"Au début du conflit mondial, pour certains antimilitaristes confrontés au choc des combats meurtriers des premières semaines, la guerre, dont ils ont caressé l’espoir de son empêchement par la grève générale si les socialistes avaient eu le temps d’organiser leur congrès international prévu à Vienne en août 1914, leur est « jetée entre les jambes » afin qu’ils n’aient « plus d’autres ressources que de [se] laisser incorporer et conduire à l’abattoir » (Renaud Jean, 19 août 1914). Capitalisme, colonialisme et nationalisme sont les principaux vecteurs du conflit (Renaud Jean, 2 septembre 1914). L’expérience de guerre vécue par les socialistes cristallise dès lors un antimilitarisme qui, pour certains d’entre eux, se traduit après-guerre par une condamnation des monuments aux morts perçus comme des « monuments d’hypocrite pitié » (Louis Barthas, février 1919), des objets de réclame d’un culte à la guerre et « au patriotisme haineux qui vient d’assassiner plus de dix millions d’hommes » (Renaud Jean, in Le Travailleur, 4 juin 1921). Pourtant, davantage que des édifices à la gloire de la victoire et de la guerre, ils représentent surtout des monuments du deuil donnant un sens collectif aux morts individuelles.
Mais l’exemple de celui de Fourtic-sur-Garonne montre qu’ils peuvent aussi livrer une parole politique alors minoritaire à l’époque. En portant des inscriptions pacifistes (par exemple : « Maudite soit la guerre » à Gentioux dans la Creuse, ou « Guerre à la guerre » à Gy l’Évêque dans l’Yonne), certains monuments dénoncent la guerre, comme le réclamait Louis Barthas en février 1919 (« Je ne donnerai mon obole que si ces monuments symbolisaient une véhémente protestation contre la guerre, l’esprit de la guerre ») ; celui de Fourtic-sur-Garonne est intéressant et inédit en ce sens qu’il dénonce l’origine de la guerre tel que le diffuse le courant communiste s’exprimant par l’intermédiaire de l’Association républicaine d’anciens combattants (ARAC), pour qui il faut laisser en paix les victimes du capitalisme. Le jour de l’inauguration du monument aux morts de Feugarolles (Lot-et-Garonne), la section locale de l’ARAC appelle à la tenue d’un meeting pacifique anti-monument. Aussi, des participants se rendent-ils devant l’édifice avec une banderole portant l’inscription « Anciens combattants à leurs camarades victimes du capitalisme mondial » qui y reste dressée pendant une vingtaine de jours et qui rappelle celle du monument de Fourtic-sur-Garonne.
L’indigence des sources relatives à celui-ci (les archives de l’ARAC ayant été détruites par le régime de Vichy) ne nous permet malheureusement pas de savoir si l’inscription apposée sur le monument de Fourtic-sur-Garonne est une commande de l’ARAC, commande acceptée par le comité et la municipalité, ou si elle émane d’une volonté de membres de ce comité qui auraient été sensibles aux idées de l’ARAC.
Monument aux morts pacifiste de Fourtic-sur-Garonne, Lot-et-Garonne
"A nos camarades victimes du capitalisme mondial"
Sa particularité principale vient d’une autre inscription, entourée d’un feuillage et disposée sur le côté droit sur une petite plaque de fonte, qui délivre ces mots : « À nos camarades victimes du capitalisme mondial », critique non feutrée dirigée contre les classes dirigeantes ayant sacrifié au combat les classes populaires.