Besoins Educatifs Particuliers

Le concept de besoins éducatifs particuliers


Notes personnelles d’après l’intervention de Marie Louise MARTINEZ

Formation CAPA-SH, janvier 2005


Les représentations du handicap – Approche historique et culturelle.


Le champ de l’AIS évolue dans l’histoire, sa racine prend source dans le rapport que nous avons à l’anormalité. Les animaux ne sont pas tendres avec ceux qui sont différents (Ethologie). L’humain manifeste, comme les autres espèces, des comportements de rejet, d’exclusion mais aussi de protection. Dialectique étonnante.

En Grèce et Rome antique, attitude eugénique : le père de famille décide de quel enfant vivra. Cette décision est parfois prise par les anciens (Sparte → Plutarque). Superstition / Sacré. La personne difforme apparaît comme une erreur et une horreur. Rituels de la Grèce Antique : Dionysos, Dieu représenté par un enfant lacéré, mis en pièces… sacrifice violent → résurrection – nouveau Dieu. En Gaule, Toutatis, Dieu de la guerre → sacrifices d’enfants malformés. Le sexe intervenait aussi dans le choix des enfants sacrifiés.

Sâlambo / Flaubert : siège de Carthage → rituels à Moloch : on jette tous les enfants, on croit que le sacrifice est efficace.

On retrouve cela non seulement en Europe, mais aussi en Afrique, en Asie et aussi en Amérique (Aztèques et Mayas → le sacrifice des plus beaux enfants / Les anormaux étaient supprimés autrement.)

Peuples sacrificiels → c’est lié à la survie.

Anthropologie. Recours au sacrifice pour éviter la violence.


« La violence et le sacré » de René Girard


« Les espèces animales ont un instinct qui permet de réguler la violence… pas l’Homme »

L’homme est un animal très très mimétique, cela explique sa réussite exceptionnelle et sa violence. L’humain imite l’autre et imite le désir de l’autre. Immense capacité à imiter → désir de la nourriture, d’amour, de savoir… Rivalité qui s’emballe, devient une fièvre destructrice. Seul le sacrifice permet de régler ce problème C’est une hypothèse anthropologique.


« Tous contre un » sacer facere religere – relier lien social

↓ ↓

du sacré faire


Le rite par excellence est le sacrifice. Le rite a pour fonction de rassembler. Il faut que le système sacrificiel ait des interdits qui vont séparer les gens (interdit de l’inceste → séparer les générations). Les interdits peuvent être prescriptifs ou proscriptifs.


Rituel grec du Pharmacos :

Pendant 6 siècles. Le Pharmacos, étranger ou prisonnier, était très bien traité. On le promenait dans la ville pour qu’il attire tout ce qui n’allait pas. Le Pharmacos, le « poison », était alors sacrifié en grande pompe. La société était alors soulagée, le Pharmacos était le remède. La société sacrificielle archaïque ne se culpabilisait jamais.

Les sociétés qui ont dénoncé cela l’ont fait par l’intermédiaire du religieux.

Girard parle de « cycle de la violence et du sacré ». C’est ce qu’on appelle les mythes, discours de la communauté réconciliée. Mystification qui va diviniser la victime.

OEdipe, pharmacos : on l’accuse des maux qui ont bravé les plus forts interdits (inceste et parricide). Sacrifié pour de «fausses raisons »

C’est surtout le judéo-christianisme qui va dénoncer la violence sacrificatoire.


Mythe d’Abraham :

Saut anthropologique. Sacrifice de l’enfant / sacrifice de l’animal. Emergence d’une croyance qui ne veut plus du sacrifice violent.

Lecture anthropologique de « la Passion », véritable déconstruction du rite sacrificiel, du sacré archaïque.

Sacré plus pur : faire un travail sur soi, sur sa propre violence : réconciliation, pardon…

Sacrifice absolument non violent.


C’est à travers le judéo-christianisme que l’on sort de ces sociétés de répétition.


Louis Dumont a écrit deux ouvrages très intéressants :

- Homo hierarchicus

- Homo aequalis / Homme égalitaire (mais qui n’est pas dépourvu de violence)


L’égalité va cheminer dans les sociétés romaines, avec les Stoïciens. Mais l’égalité arrive vraiment avec le Christianisme. L’Eglise va s’opposer au meurtre des enfants handicapés au XIVème siècle. Dimension religieuse, puis de plus en plus profane : idée d’universalisme, d’intégration, qui sera généralisée dans les principes (mais pas dans les faits) par la philosophie des Lumière.

Droits de l’Homme.

Scolarisation des enfants.


Emile Durkheim est l’un des fondateurs des sciences de l’éducation.

Rites de passage – religere (rites et interdits) – Différences hommes / femmes (ablation du clitoris, ablation du prépuce). Il y a là d’autres formes de violence qui se développent. Cela aide à comprendre les problèmes rencontrés aujourd’hui face à l’intégration.

Violence anomique : Nomos = la règle, l’interdit – la limite

Ce mot a donné :

- autonomie

- hétéronomie (loi qui vient de l’autre)


La violence n’est plus régulée par rien. Le conflit s’intériorise. S’il y a hétéronomie, le sujet n’est pas en crise. La violence anomique croît mais ne se voit pas. Il y a dérégulation, désordre anomique. Suicides ↑

Ces deux formes de violence sont tout aussi meurtrières. Indifférenciation. Mondialisation de l’individualisme.

Que faire ?

Il faut être dans l’exigence d’intégration mais être très précis sur la différenciation. Il ne faut surtout pas indifférencier, ni à l’école, ni dans la famille. La société n’est malheureusement pas consciente de son anomie.


Philippe Ariès (1914-1984) dit que le XVIII ème siècle va faire apparaître l’enfant. L’enfant croît en importance et en spécificité. Au XIX ème siècle : sciences humaines autour de la pensée de l’enfant. L’enfant devient objet d’étude puis la machine s’emballe : enfant-roi, enfant tyrannique, enfant-proie. La valeur suprême de l’autorité, traditionnelle, n’a plus aucun prix. En 1914, pour Ariès apparaît le mythe de l’adolescent.

Les valeurs changent, innovation permanente, jeunesse. On entre dans une immense crise de l’éducation. Le savoir est disqualifié, les enfants n’ont plus envie d’apprendre. On veut entrer le plus tôt possible dans l’adolescence et ne pas en sortir (… notre façon de nous habiller…).

Aucune société ne peut fonctionner sur l’interdit d’interdire.


Evolution des politiques de l’école :


Quand, au XVIII ème siècle, a monté l’exigence de reconnaissance de la dignité des handicapés, la rationalité a vu monter les murs de l’enfermement. Asiles / Institutions. Le paysage des institutions va être marqué par les représentations. Exigence d’égalité entraîne enfermement.


Trois temps dans la prise en charge des handicapés :


  • Enfermement, espace fermé.

1909 : naissance des institutions, dans le domaine de la spécialisation – Ségrégation – Filières. Cette première phase va être critiquée vers les années 30 et 40. On veut alors des structures plus souples.

  • Adaptation scolaire : révolution copernicienne. L’école devait alors s’adapter et répondre à la diversité des besoins des élèves, jusqu’à la Loi d’orientation de 1975 qui va demander l’intégration.

  • Les structures souples vont à nouveau être critiquées car elles sont ségrégatoires. La Loi de 1989 va aller beaucoup plus loin dans l’intégration en créant des dispositifs plus souples qui veulent prévenir, remédier, ne jamais enfermer un enfant dans une structure.

SEGPA – CLIS – UPI – RASED

Philosophie du projet, philosophie de la personne. L’élève adhère au projet pour lui, avec sa famille.

L’enfant est au centre du système. Partenaires – Communauté éducative (enfant, parents, école…).

Projet d’intégration : ni indifférenciation, ni ségrégation.


Cette approche anthropologique permet de comprendre que le refus de l’autre basé sur un sacré archaïque engendre l’anomie.


Résistance à l’intégration :


Actuellement, phase de rejet : surtout pour les projets d’intégration d’enfants qui présentent des problèmes de comportement.


Le handicap :


Notion mystérieuse qui va prendre la place des catégorisations nosographiques, dépréciatives. Le terme de handicap se généralise.

H.J. STIKER

J.S. MORVAN


Comment naît ce terme?

Le terme de handicap vient des Irlandais au XVIII ème sièce. Il prend son origine dans le domaine des courses de chevaux sur pelouse. Décomposé, handicap signifie « Hand in the cap » pour désigner une méthode destinée à choisir un gagnant ou une position. Aux courses, cette technique permet l’attribution des positions de départ. L’essence même du handicap repose sur la nécessité d’être équitable en désavantageant ou en annulant un avantage chez un concurrent. Le moyen utilisé pour égaliser les chances consiste à ajouter ou à enlever des poids sous la selle, en chargeant le meilleur cheval et en délestant le moins compétitif.


Souci d’égalitarisme.

Même relation sémantique pour le mot tare.

Naissance du capitalisme – XIX ème siècle – Lien avec une économie moderne de la rivalité.


Le rite du bouc émissaire :

Rituel lévitique. Prendre un bouc, choisi, lui mettre des poids, le charger de cadeaux qui représentent les péchés, et l’envoyer dans le désert… il n’est pas « sacrifié ». La personne handicapée est pensée comme une personne émissaire. Terme porteur d’ambivalence et de représentations du handicap. Nous sommes dans une période de dévoilement : la langue charrie nos représentations. Nous devons reconnaître qu’il y a dans ce terme quelque chose de sacré archaïque.


Le terme handicap a été repris par l’OMS et notamment Philip WOODS avec la classification CIH.


1er souci : il faut classer, catégoriser… car nos sociétés modernes veulent aider certaines catégories. Il faut donc classer pour diriger les personnes, dans un souci d’étiologie, de rétribution. On a voulu cependant éviter de stigmatiser.


Erving GOFFMAN a étudié les populations (drogués, sortis de prison, invalides…). Stigmate, blessure liée à l’autre. La stigmatisation était, au Moyen-âge, la marque (fleur de lys) faite sur le dos des criminels. C’est l’autre qui regarde. Stigmate – regard de l’autre. Disqualification qui va nous suivre.


Comment ne pas stigmatiser ?


Dans les années 80, première caractérisation du handicap qui va introduire la distinction entre :

- la déficience → aspect lésionnel

- l’incapacité → aspect fonctionnel

- le désavantage → aspect relationnel

1989 en France. Cela permet d’analyser les besoins. Analyses plus subtiles.


La schizophrénie va entraîner des inadaptations, relations difficiles avec les autres. Pour d’autres maladies, il n’y a pas de fatalité. L’épilepsie entraîne parfois des lésions, mais certains cas sont bien traités, il n’y a alors ni incapacité ni désavantage. Les déficiences sont objectivables.


On tend vers l’appellation "en situation de handicap."

Les handicapés / Les personnes handicapées / Les personnes porteuses de handicap / Les personnes en situation de handicap


La société est marquée d’une exigence relationnelle issue du judéo-christianisme.


La CIF (voir intervention de Monsieur BENOIT)

On remplace l’appréciation de la défectologie par une appréciation généralisée. C’est à la fois très encourageant et risqué (nivellement par le bas). Il faut tendre vers qualifier sans disqualifier. Ne pas abolir la discrimination, mais la discrimination ne doit pas devenir discriminatoire c'est-à-dire disqualifiante.


Même menace avec le terme d’inclusion qui tend à remplacer intégration. Il semble définir des souhaits de certains.

Inclure → tous pareils → indifférenciation très dangereuse.

Ne pas nier le handicap.

Intégrer, ce n’est pas inclure dans une masse.

C’est permettre à chacun de trouver sa place avec ses particularités dans un même espace commun.