« La Société a le droit de demander compte à tout Agent public de son administration. »
« Issu du suffrage universel, l’élu local est et reste responsable de ses actes pour la durée de son mandat devant l’ensemble des citoyens de la collectivité territoriale, à qui il rend compte des actes et décisions pris dans le cadre de ses fonctions. »
« Tous les acteurs sont responsables de leurs décisions et actions et doivent être prêts à les justifier de manière détaillée. »
Les frais de bouche du maire et de son cabinet
L'un des rôles des conseillers municipaux est le contrôle de la bonne gestion financière de la commune :
ils y procèdent à travers le vote du budget primitif (le BP, au printemps à Orsay depuis plusieurs années), puis du Compte Financier Unique, un peu plus tard dans l'année : cette année 2025, j'ai manifesté ma très grande inquiétude quant à la trajectoire financière proposée en votant contre le BP.
ils peuvent aussi demander à examiner des lignes de crédit particulières, ce que j'ai initié et obtenu (difficilement) du maire à propos des "frais de bouche" : il s'agit des remboursements sur le budget municipal des repas "de travail" obtenus par le maire et son cabinet.
Le 20 avril 2025, j’ai donc demandé au maire à avoir communication de l’ensemble des dépenses réalisées en frais de restauration par le maire et son cabinet depuis plusieurs années. La loi impose à la collectivité de me fournir ces données : l’objectif en est de me permettre, conformément au mandat que les Orcéens nous ont confié, d’évaluer la façon dont l’argent public est utilisé.
Or, dans le mois qui a suivi sa réception en mairie, je n’ai pas eu de réponse à ma demande, faite par lettre recommandée : j’ai fait appel à la CADA (la Commission d'Accès aux Documents Administratifs) pour enjoindre la commune de me fournir ces chiffres, mais je m’interroge quant aux raisons de ce refus, difficile à comprendre puisque la commune aura été de toute façon légalement obligée de me fournir ces données.
Le 2 juillet 2025, la CADA m'a donné entièrement raison via son avis n° 20254070, en date du 2 juillet 2025 (disponible ici : http://gofile.me/5hVVU/qZjXsEXHM). J'ai immédiatement demandé à nouveau par lettre recommandée au maire de me fournir ainsi " l’ensemble des dépenses relatives aux frais de restaurant imputées au budget de la commune par le maire et son cabinet incluant les dates, les lieux, les montants ainsi que les personnes invitées et leur qualité ", conformément à l'injonction de la CADA.
Le 9 juillet 2025, sans réponse du maire, je me suis tourné vers le tribunal administratif de Versailles via une procédure de référé conservatoire pour demander que le juge des référés contraigne en urgence la commune à me fournir ces données, sous astreinte.
Le 10 juillet, le tribunal a fait droit à ma demande et a "mis au rôle" du tribunal ma demande, au 24 juillet, reconnaissant ainsi la réalité de l'urgence de cette requête : en effet, dans une procédure classique, le jugement ne serait intervenu, du fait des délais usuels de ce tribunal, qu'après les élections de mars 2026, privant ainsi les électeurs d'un élément d'appréciation quant au bilan des mandats municipaux passés.
J'ai reçu ce même jour à 16h22 un courriel du maire me fournissant les documents demandés : la commune ayant été mise au courant de l'imminence d'un jugement qu'elle était sûre de perdre, j'ai donc fini par obtenir ces données.
L'indispensable transparence démocratique commence à être mise en œuvre dans certaines communes (par exemple à Tours : https://data.tours-metropole.fr/explore/dataset/frais-representation-maire-tours/table/), mais ce n'est pas encore le cas à Orsay : c'est pourtant à travers une telle transparence que les électeurs pourront retrouver une confiance, essentielle et largement perdue, dans la démocratie représentative.
Analyse des frais de bouche du maire et de son cabinet sur la période 2015-2025
Conscient de la dangereuse trajectoire budgétaire de la commune, je n’avais jusqu’ici pas vraiment pu enquêter sur ses raisons, les échanges au sein de la majorité municipale, à laquelle j’appartenais alors, n’y étant pas propices. Désormais hors de la majorité, j’ai toute liberté pour ce faire.
J’ai écrit une analyse globale de la situation financière lors du vote du budget primitif 2025 de la commune (j’ai voté contre la proposition qui nous était faite). Je poursuis mes investigations en en examinant plus en détail certains aspects : l’usage des frais de représentation en fait partie.
Ayant fini par obtenir de la commune, avec difficulté, les données brutes, je les mets à disposition afin que chacun puisse les consulter dans un souci de parfaite transparence :
- ces données, avec les facturettes, sont disponibles à cette adresse :
http://gofile.me/5hVVU/MRSYz31XR
- leur compilation, plus lisible, a été réalisée par mes soins dans des fichiers Excel ici :
http://gofile.me/5hVVU/Ot0vb4Er6
À partir de cette compilation, j’ai tenté de procéder à leur évaluation : les remboursement de ces frais sont-ils conformes à la réglementation ? Ces dépenses sont-elles du même ordre de grandeur dans d’autres communes ?
Sur le caractère réglementaire des dépenses et des documents qui m’ont été fournis
- j’ai relevé plusieurs repas individuels, qui ne peuvent être assimilés à des réunions de travail, et n’auraient pas dû être pris en charge par la collectivité, comme le rappelle par exemple la Cour des Comptes régionale de Hauts-de-France :
Contrôle de la commune d’Hesdin (exercices 2013 et suivants) :
https://www.ccomptes.fr/sites/default/files/2023-10/HFR201914.pdf
- les documents fournis, s’ils indiquent presque toujours le montant de la dépense et le nom de l’établissement, ne mentionnent généralement pas certaines des autres mentions requises, en particulier l’identité des convives et l’objet de la réunion de travail. Souvent, on trouve soit l’une, soit l’autre, mais rarement les deux. Ainsi, le conseil d’État a critiqué l’acceptation par le comptable public de coûts « justifiés par de simples factures de restaurant établies au nom de la commune, lesquelles ne comportaient aucune mention relative à l'identité des convives ni à la manifestation à l'origine de la dépense » (Conseil d'État, 6ème SSJS, 23/12/2015, 376324).
Il est à noter aussi que, pour l’année 2016, ne m’a été fourni qu’une liste des dépenses, sans mention ni du lieu, ni de l’objet, et sans les facturettes, rendant ainsi davantage illusoire le contrôle de cette année-là.
Ces manquements sont inexcusables, comme le souligne par exemple la cour des Comptes régionale d’Occitanie :
« La chambre (…) souligne que la réglementation applicable en matière de frais de représentation, de mission et de fêtes ou cérémonies est ancienne et que les intéressés peuvent difficilement exciper de leur méconnaissance compte tenu des carrières et des mandats exercés.
Elle ajoute, enfin, que les principes déontologiques, et notamment ceux relatifs aux devoirs de probité et d’intégrité, qui s’appliquent tant aux élus locaux qu’aux personnels de la fonction publique locale justifient que les intéressés remboursent de leur propre chef la collectivité des dépenses dont ils ont profité à tort. »
CRC Occitanie au maire de la commune de La Grande Motte (GR / 18 / 1485 ; 31/7/2018)
https://www.ccomptes.fr/sites/default/files/imported_pdf/2018-08-14/OCR_2018-35.pdf
Sur l’opportunité des demandes de remboursement des petites sommes
Vous constaterez que le maire a demandé, parfois, le remboursement de sommes très faibles, inférieures à 10 €, la plus basse étant de 1,9 €.
Si le comptable public a validé ces sommes, il n’en reste pas moins qu’il est surprenant qu’un maire fasse de telles demandes, occasionnant ainsi un travail de l’administration à ce titre, alors qu’il ne serait pas inconvenant que le maire règle ces sommes avec ses indemnités électives : pour rappel, pour le maire, jusqu’en 2023, les indemnités mensuelles étaient d’environ 3000 € comme maire, 1500 € comme vice-président de la communauté d’agglomération, 2700 € comme conseiller départemental (pour ma part, en proposant des déjeuner de travail aux agents de la mairie, comme adjoint au maire ou de la communauté d’agglomération, comme vice-président, j’en ai toujours réglé la note intégralement de ma poche, considérant que mes indemnités pouvaient avoir cette fonction).
Ces dépenses sont-elles d’un ordre de grandeur analogue à celles des autres communes ?
Il n’est pas simple de se procurer, en 2025, les données des frais de bouche de la plupart des communes. Seule, à ma connaissance, la ville de Tours donne-t-elle un excellent exemple de transparence en les publiant, de sa propre initiative, en ligne :
https://www.data.gouv.fr/datasets/frais-de-representation-du-maire-tours/
On trouve néanmoins une ressource citoyenne qui a pu compiler les données d’une vingtaine de villes :
https://chicane-lemag.fr/16/2023/11/27/analyse-donnees-notes-de-frais-elus/
Les détails en sont visibles ici (les facturettes de chaque dépense sont même accessibles via la colonne « justificatifs ») :
https://airtable.com/appqLug1C3Vccg7kG/shr9zjnVKaEZXfHIT/tbl1kmznGFU0fPVg3
Vous pourrez constater que, par chance, la ville de Palaiseau figure parmi ces villes : voisine, je l’ai choisie comme jauge.
On voit, pour le maire de Palaiseau, une dépense totale en frais de restauration de 4055 € pour les exercices 2020, 2021, 2022, soit 1350 € par an en moyenne, ce qui représente environ 3,75 centimes d’euros par an et par habitant.
À Orsay, moyennée entre 2015 et 2024 (2021 exclue), cette même dépense est d’environ 21 centimes d’euros par an et par habitant, soit 5,6 fois supérieure à celle de Palaiseau. Ces frais de bouche du maire ont coûté ainsi, sur dix ans, près de 30 000 € à la commune.
Vous aurez pu aussi constater une très nette augmentation des dépenses du maire après 2021 : entre 2015 et 2020, la moyenne des frais de bouche était de 2771 € par an, alors qu’elle a été, en 2022 et 2023, de 5188 € par an : la dépense moyenne par an a ainsi quasiment doublé.
Les raisons en sont :
- l’augmentation notable du nombre de repas par an : 48 en 2022, 60 en 2023, contre 32 en moyenne entre 2016 et 2020 ;
- et aussi l’augmentation du nombre de repas très onéreux : on notera par exemple, en 2023, un repas de deux couverts, avec un autre élu, coûtant plus de 300 € (et comprenant une bouteille de Chambolle-Musigny à 90 €).
Je vous laisse imaginer les raisons de ce dérapage, qui interroge, alors justement que la trajectoire budgétaire de la commune s’infléchissait déjà dangereusement vers le rouge (comme je l’argumente dans mon intervention lors du débat du budget primitif 2025 de la commune).
Conclusion
Je laisse chaque lecteur se forger sa propre conclusion quant à la bonne utilisation, à Orsay, de ces deniers publics.
De mon côté, après cette étude, je souhaiterais que toute commune, comme l'a fait la ville de Tours, mette en ligne l’intégralité, en temps réel, de ces dépenses de représentations, dans leur détail (personnes participantes, comprenant nom et qualité, objet de la réunion, lieu et coût), et qu’elles en proposent d’elles-mêmes une analyse. Ou, mieux, s'interdise de telles dépenses, considérant qu'elles peuvent être assurées par les indemnités électives des élus (comme c'est le cas à Chaville, dans les Hauts-de-Seine).
Ainsi, cette transparence délibérée pourra-t-elle contribuer à redonner aux citoyens confiance dans leur démocratie, et leur permettre de ne pas céder aux tropismes extrémistes de tous bords, qui menacent notre démocratie et notre style de vie.