les causes de la guerre

- Avant tout, question d'atavisme.

Quand les Germains, nomades et prolifiques, vivant sous la tente au milieu de leurs troupeaux, se sentaient trop nombreux ou trop privés, ils se jetaient sur leurs voisins plus civilisés et sédentaires, pour les piller et pour s'étendre à leurs dépens. La guerre était leur principale industrie.

Il n'y a rien de changé sous le soleil.

Mais s'il est vrai qu'à l'origine de toutes les invasions des Barbares se trouve le problème de l'existence matérielle, il est inconcevable qu'après des siècles de civilisation, ce puisse être encore la raison que certains Allemands sincères donnent, cyniquement, de leur agression. Ceux-là sont peu nombreux d'ailleurs, car la masse croit ou semble croire fermement à une Allemagne pacifique, réduite à se défendre parce que entourée d'ennemis acharnés à sa perte.

Nul ne méconnaît, en vérité, les difficultés sociales causées par l'accroissement extraordinaire d'une population passée de 41 millions en 1871 à plus de 65 en 1913.

Mais le courant d'émigration qui en était résulté offrait tout à la fois une première solution et un puissant moyen d'extension de l'influence allemande à l'extérieur. On peut même penser que ce genre d'infiltration aurait, à la longue, permis à l'Allemagne de dominer la plupart des marchés du monde.

Cette conquête économique et sûre devait cependant paraître trop lente et ne pas satisfaire les ambitions allemandes, car le Gouvernement ne voulut voir dans ses émigrants que des soldats perdus pour la guerre et il s'efforça de les retenir en Allemagne, en donnant un essor considérable à l'industrie nationale.

Le développement inouï de cette industrie, en améliorant les conditions de la vie, fit, en effet, tomber le nombre annuel des émigrants de 171.000 en 1885 à 22.900 en 1898.

Malheureusement, pour vivre et prospérer, cette industrie pléthorique, avait besoin d'accroître indéfiniment ses débouchés. Or, bientôt, après des victoires commerciales indéniables. L'Allemagne avait vu les peuples voisins se défendre, les marchés se fermer plus ou moins et son propre développement commercial menacé d'un désastre, cependant que sa population continuait à croître et que le malaise social s'accentuait.

La solution eût été peut-être dans l'adoption du libre-échange, mais il aurait fallu sacrifier l'agriculture allemande, qui ne pouvait vivre sans protection, et les hobereaux, grands propriétaires fonciers, ne voulaient à aucun prix de ce régime nouveau.

Cette agriculture subissait d'ailleurs elle même une crise grave. Si le développement industriel avait réussi a enrayer le mouvement d'immigration à l'étranger, il avait, en revanche, crée celui des campagnes vers les centres ouvriers; et ce mouvement avait pris des proportions telles qu'en 1913, la population des villes représentait 50 millions d'habitants et celle des campagnes 17 millions seulement. Les ouvriers agricoles font défaut partout, et, depuis longtemps déjà, l'Allemagne est obligée de faire appel à la main-d'oeuvre étrangère, polonaise-autrichienne, puis ruthène et russe.

En dernier lieu, les travailleurs slaves sont au nombre de plus de 760.000.

Or, la Russie est devenue exigeante; elle ne veut plus des conditions du traité de commerce qu'elle a dû accepter en 1904, et que la presse qualifie de chantage et de duperie. Bref, elle menace de refuser ses ouvriers agricoles.

C'est bien la faillite de la politique mondiale de l'Allemagne qui s'esquisse et, après quelques essais d'intimidation exécutés avec un tact tout germanique, c'est à la guerre que les Barbares modernes auront recours pour rétablir leurs affaires, c'est-à-dire pour s'étendre aux dépens des voisins, les piller et les réduire en esclavage économique.

Cette politique mondiale, à laquelle nous faisons allusion, se manifeste dès que l'Allemagne a consacré son unité en 1871 et solidement assuré sa situation en Europe. Mais c'est Guillaume II qui lui donne l'impulsion agressive fatalement destinée à précipiter le mouvement, en s'aliénant l'Angleterre et le Japon par ses initiatives et ses extravagances, dont on peut rappeler les suivantes: création de la flotte de guerre, expansion coloniale, acquisition de points d'appui en Orient, voyage en Palestine suivi du projet de chemin de chemin de fer de Bagdad, intervention à Tanger au sujet de la question marocaine, conférence d'Algésiras et accord ( ? ) de 1909, à ce sujet. Enfin, convention relative au Congo.

Cet empereur, dont le gouvernement ne fut qu'une série de coups de barre alternatifs et parfois incohérents pour se maintenir en équilibre entre le courant du suffrage universel, penchant vers le socialisme, et celui du parti agrarien, égoïste et aveugle dans son absolutisme, cet empereur orgueilleux et mégalomane, disons-nous, a certainement sa part de responsabilité dans le déchaînement de la tourmente qui a secoué le monde entier; mais celle de la nation allemande et de ses classes dirigeantes n'est pas moindre.

Instruit par la crise économique et par le mécontentement qui en résultait, le peuple (les masses ouvrières surtout) aurait pu, sinon faire abolir le protectionnisme, puisque le Parlement était partagé en deux camps à peu près égaux, du moins ne pas suivre servilement ses gouvernants et s'efforcer d'enrayer la marche à l'abîme.

Quant aux hobereaux, maîtres du parti militaire, ce sont les plus coupables. Sans souci du redoutable inconnu dans lequel ils allaient engager leur pays par la guerre, et se croyant sûrs d'arriver à l'asservissement de la France, ils sont allés jusqu'à l'intimidation, jusqu'à la menace voilée, pour faire marcher leur souverain par deux fois défaillant: ils n'ont pas hésité à agiter à ses yeux le spectre d'un kronprinz frondeur et tout prêt à prendre sa place pour l'ultime décision.

Pour le kaiser, c'était la guerre ou la déchéance; son choix ne pouvait être douteux et on est en droit d'affirmer sans crainte que la question d'humanité n'a pesé aucun poids dans la balance. Mais s'il fut simplement alors l'hésitant et fatal serviteur d'une politique de forbans et d'un peuple abusé, il porte la lourde responsabilité d'avoir rendu, dès 1911, la guerre inévitable par l'intensité donnée a sa préparation et par la surexcitation méthodique de l'esprit national.

LE PRETEXTE

En 1913 et en 1914, les préparatifs de l'Allemagne et sa politique agressive avaient fini, par créer un malaise tel que les esprits les plus pondérés prévoyaient l'orage à bref délai dans cette atmosphère chargée d'électricité.

Il apparaissait que le gouvernement allemand était disposé à saisir le moindre prétexte pour amener le dénouement prévu et souhaité, sinon à le provoquer.

Ce prétexte est fourni par L'Autriche. Le 28 juin 1914, l'archiduc héritier et sa femme sont assassinés à Sarajevo. Enquête du gouvernement de Vienne qui accuse le gouvernement serbe d'avoir favorisé les sociétés secrètes poussant à la haine de l'Autrichien, d'avoir laissé le complot se tramer en territoire national et les conjurés passer sur le sol autrichien. Il le rend, en résumé, responsable de l'assassinat et prétend lui imposer, à cette occasion, des conditions draconiennes équivalant à l'asservissement de la Serbie.

L'ultimatum est du 23 juillet et la Serbie a 48 heures pour répondre.

II est à remarquer que plus d'un mois s'est écoulé depuis l'assassinat. Ce laps de temps a été largement utilisé pour les échanges de vues entre les deux alliés, et pour la préparation du guet-apens. Le moment est propice d'ailleurs : MM. Poincaré et Viviani sont en visite à Pétersbourg. La capitale russe est troublée par les greves et l'Angleterre se débat dans la question du Home rule.

Dès le 21 juillet, les préliminaires du drame sont montés sans doute, car c'est le jour où la presse allemande accentue sa campagne d'excitation et de bluff.

" L' état d'angoisse qui pèse sur l'Europe est un produit du mariage franco-russe. Depuis Toulon et Cronstadt, il trouble la paix de l'Europe et qui sait ce que va faire aujourd'hui cet enfant terrible âgé actuellement de dix-sept ans ? "

C'est ainsi que s'exerce la verve spirituelle de la Tägliche Rundschau.

Cependant, malgré l'énormité des prétentions autrichiennes, la Serbie accepte les conditions imposées et fait parvenir sa réponse, dans le délai fixé. Elle ajoute même que, si le gouvernement austro-hongrois trouve les explications insuffisantes, elle s'en remet au tribunal de la Haye et aux différentes puissances qui ont signé la déclaration de 1909, relative à la Bosnie-Herzégovine. Vaine soumission en vérité, l'occasion est trop belle pour la laisser échapper; lisez plutôt cette déclaration faite le jour même, 25 juillet, par une haute personnalité financière allemande: " Il serait bien regrettable que les Serbes se soumissent, il faut en finir une bonne fois, et nous souhaitons une action décisive, quelles qu'en soient les conséquences. "

En effet, malgré la soumission de la Serbie, l'Autriche estime sa réponse insuffisante et lui déclare la guerre le 28 juillet.

La Russie et la France s'étaient vainement employées pour obtenir qu'un délai fût accordé à la Serbie. L'intransigeance brutale du gouvernement austro-hongrois rendait, de toute évidence, inévitable l'intervention de la Russie. Telle est l"impression qui ressort, dès le 24 juillet, des déclarations des journaux officieux de notre alliée: "L'ultimatum austro-hongrois " prouve que l'Autriche veut la guerre avec la Russie, ou qu'elle ne considère plus la Russie comme une grande puissance. " La Russie en aucune façon, ne pourra tolérer l' attentat contre la Serbie et son indépendance.

Le gouvernement de Pétersbourg considère, en effet, que, la situation de la Serbie ayant été réglée par entente entre les puissances et l'Autriche étant d'accord avec l'Allemagne, le conflit austro-serbe intéresse l'Europe entière.

Alliée à la France, elle demande à l'Angleterre son concours, et cinq jours après (29 juillet), par mesure de précaution, elle ordonne une mobilisation partielle de l'armée dans le sud et le sud-ouest, mobilisation ne visant, par conséquent, que la frontière autrichienne.

Mais tous les efforts pour le maintien de la paix ont successivement échoué. C'est en vain que l'Angleterre a proposé le 27 juillet, de régler le conflit austro-serbe dans une conférence à Londres et que l'Italie a vivement insisté pour l'acceptation, de la part de l'Allemagne, de la médiation amicales des quatre grandes puissances : la Grande-Bretagne, l'Italie, l'Allemagne et la France.

L'Allemagne avait approuvé l'ultimatum à la Serbie et décidé de soutenir l'Autriche. Le 29 juillet, elle avait questionné la Russie sur le but de sa mobilisation et l'avait invitée à la faire cesser, déclarant que, dans le cas contraire, sa propre mobilisation s'effectuerait.

Ce même jour, elle avait cherché à s'assurer la neutralité de l'Angleterre en cas de guerre avec la France: la bonne âme avait déclaré qu'elle n'enlèverait à cette dernière puissance que ses colonies et qu'elle respecterait la neutralité de la Hollande, sans d'ailleurs pouvoir prendre aucun engagement quant à celle de la Belgique.

L'Angleterre avait répondu, de façon générale, qu'elle n'avait pris aucun parti, mais qu'elle ne resterait pas nécessairement neutre. Elle avait ajouté, le lendemain, qu'elle considérerait comme un déshonneur de marchander une neutralité achetée aux dépends de la France et de la Belgique.

En même temps, l'Allemagne avait demandé à la France ce qu'elle ferait en présence de la mobilisation russe. Elle avait insisté, le 1er août, dans des termes tels que le rappel de notre ambassadeur allait s'imposer à bref délai. C'était le jour où elle déclarait la guerre à la Russie.

Dès l'avant veille, d'ailleurs, 29 juillet, elle avait proclamé le Kriegsgefahr (état de danger de guerre) dans tout l'empire et pris ostensiblement des mesures d'une mobilisation commencée en réalité depuis plusieurs jours.

Devant cette attitude, la France avait mobilisé, le 30 juillet, ses troupes de couverture, sans appel de réservistes et mis en place ces détachements par voie de terre, avec l'instruction de se tenir à 10 kilomètres de la frontière, pour souligner, une dernière fois, son désir de paix et laisser à l'Allemagne toute la responsabilité de l'agression.

Mais l'ultimatum reçu le 1er août ne permet plus de douter des intentions belliqueuses du gouvernement de Berlin et les événements vont se précipiter. Dans la journée même, la France ordonne la mobilisation générale pour le 2, à 0 heure.

La Belgique, de son côté, déclare qu'elle maintiendra sa neutralité de tout son pouvoir et l'Italie qu'elle restera neutre.

Le 2 août, l'Angleterre, fait connaître, à son tour, qu'elle interviendra dans la guerre navale. si la flotte allemande pénètre dans le Pas-de-Calais ou la mer du Nord et, dans la guerre continentale, si la neutralité de la Belgique est violée.

le 3 août, l'Allemagne déclare la guerre à la France, sous des prétextes faux et ridicules: des aviateurs français auraient survolé Bruxelles, d'autres le territoire allemand (région de l'Eifel et de Wesel) et auraient jeté des bombes sur le chemin de fer de Carlsruhe et de Nuremberg.

Le 4, le gouvernement de Berlin propose à la Belgique une neutralité amicale pour le libre passage de ses troupes ; mais il la prévient qu'en en cas de refus, elle serait traitée en ennemie.

La réponse de la vaillante nation ne se fait pas attendre, et ce sera un éternel titre de gloire pour le roi Albert d'avoir résisté au colosse, sachant d'avance quelles seraient les terribles conséquences de sa décision pour son pays. Ce souverain peut hautement revendiquer l'honneur d'avoir, par le retard que la résistance de son armée a infligé à l'invasion allemande, sauvé Paris, et peut-être la France, d'un désastre irrémédiable, en permettant le rétablissement de la Marne. Le jour même, les troupes allemandes pénètrent en territoire belge et l'un de leurs détachements, atteint Liége et somme la place de se rendre. Il est d'ailleurs repoussé.

C'est ce même jour (4 août) que se place l'entrevue de l'ambassadeur d'Angleterre à Berlin et du chancelier de l'Empire, au cours de laquelle ce dernier traite cyniquement de chiffon de papier le traité par lequel les grandes puissances se sont engagées à garantir la neutralité belge. Le lendemain, l'ambassadeur anglais demandait ses passeports et quittait Berlin le 6.

Mais l'Allemagne avait agi. Dès le 2 août, sans déclaration par conséquent, elle avait commencé les hostilités contre la France : des patrouilles allemandes avaient pénétré sur notre territoire au nord de Nancy, à Cirey-sur-Vezouse, aux cols des Vosges et dans la Suarcine (près de la frontière suisse). Enfin, des colonnes allemandes étaient entrées dans le Grand Duché de Luxembourg et en avaient occupé la capitale. Quant à la Russie, avec laquelle l'Autriche semblait devoir être aux prises tout d'abord, après le bombardement et la prise de Belgrade survenue le 30 juillet, ce n'est que le 6 août qu'elle reçoit la déclaration par laquelle le gouvernement de Vienne se considère en état de guerre avec elle.

LES EFFECTIFS ET LES FORCES EN PRESENCE

Le tableau ci-après donne une idée des effectifs mobilisés engagés de part et d'autre et de la valeur respective des forces en présence sur le front occidental :

FRANCE

21 corps d'armée actifs

22 divisions de réserve

4 brigades de territoriale

10 divisions de cavalerie, auxquelles viennent s'ajouter dans le courant août :

2 divisions d'Algérie

1 division du Maroc

1 division alpine et 5 groupes alpins

soit, au total, la valeur de 34 corps d'armée et de 10 divisions de cavalerie.

GRANDE-BRETAGNE

2 corps d'armée

BELGIQUE

6 divisions d'infanterie

L'ensemble des forces alliées représente ainsi: 39 corps d'armée, 12 divisions de cavalerie.

ALLEMAGNE

21 corps d'armée actifs

13 corps d'armée de réserve

17 brigades mixtes de landwehr équivalant à 4 corps d'armée

33 brigades de landwehr équivalant à 8 corps d'armée

10 divisions de cavalerie

A partir du 5 octobre, il faut ajouter à cette énumération :

5 corps d 'armée 1/2 formés de volontaires, de landwehriens et de contingents des dépôts

1 division de fusiliers marins

soit au total: 52 corps d'armée et 10 divisions de cavalerie.

Du 2 au 13 août, l'armée française, sous le commandement du Général Joffre, s'établit entre la frontière suisse et Mézières. De la droite à la gauche, les armées sont disposées ainsi qu'il suit :

1re armée (Général Dubail). Entre la frontière suisse et Lunéville (exclu), centre de gravité à Epinal. Elle se compose des 7e, 8e, 13e, 14e et 21e corps d'armée et de deux divisions de cavalerie. Effectif approximatif : 280.000 hommes.

2e armée (Général de Castelnau). Entre Lunéville et Pont-à-Mousson, centre de gravité à Nancy. L'armée comprend les 9e, 15e, 16e, 18e et 20e corps, trois divisions de réserve, une division de cavalerie. Deux des corps de sa gauche doivent être laissés à la disposition du général en chef et, de fait, elle perdra, dès le début des opérations, les 9e et 18e corps, qui seront envoyés à l'armée Lanrezac. L'effectif de la 2e armée sera approximativement de 180.000 hommes.

3e armée (Général Ruffey). Entre Commercy et Etain, centre de gravité à Verdun. Elle est composée de trois corps, les 4e, 5e et 6e, de trois divisions de réserve et d'une division de cavalerie. Effectif approximatif : 200.000 hommes.

Il est à remarquer qu'un vide existe entre les 2e et 3e armées : la Woëvre n'est que surveillée; la zone inoccupée, située au sud-ouest de Metz, paraît suffisamment défendue par le camp retranché de Toul et par les forts d'arrêt de Gironville, Liouville et du Camp des Romains et par la présence d'une réserve générale concentrée, comme nous allons le voir dans la région de Commercy.

5e armée (Général Lanrezac). Entre Verdun et Mézières, derrière la Meuse. Elle se compose initialement des 1er, 2e, 3e. 10e et 11e corps, de deux divisions de réserve et d'une division de cavalerie. De plus, le corps de cavalerie à trois divisions du général Sordet est aux ordres du général Lanrezac. L'effectif de ces forces se monte à 240.000 hommes.

Derrière les armées de première ligne et en réserve générale se trouve la 4e armée (Général de Langle de Cary), concentrée dans la région Commercy, Bar-le-Duc. Elle comprend les 12e et 17e corps et le corps colonial, plus une division de cavalerie; son effectif est à peu près de 160.000 hommes.

A l'extrême gauche du front et sans liaison avec les armées se trouve, dans la région Hirson, Vervins, le groupe des trois divisions du général Valabrègue, surveillant la trouée de l'Oise.

Là s'arrête la zone aux ordres directs du général en chef; toute la région du Nord forme la 1re région, aux ordres du général Percin, et relève directement du Ministre de la Guerre.

L'ensemble des armées françaises, y compris les garnisons des places, ne dépasse guère 1.100.000 hommes.

Dans ce dispositif, l'armée anglaise viendra s'établir à la gauche du général Lanrezac, sur la Sambre, dans la région à l'ouest d'Avesnes. Son effectif sera au début de 70.000 hommes.

Enfin, les six divisions belges seront, au début des hostilités, à Liége, Namur, Perwez, Wavre, Tirlemont et Louvain. Les deux premières sont à l'effectif de 18500 hommes chacune, les autres n'en comptent que 14.500, soit un total de 95.000 hommes de troupes de campagne.

L'ensemble des forces alliées qui vont être opposées aux envahisseurs se monte ainsi à 1.265.000 combattants, effectif notablement inférieur, nous le verrons aux masses germaniques.

La concentration des forces ennemies se fait entre la Suisse et la région incluse d'Aix-la-Chapelle.

Les Allemands y ont amené huit armées ou détachement d'armée qui sont ainsi placés de la gauche à la droite :

Détachement d'armée, (Général von Deimling). En haute Alsace, régions de Mulhouse et de Colmar, comprenant le 14e corps de réserve et de nombreuses formations de landwehr et de landsturm. Son effectif est de 40.000 hommes.

VIIe armée. (Général Von Heeringen). En basse Alsace, entre Schlestadt et Sarrebourg. Elle se compose des 14e et 15e corps actifs, du 15e corps de réserve et de formations de landwehr et compte 120.000 hommes.

VIe armée (Kronprinz de Bavière. En Lorraine, entre Sarrebourg et Remilly. Elle est forte de cinq corps d'armée : 1er, 2e et 3e corps bavarois actifs, 1er corps bavarois de réserve et 21e corps actif. Son effectif atteint 200.000 hommes.

La région de la basse Sarre, protégée en avant par Metz et Thionville, est inoccupée; mais, entre Trèves et Aix-la-Chapelle, se pressent les cinq armées suivantes:

Ve armée (Kronprinz d'Allemagne). Dans la région de Trèves, forte de six corps : les 5e, 13e et 16e corps actifs, les 5e, 6e et 33e corps de réserve. Elle compte 200.000 hommes.

IVe armée (Duc de Wurtemherg). Dans la région de Bitburg, Pronsfeld, sur la frontière du Luxembourg. Elle se compose de cinq corps: les 6e, 8e et 18e corps actifs, les 8e et 18e corps de réserve et compte 200.000 hommes.

IIIe armée (Général von Hausen). Dans la région de Saint-With, comprenant quatre corps: les 11e, 12e et 19e corps actifs et le 12e corps de réserve, avec un effectif de 120.000 hommes.

IIe armée (Général von Bulow). Dans la région de Malmedy, Montjoie et au camp d'Elsenborn. Elle compte six corps d'armée: les corps de la garde et celui de réserve de la garde, les 7e et 10e corps actifs et les 7e et 10e corps de réserve. Son effectif est de 260.000 hommes.

Enfin Ire armée (Général von Kluck). Dans la région d'Aix-la-Chapelle, Duren, comprenant sept corps d'armée, les 2e, 3e, 4e et 9e corps actifs, les 3e, 4e et 9e corps de réserve. Elle est forte, comme la IIe armée, de 260.000 hommes.

Le total de ces armées de première ligne est de plus de 1.600.000 hommes avec les garnisons des camps retranchés de Strasbourg et de Metz; ce chiffre représente pour les Allemands une supériorité numérique initiale de près de 400.000 hommes.

Mais ce qui rend nos ennemis particulièrement redoutables, c'est leur énorme supériorité en matériel et en artillerie lourde, comme nombre de canons et d'obusiers, comme calibre et comme portée.

LES PLANS D'OPERATIONS

Le plan français était imbu de la doctrine qui avait inspiré nos règlements militaires et notamment celui de 1913 sur la conduite des grosses unités. Il était, par conséquent, audacieusement offensif et basé sur les idées ci-après qu'on se faisait de la conception allemande.

Notre état-major n'ignorait pas la création des corps d'armée de réserve allemands, mais il prêtait à l'ennemi le dessein d'une offensive brusquée à intention foudroyante, et il ne pensait pas qu'il pût, dans ces conditions, faire entrer assez rapidement en ligne la plupart de ses corps de réserve pour obtenir leur intervention dans les opérations du début.

Il n'écartait pas non plus l'éventualité d'un mouvement par la Belgique, mais il estimait que les Allemands ne disposeraient pas de forces suffisantes pour s'étendre au nord de la Meuse et de la Sambre. Si cependant, pensait-il, l'événement se produisait, il aurait comme conséquence un affaiblissement sur le centre qui serait tout à l'avantage du plan français.

L'état-major n'avait donc envisagé comme éventuel qu'un mouvement pouvant menacer notre aile gauche par la traversée de la Belgique au sud de la Sambre et de la Meuse. Il y avait paré par une variante au plan.

D'une façon générale, ce plan prévoyait de notre part deux attaques se développant: l'une à droite, entre les Vosges et la Moselle, l'autre à gauche, au nord de la zone Toul-Verdun.

L'offensive des armées de l'est (Ier et IIe) devait précéder celle de gauche, couvrir la droite du dispositif et attirer ou retenir par sa vigueur le plus grand nombre possible de corps allemands.

L'attaque de gauche, menée par les Ve et IIIe armées soutenues éventuellement par la IVe, viserait la rupture du centre allemand dans la région des Luxembourgs.

A l'extrême gauche, le groupe des divisions du général Valabrègue avait mission de surveiller la trouée Sambre-Oise.

On remarquera que, dans le dispositif de début, le centre de gravité se trouve dans la région Etain, Verdun, Commercy, Bar-le-Duc, où l'échelonnement en profondeur de deux armées de quatre et de trois corps doit donner la puissance nécessaire pour une action offensive sur le centre allemand.

Mais une variante prévoit l'éventualité d'un mouvement de l'ennemi par la Belgique. Dans ce cas, l'extension du front se ferait comme il suit : la Ve armée se porterait vers le nord, sur le front Sedan, Mézières, Hirson, Fourmies.

La IIIe armée se resserrerait un peu, en gagnant la zone Longuyon, Etain, et la IVe armée viendrait s'intercaler entre ces deux armées dans la région de Stenay et de la Chiers inférieure.

C'est, en réalité, ce qui se produisit au cours même de la période de concentration, dès qu'on eut la certitude de la violation de la neutralité de la Belgique par les Allemands.

Le dispositif opposé offrait une aile gauche, développée de la Suisse à Remilly (au sud-est de Metz) et immédiatement au contact des armées françaises. Son rôle était, au début, essentiellement défensif.

Cette aile gauche, qui appuyait son extrémité droite au camp retranché de Metz, était séparée du reste des armées par toute la région de la Sarre, dont le vide était couvert par les défenses de Metz et de Thionville.

Entre Trèves et Aix-la-Chapelle, sur cette zone que semblaient borner vers ses extrémités 1es grands camps de Wasserlich et d'Elsenborn, se trouvait concentrée l'énorme masse de manoeuvre allemande (plus d'un million d'hommes) sur 145 kilomètres.

Les cinq armées qui s'y pressaient formaient le centre et l'aile droite du dispositif à mission nettement offensive.

Le centre (Ve et IVe armées devait aborder la frontière française entre Briey et Givet, tandis que l'aile marchante (IIe et Ire armées) exécuterait à marches forcées un vaste mouvement enveloppant par le nord de la Belgique; après avoir passé la Meuse entre la frontière hollandaise et Namur.

A la IIIe armée était dévolu le rôle de liaison entre le centre et l'aile marchante, dont elle appuiera en réalité le mouvement en franchissant la Meuse à Dinant.

Il est à remarquer que l'extrême droite de cette aile se trouvera quelque peu gênée dans sa mise en mouvement par la nécessité de respecter la neutralité de la Hollande. (On ne peut réellement tout violer, ce serait s'attirer trop d'ennuis.) Au lieu de piquer droit, de Juliers et d'Aix-la-Chapelle sur Maestricht, elle sera obligée de contourner ce bout de territoire hollandais par le sud, pour franchir la Meuse à Visé et marcher sur Bruxelles.

Nous retrouvons dans la conception de ce plan d'opérations l'application des principes essentiels de la doctrine stratégique de nos adversaires, qui se prétendent disciples de Napoléon. Ces principes peuvent se résumer ainsi : fixer l'ennemi en attaquant brusquement de front et chercher l'enveloppement de l'une des ailes, sinon des deux.

Fort de Fléron, de Barchon Fort d'Evégnée