qui s’était blessé, saignait nécessitant la pose d’un pansement qu’il a fallu aller chercher dans la trousse de pharmacie.

  viii.             Il est impossible qu’Emilie TANAY ait pu aider Mme Sylvie GIBEAUX, épouse TOCQUEVILLE en montant à l’étage et en se rendant dans la chambre de Mme Sylvie GIBEAUX, épouse TOCQUEVILLE (D689.)

   ix.            Il est impossible qu’Emilie TANAY ait pu aider Mme Sylvie GIBEAUX, épouse TOCQUEVILLE en faisant ce qui a été bien décrit (D60) : « C’est Emilie qui ferme elle-même ma robe (série de crochets dans le dos). »

    x.            Il est impossible qu’Emilie TANAY ait pu descendre les marches du premier étage au rez-de-chaussée puis celui donnant de l’entrée de la maison jusqu’à l’allée.

   xi.            Il est impossible qu’Emilie TANAY ait pu faire ce qui est rapporté par Mme Sylvie GIBEAUX, épouse TOCQUEVILLE en faisant ce qui a été bien décrit (D60) « Emilie sautille dans son costume de bouffon. »

xii.            Il est impossible qu’Emilie TANAY, gravement intoxiquée par le cyanure ait pu avoir resplendi de beauté comme rapporté par Mme Sylvie GIBEAUX, épouse TOCQUEVILLE (D60).

   xiii.            Il est impossible qu’Emilie TANAY, gravement intoxiquée par le cyanure, ait pu avoir marché les 50 mètres environ qui séparent la maison du garage comme rapporté par tous les témoins : Mme Sylvie GIBEAUX, épouse TOCQUEVILLE (D60), Jean-Michel TOCQUEVILLE (D59) et Mr Jérôme TOCQUEVILLE (D74).

 

Le Professeur BAUD conclut que « Si l’intoxication provenait du flacon de JOSACINE empoisonnée contenant une dose d’ion cyanure égale supérieure à 4 fois la dose létale minimale par ingestion chez une enfant de 25 kg, l’expression clinique foudroyante aurait eu pour effet la survenue dans les secondes qui suivait l’ingestion d’un effondrement et dans les minutes après, du décès dans la pièce même où elle aurait ingéré le poison. » (Rapport BAUD Q4 page 4)

 

Ainsi, si Émilie TANAY avait effectivement ingéré de la Josacine contenant du cyanure dans les proportions retenues par les différents experts, correspondant à 4 fois la dose létale minimale pour une enfant, l’atteinte neurologique aurait été immédiate, empêchant toutes actions, et notamment celles décrites par les Consorts TOCQUEVILLE, et provoquant son décès quasi immédiatement.

 

L’empoisonnement d’Émilie TANAY ne provient donc pas du flacon de Josacine mais ne peut résulter que de l’absorption ultérieure d’un produit cyanuré.

 

Ceci est d’ailleurs confirmé par l’incompatibilité entre le dosage de cyanure retenu dans le flacon de Josacine et les prélèvements sanguins effectués sur l’enfant.

 

 

III - Un dosage en cyanure sanguin incompatible avec celui de la Josacine

 

Il a été dit que Monsieur LHERMITTE avait procédé au dosage en cyanure contenu à la fois dans le flacon de Josacine et dans le sang d’Émilie TANAY prélevé par le SMUR.

 

1)       Mesure dans le flacon de Josacine

 

Mesure d’ions cyanure :

 

Le flacon de Josacine, objet du scellé 8, contenait 26,8 g/L d’ions cyanure.

Rapportée à une cuillère dose de 5ml de Josacine, la quantité d’ions cyanures est de 134 mg.

 

Mesure de la concentration en ion sodium :

 

La concentration moyenne en ion sodium contenue dans le flacon de Josacine retenue par Monsieur LHERMITTE et reprise ensuite par Monsieur MOLINARO est de 48g/L, ce qui représente 54,3 g/L d’ion cyanure.

 

Rapportée à une cuillère dose de 5ml de Josacine, la quantité d’ions cyanures est alors de 272 mg.

 

2)       Mesure dans les prélèvements sur l’enfant

 

S’agissant des prélèvements effectués dans l’organisme d’Émilie TANAY, il ressort qu’ils contenaient en ions cyanure

 

-          Sang hépariné prélevé en réanimation le 11 juin 1994 (scellé 11) = 5 mg/l

-          Sang prélevé lors de la contre-autopsie le 14 juin 1994 (scellé 3) = 0,11mg/l

-          Liquide gastrique (scellé 9) = 82,5 mg/l

 

L’expert LHERMITTE conclut que de ces dosages, « les taux de cyanure trouvés dans le flacon de JOSACINE et dans les liquides biologiques sont compatibles avec un empoisonnement et un décès par absorption de cyanure de sodium».

 

Cependant, l’expert ne s’est pas interrogé sur le rapport à la dose létale, ni même sur la compatibilité entre les dosages trouvés dans le flacon et dans les prélèvements effectués sur Émilie TANAY.

 

Il conclut à une intoxication au cyanure de sodium alors qu’il n’a pas analysé la nature des ions cyanure dans les prélèvements, partant du postulat non avéré que le poison contenu dans le flacon et les prélèvements était identique.

 

Rappelons pourtant que la mission de l’expert portait sur la comparaison entre « la nature du toxique et son dosage présent dans le flacon de Josacine avec ceux constitués de prélèvements humains réalisés au cours de la contre-autopsie. Opérer tout acte utile à la manifestation de la vérité à partir de l’examen de l’ensemble des scellés. »

 

Cependant, l’expert ne s’est pas interrogé sur la cohérence du taux de cyanure retrouvé dans le flacon de Josacine et ceux retrouvés dans les prélèvements effectués sur Émilie TANAY, après les différentes interventions médicales.

 

La comparaison impliquait de mettre en parallèle ses résultats afin de faire apparaître des similitudes ou des différences, notamment quant à la nature et au dosage du toxique, dès lors qu’il était de nature identique.

 

L’expert a uniquement répondu sur la similitude du poison « cyanure » retrouvé à la fois dans le flacon et dans les prélèvements, sans s’interroger sur la compatibilité entre les deux dosages qu’il a réalisés.

 

En effet, s’il est acquis que le flacon de Josacine contient du cyanure et qu’Émilie TANAY est décédée d’un empoisonnement à ce poison, l’expert aurait dû s’interroger sur la biodisponibilité de l’ion cyanure, c’est-à-dire la fraction du toxique ingéré ayant atteint la circulation sanguine et ayant pu être distribué aux tissus et induire ses effets toxiques, pour s’assurer de la concordance ou de la différence entre les deux taux de cyanure qu’il a calculés.

 

Pourtant, la mission confiée, indépendamment de l’absence de questionnement précis sur le sujet s’agissant d’un point éminemment technique, lui permettait d’y répondre dès lors qu’il se devait d’« opérer tout acte utile à la manifestement de la vérité à partir de l’examen de l’ensemble des scellés. »

 

Or, il va être démontré que ce calcul, s’il avait été effectué, met à mal le scenario de l’accusation ayant abouti à la condamnation de Monsieur DEPERROIS, dès lors qu’il rend impossible tout empoisonnement d’Émilie TANAY par le flacon de Josacine incriminé.

 

Ce calcul a été effectué par le Professeur BAUD, dans le cadre de l’expertise qui lui a été confiée par Monsieur DEPERROIS.

 

Au préalable, il lui a été demandé si les différentes injections réalisées dans le sang d’Émilie TANAY par le SMUR, dans le cadre de son intervention de secours, avaient pu avoir une influence sur le dosage du cyanure contenu dans les prélèvements sanguins effectués.

 

La réponse est affirmative dès lors que les soins pratiqués ont diminué la concentration sanguine du cyanure par « effet de dilution du sang qu’il est possible de quantifier et de corriger.

 

Des corrections effectuées à partir des informations sur les traitements reçus par Émilie TANAY, il est possible de conclure que la concentration sanguine de l’ion cyanure avant les traitements pratiqués par le SMUR était de 7,2 mg/L.

 

Le délai de prélèvement d’environ 1h30 par rapport à l’effondrement n’a pas permis une élimination spontanée du cyanure compte-tenu de l’état cardiovasculaire catastrophique de l’enfant empêchant tant la distribution tissulaire que l’élimination naturelle du cyanure par absence (arrêt cardiovasculaire) ou très faible perfusion sanguine (état de choc gravissime) de tous les organes. » (Rapport BAUD, Q6, page 7)

 

Or, il apparaît que la quantité de cyanure retrouvée dans le flacon est incompatible avec celle retrouvée dans le corps d’Émilie :

 

« Sachant que 134 mg d’ions cyanure représentent environ entre 6 à 9 fois la dose létale minimale, et correspond à une intoxication foudroyante, la biodisponibilité aurait dû, au regard des conclusions transposables de Gletter et Baine, être comprise entre 24 et 16,6 %.

 

En effet, dès lors que la dose létale est absorbée par le corps, la mort survient et donc toutes les fonctions vitales et non vitales s’arrêtent, de sorte que l’organisme ne peut plus absorber la surdose de cyanure.

 

Dans ces conditions, le dosage sanguin de l’ion cyanure mesuré et corrigé, de l’effet de dilution des traitements effectués par le SMUR, n’est pas compatible avec la quantité d’ions cyanure contenue dans la cuillère dose de Josacine, supposément empoisonnée. » (Rapport BAUD Q7 page 4)

 

Il ressort de ce qui précède que plus la dose de cyanure ingurgitée est forte, plus la mort survient à très bref délai, rendant impossible l’assimilation de la surdose de poison une fois la quantité létale atteinte.

 

Or, la quantité d’ions cyanure retrouvée dans le sang d’Émilie TANAY, si le poison provenait de la Josacine, supposerait que son corps a continué à assimiler le poison après sa mort, ce qui est médicalement impossible.

 

S’il est acquis et incontesté qu’Émilie TANAY est décédée des suites de l’absorption de cyanure, la question de la compatibilité entre ces données judiciairement acquises, la chronologie des faits telle que rapportée par les témoins directs et indirects, le comportement supposé d’Émilie TANAY entre la prise de son médicament et son effondrement, et les symptômes qu’elle a présentés n’ont, en conséquence, pas été ni étudiées, ni examinées dans le cadre de la procédure d’instruction, pas plus qu’au cours du procès ayant conduit à la condamnation de Monsieur Jean-Marc DEPERROIS.

 

Or, il apparaît que ces éléments sont incompatibles avec un empoisonnement du flacon de Josacine, comme étant à l’origine du décès d’Émilie TANAY.

 

En effet, il ressort du rapport d’expertise établi par Monsieur le Professeur BAUD, à la demande de Monsieur DEPERROIS, que l’empoisonnement d’Émilie TANAY n’est pas dû au flacon de Josacine, comme le requérant le démontrait dans la précédente requête qu’il a déposée devant la Commission de révision des condamnations pénales :

 

-          Du fait de l’odeur persistante d’ammoniac immédiatement dégagée à l’ouverture du flacon de Josacine et non perçue par les différents témoins immédiats (absence de signalement par Émilie TANAY, absence de perception par Sylvie TOCQUEVILLE et ses enfants lors de la prise du médicament, absence de perception par Monsieur PREMEL-CABIC, infirmier du SMUR qui a senti le flacon),

-          Du fait de l’incompatibilité du délai entre la prise du médicament et l’effondrement d’Émilie TANAY au regard de la dose de cyanure retrouvée dans le sang,

-          Du fait de l’incompatibilité du comportement d’Émilie TANAY décrit par la famille TOCQUEVILLE à la suite de la prise du médicament si celui-ci avait été effectivement empoisonné préalablement,

-          Du fait de l’incompatibilité du dosage de cyanure retrouvé dans le flacon de Josacine et celui mesuré dans le sang d’Émilie TANAY.

 

Il ressort donc de ce qui précède que l’empoisonnement d’Émilie TANAY ne peut en aucun cas provenir de l’ingestion d’une cuillerée de Josacine, confirmant les moyens soutenus par Monsieur DEPERROIS dans ses précédentes requêtes en révision auxquelles il convient de se référer.

Par ailleurs, certains faits ont été sciemment dissimulés aux enquêteurs et ont été révélés postérieurement.

 

 

IV - Des faits sciemment dissimulés aux enquêteurs

 

Madame Sylvie TOCQUEVILLE a, à de nombreuses reprises, écrit à Monsieur BALAYN, Juge d’Instruction, en lui adressant notamment les notes dactylographiées qu’elle aurait prises à la suite des faits.

 

Elles sont consignées au dossier d’instruction aux cotes D 689 et D 1739.

 

Toutefois, il est apparu que ces notes avaient été amputées de certaines informations, volontairement tues aux enquêteurs.

 

Cette dissimulation conforte l’incohérence des déclarations des Consorts TOCQUEVILLE quant au déroulement de la soirée, renforcée par l’absence de reconstitution réalisée à l’époque, lors de l’instruction.

 

La version intégrale de ces notes manuscrites a été produite dans le cadre d’une procédure opposant les époux TANAY aux époux TOCQUEVILLE, et placées sous scellé, puis versée aux débats.

 

Madame TANAY les a volontairement remises à Monsieur DEPERROIS dans le cadre d’échanges ayant conduit la première à écrire un ouvrage intitulé « la réparation volontaire » paru chez Grasset en octobre 2019.[ ISBN 978-2-246-81834-2]

Monsieur DEPERROIS les communique au soutien de la présente requête.

 

Il ressort notamment de ce document, en page 28, que Madame TOCQUEVILLE, « en rangeant les vêtements de mes enfants, je découvre un tube fermé avec un bouchon. Je lis « chaux vive ». Mon sang ne fait qu’un tour. Le tube était dans la poche du jean de Jérôme. Est-ce ça qui a tué Émilie ? Je suis complètement angoissée. Je montre ma découverte à Jean-Michel qui est aussi interloqué. Je décide d’aller voir Jérôme à son école. Il est 13 h environ. Les enfants jouent dans la cour…. Jérôme me rejoint. « Jérôme, j’ai trouvé ça dans une poche de ton pantalon. Qu’est-ce que c’est ? » je lui montre le tube. « je l’ai pris chez tata Janine, dans sa cave ». « Quand ? » « Hier soir ». il est vrai que ma mère a emmené mes fils après l’école chez ma tante. « tu es sûr ? » « Oui, je te promets ». » Jérôme promets moi que tu n’as pas touché au médicament d’Émilie. Tu sais, je vais à la gendarmerie tout à l’heure, il faut que tu me dises la vérité. « je te promets maman que je n’y ai pas touché » «Je te crois ». je m’en vais aussitôt chez ma tante avec le tube. Je dis bonjour à mon oncle, ma tante et mes parents qui déjeunent en leur compagnie. Je leur présente, angoissée, le tube. « est-ce que c’est vrai que Jérôme a pris ça chez vous hier ? ».

Mon oncle reconnaît le tube. Ça vient d’un jeu « le petit chimiste ». Ce n’est pas de la chaux. Mon oncle va dans sa cave. Je le suis. Il y a d’autres tubes dedans, vides. Je suis rassurée. J’explique à ma famille qu’il y aurait de la soude dans la Josacine, que les gendarmes pensent que ce sont les enfants qui ont fait ça. Je m’en vais. Le tube a repris sa place dans la boîte de jeu. Je rentre à la maison tranquilliser mon mari.

Je n’ai donc pas lieu de faire mention de ce tube aux gendarmes l’après-midi dans ma déposition. » 

 

Ce récit relate la journée du mardi 14 juin 1994. (D10)

 

Il apparaît que les enfants TOCQUEVILLE étaient en garde à Bolbec chez leur grand-mère, Madame GIBEAUX (D59 page 4 et D592), dès le vendredi en fin d'après-midi le 10 juin 1994 la veille des faits jusqu'au samedi matin 11 juin 1994.

 

C’est donc au cours de ce séjour chez leurs grands-parents qu’ils sont allés chez leur tante Janine BATHON et son mari, Monsieur Gérard BARTHON, et que Jérôme a pris le tube litigieux, fait totalement tu aux enquêteurs.

 

De plus, Madame TOCQUEVILLE a simplement demandé à son fils s’il n’avait pas touché à la Josacine, dont il est amplement démontré qu’il n’est pas à l’origine de l’empoisonnement, mais ne l’a pas interrogé sur l’utilisation qu’avait eu Jérôme TOCQUEVILLE du tube en question, ni de son contenu.

 

Le fait d’avoir volontairement dissimulé ces faits aux enquêteurs, mais également au juge d’instruction en lui envoyant des notes tronquées, est une entrave à la manifestation de la vérité, en empêchant les auditions de son fils sur le sujet, de son oncle et des analyses du tube litigieux.

 

Or, il est établi, par le Professeur BAUD, éminent spécialiste du cyanure et médecin réanimateur, que le comportement d’Émilie TANAY est incompatible avec un empoisonnement par le cyanure contenu dans le flacon de Josacine et que les symptômes qu’elle a présentés surviennent beaucoup trop tardivement au regard de la dose massive qu’elle aurait ingérée si l’empoisonnement provenait du flacon de Josacine.

 

Il est manifeste que l’empoisonnement dont a été victime Émilie TANAY est survenu quelques secondes avant son effondrement, de sorte que des agissements, fussent-ils involontaires, ont été cachés et le restent depuis le 11 juin 1994.

 

Les parents d’Émilie TANAY s’interrogeaient, en 2005, dans une lettre adressée à la Présidente de la Commission de Révision :

« nous avions relevé des éléments dans le déroulement des faits, tels qu’ils nous ont été présentés et dès l’origine des faits, de nature à soulever des questions importantes, et pour lesquelles à ce jour, nous n’avons pas eu de réponse, à savoir :

-que l’attitude des époux TOCQUEVILLE n’a pas été totalement définie ni éclaircie dans toute cette affaire.

-que l’écoute téléphonique échangée entre Jean-Michel TOCQUEVILLE et Denis LECOINTRE nous a toujours troublés tous les deux, et ce dès notre première lecture du dossier en octobre 1994…

En effet, nous avons toujours été intimement convaincus, que le couple TOCQUEVILLE ne disait pas toute la vérité sur ce qui s’est réellement passé ce soir du 11 juin 1994 à leur domicile….

Cette femme (Madame TOCQUEVILLE) s’emploie depuis 1994 de manière inlassable à brouiller les pistes, d’interpréter haut et fort, de manière systématique, les faits, les gestes et les paroles des uns et des autres, de manière à jeter la suspicion sur tout et tous, mais toujours ailleurs que dans son entourage immédiat….

Aujourd’hui, elle n’hésite pas à dire jusque devant le TGI du Havre que, très vraisemblablement, la responsabilité de son ex-mari dans la mort d’Émilie est « plausible », sans s‘expliquer pour autant. »

 

Madame Corinne TANAY souligne, à nouveau, les incohérences, voire les impossibilités médicales en relation avec une intoxication foudroyante au cyanure, de la chronologie des faits telle que relatée par les époux TOCQUEVILLE, dans son livre « La réparation volontaire » (pages 134 à 142) :

 

-          « L’enfant ne peut pas avoir ingéré du cyanure à 20 heures, être tombée sans connaissance à 20 h 15. (page 135)

-          Toujours est-il que durant sept jours, entre la mort de notre fille et le placement en garde à vue les protagonistes (nous y compris), le couple TOCQUEVILLE ne dira rien.

-          Durant l’enquête, la toxicologie sera abandonnée au profit des expertises sur le cyanure pour le relier à celui que l’inculpé avait eu en sa possession.

-          La toxicologie aurait pu permettre un exposé des circonstances et des effets du cyanure. On aurait sorti du chapeau les incohérences de la chronologie des faits. (pages 138-139)

-          Si le verre utilisé par Émilie pour diluer l’Exomuc avait été mis de côté, si la cuillère de la Josacine avait été retrouvée, leur analyse aurait pu apprendre quelque chose. Émilie n’a pas succombé à une mort naturelle. Quelqu’un l’a réalisé très vite. Un suicide du mari trompé, transformé en accident, devait figurer sur la liste des hypothèses. Ce mobile n’a pas été retenu. Rappelez-vous ce que j’avais remarqué : le lundi 13 juin, la poubelle ménagère du couple TOCQUEVILLE a été jetée mais la poubelle des déchets médicaux des urgentistes a été conservée. Là, bien en évidence. On sait ce que contient une poubelle des urgences ; des seringues, des emballages des produits employés pour la réanimation, etc. Le couple TOCQUEVILLE a deux enfants, et il laisse les déchets médicaux dans la cuisine. Ils ont vidé la poubelle ménagère. Des faits qui n’ont pas été exploités dans l’enquête. (pages 142 et 142)

-          Le rôle du couple TOCQUEVILLE n’a pas été déterminé. A partir de 1997, mon mari déposera plusieurs plaintes, classées sans suite.

-          Une écoute téléphonique, découverte par le journaliste Jean-Michel Dumay était curieuse : il faut qu’on sache hein ! parce que t’à l’heure tu vas passer euh, à la télé toi avec ton produit qu’t’as mis dans la Josacine ! de t’façon on est bien clair, nous on s’est pas vus dans la journée.

 

Auditionnés en 2006, pour préciser le contenu de l’écoute téléphonique, les deux protagonistes ont feint la surprise. (page 142)

 

Il est manifeste que la relation des faits par les Consorts TOCQUEVILLE au regard d’une intoxication foudroyante est incompatible avec un empoisonnement d’Émilie TANAY par le flacon de Josacine.

 

Ce dernier n’a donc pas pu être contaminé par du cyanure de sodium préalablement à la prise du médicament par l’enfant, de sorte que l’empoisonnement dont elle a été victime s’est inévitablement produit tout au plus quelques minutes avant son effondrement (du fait de la dose létale retrouvée dans les prélèvements autopsiques) et par l’absorption d’un autre produit contenant du cyanure.

 

Il apparaît donc que les consorts TOCQUEVILLE persistent à dissimuler les faits qui se sont réellement déroulés, ce que confirment les époux TANAY dans leurs interrogations légitimes et les notes non tronquées de Madame Sylvie TOCQUEVILLE, versées aux débats postérieurement à la condamnation de Monsieur DEPERROIS.

 

 

CONCLUSION

 

Il ressort de ce qui précède que :

 

-          L’intoxication au cyanure d’Émilie TANAY, sur la base des analyses effectuées, est de nature foudroyante.

-          L’intoxication foudroyante est totalement incompatible avec le comportement de l’enfant tel que rapporté par les témoins après la prise de la Josacine

-          L’empoisonnement par du cyanure du flacon de Josacine, préalable à la prise par Émilie TANAY, est impossible.

-          La quantité de cyanure retrouvée dans le flacon de Josacine est incompatible avec celle retrouvée dans les prélèvements humains effectués sur Émilie TANAY.

-          Des faits ont été sciemment dissimulés aux enquêteurs et au magistrat instructeur par les consorts TOCQUEVLLE et notamment Madame Sylvie TOCQUEVILLE.

 

L’ensemble de ces éléments était inconnu de la juridiction au jour du procès et sont de nature à établir l’innocence de Monsieur DEPERROIS et à tout le moins de faire naître un doute sur sa culpabilité.

 

En conséquence de ce qui précède,

 

Il est demandé à la commission, vu des articles 622 et suivants du Code de Procédure Pénale, de :

 

Constater que cet ensemble de faits nouveaux, inconnus des jurés de la cour d'assises de Rouen au jour du procès de Jean-Marc DEPERROIS, sont de nature à faire naître un doute sur sa culpabilité.

 

Constater que ces éléments inconnus ne se sont révélés que postérieurement à la condamnation pénale dont a fait l'objet Monsieur DEPERROIS.

 

Entendre en qualité de témoin Monsieur le Professeur BAUD.

 

Faire toutes diligences en application de l’article 624-2 du Code de procédure pénale, entendre Madame Sylvie TOCQUEVILLE, Jérôme TOCQUEVILLE, Monsieur Jean-Michel TOCQUEVILLE, Bertrand TOCQUEVILLE, Monsieur Gérard BARTHON et Madame Janine BARTHON, et toute autre personne nécessaire à la manifestation de la vérité.

 

Saisir la formation de jugement de la Cour de Révision et de Réexamen de la demande formulée par monsieur Jean-Marc DEPERROIS.

 

Fait à PARIS, le   .

 

 

Valérie ROSANO

                                                                                         Avocat à la Cour                                                        

 

 

 

Pièces annexées I

 

1.       Rapport du Professeur BAUD

2.       Notes manuscrites de Madame Sylvie TOCQUEVILLE

3.       Requête en révision déposée par Monsieur DEPERROIS

4.   Lettre des époux TANAY en date du 26 novembre 2005 adressée à la présidente de la commission de révision

5.       La réparation volontaire, Corinne TANAY, GRASSET