L’archive numérisée est-elle une archive ?
Date de publication : Jun 07, 2012 6:20:30 PM
La question peut paraître provocatrice, tellement la réponse semble évidente. Il ne viendrait à l’idée de personne d’affirmer que la copie authentique de la minute dressée par le notaire est elle-même une minute. Tout comme la photo, si artistique soit-elle, d’un tableau n’est pas l’œuvre, l’archive numérisée n’est pas en elle-même une archive. Elle n’en est que la représentation visuelle, une copie numérique, donc une suite de 1 et de 0 en informatique. Pourtant, les généalogistes ont tendance à penser qu’archives numérisées et archives physiques sont identiques ; d’autant, qu’après une numérisation, les documents sont retirés de la circulation et ne peuvent plus être consultés.
Quel est le statut juridique de cette représentation de l’archive ? Quelle en est la valeur juridique ?
La valeur juridique en est certainement nulle. Seul l’original peut faire foi, car on sait bien qu’avec les procédés modernes, une photo peut être arrangée, transformée, voire trafiquée. Pour que cette archive numérisée puisse faire foi, il faudrait donc qu’une loi en décide.
A-t-elle un statut juridique ? Indirectement, il lui en est accordé un, lorsqu’il y a réutilisation des informations publiques avec traitement automatisé de données à caractère personnel. Cette conséquence provient de l’existence de l’alinéa 2 de l’article 13 de la loi n° 78-753 du 17 juillet 1978, qui stipule quela réutilisation d’informations publiques comportant des données à caractère personnel est subordonnée au respect des dispositions de la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 relative à l’informatique, aux fichiers et aux libertés.
Il en résulte donc que les données à caractère personnel qui ont été traitées dans des fichiers informatiques, vont être soumises à cette loi du 6 janvier 1978.
L’archive physique relève du code du patrimoine (articles L 211-1 et suivants, suite à la loi du 15 juillet 2008). Rien n’a été prévu par le législateur concernant les diffusions en ligne, car le code du patrimoine a fixé, uniquement, le délai de communicabilité des documents. Or, certains documents contiennent des données à caractère personnel. Ainsi que l’énonce parfaitement la Commission Informatique et liberté (CNIL) dans sa délibération n° 2012-113 du 12 avril 2012 : Toute réutilisation d’informations publiques contenues dans ces traitements et contenant des données personnelles ne peut intervenir que dans les conditions prévues, d’une part, par la loi du 6 janvier 1978 et, d’autre part, par la loi du 17 juillet 1978.
Le généalogiste va donc être soumis à trois lois :
- celle sur les archives de 2008, en ce qui concerne la communicabilité des documents,
- celle de juillet 1978 concernant la réutilisation des informations publiques,
- et à celle de janvier 1978 pour tout ce qui touche aux données à caractère personnel.
Voilà qui ne pas simplifier sa tâche.
La CNIL a publié deux délibérations, l’une le 9 décembre 2010 et l’autre le 12 avril 2012, qui ne sont pas sans incidence sur la vie des généalogistes.
La CNIL s’est quasiment alignée sur les dates de communicabilité de la loi sur les archives, puisqu’elle a permis la mise en ligne :
- des actes de naissance de plus de soixante-quinze ans avec occultation des mentions marginales… qui peuvent réapparaître au bout de cent ans,
- des actes de mariage de plus de soixante-quinze ans sans occultation des mentions
- et des actes de décès de plus de vingt-cinq ans.
Comme on le voit, les délais sont identiques pour les naissances et les mariages (75 ans), occultation mise à part pour les actes de naissance, et avec l’introduction d’un délai pour les décès alors qu’il n’y en pas les concernant dans la loi sur les archives.
Les actes de décès ont toujours été communicables immédiatement. La raison réside dans le fait qu’il faut permettre à toute personne de justifier de sa qualité d’héritier d’une personne qui vient de décéder. A l’heure d’internet, la décision de la CNIL est donc bien malheureuse en ce domaine, d’autant que dans un acte de décès, on ne risque pas de trouver les causes du décès, ni la religion, ni la couleur de la peau, ni les préférences sexuelles du défunt. Que craint donc la CNIL ?
La CNIL s’en est pris, également, aux indexations et les interdit aux services d’archives publiques sur une période qui va, pour les outils de recherche interne du service des archives, jusqu’à :
- cent vingt ans à compter de la clôture des registres de naissance,
- cent ans à compter de la clôture du registre pour les actes de mariage,
- soixante-quinze ans à compter de la clôture du registre pour les actes de décès,
- et cent vingt ans à compter de la date du document pour les autres archives publiques contenant des données à caractère personnel.
et cent vingt-ans, quel que soit le document, pour les indexations par des moteurs de recherche externes aux services d’archives.
Le choix de la CNIL : Faire chercher sur Internet comme si l’on était en présence d’archives physiques.
Dans sa fiche pratique du 15 mai 2012, la CNIL précise ceci :
Indexer consiste à répertorier dans un document les données significatives (par exemple : nom, prénom, date ; lieu de naissance, catégorie du document….) afin de permettre d’effectuer des recherches par mots-clés (métadonnées), de façon simple et rapide.
Si une recherche par thématique constitue une moindre atteinte à la vie privée, il est indispensable de limiter les recherches nominatives en matière d’archives diffusées sur Internet. Ce qui n’empêche toutefois pas les recherches selon la procédure actuelle des lecteurs d’archives (tourner les pages pour trouver le document intéressant)
Ainsi donc, à l’heure de la lumière, il s’en faut retourner à l’époque des bougies ! C’est une conception bien rétrograde de l’utilisation d’internet, d’autant qu’à la fin de chaque registre, il existe une table annuelle qui évitera justement de tourner les pages et permettra d’aller rapidement au document, si on connaît bien sûr la bonne commune où a eu lieu l’évènement. La prochaine délibération de la CNIL sera peut-être d’imposer l’occultation des images portant sur les tables annuelles !
Notons également dans le même ordre d’idée que la CNIL autorise la diffusion sur internet des autres archives (entendons par là celles qui ne sont pas des actes de naissance, mariage ou décès) à partir de cent ans. Dans la loi sur les archives, les tables décennales sont communicables immédiatement. Faut-il comprendre que pour la CNIL les tables décennales ne peuvent l’être, que passé le délai de cent ans ? Toujours est-il que l’indexation est interdite jusqu’à cent vingt ans pour les actes de naissance… qui pourront être trouvés rapidement grâce aux tables, pour les vingt ans d’interdiction d’indexation, puisque les actes en question seront alors en ligne !
La CNIL, concernant les indexations, a introduit la notion de moteur de recherche soit interne, soit externe au service des archives. La notion de moteur externe vise les recherches qui sont opérées par des robots informatiques et interdit donc les indexations de données nominatives des personnes pendant une durée de cent vingt ans. A titre d’exemple, on pourrait citer Google, qui est un moteur de recherche externe. La CNIL réduit légèrement les délais, comme on l’a indiqué plus haut, pour les moteurs de recherche interne qui sont encadrés par le service d’archives.
Que les recherches, dans le passé, étaient belles, nous susurre la CNIL. Procédez donc comme autrefois !
Séparation des pouvoirs et démocratie sont indissociables. Force est de constater que la CNIL a un pouvoir à la fois règlementaire et répressif, ce qui est pour le moins anormal. C’est à la loi de définir les règles et de confier à une juridiction ou à une commission éventuellement le contrôle de la loi et de prononcer des sanctions, mais pas plus…
Il serait donc grand temps que le législateur se repenche sur ces trois lois qui s’imbriquent, les amende et les harmonise.
Jean-François Pellan vice président de la FFG
Merci à Christiane