Il est possible que nous réservent parfois des surprises certains monuments aux morts. Cela peut se produire même avec quelques-uns qui nous sont pourtant familiers. Surprises possibles concernant y compris aussi ceux dont souvent nous ressentons l’hommage ultra-patriotique aux poilus, victimes de la guerre, comme une sorte de provocation, voire d’escroquerie pure et simple. Eh bien, la leçon que l’on peut tirer du cas que l’on va évoquer, c’est qu’il faut être circonspect et que, certaines fois, il convient sérieusement d’examiner ou de réexaminer le problème
Dans la localité de Saint-Lys, en Haute Garonne un ancien maire, Patrick Lasseube, a consacré une étude remarquable1 à un fusillé pour l’exemple natif de la commune et, conjointement, car les deux problèmes sont étroitement liés, il étudie dans son ouvrage le monument aux morts de la commune dont la facture pourtant peu courante était restée non commentée.
Le monument est situé au-dessus du porche qui donne accès à la mairie. Il représente un soldat endormi la tête dans la main, en uniforme mais sans armes, sur fond de branches d’oliviers. Les formules qui encadrent ce monument sont classiquement patriotiques, sinon la formule peu courante « Morts pour la France victorieuse »2
Soldat Frédéric Julien Dédébat – « Fusillé PAR la France » le 28 décembre 19143
Grâce à une étude approfondie, Patrick Lesseube a découvert que l’un des poilus inscrits dans la liste des morts pour la France était en réalité un habitant de Saint-Lys, mobilisé en 1914 et fusillé pour l’exemple près d’Ypres pour des faits qui s’étaient déroulés plus au sud du front. Placé aux arrêts, le soldat inculpé avait suivi les déplacements du régiment qui s’était retrouvé dans les Flandres. Son nom figure dans la liste située au-dessus du monument, et, délibérément à l’encontre de l’ordre alphabétique, il est placé au centre, à l’aplomb de l’ensemble architectural, de la voûte de soutien et du pignon décoratif supérieur. L’intention du maître d’œuvre – le maire Joseph Bouas- fut bien de mettre ce nom à l’honneur.
Frédéric Julien Dédébat est le nom de ce fusillé pour « abandon de poste en présence de l’ennemi » qui est comme chacun sait une formule élastique, car la notion de « présence de l’ennemi » est sujette à débats. A quelle distance du front où était l’accusé faut-il considérer cette présence comme étant un facteur aggravant ? Bref, on est en plein arbitraire avec une telle notion. Quant à prendre en considération le shell shock ou obusite généré par les obus tombant tout autour de soi qui vous fait perdre votre capacité de réflexion et vous plonge dans la folie, ce n’était pas une pratique courante et le corps médical n’y était pas du tout préparé, sans même parler de ceux de ses membres qui ont fait du zèle, traquant le « simulateur » dans le blessé à la blessure considérée a priori comme suspecte. Ce furent les cas bien connus des poilus accusés d’automutilation et passés par les armes sous ce chef d’inculpation. Rien de plus arbitraire. On a le cas dans la Loire de Francisque Pitiot, fusillé pour l’exemple à Vanémont dans les Vosges sous l’inculpation d’automutilation. Or après son exécution, il fut démontré qu’un soldat allemand, embusqué dans un arbre, avait atteint le soldat Pitiot, qui, sans armes, muni d’un seau, était allé puiser de l’eau dans un ruisseau à quelque distance de la tranchée. Le soldat allemand a visé la main qui tenait le seau et l’a atteinte. Le soldat Pitiot est revenu à la tranchée, la main ensanglantée. Diagnostic du médecin : automutilation. Le jour même, conseil de guerre, et le lendemain matin, exécution.
Bref l’arbitraire le plus total régnait et ce sont de pauvres gars malchanceux, traqués par une hiérarchie en quête de responsables pour ses revers militaires, qui, bien souvent, en ont fait les frais. Il ne fut pas rare non plus que le poilu ayant été responsable syndical ou instituteur laïque, ait été choisi par un général fusilleur pour être exécuté pour l’exemple. La « rage du militarisme » dont parle une délibération du conseil municipal d’Ambierle (Loire), s’est donné libre cours à cette époque où le fracas des obus et le tac-tac-tac fulgurant des mitrailleuses, balayant le no mans land et fauchant les corps entre les deux fronts, ont occulté les pires exactions de la hiérarchie.
Une interrogation à poursuivre sur les monuments aux morts
Le cas de celui de Saint-Lys incite à poursuivre la réflexion sur le rapport statuaire/inscriptions. Il est donc arrivé, le monument de Saint-Lys en atteste, que la statuaire soit « accusatrice », sinon de façon explicite (ce n’était guère possible, et les exceptions sont recensées dans le livre que Danielle et Pierre Roy ont co-écrit) en tout cas de façon implicite. Le sculpteur du monument de Saint-Lys est le même que celui de la Victoire du « Monument aux combattants » (la formule n’est pas courante) de Toulouse. Or cette victoire est représentée sous les traits d’une femme-symbole, les ailes au repos, mal assise, dénudée, au corps vieilli, et comme résignée, coiffée d’un casque de soldat insolite, presque dérisoire. Il y a eu polémique autour de cette statue, placée sous l’arche de l’arc de triomphe monumental. IL fallut toute l’autorité de Vincent Auriol pour l’imposer.
A Saint-Lys il n’y eut pas de réactions de ce type mais la symbolique est bien du même ordre, Patrick Lasseube4 en fait la démonstration. Donc la symbolique est importante. Symbolique la lampe de mineur qui surmonte le monument aux morts pacifiste de Decazeville, et sans doute symbolique non seulement du travail des mineurs qui ont pendant deux siècles constitué l’activité principale de la ville, mais symbolique aussi d’une montée vers la lumière, celle du jour et celle d’un avenir libérateur. On trouverait le même mouvement ascensionnel dans le monument aux morts de l’hôtel de ville à Aubervilliers etc.
Il y a donc lieu de dégager cette symbolique. Parfois, comme dans les deux exemples cités, elle est assez explicite. Mais il peut arriver, et l’exemple de Saint-Lys en est la démonstration, que l’apparence, y compris une apparence très conventionnelle, puisse masquer une leçon cachée. Il y a là à mes yeux une piste importante pour approfondir l’étude de tels monuments. Evidemment l’interprétation est liée dans certains cas, à une connaissance approfondie et exigeante du sujet. Chercheuses et chercheurs sont invités à se mettre en position départ …
Dans notre travail en cours au titre de la Fédération Nationale Laïque des Associations des Amis des Monuments pacifistes, républicains et anticléricaux, Danielle Roy et moi-même, nous essaierons de tenir compte de cet élément d’appréciation des significations possible de l’œuvre, et ce, de façon aussi rigoureuse qu’il nous sera possible.
Pierre Roy
Président de la Fédération Nationale Laïque des Associations des Amis des Monuments pacifistes, républicains et anticléricaux, (en abrégé, « FNL-M », Libre Pensée, 10-12 rue des Fossés Saint-Jacques, 75 005, Pari) qui souhaite la bienvenue à l’association en voie de constitution en Haute-Garonne.
1. Patrick Lasseube : Soldat Frédéric Julien Dédébat – Fusillé PAR la France le 24 décembre 1914 – Editions Cairn – 15 €- 142 pages
2. La formule avec l’ajout de « victorieuse » devait permettre dans l’esprit de l’initiateur du monument, maire à l’époque, Joseph Bouas, compagnon passant charpentier, - à la riche personnalité étudiée par Patrick Lasseube - que la veuve de Dédébat touche la pension des veuves de guerre. En l’espèce, malheureusement, d’après ce que j’ai compris, il n’en fut rien. Joseph Bouas, militant socialiste pacifiste, admirateur de Jaurès, connaissait bien Dédébat, ainsi que les circonstances de sa mort. D’où cette « stratégie » élaborée discrètement par le maire pour, d’une certaine manière, réhabiliter le fusillé, ce qu’analyse très bien Patrick Lasseube.
4. Une délégation de libres penseurs, sur la très aimable invitation de l’auteur, s’est rendue le samedi 26 novembre après-midi à Saint-Lys pour assister à la présentation de son livre par l’auteur et entendre sa passionnante présentation de la démarche de recherche qui a abouti à la rédaction du livre. La délégation comprenait Florence Thiburs-Bénêtre, secrétaire de la Libre Pensée de la Haute-Garonne, Nicole Aurigny, vice-présidente de la FNLP et Pierre Roy, vice- président d’honneur de la FNLP.