Le port

Des boulets de canon aux toiles de Daoulas

La richesse économique de Daoulas s'est créée en partie autour de l'activité du port, ou "havre", connu depuis le XIVe siècle:

Le vessel nommé le vessel Notre Dame d'Ossant (Ouessant), maistre Guiomar Daniel, portant onze tonnelx (1 tonneau= 2,83m3) et une pippe de vin (= 402 l.) venant devers la Rochelle arriva au port devant la ville de Doulas environ le premier jour de May 1395 ...

Entre 1425 et 1441, les ducs de Bretagne édictèrent plusieurs actes concernant les impôts perçus par le vicomte de Rohan sur les marchandises sortant et entrant au port de Daoulas (Paris, BnF, fr. 22340, 22332 et 22333). Pierre Forget en fut le receveur en 1462.

Au XVIIe siècle, le trafic s'effectuait surtout autour des denrées suivantes: vin, fer, beurre et graisse, hareng, sel du Croisic et hors de Bretagne, charbon, cuir, etc...

Pourtant, au-delà du commerce habituel, deux produits ont fait la fortune de Daoulas et de sa région pendant plusieurs siècles:

Les pierres à canon

Avant l'arrivée des boulets en fonte, l'artillerie utilisa jusqu'à la fin du XVe siècle des boulets en pierre. En Bretagne, ceux sont les perrières de Kersanton et de Logonna qui semble-t-il furent utilisées pour produire des milliers de "pierres de Doulas", lesquelles étaient expédiées en grande quantité vers le port de la Fosse, à Nantes. Ainsi, entre 1469 et 1477 nous avons dénombré la livraison de 8100 boulets de pierre pour le port nantais.

Par exemple, le 15 mars 1474, de Nantes, ordre fut donné au "miseur de payer à Jehan Demay, marchand, demeurant en Basse Bretagne, 85 livres monnoies, pour le paiement de 1800 pierres de canon de la pierre de Doulas qu'il a livrées à Lambert Lanyon, clerc et commis de Geffroy Galopin, garde de l'artillerie de la ville pour servir à plusieurs canons appartenant à la dite ville".

15 mars 1474, Nantes.
Boulets de pierre

Côté Haute-Bretagne, en 1477, la ville de Rennes conclut un marché avec Michel Demay, un négociant de Brest, parent du Jehan ci-dessus nommé. Le contrat porte sur la livraison de 3700 boulets de pierre, payés 45 livres le mille, amenés en bâteau du Pays de Léon à Redon, puis en chalands jusqu'à la cité de Rennes (Archives municipales de Rennes).

Nous possédons quelques renseignements sur ces de May, marchands et nobles. L'enquête de fouages (= feux)* de Bretagne, effectuée en 1478 par maître René de Coetmeur, mentionne pour Daoulas, "de là le pont en montant à dextre : une petite estable en forme d'appentis appartenant à Jehan de May, noble homme, avecq une petitte franchise et place aujoignant que tient dudit de May Jehan Kerjean. A senestre : deux maisons appartenant aud(it) Jehan de May, noble homme, où demeure et que tient de luy Jehan Kerjean très pauvre, le plus du temps excommunié; et pour sa pouvreté n'a point esté assis es deux derrains (= derniers) fouages".

Déjà en 1448, un Edouard de May est attesté parmi les nobles de Daoulas, ce dernier connu pour avoir fait une donation importante à l'église du Folgoët le 11 juillet 1424.

Un arrêt de la chambre établie pour la réformation de la noblesse de Bretagne (ressort de Morlaix, paroisses de Plounéventer et Plouédern)**, du 9 janvier (août?) 1669, confirma pour cette famille des titres filiatifs remontant à Edouard de May, seigneur de Beauregard (en Plouédern) et de Keriou, époux de Jeanne de Kersulguen, et décédé avant l'an 1440. Cette branche de la famille de May portait pour armoiries d'argent, à 2 fasces d'azur, accompagnées de 6 roses de gueules, 3 et 3, et descendrait des de May, originaires du Bourbonnais.

Le 1er mai 1471, la ville de Nantes devait payer, « quinze livres monnoye, à Jehan Demay, de l'evesché de Léon, demourant assez près de la ville de Landerneau, pour seixante troys pierres pour ung gros veugloyre (= veuglaire, bombarde, canon à tirer), nommé Abraham". Effectivement, nous savons que Jehan Demay est attesté à Plouédern dans les années 1440.

Ce Jean était donc fils d'Edouard et de Jeanne de Kersulguen. Il épousa Amice de Kermean, et eurent un fils, Laurent, marié à Isabelle Le Borgne.

Sources : : Hervé Torchet ; Pol Poitier de Courcy, Nobiliaire et armorial de Bretagne, Volume 2, 1862, p. 154-155

"Veuglaire" du château de Castelanaud

La toile de Daoulas

Du type des "crées" (du breton creis, "fort"), les toiles de Daoulas sont connues dès le XVe siècle. Au siècle suivant, elles sont essentiellement vendues à Morlaix qui les exporte vers l'Angleterre ou l'Espagne. D. Tempier, dans le compte d'un "Breton voyageur de commerce en Espagne", nous retrace pendant plusieurs mois de l'année 1530 les opérations d'un marchand de Morlaix qui allait vendre en Espagne et en Angleterre une cargaison de marchandises appartenant à des négociants de Morlaix et de Roscoff. Le compte mentionne les marchands Robert le Barber, Jean Forget, J. Le Blouch, Nicolas Roperz, G. Geffroy et Salomon Toulevet de Morlaix, Robert Borlaudy de Pempoul. Le navire, commandé par Jean Le Goïc, partit de Roscoff et se rendit à Cadix, San Lucar de Bernada et Puerta Santa Maria. Les pièces de toile de Daoulas se vendirent 9 ou 10 ducats (de 375 deniers) celles de Tréguier 8 à 11, celles de Locronan 6 à 7, celles de Morlaix de 3 à 4:

Toiles de Daoulas

  • Et premyer, vendu 3 pièces et demie Doulas à 9 ducatz la pièce, vallant la somme de 31 ducatz et démy.
  • Plus vendu demie pièce, 4 ducatz 10 réaulx.
  • Plus vendu 2 pièces, 19 ducatz.
  • Plus vendu demie pièce Doulas 4 duçatz et demy.
  • Plus en déstayll vendu desdictes Doulas, sçavoir 59 varres et demie, à 28 deniers la varre, vallant 1.666 deniers.
  • Plus vendu 153 varres, à 26 deniers la varre, vallants 3.978 deniers.
  • Plus encores desdictes toilles vendu 53 varres 1 suart, à 27 deniers la varre, vallants 1.465 deniers.
  • Plus vendu 56 varres et demie desdictes toilles, à 25 deniers la varre, vallant 1.412 deniers, obole.
  • Somme desdictes Doulas sçavoir, en gros 6 pièces et demie, et en destail 12 pièces 1 quarteron, vallants tant en ducatz que deniers en tout la somme de 82 ducatz et demy et 49 deniers, obole.

La toile de Daoulas apparaît dans les registres portuaires anglais au XVe et au XVIe siècle et l'Oxford English Dictionnary qualifie la "Dowlas" de «toile assez grossière», mentionne la dowlace, doulas, et douglas en Ecosse, au XVe siècle. Le grand Shakespeare, dans sa pièce Henry VIII, première partie (1596) s'exclame : "Doulas, filthy doulas ; I have given them away to bakers wives, and they have made boulters of them".

Nombreuses sont les habitations de Daoulas qui comportaient des courtils à lin , et les métiers à tisser étaient certainement une des machines les plus utilisées dans la région.

Tisserand de Locronan. Vers 1910

Le cadastre de 1825 signale au moins deux kanndi à Daoulas, un sous la parcelle 296 ( Parc ar candi), près de l'abbaye, côté Saint-Roch, l'autre sous la parcelle 333-334 (Foennec ar candi et an candi), au nord-ouest de Keranglien.

Le kanndi est une buanderie, appelée également "maison d’eau", car toujours situé près d'un cours d’eau en raison de la quantité d'eau nécessaire au fonctionnement du douet (lavoir). Le fil de lin y était lavé à l’eau courante après avoir subi une lessive dans de grandes auges de granit dans lesquelles les écheveaux de fibres de lin étaient empilés puis arrosés avec de l’eau bouillante additionnée de cendres de bois, ensuite rincés et déposés sur les dalles en schiste, les repamoirs, recouvrant le sol. Le fil était ensuite blanchi sur pré puis ourdi et tissé (https://fr.wikipedia.org/wiki/Julod).

Voir : LES KANNDI : UNE PARTICULARITÉ DU LÉON