Correction examen régional de Marrakech 2013

ISMÈNE

Écoute, j'ai bien réfléchi toute la nuit. Je suis l'aînée. Je réfléchis plus que toi. Toi, c'est ce qui te passe par la tête tout de suite, et tant pis si c'est une bêtise. Moi, je suis plus pondérée. Je réfléchis.

ANTIGONE

Il y a des fois où il ne faut pas trop réfléchir.

ISMÈNE

Si, Antigone. D'abord c'est horrible, bien sûr, et j'ai pitié moi aussi de mon frère, mais je comprends un peu notre oncle.

ANTIGONE

Moi je ne veux pas comprendre un peu.

ISMÈNE

Il est le roi, il faut qu'il donne l'exemple.

ANTIGONE

Moi, je ne suis pas le roi. Il ne faut pas que je donne l'exemple, moi... Ce qui lui passe par la tête, la petite Antigone, la sale bête, l'entêtée, la mauvaise, et puis on la met dans un coin ou dans un trou. Et c'est bien fait pour elle. Elle n'avait qu'à ne pas désobéir.

ISMÈNE

Allez ! Allez ! ... Tes sourcils joints, ton regard droit devant toi et te voilà lancée sans écouter personne. Écoute-moi. J'ai raison plus souvent que toi.

ANTIGONE

Je ne veux pas avoir raison.

ISMÈNE

Essaie de comprendre au moins !

ANTIGONE

Comprendre... Vous n'avez que ce mot-là dans la bouche, tous, depuis que je suis toute petite. Il fallait comprendre qu'on ne peut pas toucher à l'eau, à la belle et fuyante eau froide parce que cela mouille les dalles, à la terre parce que cela tache les robes. Il fallait comprendre qu'on ne doit pas manger tout à la fois, donner tout ce qu'on a dans ses poches au mendiant qu'on rencontre, courir, courir dans le vent jusqu'à ce qu'on tombe par terre et boire quand on a chaud et se baigner quand il est trop tôt ou trop tard, mais pas juste quand on en a envie ! Comprendre. Toujours comprendre. Moi, je ne veux pas comprendre. Je comprendrai quand je serai vieille. (Elle achève doucement.) Si je deviens vieille. Pas maintenant.

ISMÈNE

Il est plus fort que nous, Antigone. Il est le roi. Et ils pensent tous comme lui dans la ville. Ils sont des milliers et des milliers autour de nous, grouillant dans toutes les rues de Thèbes.

ANTIGONE

Je ne t'écoute pas.

ISMÈNE

Ils nous hueront. Ils nous prendront avec leurs mille bras, leurs mille visages et leur unique regard. Ils nous cracheront à la figure. Et il faudra avancer dans leur haine sur la charrette avec leur odeur et leurs rires jusqu'au supplice. Et là, il y aura les gardes avec leurs têtes d'imbéciles, congestionnés sur leurs cols raides, leurs grosses mains lavées, leur regard de bœuf -qu'on sent qu'on pourra toujours crier, essayer de leur faire comprendre, qu'ils vont comme des nègres et qu'ils feront tout ce qu'on leur a dit scrupuleusement, sans savoir si c'est bien ou mal... Et souffrir ? Il faudra souffrir, sentir que la douleur monte, qu'elle est arrivée au point où l'on ne peut plus la supporter ; qu'il faudrait qu'elle s'arrête, mais qu'elle continue pourtant et monte encore, comme une voix aiguë... Oh ! je ne peux pas, je ne peux pas...

ANTIGONE

Comme tu as bien tout pensé !

I. COMPRÉHENSION : (10 points)

1) En vous référant à l’œuvre dont le texte est extrait, recopiez et complétez le tableau suivant : (1 pt)

Prénom et nom de l’auteur : Jean Anouilh

Genre de l’œuvre : Tragédie moderne

Siècle : 20ème siècle

Une autre œuvre du même auteur : La Sauvage

2) Situez le passage par rapport à l’œuvre dont il est extrait. (1 pt)

C’est la rencontre d'Ismène avec Antigone qui vient juste après la première tentative d’Antigone d’enterrer son frère Polynice.

3) a- Quel est le personnage qu'Ismène et Antigone évoquent sans le nommer ?

C’est Créon.

b- Relevez dans le texte deux noms renvoyant à ce personnage. (1 pt)

Oncle et roi.

4) a- À quelle forme de phrases appartiennent les éléments soulignés dans le texte ?

Des phrases négatives. / La forme négative.

b- L’emploi de cette forme de phrase illustre l’une des caractéristiques de la personnalité d’Antigone. Quelle est cette caractéristique ? (1 pt)

Antigone est entêtée, têtue, obstinée, révoltée …

5) « Il faudra souffrir, sentir que la douleur monte, qu'elle est arrivée au point où l'on ne peut plus la supporter ; qu'il faudrait qu'elle s'arrête, mais qu'elle continue pourtant et monte encore, comme une voix aiguë... Oh ! je ne peux pas, je ne peux pas... »

a- Quel est le champ lexical dominant dans ce passage ?

Le champ lexical de la souffrance.

b- Relevez deux expressions appartenant à ce champ. (1 pt)

Souffrir, douleur, supporter.

6) « Il fallait comprendre qu'on ne peut pas toucher à l'eau (…) Il fallait comprendre qu'on ne doit pas manger tout à la fois … »

Quelle figure de style est exprimée dans ces deux phrases ? (1 pt)

C’est une anaphore.

7) À travers la dernière réplique, Antigone vise à :

a- Toucher les sentiments d'Ismène ?

b- Se moquer d'Ismène ?

c- Exprimer son accord avec le raisonnement d'Ismène ?

Retenez la bonne réponse puis justifiez-là. (1 pt) (Quelle justification pourrait donner l’élève !!).

b- Se moquer d'Ismène.

Justification : Antigone dit le contraire de ce qu’elle pense d’une manière ironique pour montrer à sa sœur que ses arguments sont nuls.

8) « Je comprends un peu notre oncle. » Transposez cette phrase au discours indirect en commençant par : Ismène ajouta … (1 pt)

Ismène ajouta qu’elle comprenait un peu leur oncle.

9) « Il y a des fois où il ne faut pas trop réfléchir. » Approuvez-vous cette affirmation d’Antigone ? Justifiez votre réponse en une ou deux phrases. (1 pt)

Exemple : Oui, j’approuve cette affirmation d’Antigone car, dans certaines situations, il faut avoir l’esprit d’initiative et prendre rapidement une décision.

10) Lequel des deux personnages préférez-vous, Antigone ou Ismène ? Justifiez votre réponse en une ou deux phrases. (1 pt)

Exemple : Je préfère Ismène car elle est pondérée et diplomate et elle veut vivre sa vie sans se soucier des problèmes qui peuvent surgir.

Exemple : Je préfère Antigone car elle est courageuse et défend ses principes même au prix de sa vie.

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