Randonnée

Randonnée • Définition (découvrir la presse)

Randonnée est un travail de recherche où les répétitions dans un premier temps se sont faites hors les murs, hors les salles de théâtre. Répétitions, pendant des randonnées. La première étape s’est déroulée en juin 2003 autour de La Hague, la deuxième étape s’est faite dans la Drôme au début de l’été 2004, où nous avons fait du trapèze volant. La troisième étape de quinze jours de randonnée précédait le travail sur le plateau. Pendant ces randonnées, nous avions envie de travailler autrement, d’inventer les modes de notre travail en fonction du projet. En randonnée, nous avons donc marché, mangé, dormi, lu ensemble, Lecture de Peter Handke, de Michel Foucault, de Gilles Deleuze, de Jean-Luc Godard, de Didier-Georges Gabily. Nous nous sommes questionnés ensemble : C’est quoi la marche ? C’est quoi un corps ? C’est quoi la pensée ? Quelle représentation avons-nous de la géographie ? C’est quoi le mensonge ? C’est quoi le langage ? Comment le langage qui restitue de la pensée ou de la mémoire, ment ? Pourquoi ce mensonge est nécessaire ? Pourquoi des répétitions hors des théâtres pour en faire à l’intérieur, finalement? C’est quoi la création ?

Randonnée est un vagabondage dans la pensée, celui-la même qui est inhérent à la pensée, quand on marche. La pensée active mais en vacance, en rêverie, qui se laisse aller, qui passe d’une idée à une autre, qui laisse filer des idées et qui s’arrête sur d’autre. Randonnée s’arrête sur le corps, et le rapport au corps qui est à la fois pour chacun une contrainte ( on ne peut s’échapper de son corps) mais aussi une source de possible ou de volonté de s’en échapper ( la danse, la drogue…). Mais randonnée s’arrête aussi sur la question de la pensée, de la représentation, de l’art. qu’est ce qu’on fait quand on fait de la philosophie ou du théâtre ou encore du cinéma. Et enfin randonnée c’est une histoire d’amour, histoire d’amour avec le théâtre contre aussi tout contre, histoire d’amour d’un groupe qui depuis dix ans travaillent ensemble, histoire d’amour avec le cinéma de Godard, la philosophie. Et puis, randonnée, c’est comment on met en scène une exploration collective, comment on développe une base commune de recherche, de réflexion, comment être réceptif aux espaces qui s’ouvrent en nous/ pour nous et aussi comment on cherche leurs développements pour les donner à voir, à entendre.

Randonnée • Orientation • Note d'intention

Randonnée d’Antonin Ménard Entretien réalisé par Marie Saucisse pour le sixième numéro de la revue murmure.

Une irrésistible envie de fuir le théâtre tout en en faisant. Antonin Ménard a proposé en mai 2005 Randonnée, une création atypique, entreprise avant tout en marge des plateaux et des circuits institutionnels. Toujours avec son principe d’incertitude, Ménard questionne les formes, la place du spectateur et convoque la parole autrement. Randonnée pour prendre l’air / tout foutre en l’air. Pas de personnages, pas d’appréhension aristotélicienne du texte et du drama. Et pourtant, étrangement, cet éloignement du théâtre, qui affectionne une certaine errance, est un retour sans pathos au théâtre. Où se pose la question de la représentation, de son acceptation. Théâtre, obligatoirement, quand l’on convoque des spectateurs dans une salle à une heure précise, pour un objet nommé et attendu.

Il avance à tâtons. Et prétend avoir commencé la mise en scène par manque de travail en tant qu’acteur. Depuis, il jouera pour Médéric Legros sur Le Souffle du taureau, HLM2bis, Actes/Révoltes et Borderland et pour Pascal Rambert sur Paradis et sur After/Before et dans les Laboratoires d’imaginaire social. Il a notamment monté Mademoiselle Julie d’August Strindberg, Hamlet Machine d’Heiner Müller, la dernière phrase de L’Innommable de Samuel Beckett, mais toujours dans un processus de déconstruction du texte. Avec Randonnée, c’est autre chose : pas de texte premier qui soit un socle. Tout juste quelques pistes et thématiques. Avec son équipe, Antonin Ménard décide de tisser du lien, de faire des sessions de travail qui évitent soigneusement le théâtre. Juin 2003, ils partent en randonnée du côté de la Hague. Le metteur en scène enregistre et réalise alors des entretiens sur le vif avec chacun d’entre eux. Mai 2004, ils s’en vont faire du trapèze volant dans la Drôme et commencent, dans un gîte, la lecture de quelques textes dont Par les villages, et L’Absence de Peter Handke. Août 2004, de nouveau une randonnée, du Mont Saint-Michel jusqu'à Carentan. Puis enfin deux sessions plateaux. Le travail s’effectue davantage dans un «comment vivre ensemble», et pose la question de comment appréhender la scène sans parler de théâtre, sans s’inscrire d’emblée dans des codes et des méthodes rodées.

Lors des randonnées, se sont profilées quelques thématiques : le rapport au langage, à la marche, au corps, à l’amour, à la pensée, à la géographie, c’est-à-dire aux espaces mais aussi aux climats. Des thématiques qui n’apparaîssent peut-être pas directement mais qui auront été traversées et qui, peut-être même par leurs absences constitue le «spectacle». Puis des références, des lectures qui sont autant de sources de réflexions et d’interrogations : la littérature du siècle des Lumières, l’école de la pensée française. Mais pas seulement. Ménard arpente les Méditations métaphysiques de Descartes ou L’Anthropologie des émotions du sociologue David Le breton, en passant par le Phèdre de Platon, Ainsi parlait Zarathoustra de Nietzsche, ou L’Ordre du discours de Foucault. Et la matière texte n’est pas conditionnée à une narration où à un ordre discursif, mais est ingérée dans une situation de l’instant pour en être motrice. «Qu’est ce qui nous meut». Et puis, «qu’est ce qui se passe pour chacun d’entre nous quand on marche ? Quels espaces de pensée cela produit, crée ?».

Comment alors les différents processus de Randonnée passeront les planches ? Qu’est ce que les duvets, les sacs à dos, les tentes, les lampes de poche qui ont accompagné jusqu’ici les comédiens créent ? Comment toute cette matière est à l’épreuve sur le plateau ? Il s’agit de reconvoquer la scène avec des supports liés au processus du travail et de voir ce que cela induit. De faire théâtre en mettant résolument de côté les matériaux théâtraux. Pas de décors affriolants, pas de dispositifs ultra spectaculaires qui soient moteurs d’actions dramatiques. Le dispositif scénique – qualifié de «panoramique» par le metteur en scène – permet au spectateur d’être dans la contemplation. La vidéo est présente. Mais Antonin Ménard précise aussitôt : «j’ai essayé de ne pas travailler en terme d’image. Parce que trop d’images ne permettent pas d’écouter. Il fallait la séparer de la parole pour que chacune existe véritablement». Et puis il y a aussi cette idée de créer du temps, contrairement au mode sur lequel l’image nous est généralement proposée dans la production cinématographique et télévisuelle… Une digression moderne et supplémentaire, peut-être, de la distanciation brechtienne. Création de temps et de décalages. Prendre à contre-pied le fonctionnement de l’image qui happe littéralement la conscience du spectateur pour, ici, lui restituer un espace réflexif et contemplatif. La vidéo sera le moyen d’ouvrir d’autres espaces, d’interagir avec le plateau, de distancier, de solliciter.

Randonnée s’organise autour d’un canevas général, mais reste sans histoire. Certaines scènes comportent des «éléments perturbateurs», non répétés, qui ne sont intégrés que le jour des représentations. «Ma nécessité c’est de faire parler les comédiens, et de trouver une forme, ce qui implique donc, aussi, d’accepter de la représentation, tout en allant contre. Sinon ça ne serait pas très intéressant.» C’est un cadre dans lequel les acteurs doivent prendre en main leur propre parole pour lui donner un statut particulier entre l’écriture et l’oralité. Il s’agit également d’assimiler des textes – c’est-à-dire les oublier en tant que textes appris mot à mot – et faire sentir que cette parole est à la fois la leur et celle d’un auteur, l’écho d’une pensée, d’un propos. De fait, Ménard cherche à échapper à la mécanique de l’apprentissage cabotin. Un acteur peut entrer spontanément en conversation sur le texte d’un autre et l’interroger, provoquer le dialogue. Il s’agit de relayer la parole et de la rendre vivante. Et plus encore. Il s’agit de la problématiser en usant aussi de différents vecteurs et supports (radio, film, télévision etc.). Comment la parole, selon son support, change le sens de ce que l’on dit et de ce que l’on perçoit ? Comment le support peut modifier la façon de parler et influer sur le sens du discours ? Ménard est intrigué par les façons dont sont véhiculées les idées, et par le fait que différents médias, pour un contenu identique, ne provoquent pas les mêmes interprétations. Pour ces raisons, la matière radiophonique ou filmique est devenu une de ses bases essentielles de travail.

Le travail d’Antonin Ménard est une recherche qui n’est pas tautologique, parce qu’elle ne se répète pas en tant que processus singulier dans un processus général. Elle ne surligne pas la théâtralisation mais l’ouvre en y imposant des outils qui lui sont habituellement étrangers. En cela, sa fascination pour le travail de Jean-François Peyret est percutante. Mais il y a aussi l’influence du travail de Boris Charmartz, ou de déroutes de Mathilde Monnier pour le champ chorégraphique. Puis de ceux avec qui il a été amené à travailler, c'est-à-dire David Bobée et Médéric Legros dans le cadre des Laboratoire d’Imaginaire Social, sans compter Pascal Rambert avec qui il travail en tant que comédien, et dont il sent une affinité avec sa démarche. Reste la littérature, la philosophie et, très fortement, le cinéma au point de diriger en 2001 un atelier au CDN de Normandie sur Godard.

Mais aller contre le théâtre n’est pas pour Ménard qu’une question formelle. C’est aussi ne pas utiliser de manière sclérosée ses partenaires, ne pas entrer dans la logique de la production consumériste. Travailler en marge des circuits, c’est éprouver quelles sont les possibilités et les difficultés de faire autrement. Dans Murmure 2, le metteur en scène nous confiait : «je crois qu’on fait du théâtre pour être dans un climat d’apprentissage permanent. Et ça, c’est difficile à défendre auprès de ceux qui financent le théâtre».