Une beuverie qui tourne mal !

Homicide à Daoulas

(5 janvier 1531)

Nous somme le 5 janvier 1531, un vendredi soir. Hervé Le Jar [1], un jeune gentilhomme de 22 ans, se rend au manoir de Tregain [2], en Briec, où demeure sa mère Catherine Encuff. Ce faisant, il fait halte au bourg de Daoulas, en la maison de Jean Gouriou, où « l’on tient hostellerie », pour y passer la nuit et faire « bonne chère ». Accompagnent le jeune Hervé Le Jar: Yves Perron, un couturier, portant épée au flanc, et Guillaume Bleinchant [3], muni d’un bâton à « deux bouts ».

Au moment d'aller se coucher, entre onze heures et minuit, après avoir réglé l'hôtesse de la maison, arrive sur les lieux Olivier de Tréanna [4], Christophe Le Baud [5], Ernaud [6], Le Tapardec et un serviteur de Le Baud, lesquels s'assoient à la table de Le Jar pour « festoyer ». Le vin coule à flot si bien qu’une altercation survient entre Ernaud et Perron, sur le fait que ce dernier porte épée à son côté. Le Jar s’écrie alors : « Si avez affere a mes gens, vous aurez affere a moy ! ». Il veut alors dégainer son épée, mais Olivier de Tréanna calme l’assemblée : « Ne vous soucyez, il n'y aura rien. » Hélas, le ton monte à nouveau : Ernaud cherche noise à Perron, qui lui dit : « Pourquoy ne porteroige baston en la compaignie de mon maistre ? Voz parens ont esté avecques moy apprendre mestier et n'en ont pas esté pires. » Ernaud se lève alors de table, met un soufflet à Perron et veut rompre son épée, qu’il porte en foureau. Perron trouve le moyen de jetter et de cacher son arme sous le lit, mais Ernaud tire Perron par les cheveux et le traine dans la pièce. Le Jar s’offusque des injures et des excès qu’on fait à Perron, se lève de table, se dirige vers la porte, dégaine son épée. Olivier de Tréanna s’efforce d’enlever le bâton de Bleinchant. Dans la bagarre et mêlée générale, l’épée de Le Jar atteint malencontreusement Olivier de Tréanna sous l’oreille droite : ce dernier trépasse une heure après.

Le lendemain matin du drame Hervé Le Jar est fait prisonnier par les officiers de la cour de Daoulas.

Hervé, « parren et bon amy » de Tréanna, s’était jusqu'à cet événement bien comporté, d’où la présente lettre de rémission à la « requeste des parens et amys consanguins de Hervé Le Jar ».

Nous avons effectivement retrouvé, dans l’inventaire des titres de la maison de Tréanna, mention d’un acte concernant « lomicide par luy (Hervé Le Jar) commis en la personne de maistre Ollivier Treanna » (Quimper, ADF, 1E 1236, p. 137v).

Rue de l'église, où se trouvaient les principales auberges de Daoulas

Notes

[1] Le Jar blasonne d'argent à la poule de sable, crêtée et barbelée de gueules, becquée et membrée d'or. Nobles de Plouédern.

[2] François Le Jar marié à Louise Encuff. La même personne ?, peut-être fille de François Encuff, seigneur de Mesgrall, et d’Azelice Gourio.

[3] Ce patronyme est parfois noté Bleinhant. Il semble avoir son origine dans la région de Lesneven.

[4] Olivier de Tréanna, de la famille des sénéchaux de Daoulas, établi au manoir de Kervern (Dirinon). Doit être un des enfants de Guyomarch de Tréanna et de Catherine de Lanvilliau, sa première femme, et le frère de Guillaume.

[5] Peut-être à identifier avec Christophe Le Baud, fils de Jean Le Baud, auquel il succéda à la recette de Quimper et aussi comme commis à la recette de Quimperlé (Nantes, ALA B 570 f° 48). « Il est l’un des officiers qui eut le plus de problèmes avec la Chambre des comptes dans les années 1530 encourant toutes les peines réservées à l’officier mauvais payeur. Poursuivi pour les comptes de son père et les siens, il fut suspendu une première fois de son office en avril 15367 avec interdiction de le mettre en d’autres mains avant d’avoir fait fin en ses comptes (Nantes, ALA B 571 f° 159). De prise de corps en refus de paiement, Le Baud vit la saisie mise sur ses biens le 18 novembre 1542 à la demande de ses deux plèges, René du Menez et Charles Davy qui alléguèrent « qu’il s’est obligé à plusieurs qui touchent à prendre ses biens et qu’il a fait des pertes en marchandises et que le roy ne pourroit trouver de quoy se payer si lesdits biens estoint ainsi dissipez » (Nantes, ALA B 574 f° 275). Le 23 avril 1544, la Chambre décréta, pour non paiement de 952 l. 5 s. 1 d., la vente de trois maisons, deux lui appartenant en propre et l’autre prise à Charles Davy, son plège (Nantes, ALA B 575 f° 34). Là encore, il parvint à retarder l’application de cette décision en rendant un compte le 20 juin 1544. La décision de vente fut toutefois renouvelée le 25 juin 1546. Sa mort, survenue avant le 20 avril 1547, offrit à ses héritiers un nouveau délai. » (Dominique Le Page , Finances et politique en Bretagne).

[6] La difficulté ici est de déterminer si Ernaud est un patronyme ou le prénom de Le Tapardec.


Source

Rémission pour Hervé Le Jar: Nantes, ADLA, B34, lettre n° 3, f. 12-13.

Merci à Mikaël Le Bars et Vital Le Dez pour leur aide.

Manoir de Kervern Tréanna (Dirinon), demeure des anciens sénéchaux de Daoulas. Photo Jean-Claude Keromnès