Ce qui s’enfuit

[2005] Gallimard, coll. « L'arpenteur », 144 pages.

4ième de couverture

«Elle passait sous un porche. Sur le mur, en face d'elle, un dessin au pochoir représentait une femme de bande dessinée, décolletée, arrogante et brune. En dessous était écrit : Il est regrettable de ne pas essayer de retenir un peu ce qui s'enfuit. Ce qui s'enfuit, relut Lydia Kaddish. La femme ressemblait à Florence, avec son air sophistiqué, ses cheveux noirs et lisses. C'est bien son style, pensa Lydia Kaddish, mais maintenant, elle est certainement colorée. Ses racines sont beaucoup trop noires. Probablement cette gamme de L'Oréal avec une crème adoucissante et du jus de pamplemousse pour ce qu'ils appellent l'effet brillance. Mais elle ne devrait pas ; ça durcit le visage. Je n'ai pas osé le lui dire. Florence, elle, n'aurait pas tant de scrupules. De toute façon, elle n'avouerait pas qu'elle se teint. Elle tient à sauvegarder les apparences, faire comme si rien n'avait changé. Tout Florence. L'idée qu'avec de la volonté, du travail... Et jusqu'au Panthéon qu'elle atteignit par des rues montantes et étroites, entre les immeubles vieillots aux portes vermoulues qui avaient toujours l'air humide, elle se répéta doucement : Ce qui s'enfuit, ce qui s'enfuit, ce qui s'enfuit.»

Résumé 

Cet ouvrage est constitué de trois récits :

DOMINIQUE BARBERIS
Femme fatalement

Le Figaro, 31 mars 2005, Annick Geille

On contemple beaucoup de photographies aux bords dentelés comme ceux des biscuits LU, dans les nouvelles réunies par Dominique Barbéris, à qui il semble que le temps soit le principal ennemi des femmes ; d'où leur besoin sans doute, de toujours vouloir vérifier qu'elles ont été belles, jeunes, enfin, toutes ces questions qui a priori n'intéressent ni les adultes mâles, ni les enfants.


A l'aide d'images à dominante sépia, jaunies, comme leur teint sous le fard, les femmes qui ne sont plus jeunes contemplent, désemparées, ces images fanées, seuls témoins d'un bonheur enfui. Ou plutôt d'un bonheur qui, à tel ou tel instant de leur vie, faillit exister. Cette vie qui passe à toute allure mais cependant - et c'est étrange - semble passer un peu moins vite pour les hommes, est le fil rouge de ces trois " miniatures " romanesques.


Avec L'Heure exquise (Gallimard, 1998) ou Les Kangourous (Gallimard, 2002), Mme Barbéris nous avait habitués à son univers d'apparence banale, presque insignifiant, où l'écrivain procède par glissements subtils pour distiller l'inquiétude, en disant chaque fois, d'une autre manière, le pourquoi et le comment de l'échec. Dieu merci, nous ne sommes pas en territoire revendicatif et militant. Les femmes de Dominique Barbéris sont trop fugitivement saisies pour avoir le loisir de prendre la pose. Elles n'ont pas toujours une personnalité bien définie, leurs propos et leurs silhouettes tremblent avant de sombrer dans le silence, la pénombre du rien.


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Le destin des femmes ne laisse pas d'issue, semble murmurer la romancière à notre oreille. Ce chuchotement résonne avec plus de force qu'un concert de l'orchestre de l'Opéra de Paris. Dans le troisième récit, qui donne son titre à l'ouvrage, il y a toujours cet instant où les personnages auraient pu être autre chose. Ce moment ténu où le bonheur semblait envisageable, à portée de la main. Souvent, il s'agit d'un homme qu'on a aimé plus que les autres. Seulement voilà, les choses ne se sont pas produites, l'histoire n'a pas eu lieu. A la croisée des chemins, il n'y a plus que des profils perdus.


Et les femmes qui furent jeunes à cet instant précis où tout avait semblé possible (le printemps, le bonheur, l'avenir, la vie, en somme) continuent, emportées par le manège qui ne s'arrête jamais, dépossédées de ce qui ne fut pas. Telle est l'obsession de Mme Barbéris dans ces trois récits admirables de maîtrise, où elle restitue par petites touches, ce qui n'a pas eu lieu afin de rendre perceptible la défaite à l'heure du déclin. L'émotion n'est jamais loin..

Littérature. Dominique Barbéris. Ce qui s'enfuit.
Le Temps (Suisse), 9 avril 2005, Isabelle Martin.

« Après Les Kangourous, son troisième roman, où elle décrivait une année de la vie d'une jeune femme timide, sensible et doublement fragilisée par la maladie de sa mère et des meurtres en série dans son quartier, Dominique Barbéris livre ici trois nouvelles exquises dont le thème commun est la fuite du temps. Ou le regret de ce qui n'a pas eu lieu, laissant aux diverses femmes qui traversent ces récits un sentiment de défaite à peine avoué, car la nouvelliste privilégie la manière douce, le suspens et les nuances de la sensation. «Scène sur la Loire» se compose de onze petits tableaux de la vie à N. autour du repas au restaurant d'un homme et d'une femme qui se sont aimés jadis, quand ils étaient jeunes. «Dans l'Oberland» raconte, à partir de photographies aux bords dentelés comme ceux des biscuits LU, une vieille histoire d'amour qui s'est passée à Douala au moment de la décolonisation française. Et «Ce qui s'enfuit» évoque le monologue intérieur d'une femme qui pense à son mari et à l'homme qu'elle n'a pas épousé quand sa mère lui demande tout à trac: «Est-ce que tu crois que Dieu existe?» La conversation qui s'ensuit entre elles est un modèle de drôlerie mélancolique.»

Le vertige de l'introspection mélancolique

Le Monde, 17 juin 2005, Jean-Luc Douin

Sauvegarder les apparences, faire comme si rien n'avait changé : c'est ce dont rêvent les trois femmes de Dominique Barbéris, héroïnes vouées à retrouver le parfum des heures douces d'antan, happer quelques émotions furtives, refuser d'admettre qu'il est vain de vouloir souffler sur la braise des sensations perdues.Dans « Scène sur la Loire », un couple dîne dans un restaurant. Un homme et une femme qui s'étaient aimés étudiants et qui se sont mariés chacun de leur côté.      .../...

LA FRAGILITÉ DU CRÉPUSCULE

Clin d'oeil au Mrs Dalloway de Virginia Woolf, « Ce qui s'enfuit » suit une émigrée tchèque installée en France tout au long d'une journée ordinaire, l'achat d'un poulet pour le repas du soir, la remontée de la rue Mouffetard, une promenade dans le jardin du Luxembourg. A-t-elle fait le bon choix en préférant un époux stable au soupirant neurasthénique dont elle a aujourd'hui la nostalgie ?

Acharnées à vouloir dissiper les mystères de l'invisible et lutter contre la fragilité qui les prend à l'heure du crépuscule, ces trois femmes sont assaillies par des vagues d'émois et de hauts-le-coeur suscitées par l'observation de la nature, des cortèges de souvenirs remontés de l'intérieur. Peindre le vertige de l'introspection mélancolique en même temps que les résonances de la lumière, de l'ombre, sur une conscience en proie au désir de redonner des couleurs à la vie, c'est en cela qu'excelle Dominique Barbéris.

Dominique Barbéris. Ce qui s'enfuit.

Lire, édition Juillet-Août 2005, Alexandre Fillon

Professeur de stylistique et de grammaire à la Sorbonne, Dominique Barbéris s'est distinguée avec une poignée de romans dont l'inquiétant Les kangourous (2002) que la cinéaste Anne Fontaine vient de porter à l'écran avec Isabelle Carré et Benoît Poelvoorde. Tout aussi réussi, Ce qui s'enfuit regroupe cette fois trois longues nouvelles, trois portraits de femmes au trait minutieux. En petites touches, en glissements successifs, Barbéris donne vie à des héroïnes tourmentées. Un couple d'anciens amants se retrouve à table dans un restaurant au bord de la Loire. Une jeune femme se rend en Suisse pour y visiter une ancienne amie de sa mère. Une autre songe qu'elle pourrait prendre un amant, refaire sa vie, obsédée par ce qui s'enfuit... Un travail d'orfèvre, tout en finesse, en subtilité. Un auteur à découvrir.