Entre Barétous et Californie

Par Bernard Cabanius, publié dans la revue PARTIR N° 6

Comme d’autres contrées du Pays Basque et du Béarn, la vallée de Barétous a vu bon nombre de ses enfants émigrer outre-Atlantique. Certains sont partis en Amérique latine, notamment en Argentine, mais les plus nombreux se sont installés en Californie avec une préférence assez nettement marquée pour San Francisco.

Une première et importante vague migratoire déferle entre le milieu du XIXe siècle et 1914. Elle concerne des gens issus de familles nombreuses, vivant pauvrement sur de petites exploitations de montagne dont les terrains pentus sont souvent exposés au nord. C’est le cas à Arette chez Labarrère (1), au pied du massif de Netchury, chez Carrère- Capdelabaigt, aboutissement isolé aujourd’hui d’un étroit chemin qui a été goudronné récemment ou encore chez Lapuyade, au hameau de La Mouline. Comme le souligne Jean-Claude Escarain qui s’intéresse de très près à ce phénomène, les premiers à partir sont souvent des cadets de famille, exclus de la succession par la tenace survivance du droit d’aînesse.

Après une longue traversée, ils accostent un continent dont ils ignorent tout, à commencer par la langue, mais dont se poursuit activement la mise en valeur, dans le cadre de la mythique ”marche vers l’ouest”.

Bientôt, la diaspora fait école, et ceux qui sont partis donnent, par leur courrier, envie de les imiter à ceux qui sont restés. Ils leur promettent aussi de les aider à leur arrivée et ce serment constituera l’une des valeurs fondamentales de la colonie barétounaise en Californie.

Les départs se poursuivent durant l’entre-deux-guerres et même après 1945, ce qui est assez exceptionnel, si bien qu’aujourd’hui encore, une grosse vingtaine d’émigrés de la première génération vivent encore en Californie.

Mais que deviennent nos émigrés après avoir découvert les rivages du Pacifique ?... Ils débutent le plus souvent leur carrière professionnelle comme domestiques ou femmes de chambre. Quelques-uns, et c’est logique pour de jeunes agriculteurs, deviennent bergers, tel l’Arettois François Tillous, condamné ainsi à ne rencontrer personne pendant de nombreuses campagnes de plusieurs mois. Son fils, Gratien, a possédé un motel à Lake Tahoë, à la frontière du Nevada.

Après des années d’économies et de lourds sacrifices, les modestes employés de maison parviennent parfois à créer leur propre entreprise. Les voilà alors à la tête de boulangeries, de blanchisseries ou de sociétés d’entretien des espaces verts.

Leur réussite ne distend pas les liens qu’ils entretiennent entre ”pays” ou avec leur famille. Ils correspondent régulièrement avec elle et aujourd’hui encore, certains téléphonent toutes les semaines ou échangent souvent des DVD.


(1) un ”Joe ”Labarrère, berger en Californie en 1902 a été fêté le 16 octobre 2011 à Los Angeles par la communauté ”béarnaise ”- La République du 18 octobre 2011

Arrivé à San Francisco en 1900, Pierre MON, né à Issor et grand-oncle de Jean-Claude Escarain enverra de l’argent à son frère pour l’achat d’une faucheuse.

D’autres aideront leurs proches après le séisme qui a frappé le Barétous le 13 août 1967. Il n’est pas rare également que des dons soient faits aux collectivités par ces ”Américains généreux”.

Pierre MON et son épouse, le jour de leur mariage

Les bulletins paroissiaux, l’Indépendant, l’Echo d’Oloron attestent ces largesses pour des associations, des caisses de solidarité, la réparation des églises... De génération en génération et de façon beaucoup plus profonde qu’en Argentine, les Barétounais font souche en Californie. Certains pourtant ont su profiter de leur réussite pour mener à bien leur retour ”à la maison”. À Arette, Clément Mazéris a repris et fait prospérer une entreprise de transports en commun dont les fils poursuivent la direction. Toujours dans ce village, Jean-Marie Hondagneu a fait de même avec l’exploitation agricole et demeure fidèle à une gestion familiale.

À Lanne-en-Barétous, Victor Bigué a su concilier les activités de chauffeur d’autobus et d’agriculteur. Autre retour au pays, celui de l’Arettois Pierre Frinchaboy venu y vivre sa retraite.

Il va sans dire que les moyens de communication modernes favorisent les rencontres entre descendants d’émigrés et Barétounais, sensibles, pour bien d’autres raisons qu’eux, à l’attrait de San Francisco ou Los Angeles. De temps en temps, des ”Américains” viennent passer quelques jours dans la vallée où sont nés leurs ancêtres. Parfois, ils y achètent une maison, réalisant ainsi le rêve de ceux qui, à l’autre bout du monde, ont toujours senti leur coeur se serrer à la pensée des crêtes du Layens ou du Soum d’Iré.