Les critères de médiation de Feuerstein

LES CRITERES DE MÉDIATION DE R. FEUERSTEIN



1 - LA MÉDIATION DE L’INTENTIONNALITÉ ET DE LA RÉCIPROCITÉ :


Le médiateur affiche clairement et constamment ses intentions par rapport au groupe d’apprenants. Il définit clairement les objectifs poursuivis et les moyens mis en œuvre : voilà comment nous allons procéder, qu’en pensez-vous etc. bref, il joue la transparence en formation. A travers cette médiation, il s’agit de « poser des repères » dans le cadre de la situation pédagogique, les questions que se posent les apprenants (« Qu’est-ce que je fais là ? Qu’est-ce qu’on me veut ? En quoi ce que j’apprends m’aidera-t-il à retrouver un emploi, à obtenir une nouvelle qualification, à améliorer mes résultats scolaires etc) doivent être travaillées. Si l’intentionnalité du formateur n’est pas clairement définie, dans les grandes options comme au quotidien, la relation « formateur apprenants» en sera affectée : la formation doit être le domaine du « dit » et non d’un « non dit » générateur de confusion et d’inquiétudes.


2 – LA MÉDIATION DE LA TRANSCENDANCE :


Prendre du recul par rapport à l’immédiat, gérer l’axe temporel et développer le système de besoins constituent l’essentiel de la médiation de la transcendance. Le prix à payer, avec un fonctionnement mental fragile, est un codage non performant d’un réel, forcément complexe dans nos sociétés. Dès que la nouveauté surgira dans le réel, l’apprenant le fuira. Le traitement des connaissances nouvelles sera très délicat, l’apprenant évitera d’avoir trop de besoins nouveaux en restreignant ses exigences par rapport à ses rapports au réel. La médiation de la transcendance va viser à le réinsérer dans la continuité temporelle en montrant que le passé sert à comprendre le présent et, qu’en analysant le passé et le présent, on peut préparer l’avenir. En résumé, on pourrait dire que le médiateur va chercher à créer des liens : dans le temps, entre les différentes matières du stage, entre le stage et leur vie, en allant constamment dans ses interventions au-delà des besoins immédiats et en tirant les leçons des expériences menées en commun à travers les exercices proposés. Les moyens employés sont divers et très variés, ils sollicitent la transcendance à différents niveaux. On va choisir un travail historique à propos d’une notion abordée, on va relier les acquis en cours à d’autres acquis etc. [essentiel pour la qualité du transfert ]


3 – LA MÉDIATION DE LA SIGNIFICATION :


Elle va dans le même sens que la médiation de l’intentionnalité, mais elle est centrée sur la tâche à réaliser. Elle vise à « signifier » (donner du sens) aussi bien à travers les gestes, les attitudes, les regards, les intonations de voix du médiateur qu’à travers une explication rapide sur un comportement. Elle permet également de signifier ce qui est essentiel dans le travail réalisé et dans les transferts possibles. [ Toujours signifier ce qui est important à comprendre ]


4 – LA MÉDIATION DU SENTIMENT DE COMPÉTENCE :


C’est le critère à travailler en priorité avec certains groupes ; les groupes qui, quelle que soit leur attitude

quotidienne, se sentent en situation d’échec par rapport au fonctionnement intellectuel en général ou par rapport à certains contenus de formation. Bien entendu, ils développent des mécanismes de défense pour pouvoir exister.

Cependant, le cadre social dans lequel ils évoluent (stage ou vie quotidienne) leur renvoie cette image de « raté intellectuel » et ils passent du temps et de l’énergie à ne pas se trouver dans une situation qui mettrait leur incompétence en lumière. Ces mécanismes de défense centrés sur l’échec sont des mécanismes qu’il va falloir combattre, sous peine de ne pas pouvoir mener un travail intellectuel. Mais il ne faudra pas les combattre n’importe comment. Il faudra montrer, et être soi même persuadé, que les individus ont tous un potentiel de compétence, supérieur à ce qu’ils imaginent eux-mêmes. L’approche médiationnelle pour persuader quelqu’un qu’il est plus compétent qu’il ne l’imagine, globalement ou sur des aspects spécifiques de la formation, est de lui faire faire des choses difficiles, mais, bien entendu, avec une guidance qu’il ne faut pas confondre avec une assistance. Il faudra aussi lui donner les moyens d’évaluer lui-même ses progrès de façon objective. Le travail sur le sentiment de compétence passe par toutes sortes de chemins et c’est un travail essentiel dans la pédagogie de la médiation.


5 – LA MÉDIATION DE LA RÉGULATION DU COMPORTEMENT :


Le travail de régulation du comportement va viser à la maîtrise de l’impulsivité. Là encore, de nombreuses attitudes répondent à ce critère. Pour l’essentiel, on va renforcer les attitudes de réflexion et combattre les comportements impulsifs en en montrant les effets négatifs sur la réalisation de la tâche.


6 – LA MÉDIATION DE L’ACTE DE PARTAGE :


C’est un critère important avec des gens qui ont perdu l’habitude de s’exprimer en groupe et d’avoir des conduites socialisées à propos des activités intellectuelles. Ils éviteront de dire en groupe : « Je ne comprends pas. » ou « Je me suis trompé. » Ce critère vise à dédramatiser l’échec et à permettre au groupe de partager ses expériences. Ce partage s’exprime aussi de façon positive : proposer aux autres une stratégie performante. L’écoute est également développée: savoir écouter ce que les autres disent même si on s’est déjà exprimé soi-même.


7 – LA MÉDIATION DU PROCESSUS D’INDIVIDUATION ET DE LA DIFFÉRENCIATION PSYCHOLOGIQUE :


Elle vise à ne pas négliger les différences individuelles. La pédagogie de la médiation propose un travail qui est essentiellement centré sur le groupe. On travaille en groupe, avec des périodes de travail individuel (alternance des phases de régulations sociales et d’autorégulations). Pour ce qui concerne les phases de régulations sociales, l’inconvénient majeur est de trop compter sur les autres et de ne pas faire la différence avec les autres. Il convient donc d’indiquer que le travail de groupe n’exclut pas la valeur individuelle de chacun. Le travail du médiateur sera de souligner les points forts et les points faibles de chaque membre du groupe, d’encourager les réponses originales, de favoriser la créativité, « le droit à la différence » et de considérer chaque apprenant comme un être unique.


8 – LA MÉDIATION DE L’ATTEINTE D’OBJECTIF :


Il s’agit de combattre le fonctionnement par essais et erreurs (qui est différent du tâtonnement expérimental en cela qu’il n’inclut pas d’hypothèse) et à lui substituer un fonctionnement reposant sur la définition d’objectifs et la mise en œuvre de stratégies pour les atteindre.

[ Pensée hypothético-déductive ]


9 – LA MÉDIATION DU DÉFI :


Elle est complémentaire à la médiation du sentiment de compétence et recouvre un des aspects de la médiation de la transcendance. Il s’agit de remplacer une réaction de fuite face à la complexité de la tâche par une réaction d’excitation et d’envie d’essayer (« c’est difficile, donc ça m’intéresse »). Cette médiation fonctionne lorsque la confiance en soi est un peu restaurée. Quand la médiation du défi est bien réussie, il arrive que les apprenants disent : « encore ce genre de travail, on ne peut pas avoir quelque chose de plus difficile ? ». Ils ont redécouvert ce que Tolman appelle « le plaisir cognitif », la curiosité intellectuelle. Il est évident que ce résultat a des conséquences extrêmement positives sur leur fonctionnement intellectuel.


10 – LA MÉDIATION DE LA PRISE DE CONSCIENCE DE LA MODIFIABILITÉ ET DU CHANGEMENT :


Les premières victimes des conceptions fixistes du développement mental sont souvent les apprenants eux-mêmes (« à mon âge c’est trop tard » dit un jeune de 16 ans !). La prise de conscience de la modifiabilité se joue d’abord là. Quant au changement, il s’agit de préparer les apprenants à assumer, individuellement et socialement, leur changement quant à leur fonctionnement intellectuel. Dans ces aspects sociaux, ce critère vise à aider les individus à gérer leur changement d’image sociale : l’apprenant qui devient plus performant dans son fonctionnement intellectuel risque d’être confronté à de nouveaux problèmes (attitudes ambivalentes voire hostile des autres, ajustement à une réalité qui n’a pas changé, euphorie quant aux possibilités ouvertes avec frustration aggravée en cas d’échec etc.). Le rôle du médiateur est d’anticiper la sortie de formation en abordant ces questions à travers les tâches réalisées.


11 – LA MÉDIATION DE L’ALTERNATIVE OPTIMISTE :


Elle prolonge et généralise la prise de conscience de la modifiabilité et du changement en insistant sur les aspects positifs d’une situation dont on peut ne voir que les aspects négatifs. Loin de la « méthode Coué », cette médiation vise à analyser rationnellement une situation en dégageant les éléments porteurs de dynamisme plutôt qu’en se focalisant sur les facteurs bloquant l’émergence de solutions.


12 – LA MÉDIATION DU SENTIMENT D’APPARTENANCE :


Le sentiment d’appartenance est probablement inhérent à l’espèce humaine (« animal social »). Il convient de le renforcer à différents niveaux. L’appartenance à l’espèce humaine peut se travailler en formation à travers la perspective historique (histoire de l’écriture, de la numération, des techniques, du métier etc.) pour faire percevoir à chacun qu’il est « partie prenante de l’histoire de l’humanité » (P. MEIRIEU). L’appartenance à un groupe peut se travailler à partir de l’histoire de la ville, de l’école, de l’entreprise, du centre de formation etc. L’appartenance au groupe en formation peut se travailler à partir de projets communs de différents types.