Dominique Barbéris dans Le Temps (Suisse) ©

L’inquiétude sourde des dimanches soir
Dominique Barbéris est peintre en atmosphères: paysages hors saison, marges intérieures. Et quand l’inattendu surgit, elle prend des notes, précises
Le Temps (Suisse), 25 octobre 2019, Lisbeth Koutchoumoff Arman

« Comment survivre aux dimanches, ces points d’orgue bizarres, moments de bascule d’une semaine à l’autre, petites capsules d’anxiété entre la fin d’une page et le début d’une autre? Dominique Barbéris est maître pour saisir les flottements, les creux, tout ce flou qui remplit les vies. Un dimanche à Ville-d'-Avray est construit sur un évènement minuscule : une femme qui vit à Paris rend visite un dimanche après-midi à sa soeur, Claire-Marie, à Ville-d'Avray, banlieue résidentielle....»

Un Double drame sous la neige
Dans «La Vie en marge», Dominique Barbéris, romancière des lieux et des heures perdues, signe un thriller atmosphérique
Le Temps (Suisse), 25 janvier 2014, Lisbeth Koutchoumoff

« Dominique Barbéris capte les lumières et les ombres. Et les passages de l’un à l’autre. La lumière des réverbères qui troue le silence d’une rue résidentielle. Le tapis de points rouges et jaunes que forment les phares de voitures d’une ville, au loin, vue depuis la montagne. Chez les êtres aussi, la romancière révèle les pleins feux du jeu en société puis la pénombre de la chambre, rideaux tirés.

Dans La Vie en marge, son huitième roman, un double drame secoue une petite ville industrielle entourée par les montagnes, tout près de la frontière suisse. Le fait divers était déjà le nerf narratif de Quelque chose à cacher (Gallimard, 2007). Mais il n’en était pas le sujet. Ici aussi, le drame policier est un déclencheur du souvenir, un agent révélateur. Il pousse en tous les cas la narratrice, une infirmière qui travaille à son compte, à se remémorer les jours qui l’ont précédé.

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Les personnages de La Vie en marge circulent dans un décor qui paraît trop grand. La forêt sur la montagne, la voie ferrée en bas, dans la vallée, où passe le TGV pour Lausanne, semblent immenses comme des trous noirs. L’attention extrême de Dominique Barbéris aux lumières de la ville, à celles du ciel, au noir des arbres et des rues, au blanc de la neige, ce souci permanent du décor, met à nu le théâtre de l’existence.

Car c’est bien dans ce décor qu’un double drame va se produire, dans le silence ouaté de la neige. Qu’un test de grossesse va se révéler positif. Que deux femmes vont se faire piéger candidement. Où est la vie? Dans le jeu des lumières de la ville, dans le noir de la forêt. Peut-être.»

Dominique Barberis: «Elles disent des choses qui n’ont pas été dites»
Avant une conférence à Lausanne le 8 mars, Dominique Barbéris, écrivain et enseignante à l’Université de Paris IV, se demande ce que les romancières ont importé dans la littérature
Le Temps (Suisse), 4 mars 2011, Lisbeth Koutchoumoff

Dominique Barbéris, écrivain et enseignante à l’Université de Paris IV, capte les humeurs. Du ciel, de la lumière, des paysages. A la campagne, souvent. A la montagne dans son dernier ­roman Beau Rivage (Gallimard). Peintre d’atmosphères, la romancière et enseignante est invitée le 8 mars par l’Université de Lausanne à donner une conférence sur le thème «Écrire le féminin ». Elle se demande, ici, ce que les romancières ont importé dans la littérature

Samedi Culturel: Vous intitulez votre conférence «Ecrire le féminin». Qu’est-ce que cela veut dire?

Dominique Barbéris : J’entends parler des rapports entre féminité et écriture, mais je voulais éviter l’expression d’écriture féminine qui est gênante et dangereuse. Elle est récusée par un certain nombre de femmes et je pense avec justesse. Cela inscrit un compartiment à l’intérieur de la littérature. Il y aurait l’écriture d’un côté et l’écriture féminine de l’autre. Mais il est indubitable qu’il existe des textes devant lesquels on se dit: c’est une femme qui est derrière. Même si c’est dangereux ou simplement ennuyeux de le souligner, on ne peut pas évacuer cela.

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Les romancières anglaises ont été des pionnières particulièrement marquantes…

J’ai envie d’évoquer Jean Rhys et Barbara Pym qui ont connu toutes deux le succès avant de plonger dans de longues périodes et de ressurgir peu avant leur mort. Leurs romans s’installent dans la féminité. Leurs personnages de femmes sont des antihéros. Et aussi, chez l’une et l’autre, la révélation de l’expérience humaine est fondée sur de toutes petites choses. Ce qui met à nu une vérité humaine très profonde. Dans Bonjour minuit, Jean Rhys fait entendre Sacha, une voix féminine à la première personne, qui rôde dans Paris, perdue, dans une dèche noire. Et soudain, elle se dit qu’elle va aller chez le coiffeur, qu’elle va se faire une bonne petite teinture et qu’après elle sera heureuse. C’est une scène qui me touche beaucoup. Cela me paraît spécifiquement féminin et spécifiquement humain.

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Littérature. Dominique Barbéris. Quelque chose à cacher.
Le Temps (Suisse), 8 septembre 2007

« «J'ai pris le chemin entre les murs et je suis descendu jusqu'au fleuve.» La phrase ouvre et ferme Quelque Chose à cacher, roman que Dominique Barbéris publie en cette rentrée 2007. 

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L'histoire renvoie au crime de province – adultère, meurtre, souvenirs adolescents, rencontre d'une beauté trop fatale, trop libre, trop mystérieuse. Mais l'essentiel, et surtout la saveur du livre, est ailleurs que dans cette intrigue convenue. L'écriture se love dans le paysage, les bruits, les odeurs: «Je me souviens des soirs interminables du printemps; ça sentait la fleur blanche, le chaton de saule, la cigarette, la fumée des moteurs, le parfum bon marché.» Les mots longent les bords de Loire, glissent sur l'eau fraîche, suivent les saisons. «L'eau, c'est comme une présence» dit un personnage. Le fleuve reste muet mais, la lecture achevée, reste cette impression que c'est peut-être La Loire qui a quelque chose à cacher…»

Littérature. Dominique Barbéris. Ce qui s'enfuit.
Le Temps (Suisse), 9 avril 2005, Isabelle Martin.

« Après Les Kangourous, son troisième roman, où elle décrivait une année de la vie d'une jeune femme timide, sensible et doublement fragilisée par la maladie de sa mère et des meurtres en série dans son quartier, Dominique Barbéris livre ici trois nouvelles exquises dont le thème commun est la fuite du temps. Ou le regret de ce qui n'a pas eu lieu, laissant aux diverses femmes qui traversent ces récits un sentiment de défaite à peine avoué, car la nouvelliste privilégie la manière douce, le suspens et les nuances de la sensation. «Scène sur la Loire» se compose de onze petits tableaux de la vie à N. autour du repas au restaurant d'un homme et d'une femme qui se sont aimés jadis, quand ils étaient jeunes. «Dans l'Oberland» raconte, à partir de photographies aux bords dentelés comme ceux des biscuits LU, une vieille histoire d'amour qui s'est passée à Douala au moment de la décolonisation française. Et «Ce qui s'enfuit» évoque le monologue intérieur d'une femme qui pense à son mari et à l'homme qu'elle n'a pas épousé quand sa mère lui demande tout à trac: «Est-ce que tu crois que Dieu existe?» La conversation qui s'ensuit entre elles est un modèle de drôlerie mélancolique.»

Meurtre au zoo
Dominique Barbéris raconte l'histoire d'une hantise avec empathie.
Le Temps (Suisse), 23 novembre 2002, Isabelle Martin

«Dans l'étude de Quatre Lectures (Fayard) qu'il consacre à Dominique Barbéris, Jean-Pierre Richard souligne le choix existentiel et stylistique de la romancière de «saisir le monde dans les formes les plus infimes de son glissando, de son dessaisissement»: c'est encore le cas dans son troisième roman, Les Kangourous, qui raconte une année de la vie d'une jeune femme timide, sensible, renfermée, employée au service contentieux du groupe d'assurances Prudence. «En dehors de la pluie, ma vie était plutôt paisible», déclare-t-elle au début de ce récit intimiste relevé d'un zeste d'humour.

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Dominique Barbéris raconte cette histoire d'une hantise avec une sensibilité attentive aux détails, en mettant l'accent sur des choses très humbles: les gants de la première communion ou, dans une conversation nocturne sur l'au-delà, le petit quartier de pomme épluché par tante Louise, «sa blancheur éblouie, presque surnaturelle, sa précision de tableau hollandais. Comme si, pour l'exprimer, pour la représenter, il fallait arracher la matière du monde à des pans entiers de mystère.»

Livres. Dominique Barbéris. L'heure exquise.

La journée a été chaude, les derniers rayons du soleil incendient encore
Le Temps (Suisse), 5 décembre 1998, Isabelle Rüff.

« La journée a été chaude, les derniers rayons du soleil incendient encore la grand-rue d'une petite ville de province. La boucherie va fermer, les dernières clientes se hâtent. Tout à l'heure, on dînera dans les jardins, avec le parfum des rosiers arrosés. Les enfants jouent à la nuit tombante, dans l'impunité de la pénombre. A y regarder de plus près, ce tableau anodin et subtil de la France profonde révèle, en arrière-plan, des drames domestiques insoupçonnés. Quelle inquiétude taraude la petite fille qui ne veut pas manger son foie de veau? Que cache l'irritabilité de la mère? Pourquoi les larmes sont-elles si proches? A quoi rêve la bouchère en rangeant son étal?

Le calme de la soirée recèle des monstres discrets, rappelant cette nouvelle de Dino Buzzati où le monde animal perpètre des crimes affreux pendant qu'une femme regarde les étoiles, sans rien voir de la guerre impitoyable qui se livre sous les branches. Ici, ce sont les humains qui se blessent silencieusement, pendant que les vieilles dames postées devant les maisons commentent le lever de la lune et l'état du monde, vieilles Parques dépitées.»