page deux : tokyo-yko

Mouvement

Good at translation

Tokyo Yko, création d’Antonin Ménard du 15 au 19 avril à la Ménagerie de verre

À juste titre la manifestation « Etrange Cargo » recueille sur son plateau les fantasmes nippons et poétiques de l’artiste Antonin Ménard, jeune membre de la compagnie Chantier 21 théâtre. Pour cette création, Tokyo Yko, il signe une atmosphère sensorielle tendue vers un Japon irréel, traduit dans un espace réel, la scène. Première chorégraphie et nouvelle étape inspirée, une écume échouée à la Ménagerie de Verre.

Godard dès les premiers mots, Antonin Ménard, qui fait des travaux de recherche autour du cinéaste, ne résiste pas, mais n’insiste pas non plus. Juste le temps d’identifier le grain de ces voix, pas même le temps de retrouver le film, déjà la citation se laisse bercer par d’autres impressions. Les quatre interprètes, deux femmes et deux hommes, prennent possession de l’espace ouvert, vide, le bel espace à prendre qui ne résistera pas non plus. Avant de s’augmenter dans le tissu de soie, leurs corps passent à nu, se diminuent du vêtement à soi, puis recomposent une figure uniformément habillée, et s’enroulent dans un blanc que la lumière nacre, que l’espace adopte comme dépôt. Allongées, ou que dis-je, horizontales, ces formes prennent corps tranquille. Abandonnées à l’endroit qu’elles révèlent. Chorégraphie feutrée, quelques mots intimes sur un écran de télévision discret, des haikus dans la boîte à images, s’écrivent et s’effacent dans les recoins du désir de voyage. Y prendrons-nous part ? Mystérieusement oui. Puis s’écrit aléatoire l’autre chorégraphie, l’ancienne et primitive, celle des corps en volupté nimbés de lumières diffuses et capricieuses, jouées par ceux mêmes qu’elle situe, à chaque fois dans un espace métamorphosé, renouvelé étranger. La soie recouvre en abat-jour des sources lumineuses que les danseurs invitent à la chorégraphie. La lumière prend forme. Dans les lieux qu’elle écarte entre les corps, devenus quatre jogging sombres et quatre vestes à capuche recouvrant les visages, c’est le mouvement qui prend naissance. Et se fige. Mais doux ne dure pas, glissant. Car entre eux, entre ces gestes suspendus, sculptures, duos enchevêtrés dans les tissus de l’autre, deviennent des arrêts obligatoires, quand à force de tirer, les mailles ne cèdent pas, quand le poids pèse déjà totalement ou quand la force prend le relais sur le poids. Ce qui se révèle ressemble au travail d’un Christian Rizzo, quand l’étrange pose ne prime pas sur le chemin qui y mène et en éloigne. Une non-conquête du corps qui n’imprime pas, mais laisse glisser de l’une à l’autre les photographies aléatoires, prises par un jeu de quatre corps idéalement identiques, et déhiérarchisés. Entres les genres plus de différences, entre les membres plus de guides, l’intention maîtresse est dirigée vers l’espace qui se nourrie en permanence de ce que des corps en mouvement peuvent produire ici : un corps se pend par le bras aux poutres d’acier qui soutiennent le plafond, à l’avant-scène un rêve de taï chi se danse. Antonin Ménard est un artiste[1] qui ne se dérobe pas devant la prise d’une salle aussi singulière qui s’offre à lui, basse et vaste. Il en occupe sans détours l’entièreté, ne camoufle que le visage des interprètes, pour révéler les ouvertures imaginaires et soutenir le fantasme. L’impressionnisme de son désir de Tokyo inonde de lumières, néons qui parfois clignotent dans cette immensité basse. Ni pond ni chemin, pas de lignes tracées, des lieux conquis par îlots. L’aménagement ici prend la profondeur comme la largesse des vues urbaines nipponnes, vole un endroit sans déplacer celui présent, la Ménagerie de Verre. Véritablement insitu. Les sons s’y marient par mixité et densité, même les cellulaires sonnent si naturellement, là. Où les discours proférés sur ces téléphones, ces situations de désirs avoués de loin, comme un homme qui caresse une femme en paroles, comme une femme qui déclare à un homme l’infidélité consommée, ne font pas rupture dans la profusion harmonieuse de cette bande sonore, due au musicien Jean-Baptiste Julien. Le téléphone, ce lien tangible entre un fantasme et une situation réelle, n’est ici le ressort d’aucune métaphore filée, il apparaît encore comme un motif de voyage, il raconte effectivement la distance qui sépare deux téléphones en communication. Le continuum musical, s’il teinte les gestes, les marques de son propre mouvement, n’est pas un habillage qui entourerait une pensée du corps, mais un corps supplémentaire. Présent non seulement par ces enceintes à vue, par les ingénieurs sur l’espace de scène (dans le recoin à droite que les spectateurs de la Ménagerie sont habitués à voir occupé par ladite régie), mais essentiellement présent par l’importance caractérisée qui lui est accordée, par l’écoute kinesthésique que développent les interprètes, les régisseurs (dont Antonin Ménard). Il ne s’agirait pas de « marquer » la musique dans une empreinte remarquable, mais bien plutôt d’entrer en résonance avec sa densité, par la densité musculaire nécessaire au mouvement. En termes de force, musique et corps ne dépareillent pas, ils travaillent un régime identique de construction, à la fois mixte, saccadé, mais où les évènements, gestuels et sonores, ne font pas rupture de sens. Pourtant la nature des extrait mixés est des plus éclectiques. Du motif « naturel », gazouillis intempestif, aux tons « urbains » de sons synthétiques, le rock ou l’électro ne sont pas en reste. Chaque son investit la trame du parcours en danse.

À l’œuvre semble être une préoccupation exigeante de ne jamais quitter le lieu qui pourtant, par son occupation artistique, porte à penser à l’ailleurs nippon. Un ailleurs que le fantasme place assez unanimement dans un débat fécond entre nature et culture, entre sérénité et agitation, et révélé ici dans une première étape plastique et chorégraphique dont on attend impatiemment les suivantes.

Ninon Prouteau

[1] Performer, metteur en scène à qui l’on doit déjà une Randonnée en philosophique compagnie, un spectacle pertinent et endurant sur « la pensée en marche » crée en 2005, et une mise en scène de Hamlet/Machine/Gun en 2000 qui ne laissèrent pas de remuer à Caen notamment, d’où vient le jeune homme. Il fait partie de cette génération, entre 20 et 30 ans, de David Bobée à Ronan Cheneau, Thomas Ferrand, ou les écrivains de la sublime revue mrmr.

Les inrockuptibles

NOUVELLES TÊTES

Antonin Ménard Acteur sensible, il signe une néochorégraphie inspirée par le Japon, entre fantasme et désir.

les Inrocks / 8 au 14 avril 2008 / n° 645

Les plus attentifs ont sans doute repéré cette belle gueule chez Pascal Rambert, avec qui il crée Paradis, After/Before ou Toute la vie. Antonin Ménard, acteur formé au Centre dramatique national de Normandie, est du genre boulimique, passant d’un rôle dans un western canadien à des mises en scène d’Antigone ou Breakin’it down autour de la Bérénice de racine. Histoire de brouiller les pistes, Ménard signe aujourd’hui avec Tokyo-yko une “installation instable” pour danseurs, une néochorégraphie autour d’une certaine idée du Japôn entre fantasme et désir. Antonin Ménard qui a mis en place le Laboratoire d’imaginaire social avec David Bobée et Médéric Legros, fait de ses utopies théâtrales des projet à la poésie brute. On prend.

Philippe Noisette

Du 15 au 19 avril à la Ménagerie de Verre, Paris XII, festival Etrange Cargo tel 01 43 38 33 44

Télérama du 16 au 22 avril 2008 supplément à télérama n° 3040

Autres scènes

FESTIVAL ETRANGE CARGO

Jusqu’au 19 avr., 20h30, Ménagerie de verre, 12-14, rue Lechevin, 11e, 01 43 38 39 44

T Dernière escale avant 2009 pour l’Étrange Cargo de propositions transdisciplinaires, amarré à la Ménagerie de Verre. A la barre jusqu’au 19 avril, Antonin Ménard, qui, après avoir collaboré rayon théâtre avec quelques noms sur lesquels on ne fait pas la fine bouche, se lance dans sa première crétion chorégraphique. Des danseurs, des comédiens et un musicien donc, pour raconter à travers “Tokyo-Yko” des histoires de désirs et de fantasmes… du Japon. Reste à aller voir ce qui peut se passer, quand un metteur en scène se distancie des mots pour aller chercher les corps.

artishoc

Vers des territoires inconnus

La Ménagerie de Verre du 18/03 au 19/04/2008

Cette année encore, s’embarquer à bord de l’Etrange Cargo de la Ménagerie de Verre promet un curieux dépaysement. Pour sa dixième édition, le festival assure une approche du spectacle théâtral transdisciplinaire, mutant et radical

Fidèle à la volonté de Marie-Thérèse Allier, la Ménagerie de Verre ouvre une fois de plus ses portes à la création transdisciplinaire. Tout comme son petit frère hivernal des Inaccoutumés, le festival Etrange Cargo, dont c’est mine de rien la dixième édition, est toujours à l’affût de créations que n’effraie pas le mélange des genres. La Ménagerie de Verre est d’ailleurs le lieu rêvé pour cela, faisant de ce type d’initiatives le ferment de son identité – libre laboratoire d’expérience, pour le plus grand bonheur des artistes, qui manquent trop souvent de ce genre de terrain non balisé.

Embarquer dans cet étrange cargo, c’est faire le choix d’un voyage sans boussole parmi des formes artistiques hybrides, des territoires inconnus. Ceux de Gisèle Vienne, qui présente Jerk, solo pour un marionnettiste, ou de Christophe Fiat, qui, après être déjà venu ici-même évoquer Batman ou Tennessee Williams, expliquera (?) pourquoi Isadora Duncan est une danseuse crackée. Garance Dor proposera de gagner une Nouvelle vague et rivage, titre du premier volet de son projet de trilogie Remake, où elle explore « les moyens d’étendre le geste artistique à travers différentes structures scéniques, et dramaturgiques ». L’insaisissable Yves-Noël Genod viendra donner son Hamlet, dans lequel d’aucun s’accordent à voir l’un de ses meilleurs « spectacles ». A la Ménagerie de Verre, les guillemets sont de rigueur lorsqu’il s’agit d’évoquer une création envisagée sous le mode du court-circuit. Lorsque Fanny de Chaillé se place sous le patronage de Lester Bangs pour se jouer à la première personne de l’exercice de la conférence (Gonzo conférence), ou quand Antonin Ménard et ses danseurs s’emploie à réinventer en permanence leur spectacle pour mieux traquer la spontanéité (Tokyo Yko), ils ne font que prendre acte du fait que la surprise n’est pas seulement le sel de la réalité, mais aussi la base de l’émotion artistique. Un bien étrange cargo, en vérité…

10e festival Etrange Cargo, du 18 mars au 19 avril à la Ménagerie de Verre.

interview

Ai-je bien reconnu un film de jean-luc godard dans l'intervention sonore du début ?

Oui c'est dans "Pierrot le fou", pour moi qui viens du theatre et de la mise en scène, je trouvais cela ironique de me servir du cinema pour dire que ce spectacle là c'était plutôt de la danse

Quel est ce texte qui défile sur l'écran ? Le doit-on à Antonin Ménard ?

Ce sont des haïkus que j'ai écrit à partir d'haïkus existants

1 blanc : hiver

j’essuie mon corps nu / d’un matin sans blessure

2 rose : printemps

verse l’averse / je ne suis / pas encore mort

3 vert et bleu : été

ombre de / ombre qui tombait sur nous deux

4 orange rouge : automne

es-tu la même / cette année ?

Et le texte qui est enregistré sur les téléphones ?

Je dois faire une précision importante : ce ne sont pas des coups de téléphones enregistrés. Les acteurs (Eric Fouchet et Angelique Colaisseau) téléphonent en direct aux danseurs pour ce qui est du texte de ces coups de fil, c'est une réécriture à partir d'un livre de Murakami "Chronique de l'oiseau à ressort". Dans un premier temps ce sont les acteurs qui téléphonent qui ont fait leur propre adaptation puis c'est Cécile Musitelli qui a finalisé l'adaptation. Les acteurs en fonction du moment et de leur énergie modifient le texte en conservant la trame du texte.

La bande sonore préparée par Jean-Baptiste Julien est-elle un continuum enregistré et fixé, ou bien y a-t-il des pistes préparées que les ingénieurs présents sur le plateau divulguent en temps réel selon la manière dont la représentation se déroule ?

C'est cela, Jean-Baptiste a plusieurs matériaux qu'il agence en fonction de l'energie qui se déploie sur le plateau.

Quelles sont les sources, à la fois imaginatives et sonores, qui ont permit de réaliser la bande son de Tokyo-yko?

J'ai donné à Jean-Baptiste une séquence de départ de 8 notes correspondant chacune aux lettres du titre :"t o k y o - y k o". Ensuite en fonction du travail, il a ammené des matières sonores notamment lié à "l'ailleurs".

Dans quelle dynamique travaillez-vous quand vous êtes avec des danseurs ? Comment nourrissez vous le travail des interprètes ?

Souvent nous travaillons en séquence :

  • Soit des séquences guidées, ils sont toujours au travail et je leur donne des consignes ou des postures qu'ils peuvent effectuer quand il le décident cela nous permet de construire un socle commun de matériaux.

  • Soit des séquences libres puis je fais des retours en fonctions de ce que j'ai vu. Ainsi nous mettons en commun des matériaux et nous en excluons.

  • Sinon pour ce qui est plus écrit : je leur donne des pistes de travail pour qu'ils proposent une chorégraphie ensuite je vois et nous la retravaillons en direct pour la transformer. Je me sers de ce qu'ils proposent avec leurs imaginaires, leurs corps, leurs facilités, leurs évidences et à partir de cela je détourne, je modifie certains de leurs mouvements pour construire une chorégraphie

Comment le japon, comme fiction et désir, a-t-il été présent lors du travail de préparation ?

Le japon; c'est l'ailleurs. C'est pour moi un fantasme paradoxal de douceur, de sérénité et d'agitation. C'est ce fantasme qui était très présent pendant le travail. nous n'avons pas étudié le japon dans sa réalité