Philosophie - Méthode

Critères qui ont présidé à notre choix

Les critères qui ont présidé à notre choix ont écarté d’emblée les « gros bataillons » des monuments aux morts d’union sacrée, les uns à dominante triomphaliste, les autres plus modestes mais néanmoins patriotiques.

Nous n’avons pas retenu non plus des monuments dits doloristes mais d’inspiration union sacrée : ils incluent la souffrance des vivants dans la célébration des victimes de la guerre mais l’utilité de la mort de ces dernières n’est pas mise en cause.

Le qualificatif de pacifiste est, à nos yeux, exigeant. Le lecteur trouvera des livres et l’internaute trouvera des sites où ce qualificatif est employé sans rigueur. Pacifiste, en matière de monument aux morts, cela veut dire condamnant la guerre et ne cédant pas, du moins sans « compensation » forte, aux sirènes du patriotisme : la forme de cette condamnation peut varier mais elle est la marque dont la présence a été jugée par nous indispensable pour « homologuer » un monument aux morts dans la catégorie des pacifistes.

Le petit nombre de monuments aux morts pacifistes – dans l’acception entière du terme et dans leurs différentes déclinaisons - dont le total ne dépasse probablement pas – à notre connaissance – la centaine, se répartit à son tour en plusieurs catégories.

Ceux qu’on peut appeler insoumis ou réfractaires tels les monuments aux morts de rupture idéologique ou de rupture franche avec le bellicisme (Gentioux, Equeurdreville, Balnot-sur-Laigne, Rocles, Levallois-Perret, Château-Arnoux, Vierzon, Dardilly).

Ceux qu’on peut qualifier d’explicatifs : Saint-Martin d’Estreaux, Aniane, Lavercantière.

Des monuments protestataires avec des slogans ou des textes plus importants de tonalité anti-guerrière comme Gy l’Evêque, Meillard, Bar-sur-Aube.

Des monuments neutres qui portent l’inscription Aux enfants de X…, A nos morts, A nos enfants morts à la guerre, ou même qui sont muets car ils ne portent aucune inscription du tout Néris-les Bains, Saint-Gilles-Croix-de-Vie, Decazeville, Banyuls).

Certains monuments aux morts ne sont qu’à dominante pacifiste car ils ne sont pas exclusifs de concessions plus ou moins importantes au patriotisme traditionnel : ce sont des monuments de compromis. Il est en effet arrivé que des majorités municipales nouvelles aient marqué du sceau du pacifisme le monument patriotique existant par une inscription nouvelle ou par un détournement d’un détail de la statuaire (Bar sur Aube, Chevignon, Lezoux, Mazaugues).

Un certain nombre de monuments aux morts comportent le mot Paix ou Pax mais cela ne suffit pas pour les caractériser comme pacifistes (les bas reliefs guerriers de Lille ou les inscriptions, à nos yeux confusionnistes, de Rochefort ou d’Ollioules).

Nous avons hésité pour certains monuments dont la statuaire est ambiguë : le monument de Péronne (Somme) connu aujourd’hui sous le nom de Picarde maudissant la guerre est d’une intention première qui est loin d’être pacifiste, inaugurée qu’elle fut par un général ; entourée de bas reliefs à caractère militaire, la statue de la Picarde brandit-elle son poing contre l’ennemi au-delà du Rhin ou contre la guerre ? À Décines (Rhône), le monument de facture néo-classique n’est pas guerrier mais peut-on le considérer comme pacifiste ? La question est compliquée car la délibération ayant décidé le monument est de caractère patriotique mais on ne sait pas s’il faut attribuer ce caractère à la conviction intime des conseillers municipaux ou à une stratégie délibérément adoptée pour échapper à la vigilance chauvine de la commission préfectorale.

Bref nous nous sommes efforcés de procéder avec rigueur sans schématisme, ni dans un sens, ni dans un autre.

Dans quel esprit la liste des monuments retenus a-t-elle été établie ?

Cet esprit est résolument laïque. Ce travail se place sous l’égide la Fédération Nationale Laïque des Associations des Amis des Monuments Pacifistes, Républicains et Anticléricaux fondée par la Fédération Nationale de la Libre Pensée.

C’est ainsi que nous ne retenons pas de monuments comportant une référence religieuse manifeste, du type de celle constituée par une croix surmontant le monument ou figurant dans la décoration comme signe fort donnant à l’ensemble son sens. Bien entendu, on pourra éventuellement trouver dans les monuments que nous avons retenus des croix de tombes puisque ces croix, du fait de la place occupée historiquement en France par les religions chrétiennes et notamment le catholicisme romain sont utilisées comme symboles funéraires. Quoi que nous pensions de cet état de fait, nous avons constaté à quelques occasions la présence de ce symbole à signification funéraire y compris dans des monuments parfaitement laïques par ailleurs.

Nous écartons également de notre choix les monuments présentant ostensiblement un symbole belliciste : canons, obus, fusils braqués, trophées guerriers, soldats dans une attitude offensive de combat. Les casques sont parfois représentés dans les monuments retenus mais uniquement comme indices de la guerre, comme vestiges du soldat disparu et non comme accessoires glorieux de la chose militaire.

Les inscriptions les plus fortes sont Guerre à la Guerre et Maudite soit la guerre. Il peut arriver qu’une autre inscription du genre Morts pour la Patrie ou Morts pour la France figurent sur un monument qui par ailleurs dénonce la guerre. Cette concession à l’intoxication patriotique de l'époque fait partie des contradictions auxquelles on peut être confronté mais en règle générale quand une telle concession a été faite elle est mineure et peu signifiante par rapport au message principal. Bien entendu, par contre, les inscriptions comme A nos glorieux soldats, Gloire à nos vaillants soldats etc. par leur présence peuvent rendre discutable la teneur pacifiste éventuelle de la statuaire ou d’une autre inscription. Cependant il nous a semblé que toute inscription pacifiste un peu forte mérite d’être saluée même quand elle est mêlée à d’autres qui n’ont pas ce caractère.

Ceux qui liront notre livre verront les obstacles multiples et redoutables auxquels se sont heurtées les municipalités désireuses de marquer leur opposition à l’esprit guerrier : commission préfectorales, Eglise, patronat …Quand ces trois forces réactionnaires, passant outre à leurs différences de statut, se sont coalisées, il n’était guère possible pour les maires de résister victorieusement. C’est néanmoins arrivé comme à Avion, Auchel, Saint-Martin d’Estreaux. On se reportera au livre pour voir quelle fut l’ampleur du rôle joué par l’Eglise catholique dans la bataille chauvine de l’après-guerre (cf. Autour de monuments aux morts pacifistes en France, Introduction, p. 10 et 11).

Nous ne retiendrons ici qu’un autre aspect du combat de la Libre Pensée très liée à l’activité de la Fédération Nationale Laïque des Monuments: celui de la réhabilitation des « fusillés pour l’exemple ». Notre livre consacre un chapitre particulier à ce problème et aux monuments qui ont été érigés à la mémoire des fusillés. On s’y reportera pour de plus amples informations. Durant l’année 2008, le combat pour la réhabilitation a connu de nouveaux développements : le puissant rassemblement de Craonne du 17 mai a témoigné de l’intérêt que suscite cette cause dont le travail sur les monuments est partie prenante.