Une famille d'arbres
C'est après avoir traversé une plaine brûlée de soleil que je les rencontre.
Ils ne demeurent pas au bord de la route, à cause du bruit.
Ils habitent les champs incultes, sur une source connue des oiseaux seuls.
De loin, ils semblent impénétrables.
Dès que j'approche, leurs troncs se desserrent. Ils m'accueillent avec prudence.
Je peux me reposer, me rafraîchir, mais je devine qu'ils m'observent et se défient.
Ils vivent en famille, les plus âgés au milieu et les petits, ceux dont les premières feuilles viennent de naître, un peu partout, sans jamais s'écarter.
Ils mettent longtemps à mourir, et ils gardent les morts debout
jusqu'à la chute en poussière.
Ils se flattent de leurs longues branches, pour assurer qu'ils sont tous là, comme les aveugles. Ils gesticulent de colère si le vent s'essouffle à les déraciner.
Mais entre eux aucune dispute. Ils ne murmurent que d'accord.
Je sens qu'ils doivent être ma vrai famille. J'oublierai vite l'autre. Ces arbres m'adopteront peu à peu, et pour le mériter j'apprends ce qu'il faut savoir:
Je sais déjà regarder les nuages qui passent.
Je sais aussi rester en place.
Et je sais presque me taire.
Jules RENARD(1864-1910), Histoires naturelles (1896).
L'arbre va tomber
Francis Cabrel
L'arbre va tomber,
Les branches salissaient les murs.
Rien ne doit rester,
Le monsieur veut garer sa voiture.
Nous, on l'avait griffé,
Juste pour mettre des flèches et des coeurs.
Mais l'arbre va tomber,
Le monde regarde ailleurs.
L'arbre va tomber,
Ca fera de la place au carrefour.
L'homme est décidé
Et l'homme est le plus fort, toujours.
C'est pas compliqué,
Ca va pas lui prendre longtemps,
tout faire dégringoler,
L'arbre avec les oiseaux dedans !
Y'avait pourtant tellement de gens qui s'abritaient,
Et tellement qui s'y abritent encore.
Toujours sur nous penchés quand les averses tombaient,
Une vie d'arbre à coucher dehors.
L'arbre va tomber,
L'homme veut mesurer sa force.
Et l'homme est décidé,
La lame est déjà sur l'écorce.
Y'avait pourtant tellement de gens qui s'y abritaient,
Et tellement qui s'y abritent encore.
Toujours sur nous penchés quand les averses tombaient,
Une vie d'arbre à coucher dehors.
L'arbre va tomber,
On se le partage déjà.
Y a rien a regretter,
C'était juste un morceau de bois.
Un bout de forêt,
Avancé trop près des maisons.
Et pendant qu'on parlait,
L'arbre est tombé pour de bon !
Y avait pourtant tellement de gens qui s'y abritaient,
Et toutes ces nuits d'hiver quand les averses tombaient.
T'as dû en voir passer,
Des cortèges de paumés,
Des orages, des météores,
Et toutes ces nuits d'hiver,
Quand les averses tombaient
Une vie d'arbre à coucher dehors,
A perdre le nord,
A coucher dehors !