Yves Le Car

Si vous aimez les mots, LES MOTS QUI JOUENT, QUI JONGLENT, LES MOTS TENDRES A ENTENDRE OU QUI PRETENT A S’ETENDRE, LES MOTS DROLES QUI VOUS FROLENT LES EPAULES, LES MOTS QUI CHANTENT, ENCHANTENT , LES MOTS SENSIBLES MAIS PAS TOUJOURS SANS CIBLE, LES MOTS SENSES , LES MOTS PENSES, LES MOTS A PRENDRE ET A LANCER A LA VOLEE...SI VOUS AIMEZ (...)

MES MONUMENTS HUMAINS (idoles sans patrie)

Certes, vous n'êtes pas de ceux qu'on commémore
Vous n'avez pas vos noms aux monuments aux morts
Vous n'avez pas vos noms dans les livres d'Histoire :
Vous n'avez pas participé à la Victoire !
Il eût fallu tenter d'y laisser votre peau ;
Il eût fallu penser que l'Amour du Drapeau
Est plus fort, par devoir, plus sacré que la vie.
Je crois savoir que ce n'était pas votre avis.

Vous n'êtes pas tombés sur le Chemin des Dames
Suivant d'autres chemins sans doute, et d'autres dames,
Avec qui il vous a fallu rester cachés
Pour pouvoir vivre heureux, et ne pas tout gâcher
Par l'inutile horreur de leur champ de bataille
Où d'Homme on vous transforme aussi vite en bétail.
Heureusement, vous n'avez rien voulu savoir
Ni de leur champ d'honneur, ni de leur fausse gloire.

Certes, vous n'êtes pas de ceux qu'on commémore
Vous n'avez rien laissé, ni membres, ni remords :
Vous saviez que la Vie, la vie seule est sacrée,
Que la Patrie n'est qu'un vain mot, qui n'est concret
Que pour les marchands d'armes, caste universelle
Pour qui le paradis sur terre est en parcelles.
Au champ du déshonneur, en votre âme et conscience,
Vous avez préféré la Désobéissance.

Vous n'êtes pas tombés, du moins, dans le panneau
Pour servir de cobayes, ou d'appât aux corbeaux.
Pourquoi aller défendre un semblant de patrie
Qui n'est due qu'au hasard, comme à la loterie ?
Mais cette loterie peut leur rapporter gros
Puisqu'ils misent sur tous, à tire-larigot !
Ils tirent leur égo, et ça leur est égal :
Les chacals, comme les asticots, se régalent.

Certes vous n'êtes pas de ceux qu'on commémore
Par le même apparat qui les mène à la mort
La même mascarade et la même musique
A croire que tous ces gens là sont amnésiques
S'ils pouvaient réentendre ces mots qui endorment
Et s'ils pouvaient revoir défiler l'uniforme
Tous les morts se relèveraient comme un seul homme
Pour nous montrer l'autre face du décorum

Vous n'êtes pas tombés et quelques sons de cloche
Me viennent aujourd'hui de ceux qui vous reprochent
De n'avoir pas marché dans le troupeau docile.
J'entends parmi les loups imbus et imbéciles
Des voix se réclamant des Droits de l'Hom...icide
Et qui vous traînent dans la boue, et dans l'acide
En termes injurieux vous collant à la peau
Comme une étoile : " Munichois ! Ou Collabos !"

Certes vous n'êtes pas de ceux qu'on commémore
Mais de ceux que certains auraient bien mis à mort
Incarcérés dans un carcan de certitudes
Qui forge leur cerveau offert aux servitudes
En répondant "présent" dès que claque un drapeau
Ne sont-ils pas eux-mêmes les vrais collabos
Des Pouvoirs, quels qu'ils soient, cerbères des frontières
Qui tapissent de sang humain la terre entière

Pour n'être pas tombés dans l'oreille d'un sourd
Leurs mots ont en écho quelques vers qu'à mon tour
J'adresse à tous ces régiments de va-t-en-guerre
Qui ne désarment pas et ne comprennent guère
Qu'ils envoient leurs enfants, grâce à leurs grands principes,
Et leurs petits-enfants au prochain casse pipe.
La barbarie demain ne fera pas le tri
Dans un tas d'ossements qui n'ont plus de Patrie
Certes, vous n'êtes pas de ceux qu'on commémore
Vous n'êtes ni héros - tant pis- ni matamore
Vous n'aurez pas vos noms dans les manuels scolaires
Vous n'avez été que témoins épistolaires
Du fond de vos exils, et de mon souvenir
Je vous salue, en sachant bien qu'à l'avenir,
C'est votre voie que les enfants emprunteront
Plutôt que l'épineux chemin des fanfarons ;

Vous n'étiez pas nombreux à rester sur la touche
Par libre choix, lorsqu'ils tombaient comme des mouches
Car la Patrie, avant d'être reconnaissante,
Est une diabolique machine puissante !
Mais le sang de tous ceux qu'elle dit ses enfants
Ressemble comme deux gouttelettes... de sang
A celui prétendu impur de ceux d'en face
Qui laissera pourtant au sol les mêmes traces

CERTES VOUS N'ÊTES PAS DE CEUX QU'ON COMMÉMORE
MAIS POUR L'ÉTERNITÉ VOS IDÉES VOUS HONORENT
VOUS N'ÊTES PAS TOMBÉS... MAIS DU FOND DU TOMBEAU
VOUS RESTEZ UN EXEMPLE...
..

ET VOTRE GESTE EST BEAU

LE MISSILE EN MISSION ET LES SIX MILLE CIVILS

Un missile en mission
Avait, sans permission,
Fait son apparition
Au dessus d’une ville
Où six mille civils
Avaient leurs domiciles.
La mission du missile
Était assez facile :
Menacer les six mille
Civils de cette ville
De désintégration
Ou les rendre serviles
Sans aucune objection
Le missile en mission
Sans nulle compassion
Caressait l’ambition
Par son zèle imbécile
De mettre la pression
Aux six mille civils
Vaquant avec passion
A leurs occupations
La mission du missile
N’était pas difficile :
La colonisation
Des six mille civils
Ou la démolition
De tous leurs domiciles
Voire la destruction
Totale de la ville
Aucune de ces cibles
N’était inaccessible
Au missile en mission
Alors que les six mille
Civils de cette ville
Trouvaient inadmissible
L’abusive intrusion
Dans leur secteur civil
D'un visiteur si vil.
Devant les prétentions
D
u missile en mission
Les six mille civils
N’avaient qu’un seul mobile ;
Se faire assez habiles
Sans se faire de bile
Pour arrêter l’action
Du missile en mission
La mission des six mille
Face à cette agression
Était des plus subtiles
Malgré leur émotion :
Soit se faire reptiles
Soit devenir des lions
Soit faire diversion
De façon plus utile.
Mais six mille civils
Face à un seul missile
Aussi vilain soit-il
Austère autant qu’hostile
C’est une aberration.
C’est six mille poissons
Face à un crocodile.
La seule solution
Était l’humiliation
Du missile en mission.
Les six mille civils
Prirent la décision
De prendre en dérision
La mission du missile.
Et c’est ainsi qu’on vit
Pris d’une même envie
Les six mille en miction
Noyant l’opération
Du missile en mission.
Et, miction accomplie,
Le missile assoupli
Donna sa démission.
Il devint si docile
Qu’on en fit un fossile
Que l’on mit au musée
Des choses inutiles
Autant pour amuser
Les enfants des six mille
Civils de cette ville
Que pour se reposer
Du contretemps causé
Par les divagations
Du missile en mission.