03 décembre 2016:
En ce jour où nous célébrons la fête de Saint François-Xavier, patron des missions, un des fondateurs de la Compagnie de Jésus avec Saint Ignace de Loyola, infatigable disciple de Jésus; nous sommes heureux de vous offrir ici, en cadeau de bonne fête, cet hommage écrit à l’occasion du décès du P. André Engelmann par ses frères du collège Saint François-Xavier de Fianarantsoa.
31 ans après, l’heure n’est plus au deuil. En effet les larmes ont eu largement le temps de sécher et ce sont les bons souvenirs qui restent. C’est pourquoi nous osons parler de cadeau quand il s’agit de la vie de l’un des fervents et infatigables disciples de Saint François-Xavier, en l’occurrence le P. André Engelmann, ou “Baba” par ses élèves et ses tampikri. Nous sommes plus que convaincus que Baba fait partie des millions et milliards de saints anonymes, dont les noms ne figurent pas sur le calendrier. Saint Baba, prie pour nous !
Nous remercions chaleureusement le P. Robert Bonfils s.j. qui nous a bien voulu ouvrir les Archives des Jésuites à Vanves (Banlieue parisienne) et qui nous a permis de trouver ces précieuses lignes.
A tous les Jésuites, à tous les Maintimolaly des Jésuites notamment ceux du Collège Saint François Xavier de Fianarantsoa,
nous vous souhaitons Bonne Fête de Saint François-Xavier.
Calixte Razafimahatratra
du site SFX Fianara
Calixte Razafimahatratra
Recteurs nifandimby
(tondroy ny sariny)
Né le 27 janvier 1908 à Provins, à une soixantaine de kilomètres au S.E. de Paris, André Engelmann était entré dans la Compagnie de Jésus en octobre 1925 après de brillantes études à l’École St Sigisbert de Nancy; ayant obtenu son baccalauréat ès-science à 16 ans, il avait pu faire une année de Mathématiques spéciales avant de partir pour le noviciat de Florennes en Belgique où il eut comme Père Maître le P François-Xavier Thoyer.
Sa vocation, comme il tint à le dire publiquement en 1975 lors de son jubilé, il l’attribuait pour une grande part à ses parents et à l’atmosphère de foi et de générosité d’une famille qui devait, sur douze enfants, en donner six au service de Dieu: trois prêtres, trois religieuses.
Ses premières années de formation terminées, André Engelmann fut envoyé à Madagascar en 1932 - il avait alors 24 ans - pour enseigner simultanément au Petit Séminaire d’Ambohipo, au Grand Séminaire d’Ambatoroka, au Juvénat d’Analamahitsy.
Reparti en France en 1935 pour ses études de théologie, il fut ordonné prêtre à Enghien le 20 août 1938 (en même temps que Pasteur Rakotondrabe, Albert Renaut et Rémy Vuillard). Mobilisé en septembre 1939, fait prisonnier en mai 1940, emmené en Allemagne, il y resta cinq ans en captivité, réussissant à sortir vivant d’une épidémie de typhus.
Ce n’est qu’en 1946 qu’il put revenir à Madagascar.
Après avoir prononcé ses derniers voeux le 8 octobre à Fianarantsoa, il fut envoyé comme ministre, d’abord à Mananjary jusqu’en mars 1947, puis à Ambositra jusqu’en mars 1948. Et c’est alors que Fianarantsoa devint et resta jusqu’à la fin de sa vie son port d’attache. Il commença par enseigner pendant trois ans la Physique et la Chimie au collège st Joseph et au Petit Séminaire. En septembre 1952, il quitta Ambozontany pour descendre à Ambatomena où s’élevait le premier corps de bâtiment du collège St François Xavier. Il y restera trente-trois ans.
Trente-trois ans durant lesquels, il se donna, avec une conscience professionnelle admirable, à son enseignement de la Physique et de la Chimie. Ses élèves se souviennent de son souci de mettre à leur portée ses connaissances scientifiques, de la clarté de ses exposés, de l’ingéniosité qui lui fit progressivement équiper son modeste laboratoire d’instruments réalisés avec les moyens du bord ; et en dehors des heures d’enseignement, de son dévouement et de sa patience pour reprendre en répétitions individuelles adaptées aux questions de chacun les explications qu’il venait de donner en classe.
Combien d’anciens du collège doivent leur situation actuelle à cette patience inlassable du P. Engelmann prêt à sacrifier ses forces et son temps pour les aider dans la préparation de leurs examens!
Ce même désir d’aider les autres l’amena dans ses dernières années à rédiger et à polycopier lui-même un cours complet de Physique pour la classe de terminale A. Très soucieux d’exactitude, il tenait en même temps à ce que ses élèves ne s’évadent pas dans les abstractions et ne perdent jamais le contact avec le réel. Et par exemples, lorsqu’il corrigeait des comptes-rendus de pesées effectuées en laboratoire avec une balance de précision, rien ne pouvait mettre davantage en fureur cet homme si calme que de découvrir à la fin d’une copie des résultats qui s’exprimaient en kilogrammes… D’un coup de bic rageur, il écrivait alors dans la marge des vocables qui traduisaient son indignation: “Catastrophique !” “Péché mortel !” “Assassin!” “Cela mérite des coups de fouet sur la place publique !”.
Au bas de la dernière page de son cours de Physique, se détachent, ajoutées en conclusion, ces lignes tirées du livre de la Sagesse:
“S’ils ont été capables d’acquérir assez de science pour pouvoir scruter le monde, comment n’en ont-ils pas plus tôt découvert le Maître !” (Sagesse 13, 9)
Témoignage très sobre, mais combien éloquent de ce souci qu’avait le P. Engelmann de ne pas se laisser enfermer dans les disciplines qu’il avait à enseigner; de son désir d’aider ses élèves sans aucun doute à “acquérir la science” et à “scruter le monde”, mais surtout de les amener à en “découvrir le Maître”. Ce désir de mener les autres à Dieu, s’il lui était possible parfois d’y répondre, mais de manière discrète et forcément limitée dans son métier de professeur, c’est dans ses activités d’aumônier de Tampikri (Tanora Mpianatra Kristianina) qu’il put lui donner libre cours.
Quand le P Engelmann arriva au collège St François-Xavier, le mouvement Tampikri (Jeunesse Etudiante Chrétienne) existait depuis longtemps à Fianarantsoa où il avait été lancé en 1939 par les Pères Eugène Dupont et Jean Watine. Parmi les soixante élèves de la première rentrée à St François-Xavier en 1952 se trouvaient des Tampikri que le P. Engelmann avait connus au collège St Joseph. Il se donna tout de suite à ces jeunes avec tout son coeur. Et pendant les trente années qui suivirent, ce don de lui-même au mouvement ne fut jamais remis en question; au contraire, les liens noués en cette première rencontre devinrent de plus en plus étroits. Le mouvement Tampikri, c’était vraiment la vie du P. Engelmann ! Il suffisait que le nom en fût prononcé en sa présence au cours d’une conversation pour que lui, habituellement réservé et peu loquace, devint soudain intarissable. Un éclair illuminait ses yeux, un sourire éclairait son visage et, dans les témoignages qu’il apportait sur ses jeunes, on sentait toute l’affection qu’il leur portait et la confiance qu’il mettait en eux.
Il ne peut être question ici de dresser un bilan de ces trente années où le Père, après avoir été d’abord chargé des seuls Tampikri de Fianarantsoa, devint aumônier régional du mouvement, étendant son action à tout l’Archidiocèse. Il suffit de rappeler que chaque année durant les vacances il organisa sessions et camps de formation, donnant peu à peu la préférence depuis, 1969 à des camps de travail auxquels il assignait un triple objectif: aide matérielle à apporter à une communauté locale (irrigation de rizières, réfection d’églises ou d’écoles ou de routes); oeuvre d’évangélisation (animation de la liturgie quotidienne dans la paroisse, représentation de la Passion, visites dans les familles); formation personnelle en équipe. Cette formation acquise durant le camp était reprise et poursuivie durant l’année grâce à des circulaires que le Père composait, polycopiait et expédiait lui-même aux équipes locales, aux Tampikri isolés et aux aumôniers et qui maintenaient le contact entre tous, de Farafangana à Morondava, d’Ambatofinandrahana à Taolagnaro.
En plus des camps où il participait lui-même activement et dont il partageait les rudes conditions, le P. Engelmann entreprenait des tournées missionnaires d’un mois environ - ainsi en forêt tanala - pour évangéliser des régions encore peu chrétiennes. Emporté par son zèle, il ne connaissait pas la fatigue !
Le Mystère douloureuxpar les Tampikri
Ce qu’il faut surtout souligner en ces pages consacrées au P. Engelmann lui-même, c’est l’esprit qui le guidait dans la formation de ces jeunes; ce qu’il faut essayer de découvrir, c’est le secret de la confiance qu’il plaçait en eux et du zèle avec lequel il s’attachait à les former. Quelques lignes déchiffrées dans un carnet de préparation à une session révèlent l’un ou l’autre de ses principes d’action.
“Avant tout, formation d’hommes complets” - “Éveil du sens des autres, alors que les programmes et la course aux diplômes auraient tendance à faire des déracinés” - “Nécessité pour la vie du mouvement d’avoir des activités aboutissant à un résultat palpable, réclamant la participation de tous” - “Parler pendant la session, non pas de tous les problèmes (risque de s’égarer dans la théorie), mais parler de ce qui a été fait par les uns et les autres” - “Planter des arbres: plus important par le stimulant donné à un groupe que la matérialité du travail accompli” - “On ne reste pas sans rien faire pendant les vacances quand on est jeune et qu’on a des bras vigoureux”.
Et une note écrite sur un simple morceau de papier conservé dans son livre des Heures nous dit bien à quelle source s’alimentait la confiance qu’il donnait à ses Tampikri, plus largement à tout homme qui venait à lui. Deux lignes d’un mystique anglais du 14ème siècle: “Ce n’est pas ce que tu es ni ce que tu as été que Dieu regarde avec les yeux de sa miséricorde, mais ce que tu as le désir d’être”. Regarder l’homme comme Dieu le regarde, c’était certainement la règle de conduite que se fixait le P. Engelmann chaque matin (la note n’est pas placée au hasard dans son bréviaire, mais à la page de l’invitatoire quotidien). Il prenait en ses mains à cette première heure du jour “la lampe pour sa route, la lumière pour ses pas”. Résolu à ne pas s’arrêter à la misère passée ou présente de celui qui, dans quelques instants, viendrait le premier frapper à sa porte, il discernait d’avance en lui la gloire à laquelle comme tout fils de Dieu, il était appelé, le visage du Christ qui déjà se dessinait en lui.
Dans une lettre écrite à l’une de ses soeurs religieuses, il précise encore sa pensée:
“Le visage du Christ s’exprime pour moi… dans le visage de tout homme. Je le reconnaîtrais mieux s’il m’ apparaissait avec un visage malgache que s’il se montrait avec son visage de Galilée… Captif au fond de l’Allemagne et privé de messe, j’avais à ma pleine disposition ce “sacrement” de l’homme dans les camarades avec qui je vivais du matin au soir dans une communauté de vie totale que j’appelerais presque une communion… Je crois que c’est de cette façon que St Paul parlait du Christ disant qu’il ne voulait plus le connaître “selon la chair”, mais parlant sans cesse du Christ en croissance, en formation ou en espérance, dans les premières chrétientés ou dans l’humanité tout entière.”
Si le P. Engelmann aimait tellement ses jeunes s’il gardait en eux une confiance qu’aucune ingratitude ne lassait” c’est sans aucun doute parce qu’il voyait en eux le Christ, le Christ en croissance ou en formation ou en espérance.
A son retour de France au début 1982, tous avaient noté un fléchissement de sa santé. Il dut renoncer à son enseignement, mais s’ingénia toujours en ses dernières années et jusqu’au bout à rendre tous les services encore à sa portée: leçons particulières, séances de confessions, aide apportées à des paroisses au moment des fêtes, messe quotidienne matinale pour les frères, tirage à la polycopie et même ses humbles travaux dont personne ne veut: vaisselle chaque soir et préparation du réfectoire pour le lendemain.
On le voyait circuler dans le collège, parfois encore dans les rues de la ville, pauvrement vêtu, pauvrement chaussé, s’appuyant sur un simple bâton. Et l’on pouvait penser qu’il s’acheminerait ainsi, à petits pas, jusqu’à son jubilé de soixante ans de vie religieuse en octobre prochain.
Il fut brutalement arrêté dans sa marche le jeudi 21 février au milieu du jour par une hémorragie cérébrale qui le laissa sans mouvement et sans parole jusqu’au matin du jeudi 2 mars où il mourut à l’hôpital. Son corps fut transporté et exposé dans la grande chapelle du collège entouré de cierges et de fleurs; et, durant toute la nuit du jeudi au vendredi, élèves et professeurs, tampikri, religieux et religieuses, habitant du quartier se relayèrent pour assurer une veille continue de chants et de prières. Son frère, le P. Hildebrand, venu de Mahitsy quelques jours plus tôt, avait eu la consolation de l’assister à ses tout derniers moments et put représenter à son enterrement sa famille de France.
Durant le dernier séjour en France du P. Engelmann à la fin de 1981, un Père qui l’avait rencontré écrivait: ”J’ai à peine vu le P. Engelmann; mais quand on a perçu cet homme vraiment pauvre et humble et si apostolique, on ne peut pas l’oublier”.
Cher Père André, si un homme qui n’a fait que vous entrevoir déclare ne pouvoir vous oublier, nous qui avons vécu des années avec vous comment pourrions-nous ne pas garder toujours présent, toujours vivant, votre souvenir?
Ses Frères de St François-Xavier
de la revue "Jésuites en Mission" - 1985