Dans l’épisode précédent, j’ai évoqué l’arrivée du maire dans des circonstances peu courantes, et les raisons pour lesquelles il peine à maîtriser l’ensemble des dossiers d’une commune comme la nôtre : il faut reconnaître que la commune est impactée par des problématiques d’ampleur, avec les gros soucis financiers, des dossiers urbanistiques complexes et l’émergence des nouveaux quartiers de Moulon et Corbeville.
Et qu’il n’est pas simple au maire de tout assimiler dans le peu de temps qu’il a eu pour ce faire.
On l’a bien vu lors du conseil du 16 octobre, lors duquel ses réponses, quand il en a donné, posent question.
À propos du rapport de la cour des comptes
J’ai relevé en conseil dans ce rapport le fait que la Cour avait pointé plusieurs illégalités : le maire les a déniées oralement, ce qu’il réitère dans son éditorial du magazine de novembre 2025, où l’on lit sous sa plume, à propos du rapport : « De plus, aucune irrégularité de gestion n'est mentionnée, ni de situation explosive comme certains aiment à le faire croire. »
Or, l’on peut trouver dans ce rapport les éléments suivants :
- le dysfonctionnement de la chaîne comptable.
« Le délai global de paiement moyen dépasse structurellement le plafond réglementaire de 30 jours et se situe à 41,95 jours en moyenne sur la période.
Le délai de mandatement s’établit entre 31 et 42 jours sur la période pour un délai réglementaire de 20 jours. Pour remédier à cette situation, la commune a mis en place des points de gestion trimestriels visant à faire le point sur les stocks d’engagements non traités.
La chambre constate qu’en dépit des mesures prises, le délai de mandatement des neuf premiers mois de 2024 est supérieur à celui constaté pour les exercices 2019 à 2021. »
« Le délai de mandatement (…) est particulièrement dégradé. »
Or, le décret du 29 mars 2013 impose un délai de mandatement précis, non respecté donc : la commune s’est bien trouvée en situation d’illégalité de ce fait.
- les délais de versement des intérêts moratoires en cas délai de mandatement tardif
On lit aussi : « Par ailleurs, si la commune s’est acquittée d’intérêts moratoires de 2019 à 2021, les montants versés sont très faibles voire nuls comme en 2022 et 2023.
La chambre rappelle qu’il incombe à l’ordonnateur de payer spontanément les intérêts moratoires et indemnités pour frais de recouvrement, conformément à l’article L. 2192-13 du code de la commande publique. »
Là aussi, la commune, pour ne pas avoir versé ces intérêts depuis 2022, est dans l’illégalité et pourrait se voir poursuivie par ses créanciers
Les intérêts moratoires n’étant quasiment plus versés, alors que c’est un dû envers nos fournisseurs, il en résulte aussi un nombre croissant d’entreprises qui refusent de travailler avec la ville, au détriment de la qualité et des prix proposés par celles qui persistent à le faire.
- la charte de l’élu
En page 9 du rapport, on lit : « L’article L. 2127-7 du code général des collectivités territoriales (CGCT) dispose que : “lors de la première réunion du conseil municipal, immédiatement après l’élection du maire et des adjoints, le maire donne lecture de la charte de l’élu local prévue à l’article L. 1111-1-1. Le maire remet aux conseillers municipaux une copie de la charte de l’élu local et du chapitre III du présent titre.
Or, la charte de l’élu local n’a pas été lue lors de la séance du 23 mai 2020 et de la séance suivante, ni lors du renouvellement du conseil municipal le 29 avril 2024. »
Là aussi, la commune est dans l’illégalité. Cette obligation de procédure a une valeur déontologique et symbolique forte : cet « oubli » en dit long sur l’importance accordée à la démocratie municipale.
- le rapport annuel de la SPL WIPSE
On lit, page 17 du rapport : « Si un rapport a bien été présenté au conseil municipal de la commune d’Orsay pour les exercices 2021 à 2023 s’agissant de la SPL Nord Essonne, tel n’est pas le cas de la SPL WIPSE.
La chambre invite la commune à s’assurer du plein respect de cette obligation pour ce qui concerne la SPL WIPSE. »
En effet, Le texte qui impose au conseil municipal la communication des rapports annuels de ses Sociétés Publiques Locales (SPL) est l’article L. 1524-5 du Code général des collectivités territoriales (CGCT).
Cet article prévoit que les organes délibérants des collectivités territoriales, comme le conseil municipal, doivent se prononcer, après un débat, sur le rapport écrit qui leur est soumis au moins une fois par an par leurs représentants au conseil d’administration ou au conseil de surveillance de la SPL. Ce rapport inclut notamment des informations générales sur la société, les modifications statutaires, des informations financières consolidées ainsi que les éléments de rémunération des mandataires sociaux. La communication du rapport aux organes délibérants est immédiate et vise à permettre un débat démocratique.
C’est donc le manquement à cette obligation réglementaire de transparence en direction du conseil municipal qui est reproché au maire.
Contrairement à ce qu’affirme le maire, le rapport pointe donc bien plusieurs « irrégularités de gestion ».
À propos du refus de communication des frais de bouche
En réponse à l’une de mes interventions, en ce conseil municipal, le maire a prétendu que c’étaient des difficultés liées aux archives qui ne lui avaient pas permis de me fournir les documents relatifs aux frais de bouche des maires et du directeur de cabinet du fait d’un problème de personnel, récurrent à ce poste, et de la quantité de données demandées.
Or, voici le calendrier de cet épisode :
- 24 avril 2025 : je demande au maire par lettre recommandée les « frais de bouche » des maires sur les dix dernières années.
- 12 juin 2025 : sans réponse sous un mois, je saisis la CADA (la Commission d’Accès aux Documents Administratifs).
- 2 juillet 2025 : publication de l’avis de la CADA enjoignant à la commune de me communiquer les documents demandés.
- 3 juillet 2025 : par lettre recommandée au maire je réitère ma demande, appuyée de l’avis de la CADA.
- 9 juillet 2025 : sans aucun retour du maire, je dépose une requête auprès du tribunal administratif de Versailles, en référé (i.e. en urgence) demandant exécution de l’avis de la CADA.
- 10 juillet 2025 à 16h10 : je reçois (comme, probablement, le maire) communication par le greffe du tribunal de la « mise au rôle » de ma requête pour le 24 juillet.
- 10 juillet 2025 à 16h22 : je reçois les documents demandés.
Jusqu’à ce jour-là, le maire n’avait répondu à aucun des courriers que je lui avais expédiés à ce propos.
Si je tente de suivre les arguments du maire, les documents seraient donc, deux mois et demi après ma demande initiale, sortis par chance des archives quelques minutes après que le greffe du tribunal eût mis au rôle ma demande : quelle coïncidence.
La réticence obstinée du maire à me fournir ces documents étonne, alors qu’ils sont publics, et qu’il a donc l’obligation d’y procéder, comme le Conseil d’État l’a précisé dans un arrêt du 8 février 2023.
En effet, ils entrent dans le champ prévu par l’article L300-2 du Code des relations entre le public et l’administration (CRPA) : « Sont considérés comme documents administratifs (…), quels que soient leur date, leur lieu de conservation, leur forme et leur support, les documents produits ou reçus, dans le cadre de leur mission de service public, par l'État (et) les collectivités territoriales. » Or, précise l’article L311-1 du même Code, ces administrations sont « tenues de communiquer les documents administratifs qu’elles détiennent aux personnes qui en font la demande ».
Comme je l’ai souligné durant le conseil, les conceptions du maire en matière de transparence n’ont rien à voir avec les miennes et en disent long sur la représentation qu’il a de la démocratie locale.
Finalement, relativement à la question initial
- Vis à vis du rapport de la cour des comptes, le maire affirme qu’il ne contient aucune illégalité : or, j’en ai trouvé trois.
- Pour ma demande des frais de bouche, le maire a fourni des arguments que le calendrier dément à l’évidence.
Ainsi, que conclure de la façon de répondre de M. Darmon ?
A-t-il une connaissance insuffisante des dossiers, ou bien pratique-t-il une lecture de la réalité qui lui est propre, usant ainsi d’ « alternative facts » ?
J’en laisse juge chacun.