Résumé
Dans un brillant et provocateur article du Scientific American daté de juillet 2013, le philosophe de la physique Meinard Kuhlmann s’interroge sur la nature profonde du réel tel qu’il peut être déduit des théories quantiques les plus abouties. Le fond de ce questionnement n’est pas physique, il est ontologique et la démarche est on ne peut plus philosophique.
La physique quantique se décline en deux grandes théories, la première axée sur les particules et développée à la fin des années 1920 avec un consensus sur l’interprétation acquise en 1927 (congrès Solvay). C’est cette théorie qui a popularisé la thèse du doublet particule et onde, dont le comportement est formalisé par la fameuse et énigmatique équation de Schrödinger. Laquelle étendue au contexte relativiste par Dirac a permis de faire apparaître une solution à énergie négative qui représente le positron, particule d’antimatière découverte grâce aux chocs à hautes énergies produits dans les accélérateurs. L’autre branche canonique de la physique quantique a été développée jusque dans les années 1970. C’est la théorie quantique des champs, aboutissant au modèle standard avec deux formalisations, la QED qui décrit l’interaction électromagnétique et la QCD qui concerne l’interaction forte avec les quarks et les gluons. Les degrés de libertés sont infinis (comme du reste certains calculs qu’il faut « renormaliser ») Les physiciens imaginent alors le monde à l’image d’un jeu de lego animé, avec des particules qui s’entrechoquent et se déplacent en fonction des forces qu’elles subissent tout en les générant.
la théorie algébrique quantique des champs - AFQT
Le contenu mathématique des représentations utilisées en QFT marque une différence importante. Ce ne sont plus les observables qui constituent les éléments mathématiques basiques de la « physique quantique » (le monde réel si on veut) mais l’algèbre des observables. Ce qui confirme le déplacement ontologique depuis le doublet particule-champ vers une conception dominée par les relations. Le monde est alors constitué d’un « filet » ou mieux encore, d’un « tissage » de relations (net), autrement dit, pour simplifier, de structures, ce qui conduit à un réalisme structural comme « philosophie de la matière », comme le résume si bien Kuhlmann dans le Scientific Américan, ajoutant que nous ne connaissons pas les choses telles qu’elles sont en elles-mêmes, mais les relations qu’elles nouent, qu’elles tissent entre elles.
Ce dernier point résume l’aspect révolutionnaire du point de vue épistémologique et ontologique contenu dans la AQFT. Les objets basiques de la « nature quantique » ne sont plus les états observés mais les observables structurées par un réseau de relations formelles. Plus précisément, c’est l’état qui opère sur l’algèbre des observables pour générer les « nombres » que l’expérience mesure. C’est donc un renversement complet et c’est sans doute la seconde révolution quantique, 70 ans après les travaux de Schrödinger, Dirac, Heisenberg et les autres.
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