Extrait du jeu scénique donné à Alep en 1994 :
1.La vieille Dame:
- Depuis deux mille ans, je me lève avant le jour
j'attends le jour où les pierres vont crier
le jour où les hommes seront moins durs que les pierres
moins sourds et moins aveugles que les cailloux
J'attends le jour où les hommes
écraseront moins que les pierres.
Je guette à la fenêtre quand il fait encore nuit
Je guette l'étoile verte
qui donne des ailes aux collines
Je guette à la fenêtre le rire d'un enfant qui fait ses premiers pas.
la première fleur des champs enfilant sa robe neuve avant de se mettre à danser
Je guette à la fenêtre encore éteinte
le premier cri des rues,
que passent les premières ombres du soleil
rendant à chacun son visage.
Je guette à la fenêtre l'instant où les yeux vont s'ouvrir le long des
murs de pierres et où enfin ce sera aujourd’hui..
Il est quelques heures,
Ou sans doute plus,
Dans l’air flotte comme une envie d’évasion.
Immobile, je m’adonne
Au sensible, au songe,
Des nuages dans la tête, des pensées jusqu’à l’addiction.
Ce matin prend la suite,
Comme tous les autres,
D’une nuit qui nourrit d’imaginaire mon esprit,
D’une aurore bleue
Comme l’ambition
D’aller décrocher Dame Lune de son lit.
Ce matin encore, j’attends,
Comme sur le quai,
Ce train qui prend son temps et ne veut apparaître.
Je guette le juste instant,
Le bien-être, l’absolument,
Je guette l’approche de cet intense élan peut-être.
Figé, je ne forme qu’un
Avec ce quai aux bras ouverts
Au passage de ce train d’inspiration qui me fuit,
Les yeux scrutant l’asphalte,
Les pieds aux aguets,
Prêts à sauter dans le prochain wagon noir-de-suie.
Je voudrais écrire,
Peindre et chanter,
Imaginer les émotions qui dansent avec majesté.
Je voudrais créer le vrai,
Le grand, le sublime,
Mais je n’aperçois pas le marchepied pour me lancer.
J’attends sans cesse ce train,
Qu’il vienne dans un souffle,
Qu’il emporte mon esprit bien au-delà de l’horizon.
J’attends de pouvoir m’échapper,
De courir les rêves,
De battre de mes ailes nacrées de liberté et de passion.
Il est quelques heures,
Je trépigne de patience,
Je m’entête d’un parfum matinal de pourquoi pas.
L’obsession me guette,
Je guette une vibration,
Cet après-midi, je serai peut-être installé place Créa.
A 22 ans, Natan est un passionné de la vie. Membre d’une fratrie familiale de quatre enfants, originaire d’Annecy, il quitte la Haute-Savoie pour une école de design à Paris où il vit en « coloc » avec 8 ou 9 étudiants au sein de la « Communauté d’Espérance » rattachée à la Mission de France. Jeune, il développe un goût pour l’écriture et se passionne pour la photo et la musique.
Natan a eu connaissance du Prix pour lequel il avait déjà concouru deux fois grâce à un prêtre responsable du service des jeunes de la Mission de France avec qui les étudiants sont en lien.
«J’ai écrit mon poème pendant le confinement. Ce qui m’a accroché, précise Natan, en lisant le poème « Guetter », c’est la situation vécue par celui qui attend. Le texte de Jean, dit-il, me parle aujourd’hui mais aussi pour demain, sans repli sur le passé En lisant le poème, ajoute-t-il, je me suis imaginé la situation d’un voyageur à la recherche d’un souffle, attendant un train sur un quai de gare avec l’envie intérieure d’aller plus loin. Quand on attend, on guette ! Écrire ce poème m’a donné un souffle pour créer et exprimer mon désir de vivre. Le souffle, c’est le train ! Prendre le train, c’est partir pour créer. Le voyageur que je décris est dans l’attente mais ne dévoile pas d’objectifs. Je laisse l’avenir en suspens. Pour moi aujourd’hui, prendre ce train signifie que j’ai envie de créer quelque chose sans trop savoir pourquoi sinon d’avoir le désir d’avancer en faisant ! J’espère que les personnes qui liront mon poème découvriront des clés qui permettent de ne pas rester enfermer dans une cage, stimuler l’imagination de chacun pour susciter l’envie de créer et d’avancer ».
Natan ne connaissait pas Jean Debruynne mais Il se souvient d’un poème affiché dans l’appartement parisien : « Je te souhaite de ne pas réussir ta vie ». « Je découvre, dit-il, une personne proche du monde qu’il décrit, à l’écoute et à la rencontre de gens très différents. Sa poésie est pour moi accessible aussi à des collégiens et lycéens car c’est souvent une poésie simple, remplie d’images évocatrices. Une poésie libre qui stimule l’imaginaire et la création. Pour moi, ce n’est pas une poésie anachronique ou figée dans une période du passé mais beaucoup plus universelle ».
Pour Natan, le Prix est « un moyen de créer du neuf » pour continuer le voyage. Il pourra contribuer à l’aider à réaliser deux projets qui lui tiennent à cœur : l’achat d’un piano ou compléter son matériel photo. Il va réfléchir, ne pas rester à attendre sur les quais mais prendre aujourd’hui les trains en marche. Plein d’entrain, Natan vient de contracter un CDD avec la Mission de France où il sera responsable communication vidéo et animation au Service des jeunes. Il conclut « Nous verrons bien de quoi demain sera fait ».
Jacques Carton