J'ai élaboré cette synthèse, fin novembre 2025, de la situation alarmante des finances communales. Ce travail, visible sur cette page, est aussi disponible au téléchargement en Pdf sous ce lien, avec une mise en page plus lisible, de manière à pouvoir être imprimé :
Analyse de la situation financière de la commune d'Orsay fin 2025
Introduction
Cette synthèse résume la situation financière de la commune d’Orsay en 2025, à partir du rapport définitif de la Chambre régionale des comptes (CRC) d’Île-de-France (juin 2025) et des analyses et questionnements issus du budget primitif 2025 proposé par le maire. Le contexte est marqué par une pression croissante sur les finances locales liées à des choix structurels, à l’évolution des charges, et à une politique d’investissement contrainte par les charges induites par les politiques menées ces dernières années.
Points majeurs du rapport de la CRC
Population et contexte socio-économique : La commune d'Orsay, membre de la communauté d'agglomération Paris-Saclay, compte 16 352 habitants en 2024. Son territoire intègre une partie du plateau de Saclay, au cœur de l'Opération d'Intérêt National (OIN) Paris-Saclay. Orsay connaît une légère croissance démographique et bénéficie d’indicateurs sociaux favorables (taux de chômage et de pauvreté faibles). L’environnement institutionnel reste complexe avec une articulation parfois dissymétrique avec l’intercommunalité Paris-Saclay et l’EPAPS (qui pilote l’Opération d’Intérêt National Paris-Saclay). Cette opération pèsera à court terme sur l’équilibre financier communal.
Gouvernance financière : la CRC pointe une fonction financière perfectible, notamment dans le suivi patrimonial et la fiabilité des comptes. Le pilotage budgétaire s’avère insuffisamment soutenu par des outils robustes, alors que l’urbanisation du plateau accroît l’exposition aux risques financiers et la difficulté de consolider les prévisions.
Transparence et fiabilité des données : les comptes présentent des faiblesses en matière d’inventaire physique des immobilisations, la chaîne comptable n’est pas totalement maîtrisée sous l’effet de délais de mandatement supérieurs à la norme légale ; la publicité ainsi que l’accessibilité des informations financières sont insuffisantes.
Analyse point par point
Un déséquilibre grave entre produits et charges de gestion
La situation financière d'Orsay se caractérise par une dégradation progressive depuis 2019, marquée par une croissance plus rapide des charges de gestion (+18 % sur 2019-2023) que des produits de gestion (+15 % sur la même période). Cette dynamique défavorable pèse lourdement sur la capacité d'autofinancement de la commune. Les charges de gestion atteignent 25,62 M€ en 2023, soit 1 799 € par habitant, niveau très supérieur aux moyennes des communes comparables du département (1 490 €) et de la région (1 486 €). Cette situation s'explique en partie par son taux d'équipement (31 équipements pour 1 000 habitants), incluant un stade nautique dont l’important déficit d'exploitation s'établit à 1 M€ en 2023, et est en forte hausse en 2024 et 2025.
Un endettement qui met la commune sur une trajectoire dangereuse
L'encours de dette avait diminué de 6 % entre 2019 et 2023, passant de 17,59 M€ à 16,48 M€, soit 1 037 € par habitant (néanmoins supérieur aux moyennes régionale de 822 € et nationale de 801 €). Toutefois, le budget primitif 2025 prévoit un emprunt exceptionnel de 4 M€, niveau jamais atteint auparavant (maximum historique : 2,5 M€). Au 24 mars 2025, 1 M€ avait déjà été levé. Si l'emprunt de 4 M€ est intégralement souscrit, la dette remonterait à environ 18 M€, soit 1 500 € par habitant (+12 % d'augmentation en un an), plaçant Orsay dans le dernier quartile des communes de sa strate.
Le « taux apparent » de la dette (charges financières/encours) s'élève à 11 % contre 2 % pour la moyenne nationale des communes.
Le poids de la charge financière dans les dépenses de fonctionnement atteint près de 8 % contre 2,5 % en moyenne.
Cette trajectoire creuse l'écart avec les moyennes nationales et régionales et place la commune à risque de tutelle si elle persiste.
Une capacité de désendettement dégradée
La capacité de désendettement s'établissait à 6,3 années en 2023, passant à 7,4 années en 2024 et atteindrait 12 années en 2025 selon les prévisions du budget. Ce ratio place Orsay au 9ème décile de sa strate : seule une commune sur dix présente un délai d'apurement de la dette supérieur. La médiane pour les communes comparables est de 4,8 années, le 3ème quartile étant à 7 années.
Une capacité d’autofinancement extrêmement faible
L’épargne brute par habitant est très faible, et l’épargne nette est structurellement négative depuis plusieurs exercices, ce qui exclut une capacité soutenable d’investir sans recourir à l’emprunt ou à la vente du patrimoine communal. La capacité d'autofinancement (CAF) brute a diminué de 7 % entre 2019 et 2023, passant de 2,83 M€ à 2,62 M€. En 2024, selon les données provisoires, elle chuterait encore à 2,10 M€ (-20 %), soit seulement 92 € par habitant contre 224 € en moyenne nationale. L'épargne brute représente désormais 9,1 % des produits de gestion en 2023, contre 11,3 % en 2019. La CAF nette (i.e. après remboursement du capital de la dette) s'établit à 0,82 M€ en 2023 et serait négative (à -0,40 M€ en 2025 selon les prévisions budgétaires) comme lors des trois derniers budgets primitifs. Cette situation témoigne d'une incapacité structurelle à autofinancer les investissements.
Une rigidité des charges incapacitante
La somme des charges de personnel et de la dette dépasse nettement les seuils admissibles. Les charges de personnel absorbent les deux tiers des dépenses nettes de gestion, réduisant drastiquement les marges de manœuvre, d’autant plus en cas de retournement conjoncturel ou de nouvelles obligations liées à la montée en charge des ZACs de l’Opération d’Intérêt Nationale du plateau de Saclay.
Le taux de rigidité des charges (charges de personnel + annuité de la dette / recettes de fonctionnement) atteint 0,61 ces deux dernières années, alors que le seuil d'alerte est fixé à 0,58. Cette rigidité limite drastiquement les marges de manœuvre budgétaires.
Des recettes supplémentaires introuvables
La base fiscale stagne, les principaux leviers de taux ayant déjà été actionnés (taxe foncière élevée : le taux est le 7ième plus haut en Essonne) : la commune ne pourra guère accroître ses recettes localement sans peser de façon excessive sur la population.
Une masse salariale très importante
Les dépenses de personnel constituent le principal poste de charges avec 16,59 M€ en 2023 (+20 % sur 2019-2023), représentant 65 % des charges de gestion. Le ratio par habitant atteint 1 044 €, significativement supérieur aux moyennes départementale (827 €) et régionale (804 €). Le taux d'administration s'élève à 26,2 agents pour 1 000 habitants, bien au-delà des standards comparables. Le régime indemnitaire a progressé de 66 % sur la période pour atteindre 1,21 M€ en 2023.
Fiabilité comptable et gouvernance financière
• Des carences dans la gestion patrimoniale
La CRC souligne de graves lacunes en matière de suivi patrimonial. L'inventaire comptable (47,95 M€) diverge de 143,30 M€ avec l'état de l'actif du comptable (191,25 M€), soit un écart de -299 %. La commune ne dispose pas d'inventaire physique des immobilisations, contrairement aux exigences de l'instruction M57. Le suivi des immobilisations en cours (18 M€) est insuffisant, entraînant une sous-évaluation des amortissements.
• Une chaîne comptable défaillante
Le volume de rattachements de charges a progressé de 132 % entre 2019 et 2023 (1,81 M€ en 2023), représentant 7 % des charges de gestion. Les délais de mandatement oscillent entre 31 et 42 jours, dépassant structurellement le plafond réglementaire. Ces dysfonctionnements compromettent la fiabilité du résultat de clôture.
• Des prévisions budgétaires peu sincères
Le taux de réalisation des dépenses d'investissement se dégrade, passant de 77,7 % en 2019 à 42,4 % en 2023, avec un volume croissant de crédits annulés atteignant 28 % en 2022. Cette faiblesse dans la qualité des prévisions contrevient à l'article L. 1612-4 du CGCT.
Enjeux stratégiques et risques
• La maîtrise des dépenses
Le levier principal identifié reste la rigueur sur les dépenses courantes, et en particulier la masse salariale, ce que la commune ne semble pas prioriser, ayant levé un emprunt sur 20 ans de 840k€ fin 2024, à un taux bien supérieur à celui des autres communes.
Une analyse précise en est faite ici.
• La difficulté des investissements nécessaires
Le vieillissement du patrimoine, les besoins liés à l’OIN Paris-Saclay et l’entretien courant sont sous-budgétés, risquant d’aggraver la dégradation future.
• Le risque de tutelle
Si la trajectoire n’est pas redressée, Orsay pourrait perdre sa capacité d’autofinancement, se voir imposer une surveillance budgétaire, voire des restrictions préfectorales.
• Une nécessaire stratégie de long terme
L’absence persistante de planification structurée et de prospective financière expose gravement la commune et limite la capacité à absorber les chocs ou à tirer parti des opportunités à venir (recettes liées à l’OIN, fiscalité nouvelle). En particulier, l'OIN va générer des investissements structurants non budgétés : équipements publics sur les ZAC (cuisine, mobilier, équipements de cours), coûts de fonctionnement induits (personnel, fluides, entretien). Les équipements prévus pour la ZAC de Corbeville (groupe scolaire, structure petite enfance, locaux socio-culturels, pôle sportif) nécessiteront 2,61 M€ de dépenses annuelles de fonctionnement supplémentaires et 59,5 emplois nouveaux, pour seulement 1,37 M€ de recettes fiscales estimées.
Conclusion
Orsay fait face à une crise structurelle de ses finances locales, mêlant surendettement, incapacité d’autofinancement, rigidité des charges, et incertitudes fortes sur la crédibilité des projections budgétaires. Une inflexion profonde de la gestion budgétaire, passant par un plan de redressement incluant le pilotage renforcé des dépenses, la priorisation des investissements et la recherche d’équilibres financiers nouveaux, paraît aujourd’hui indispensable pour éviter une mise sous tutelle ou une dégradation accrue du service public.
La CRC formule plusieurs recommandations de régularité, dont :
1. Améliorer la qualité des prévisions budgétaires en matière de dépenses d'investissement
2. Dresser un inventaire physique des immobilisations
3. Fiabiliser le suivi des immobilisations en cours
Au-delà, la chambre souligne la nécessité de maîtriser prioritairement les dépenses, notamment la masse salariale, compte tenu de l'effort fiscal déjà élevé (hausse de 2,51 points du taux de taxe foncière en 2022, taux plaçant Orsay en 7ème position sur 194 communes de l'Essonne en 2023).
Didier Missenard, achevé à Orsay, le 21 novembre 2025
Références
Chambre régionale des comptes Île-de-France (2025). Rapport d’observations définitives sur la commune d’Orsay (Essonne), exercices 2019 et suivants.
https://www.ccomptes.fr/sites/default/files/2025-11/IDR2025-55.pdf
Didier Missenard, Note d’analyse et d’explication de vote sur le budget primitif 2025, Conseil municipal d’Orsay du 10 avril 2025.
https://sites.google.com/site/dmissenard/activités-délu/avril-2025-le-budget-primitif-de-la-ville