L'heure exquise

[2005] Gallimard, coll. « L'arpenteur », 128 pages.

Extrait

«Tout immobile. Les hommes assis dans leurs jardins comme les dieux de l'ancienne Grèce. On dirait que plus rien ne nous sépare du coeur de nos désirs. Le soleil descendu avec un mouvement régulier sur cette campagne rase, avec ses champs bien clôturés, ses merisiers, ses noisetiers serrés, et les haies du bocage sur lesquelles les mûres de saison commençaient déjà à noircir ; le mouvement, sur la côte de la Châtaigneraie, de l'éolienne. Le soleil rejoignant sa base, atteignant son point le plus bas, ce point d'obscure connaissance, d'obscure tangence, se couchant dans nos coeurs plats comme des champs, dans nos coeurs secs et remués comme de la terre.»

Résumé

Un soir d'été en province, de la fermeture de la boucherie du village au coucher des enfants. Tel est le «motif» sur lequel travaille l'auteur, à la manière de Monet, de Ravel, de Téchiné, une certaine tradition française de la description fine. Le registre est celui du secret, de l'intime, de l'émotion furtive. De la musique avant toutes choses.

Lumière d'août 

Dominique Barbéris, L'Heure exquise, Gallimard «l'Arpenteur», 120 pp., 78 F.

Libération, 10 septembre 1998, Claire Devarrieux

Ce n'est pas encore dix heures et demie du soir en été, mais on y va. Soleil rasant, soleil couchant, la lumière flamboie puis décline, une journée de vacances s'achève, classique. Là-bas, «les gens» rentrent de la plage. Ici, trois générations de Saint-Ollier, ou encore Claire Lansiot, une lectrice sentimentale, donnent leur point de vue, l'auteur (dont c'est le deuxième roman) adoptant le rythme rafraîchissant et virevoltant des tourniquets. Un slow court sur toutes les radios du voisinage, il sera bientôt temps d'appeler les enfants. La bouchère, Mme Morineau, a un fils rocker aux cheveux orange qui s'ennuie: «Tous les soirs se ressemblaient: le vide et le silence et l'odeur obsédante de la terre arrosée.» On a l'impression que rien ne bouge, mais c'est ainsi qu'on vieillit et que les livres avancent, «et toutes ces petites peurs mises bout à bout, ces peurs de tous les soirs, finissent par former une vie». La vraie héroïne est une petite fille qui prépare sa Barbie pour le bal. C'est son regard qui dessine les contours. Elle affronte les adultes, ses larmes salées mélangées au sang du foie de veau abhorré.

L'HEURE EXQUISE, de Dominique Barbéris

Le Monde, 15 janvier 1999, Monique Pétillon

Dans son premier roman, La Ville, Dominique Barbéris évoquait, au fil de l'heure, l'insensible glissement du jour vers la nuit. L'Heure exquise est à nouveau une traversée du crépuscule, à travers les infinies variations de la lumière. C'est un bourg, à la fin d'une chaude journée d'août : un de ces beaux jours d'été où l'on croit sentir « la corde fine et nue de l'existence ». C'est la tombée du soir, avec l'odeur humide des jardins pleins de bourgeons de fraises et de tomates que l'on arrose. L'heure de l'attente, de la frustration, des regrets. Les petits gestes simples du quotidien, jusqu'au dîner, qui repoussent l'angoisse. Puis la clarté du soir s'affaiblit, glaçant les intérieurs des maisons d'une vague transparence. C'est le moment fragile où l'on sent tout ce qui vibre et palpite, le tremblement des gouttes d'eau sur les feuilles des thuyas. Enfin l'heure poignante du crépuscule, qui serre les coeurs trop sensibles, fait place à la sérénité de la nuit d'août, lorsque la lune redonne au paysage nocturne ses contours et ses formes. Ce récit intimiste, subtil, délicat, cette évocation fervente et mélancolique des étés bientôt disparus est peut-être une invite à prendre garde à la douceur des choses

Livres. Dominique Barbéris. L'heure exquise.

La journée a été chaude, les derniers rayons du soleil incendient encore
Le Temps (Suisse), 5 décembre 1998, Isabelle Rüff.

« La journée a été chaude, les derniers rayons du soleil incendient encore la grand-rue d'une petite ville de province. La boucherie va fermer, les dernières clientes se hâtent. Tout à l'heure, on dînera dans les jardins, avec le parfum des rosiers arrosés. Les enfants jouent à la nuit tombante, dans l'impunité de la pénombre. A y regarder de plus près, ce tableau anodin et subtil de la France profonde révèle, en arrière-plan, des drames domestiques insoupçonnés. Quelle inquiétude taraude la petite fille qui ne veut pas manger son foie de veau? Que cache l'irritabilité de la mère? Pourquoi les larmes sont-elles si proches? A quoi rêve la bouchère en rangeant son étal?

Le calme de la soirée recèle des monstres discrets, rappelant cette nouvelle de Dino Buzzati où le monde animal perpètre des crimes affreux pendant qu'une femme regarde les étoiles, sans rien voir de la guerre impitoyable qui se livre sous les branches. Ici, ce sont les humains qui se blessent silencieusement, pendant que les vieilles dames postées devant les maisons commentent le lever de la lune et l'état du monde, vieilles Parques dépitées.»