Agir localement : les villes en transition

Le film "in transition", en version française, doublée par de talentueux Quebecois...

Adresse d'un site à visiter :

http://villesentransition.net/transition/introduction/villes_en_transition

trouvé sur http://salades-nicoises.net/:

La dépendance de notre société aux transports et au pétrole est très largement sous-estimée, les conséquences possibles de son interruption ou sa pénurie peu anticipées.

Notre accoutumance a un pétrole pas cher,véritable sang artériel du libre-échange, a entrainé, ces trente dernières années, des bouleversements énormes dans notre quotidien, sans que nous y prêtions trop attention.. Elle a permis une délocalisation généralisée et progressive de pans entiers de notre vie (production, nourriture, mobilité, loisirs) et l’arrivée du TOUT CAMION, la "grande distribution" ( A voir le film "Tous comptes faits" d’Agnès Denis) et par conséquent le développement de l’industrie agro-alimentaire au détriment de la production de proximité. Mais ce choix, celui de la mondialisation et du pétrole, ainsi que toute l’activité de transports générée, a un cout jusque la peu assumé, il est extrêmement énergivore et impose une urbanisation routière anarchique empiétant sur les terres agricoles.Sans oublier qu’il est excessivement polluant !

exemple : 13 janvier 2010 : Alerte neige, les poids lourds sont interdits en Ile-de-France. Le nombre de départements placés en alerte neige diminue (27), mais la circulation est difficile sur de nombreux axes, et des milliers de poids lourds ont dû être parqués.

Le pic pétrolier** c’est pour 2020 estimait Fatih Birol économiste en chef de l’Agence Internationale de l’Enérgie en 2008, les réserves mondiales ont passé un cap, le déclin de la production de pétrole est inéluctable.

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23 mars 2010

Washington envisage un déclin de la production de pétrole mondiale à partir de 2011

Le département de l’énergie américain reconnaît qu’“il existe une chance pour que nous fassions l’expérience d’un déclin” de la production mondiale de carburants liquides entre 2011 et 2015 “si les investissements font défaut”, selon un entretien exclusif avec Glen Sweetnam, principal expert officiel du marché pétrolier au sein de l’administration Obama.

Cette alerte sur les capacités mondiales de production pétrolière lancée depuis Washington intervient au moment où la demande mondiale de pétrole repart à la hausse, et tandis que de nombreux projets d’extraction ont été gelés à cause la chute des cours du brut et de la crise financière.

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Dans les trente prochaines années, notre vie de tous les jours sera sujette a encore plus de changements. Ceux du sevrage de cette dépendance au pétrole par la RELOCALISATION du fait de l’application des objectifs de réduction de CO2, la hausse du prix puis l’épuisement progressif des énergies fossiles.

Ainsi que la Descente énergétique ou décroissance* qui en découlera.

Un monde plus petit

Un monde avec moins de carburants, c’est un monde où les personnes comme les marchandises circulent moins. Le coût d’un tee-shirt fabriqué en Chine, de pommes produites au Chili, d’un voyage aux Seychelles deviendra prohibitif.

En effet, nos consommations énergétiques ne se limitent pas à la voiture, au chauffage et à l’éclairage. Un yaourt fait en moyenne un “voyage” de 3000 km avant d’arriver dans nos assiettes, et consomme de ce fait beaucoup plus d’énergie qu’un yaourt produit à la laiterie locale. On imagine bien qu’une fois les transports devenus chers, le yaourt de 3000 km deviendra un luxe.

Il faut donc que les liens économiques et sociaux se resserrent, ne serait-ce que pour trouver à distance raisonnable ce qu’on va aujourd’hui acheter jusqu’en Chine. Certains n’hésitent pas à dire que le choc pétrolier qui s’annonce sonnera le glas de la mondialisation !

Au Royaume-Uni ( iles ) 40 % de la nourriture est importée. Légumes, fruits et blé le sont a 90 %, chaque produit agricole parcourant en moyenne 2000 kilomètres. Cette mono-dépendance au camion et au fret maritime (pétrole) pour des produits de subsistance essentiels n’est pas sans risque, mettant la sécurité alimentaire du royaume a la merci de beaucoup d’aléas et dangers ( grèves, météo, etc ).

Tout la subsistance alimentaire du pays repose sur la régularité d’une chaine d’approvisionnement et de plateformes logistiques régionales. Ces centres travaillant en flux tendu (modèle de management ayant pour principal objectif l’efficience financière), sont alimentés nuit et jour par une noria de camions, avec peu de stockage (réserves) .

Mais cette rentabilité a un cout caché : l’insécurité alimentaire.

Car l’hégémonie d’une source d’approvisionnement engendre un RISQUE SYSTEMIQUE. Plus un circuit est long et mono-dépendant plus il est fragile.

Ce n’est plus le produit mais son déplacement qui devient central !

Toute interruption de la chaine, n’importe ou, se répercute immédiatement mettant en péril tous les maillons qui suivent (phénomène en cascade) , l’approvisionnement alimentaire de la population étant en bout de chaine, cela peut entrainer de graves pénuries,des désordres, des troubles etc.

Or la sécurité/souveraineté alimentaire n’est pas une marchandise comme les autres avec laquelle on peut jouer impunément.

En 2000 la grève du gaz-oil au Royaume-Uni en offre un bel exemple :

En l’espace de 3 jours, l’économie britannique a frôlé la catastrophe quand il est apparu évident que ce pays n’était plus qu’à 24 h d’une pénurie alimentaire. Peu de temps avant que cette contestation ne trouve une issue favorable, Sir Peter Davis, Président de Sainsbury’s (grande distribution :l’équivalent du groupe Carrefour), écrivit à Tony Blair (alors premier ministre) annonçant que la pénurie alimentaire pouvait apparaître dans « quelques jours et non plus quelques semaines ».

Les supermarchés rationnèrent aussitôt pain, sucre et lait.

La fragilité de la croyance, comme l’affirme un document officiel de 2003, que “la sécurité alimentaire nationale n’était ni nécessaire ni souhaitable,” devenait soudainement évidente.

Il devenait clair que la société britannique n’avait plus aucune “résilience” *** disponible pour faire face et qu’elle était, en fait, à 3 jours d’une famine qui pouvait surgir à tout moment, une situation qui évoquait le vieux dicton qui dit qu’une « civilisation a seulement l’épaisseur de 3 repas ».

La subsistance alimentaire du pays était devenue complètement dépendante d’évènements imprévisibles, et elle n’avait pas de Plan B.

Au même moment un rapport parlementaire : The mass balance movement 2006 , qui analysait les flux et possibles pénuries des ressources naturelles non-renouvelables dans l’économie d’un point de vue environnemental, (transports, déchets, gaspillage, pollution etc) parvenait aux mêmes conclusions.

Il était tout d’un coup devenu évident pour le gouvernement et les élus locaux qu’envisager une relocalisation progressive de la production de certains produits de base était nécessaire et que le temps d’une autonomie de subsistance par la mise en place de circuits d’approvisionnement plus courts était venu.

En réponse à la double pression du pic pétrolier et du changement climatique, des communes pionnières au Royaume Uni, en Irlande et ailleurs adoptèrent une approche fédératrice et globale pour réduire leur bilan carbone et mieux se préparer aux bouleversements qui accompagneront le déclin de la production de pétrole dans les dix ans a venir.

De la dépendance au pétrole à la résilience*** des communautés

prix du baril juin 2009-avril 2010

Bristol (population 416 000 habitants) fut la première grande ville a financer une étude d’impact sur la vie locale ( transport, nourriture, santé, énergie, économie, services publics etc) en cas de raréfaction du pétrole et a en tirer des conclusions : le besoin du retour a une certaine autonomie (self-reliance) du territoire , la relocalisation d’activités économiques, et la priorité a une forme d’autosuffisance alimentaire pour préparer l’après-pétrole.

Raffinerie Total 22 02 2010

Bristol en Transition la première initiative d’échelle urbaine, met en réseau, inspire, forme, favorise et soutient les initiatives a l’échelle locale des quartiers et villages – Redland en Transition, Withywood en Transition, etc. – dans leurs propres Initiatives de Transition.

Une ville en transition est une ville dans laquelle se déroule une initiative de transition, c’est-à-dire un processus impliquant la communauté et visant à assurer la résilience (capacité à encaisser les crises économiques et/ou écologiques) de la ville

La démarche des initiatives de Transition est résumée dans le Guide des initiatives de Transition (pdf) traduit de l’anglais par le Français Maxime David. Cette démarche consiste à aider les citoyens à définir ensemble leur avenir et les solutions qu’ils souhaitent mettre en place (parallèlement aux mesures qui pourront être prises au niveau national ou international). La première étape consiste à établir une vision commune qui dédramatise la mutation à venir et fournit la motivation nécessaire pour s’engager dans un profond processus de changement.

« Les villes en transition sont une manière concrète pour les individus d’agir sur le climat et le défi du pic du pétrole ». C’est ce qu’on appelle un "grassroots movement" mouvement d’autonomisation partant de la base, inversant la pyramide décisionnelle.Elles ont pour objectif d’inciter les citoyens d’une ville ou quartier à prendre conscience du pic pétrolier et de s’y préparer en mettant en place des solutions ( ex : relocalisation, amaps, vide greniers, recyclage, ateliers de réparation, transports doux ) visant à :

* réduire ses émissions de CO2 et sa consommation d’énergie d’origine fossile

* retrouver un bon degré de résilience par la relocalisation et par l’intensification des liens entre habitants et acteurs économiques locaux

* acquérir les qualifications qui deviendront nécessaires.

Dès lors, chaque collectivité locale trouvera par elle-même les solutions qui lui conviennent en fonction de ses ressources et de ses enjeux

Laurent

http://salades-nicoises.net

ps : * Développement durable

L’expression est un oxymore, comme la « guerre propre » de George Bush. C’est promettre aux gens le beurre et l’argent du beurre. Il n’y a pas de croissance durable !

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*** Qu’est-ce que la résilience ?

Le concept de résilience en écologie fait référence à la capacité d’un écosystème à s’adapter à des évènements (chocs) extérieurs et des changements imposés. Walker et ses collaborateurs la définissent comme :

“La capacité d’un système à absorber un changement perturbant et à se réorganiser en intégrant ce changement, tout en conservant essentiellement la même fonction, la même structure, la même identité et les mêmes capacités de réaction.”

Dans le contexte des communautés humaines, il renvoie à leur capacité de ne pas disparaître ou se désorganiser au premier signe d’une pénurie par exemple de pétrole ou de produits alimentaires mais, au contraire, de répondre à ces crises en s’adaptant.

************ France Culture

Terre à terre Le magazine de l’environnement

Transition Towns à Bristol - 2

Emission du 02 Janvier 2010

Reportage sur Villes en transition fondé par l’anglais Rob Hopkins à partir d’initiatives mises en place par des groupes de travail locaux déclinés en différentes thématiques (emploi, eau, biodiversité, énergie...). Ceci afin d’organiser la résilience locale face aux enjeux du changement climatique et de la fin programmée des énergies fossiles.

émission du samedi 26 décembre 2009

Transition towns à Bristol*

Radio rediffusion en écoute à la carte

*Transcription texte de l’émission en bas de page

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Le mouvement de Transition est né en Grande-Bretagne en septembre 2006 dans la petite ville de Totnes. L’enseignant en permaculture Rob Hopkins (voir son blogue, en anglais) avait créé le modèle de Transition avec ses étudiants dans la ville de Kinsale en Irlande un an auparavant. Il y a aujourd’hui plus de 250 initiatives de Transition dans une quinzaine de pays (voir la liste officielle) réunies dans le réseau de Transition (Transition Network). Des initiatives s’organisent dans des communautés francophones ( France, Belgique, Québec) en Europe et en Amérique du Nord. Vous pourrez découvrir certaines d’entre elles sur ce site. Elles adhèrent aux objectifs centraux du mouvement de Transition.

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Guide des initiatives de transition

La démarche des initiatives de Transition est résumée dans le Guide des initiatives de Transition, traduit de l’anglais par le Français Maxime David. Cette démarche consiste à aider les citoyens à définir ensemble leur avenir et les solutions qu’ils souhaitent mettre en place (parallèlement aux mesures qui pourront être prises au niveau national ou international). La première étape consiste à établir une vision commune qui dédramatise la mutation à venir et fournit la motivation nécessaire pour s’engager dans un profond processus de changement.

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wikipedia

Ville en transition

Une ville en transition est une ville dans laquelle se déroule une initiative de transition, c’est-à-dire un processus impliquant la communauté et visant à assurer la résilience (capacité à encaisser les crises économiques et/ou écologiques) de la ville face au double défi que représentent le pic pétrolier et le dérèglement climatique.

Ce processus a été développé en 2005 par les étudiants du cours de soutenabilité appliquée de l’université de Kinsale (Irlande) sous la direction de Rob Hopkins, formateur et enseignant en permaculture[1]. La première mise en application a été initiée en 2006 dans la ville de Totnes au Royaume Uni. Depuis, le mouvement est devenu international et compte plus de 150 initiatives officielles[2].

L’originalité du mouvement des initiatives de transition sur les mouvements écologistes ou sociaux existants tient en plusieurs points. Tout d’abord, la vision de l’avenir est résolument optimiste, et les crises sont vues comme des opportunités de changer radicalement la société actuelle. La deuxième originalité est que le mouvement concerne la communauté dans son ensemble car c’est cette dernière qui doit porter le changement. L’action ne doit pas exclusivement venir des gestes individuels quotidiens, ni des instances politiques via la législation. C’est pourquoi le mouvement des initiatives de transition est apolitique et ne choisit pas les confrontations (manifestations, ...). Ensuite, le mouvement a développé une théorie psychologique inspirée de celle des traitements des dépendances toxicologiques pour tenter de traduire le désespoir ou le déni souvent consécutifs à la découverte du pic pétrolier et de notre dépendance au pétrole, en actions concrètes. Cette originalité semble à la source du succès que connait le mouvement des villes en transition[2], mais elle suscite aussi des critiques, notamment sur le manque d’engagement politique.

Totnes (Angleterre), la première ville de transition

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Questions d’échelle

On nous pose souvent la question de l’échelle idéale pour une Initiative de Transition. À bien des égards, les bourgs, échelle où plusieurs des premières Initiatives de Transition ont débuté, sont le niveau idéal. Ils possèdent un arrière-pays distinct, historiquement défini par les villages et zones rurales dont les habitants apportaient leurs produits là plutôt qu’à la ville voisine. De même, les îles sont une bonne échelle pour travailler, parce qu’elles ont des limites clairement définies. Si le concept des « Villes en Transition » semblait si adéquat au début, c’est parce que la petite ville est une échelle que nous appréhendons instinctivement. De nombreuses personnes vivant dans une grande ville rêvent de cités ou, dans ce contexte, de quartiers, aux dimensions plus reconnaissables. Avec l’élargissement de la mondialisation, de nombreuses personnes perçoivent que la sphère à laquelle ils sont reliés et qu’ils peuvent réellement influencer a diminué. Si les gens votent si peu aujourd’hui, c’est peut-être parce qu’ils en sont venus à ressentir que leur vote ne fait pas de différence.

J’en suis venu à penser que le niveau idéal pour une Initiative de Transition est celui où vous sentez que vous pouvez avoir une influence. Avec une ville de cinq mille personnes, par exemple, vous pouvez nouer des liens, elle peut vous devenir familière. Ayant grandi à Bristol, je suis conscient que la plupart des villes étaient, historiquement, un rassemblement de villages, et en ont conservé l’ambiance. L’idée de travailler à l’échelle du quartier n’est pas neuve.

En fin de compte, vous sentirez quelle est l’échelle optimale pour votre initiative. En fait, vous sentez sans doute déjà cela d’instinct. En regardant autour de vous, quelle échelle vous paraît optimale pour travailler ? Instinctivement, jusqu’où estimez-vous que s’étend votre sphère d’influence ? Bristol en Transition, la première initiative d’échelle urbaine, cherche à mettre en réseau, inspirer, former et favoriser, et soutenir les initiatives de quartiers émergentes – Redland en Transition, Withywood en Transition, etc. – dans leurs propres Initiatives de Transition.

Concernant l’échelle, il n’y a pas de formule magique. Votre groupe devra suivre ses instincts, mais ne vous inquiétez pas – cela émergera naturellement. Résistez à la tentation, qui s’est présentée pour certains, de commencer trop grand, en pensant à l’échelle du Yorkshire en Transition, ou de l’Écosse en Transition. Bien que cela soit utile en tant que concept, c’est vraiment placer la charrue avant les bœufs. Certes, il peut arriver, à un moment donné dans l’avenir, qu’un vaste éventail de groupes sur une zone géographique reconnaissent le besoin de se mettre en réseau pour améliorer leur efficacité, mais il faut que ce dernier pousse sur une base de communautés de Transition vivaces, plutôt que d’être créé à l’avance (vous verrez comment le Réseau de Transition encourage les groupes à différentes échelles dans l’Annexe 5, « Comment devenir une Initiative de Transition »

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Villes en transition

Ecrit par petrae oleum

Le mouvement des villes (ou villages) en transition (appelé aussi culture de transition) est né en Grande-Bretagne sous la houlette de Rob Hopkins, enseignant en permaculture (voir son site). En septembre 2006, la petite ville anglaise de Totnes devenait la première “ville en transition” après un an de préparation. Il y a aujourd’hui plus de 130 villes en transition dans le monde, principalement au Royaume-Uni et en Irlande, réunies dans le réseau des Transition Towns (villes en transition). Deux réseaux similaires, Transition USA et Relocalization, existent aux États-Unis. C’est dans l’esprit de ce mouvement que s’inscrit l’initiative de Trièves Après-Pétrole.

Objectifs

Il s’agit d’amener les habitants et les différents acteurs politiques, économiques et associatifs d’un village, d’un quartier, d’une ville, d’un territoire à prendre conscience du pic pétrolier et des mutations qu’il va engendre, et à s’y préparer en mettant en place des solutions visant à :

* réduire ses émissions de CO2 et ses consommations énergétiques ; via un “plan d’action de décroissance énergétique” élaboré collectivement ;

* retrouver un bon niveau de résilience via la multiplication des liens entre habitants et acteurs économiques locaux ;

* augmenter la part énergie, d’aliments et autres ressources produits à proximité ;

* se requalifier pour anticiper les changements de métiers qui se profilent.

Il ne s’agit pas d’apporter des réponses toutes faites, car il n’y en a pas et qu’il est impossible de prévoir précisément ce que l’avenir nous réserve.

Il ne s’agit pas de se substituer à l’action des collectivités locales, des entreprises, des associations et de l’état, mais :

* d’informer et de fédérer les énergies autour d’une dynamique constructive ;

* de proposer un lieu de ressources et de partage des réflexions et des expériences destiné mettre en place,

* de proposer une démarche aux habitants et acteurs du territoire afin de mettre en place des actions collectives et individuelles concrètes.

L’initiative est plutôt un “toit” commun, inspirateur et facilitateur. Elle s’appuie sur des réalisations existantes portées par d’autres (association, Agenda 21, entreprise ou communes), encourage et soutient les projets qui peuvent apparaître dans le cadre de son action ou en dehors. Il importe d’amener chacun (habitant, collectivité, commune, entreprise, agriculteur, association) d’agir à son niveau ou d’amplifier les actions engagées. Nous sommes tous concernés.

Pourquoi agir localement ?

* parce que l’économie devrait logiquement se relocaliser en partie, et que cela permet aussi d’économiser l’énergie et les émissions de CO2

* parce que c’est le niveau auquel les citoyens peuvent agir ;

* parce que c’est souvent près de nous que se trouvent les gens, ressources et les solidarités pour agir.

Cela ne disqualifie bien sûr pas d’autres niveaux et moyens d’action, notamment politique. Au Royaume-Uni, les initiatives d’une même région tendent d’ailleurs à se fédérer au niveau régional pour encourager la transition et la résilience au niveau régional.

La démarche des initiatives de transition est résumée dans le Guide des initiatives de transition, traduit de l’anglais par Maxime David, de Paris :

Guide des initiatives de transition

La démarche consiste à amener les habitants à définir ensemble leur avenir et les solutions qu’ils souhaitent mettre en place (parallèlement aux mesures qui pourront être prises au niveau national ou international). La première étape consiste à établir une vision commune qui dédramatise la mutation à venir et fournisse la motivation nécessaire pour l’engager.

La vision positive

Diffuser des scénarios apocalyptiques en se croisant les bras n’est pas le but ni l’esprit des initiatives de transition.

Il s’agit, sans sous-estimer les difficultés à venir, de bâtir une vision optimiste de l’avenir, en étant conscient qu’un avenir avec moins de pétrole n’est pas forcément plus invivable que le présent si l’on s’y prépare à l’avant.

Le principe est de créer une dynamique, de libérer la créativité, d’insuffler un enthousiasme et une motivation et de libérer la créativité et les savoir-faire des habitants.

Le concept de transition

Il est fondamental de présenter la contraction énergétique comme une opportunité plutôt que comme une catastrophe. Un futur avec moins de pétrole peut être plus préférable que le présent.

Le concept n’est pas un modèle qui détiendrait la solution miracle et serait à imiter fidèlement.

Les initiatives sont orientées vers des solutions concrètes et réalistes et ne sont pas un simple club de discussion.

1) Les principes qui sous tendent le concept de transition

• créer une vision d’avenir motivante ;

• intégrer tout le monde (habitants, élus, entreprises, agriculteurs, associations) ;

• sensibiliser : le problème est largement méconnu et mal compris ;

• rebâtir la résilience locale : c’est le point central ;

• mettre en place des solutions crédibles et pertinentes.

2) L’importance de la psychologie du changement

Tout changement provoque dans notre psychisme une résistance au changement, plus ou moins forte selon l’effort à faire et les habitudes à abandonner.

Il est donc essentiel de faire preuve de pédagogie en laissant les gens découvrir eux-mêmes les problèmes et imaginer eux-mêmes les solutions. Un discours devant une audience passive a peu de chance de provoquer le niveau de motivation nécessaire ; au contraire, les auditeurs se sentent démobilisés par une information qui ébranle leurs certitudes.

Tenir compte de la psychologie est essentiel et la plupart des groupes de transition existant ont créé un groupe de travail consacré aux aspects psychologiques et philosophiques du changement. Ces groupes permettent de se soutenir et de s’encourager mutuellement.

3) L’importance de projets concrets

Des projets concrets montrent :

* que l’initiative est sérieuse et concrète, enracinée dans la vie des gens et du territoire ;

* des exemples de projets réalistes susceptibles d’être généralisés en vue de la transition ;

* sont des supports de communication.

Toutefois, il n’entre pas dans les objectifs des initiatives de transition de tout faire à la place de tout le monde. Le fait par exemple que plus de personnes laissent leur voiture au garage après avoir été sensibilisés est un résultat concret, même s’il ne s’agit pas d’un projet directement mené par le groupe de transition.

Les étapes

On peut résumer la démarche en trois étapes principales :

1) La sensibilisation

Avant d’inviter la population à travailler à la transition, il faut qu’elle ait conscience du problème. Cette sensibilisation vise non seulement à informer, mais à susciter le passage à l’action et à lever les blocages que nous éprouvons tous face à un changement. Un premier groupe de pilotage est mis en place pour organiser cette phase, qui consiste aussi à tisser un réseau de contacts avec les collectivités locales, les associations, les syndicats professionnels, etc. (”jeter les fondations”).

2) La phase d’élaboration et de maturation

Précédée du grand lancement officiel et festif de l’initiative de transition, cette phase démarre une fois que la sensibilisation est bien avancée. Le groupe de pilotage initial se dissout, remplacé par un nouveau groupe élargi et plus représentatif de la diversité sociologique du territoire. Des groupes thématiques sont créés (alimentation, déplacements, éducation, énergie, santé, psychologie et pédagogie, etc.) dont le but est d’élaborer une vision d’avenir positive à partir de laquelle imaginer les étapes de la transition pour aboutir à un Plan de descente énergétique. A ce stade, des premiers projets concrets peuvent voir le jour pour répondre à des besoins, montrer le caractère concret et réaliste des proposition, permettre à ceux qui préfèrent l’action à la réflexion de travailler sans se décourager.

3) La mise en œuvre du plan de descente et la construction de la résilience à tous les niveaux (individuel, collectif, entreprises et collectivités). un groupe de coordination et de suivi associant tus les acteurs peut être nécessaire à cette étape, qui se termine une fois la transition du territoire réalisée.

Quelle est la bonne échelle d’action ?

La bonne échelle est celle où on peut peser (petite ville, quartier, village). Ne pas commencer trop grand, on se disperse et on s’épuise.

Relations avec les autorités locales

Les groupes devraient rester autonomes des autorités locales. Le rôle ce celles-ci est de soutenir, pas de mener (processus inverse des Agendas 21). En revanche, des élus peuvent très bien siéger au groupe de pilotage et dans les commissions. Il va de soi que les collectivités locales font partie des interlocuteurs et des acteurs locaux : elles aussi doivent être sensibilisées pour passer à l’action à leur niveau.

Quand l’initiative est-elle terminée ?

Quand le territoire concerné a réalisé sa descente énergétique et augmenté significativement sa résilience (même si, pour diverses raisons, le groupe de transition n’existe plus en tant que tel).

L’important n’est pas la survie de groupe de transition, mais la diffusion de ses objectifs dans la population et leur réalisation par les différents acteurs du territoire, suivant les objectifs qu’ils auront eux-mêmes définis.

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L’exemple français

Trièves après-pétrole

Le Trièves se situe au sein des Alpes françaises, à une cinquantaine de kilomètre au sud de Grenoble, à une altitude moyenne de 800 m, entre les massifs du Vercors et du Dévoluy (point culminant : l’Obiou - 2789 mètres).

C’est un territoire rural de 300 km2 environ, comptant 8000 habitants répartis sur 29 communes et 3 communautés de communes, qui a toujours attiré les initiatives novatrices (école modèle protestante, ferme modèle du Thaud, qui datent du 19eme siècle, etc.). Très forestier, il a conservé une agriculture vivante et des villages dynamiques.

De nos jours, il est reconnu comme éco-territoire pour ses initiatives et politiques dans divers domaines, et l’installation du centre écologique et des éditions Terre vivante à Mens, en 1991, a fortement contribué au rayonnement écologique de la région. Le tissu associatif y est dense et dynamique, les collectivités volontaristes et une bonne partie de la population est sensibilisée à l’écologie.

Actuellement, on recense de nombreux projets qui vont dans le sens d’un monde plus sobre et plus solidaire et d’une économie s’appuyant plus sur les ressources locales :

 une forte présence de l’agriculture biologique (environ 20 % des exploitations)

 de nombreux producteurs locaux et des ventes en circuits courts relativement développées

Monestier du Percy (Isère)

 un circuit court dédié aux céréales (Céréales du Trièves)

 un réseau de producteurs et consommateurs bio (le Biau Panier)

 un écoquartier à Miribel-Lanchâtre

 une trentaine de maison écologiques et d’autres en projet

 une plate-forme de fabrication de bois déchiqueté pour le chauffage (Syndicat d’Aménagement du Trièves)

 un projet de chauffage collectif à plaquettes à Mens (collège et maison de retraite)

 un projet de relance de la filière bois

 un projet de centre de formation professionnelle à l’écoconstruction (Pour Bâtir Autrement)

 un réseau d’artisans du bâtiments engagés dans l’écoconstruction (Pour Bâtir Autrement)

 la mise en place de compostages de quartier et individuels (Trièves Compostage)

 la présence du centre écologique et des éditions Terre vivante

 le premier Agenda 21 rural reconnu en France (Syndicat d’Aménagement du Trièves)

 Triév’oies, un site de covoiturage et de déplacements alternatifs (Syndicat d’Aménagement du Trièves)

 la relance en cours de l’exploitation du chanvre (SCIC Avenir Chanvre)

 des jardins collectifs bio et solidaires (les Pouces Vertes)

 Un système d’échanges locaux (SEL)

 un lieu de débats et de démocratie participative (Vivre en Trièves)

 un projet d’autopartage

 une ligne SNCF en pleine expansion

 un projet de relance et de sauvegarde des vignes (Vignerons du Trièves)

 un projet écotouristique (offices de tourisme)

Face au triple défi des crises économique, énergétique et climatique, un groupe de citoyens a décidé de lancer une initiative appelée Trièves Après-Pétrole. Il s’agit d’un groupe informel créé le 25 septembre 2008 pour faire connaître le défi du pic pétrolier dans le Trièves et inviter tous les habitants et acteurs du territoire à préparer le Trièves à la mutation de l’après-pétrole et à initier une "descente énergétique".

Les initiateurs du groupe sont des scientifiques de formation : Pierre Bertrand (ancien président du centre écologique Terre vivante) et Jeremy Light (cofondateur du Centre for Alternative Technologies au Pays de Galles) sont impliqués depuis longtemps dans l’écologie concrète et suivent l’actualité du pic pétrolier depuis plus de 3 ans.

L’objectif de l’initiative n’est pas de se substituer à l’action des collectivités locales, des entreprises et des associations, mais :

* d’informer et de fédérer les énergies autour d’une dynamique constructive ;

* de proposer un lieu de ressources et de partage des réflexions et des expériences,

* de proposer une démarche et une méthode aux habitants et acteurs du territoire dans le but de mettre en place des actions collectives et individuelles concrètes.

Pourquoi agir localement ?

* parce que l’économie devrait logiquement se relocaliser en partie ;

* parce que c’est le niveau auquel les citoyens peuvent agir ;

* parce que c’est souvent près de nous que se trouvent les gens et ressources pour agir.

Le groupe de pilotage de Trièves Après-Pétrole compte actuellement 7 membres et s’appuie sur une vingtaine de sympathisants représentants diverses associations et alternatives du Trièves.

http://aprespetrole.unblog.fr

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Guide des Initiatives de Transition

en anglais en pdf : http://transitionnetwork.org

Comment mettre en œuvre la Transition d’une Commune, d’un Quartier, d’une Ville, d’un Village, et même d’une Ile

« Certaines villes ont pris les devants, on les appelle les villes en transition », indiquent des représentants du mouvement des villes en transition. Initié en Grande-Bretagne, ce réseau vise à rendre les villes et leurs habitants moins dépendants des énergies fossiles à l’approche du pic pétrolier, qui marquera le déclin de la production pétrolière. « Les villes en transition sont une manière concrète pour les individus d’agir sur le climat et le défi du pic du pétrole », explique Ben Brangwyn dans une conférence au Klimaforum. Après la petite ville anglaise de Totnes qui a été la première à entamer une politique de transition, on compte aujourd’hui plus de 130 villes en transition dans le monde, principalement au Royaume-Uni et en Irlande, mais aussi en Amérique latine et aux États-Unis.Des initiatives s’organisent dans des communautés francophones en Europe et en Amérique du Nord.

* En Belgique

* En France

* Au Québec

« Ce sont les habitants qui définissent les solutions qu’ils souhaitent mettre en place. "Le plan de descente énergétique" passe par la multiplication des liens entre acteurs locaux, s’appuyant sur une relocalisation de toutes les activités qui peuvent l’être », témoigne Ben. La mise en place de monnaie locale permet par exemple de faire ses achats chez les commerçants partenaires du projet. Un bon début pour « changer son rapport à la vie », bien loin des préoccupations des chefs d’Etat et de gouvernement qui négocient pourtant notre avenir. Heureusement, les citoyens ont des initiatives et de l’imagination à revendre.

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Transition towns à Bristol

Reportage les villes en transition fondé par l’anglais Rob Hopkins à partir d’initiatives mises en place par des groupes de travail locaux déclinés en différentes thématiques (emploi, eau, biodiversité, énergie...). Ceci afin d’organiser la résilience locale face aux enjeux du changement climatique et de la fin programmée des énergies fossiles

à lire en anglais, de Rob Hopkins , "The Transition Handbook : From Oil Dependency to Local Resilience", Editions Green Books, 2008 (ISBN 9781900322188)

> Villes en transition

Transcription de l’émission "Terre à terre"

du samedi 26 décembre 2009

Transition towns à Bristol - 1ère partie

On termine l’année par une vision de l’avenir qui nous vient d’Outre-Manche.

Ce matin et samedi prochain, on part explorer les villes en transition. Un mouvement qui a commencé à l’initiative de Rob Hopkins et qui se répand sur toute la planète et même en France. Rob Hopkins est un homme très occupé. On n’est donc pas allé le voir à Totnes où il habite. On a choisit d’explorer Bristol. Ça tombe bien, ça fait le lien avec notre série sur les villes et le changement climatique.

Ruth Stégassy : Peter Lipman vous êtes un des fondateurs de ce mouvement des villes en transition avec Rob Hopkins. Est-ce que vous pourriez nous raconter les débuts, le commencement de l’idée ?

Peter Lipman : Rob enseignait en Irlande. Il donnait un cours de permaculture, et il se trouve que tout près de chez lui vivait un dénommé Colin Campbell. Lui faisait partie de l’association pour l’étude du pic pétrolier (ASPO, Association for the Study of Peak Oil and Gas). Ils habitaient tout près l’un de l’autre. Il est intervenu au cours de Rob et à l’issu du cours, les étudiants étaient complètement abasourdis en disant : « C’est un catastrophe ! Qu’est-ce qui va se passer ? Qu’est-ce qu’on va faire ? » Cela s’est passé il y a cinq ou six ans. Six ans probablement. Donc Rob et les étudiants ont décidés à ce moment-là de voir comment la ville au plan local pourrait faire quelque chose pour réduire notre consommation énergétique et limiter notre dépendance aux combustibles fossiles. C’était donc à ce moment-là un mouvement spontané. Ce n’est plus comme ça que fonctionne Transition aujourd’hui. Donc les étudiants ont réfléchis ensemble. C’est un moment où l’on a travaillé beaucoup avec Internet. Tout ce débat s’est porté sur Internet. Moi, je travaillais en Angleterre pour une organisation qui s’appelait Sustrans (Sustainable Transport, transport durable). Nous étions en train de voir comment, dans les quartiers, on pourrait réaménager les rues. Et si je voulais qu’on réaménage les rues, ce n’était pas simplement pour qu’on refasse un espace social pour les voitures et pour les gens, mais c’est parce que lorsqu’on prend en main sa vie, on voit différemment la manière de voir les choses. On reprend en main son regard sur la consommation énergétique ou alimentaire. Tel était l’exercice. Donc je travaillais sur ce sujet à Kinsale et j’ai contacté Rob : « C’est vraiment intéressant ce que vous faites. On pourrait peut-être travailler ensemble. Et peu après ça, il a décidé de quitter l’Irlande. Il est venu vivre à Totnes où il a rencontré Naresh Giangrande qui travaillait lui aussi sur le pic pétrolier, et qui réfléchissait à la possibilité de transformer nos existences. Et c’est là que Rob a créé Transition pour la première fois. J’étais souvent en contact avec lui et avec mon ami Ben. On sait dit : « Bon voilà, le mouvement a commencé à Totnes, mais maintenant comment faire pour qu’il se répande ? Et après ça, nous avons mis en place le réseau Transition qui est l’organisation qui soutient toutes les initiatives de transition dans le monde entier.

Ruth Stégassy : En fait, c’est passé d’un travail de quelques étudiants à une toute petite ville, Totnes, et maintenant ça arrive dans des villes de la taille de Bristol. Est-ce que ça change quand ça change de taille, d’échelle ?

Peter Lipman : Bristol compte à peu près 400.000 habitants. Ce projet existe dans des villes beaucoup plus grandes : à Los Angeles, par exemple, il y a le mouvement Transition. Imaginez Los Angeles et toute l’agglomération. Ça représente quelque chose qui est plus important que certains petits pays. Donc l’action se fait sur de tout petits périmètres, ou sur d’immenses villes… des îles, des forêts, des régions, des villes… tous les périmètres possibles sont envisageables.

Ruth Stégassy : Comment es-ce qu’on peut dire que Transition towns marche ou ne marche pas ?

Peter Lipman : Tout dépend. Quand on se pose la question de savoir si quelque chose marche ou pas, évidemment cette question là, elle en recouvre beaucoup d’autres. Ça peut être une question de mesure. En d’autres termes, comment est-ce qu’on va mesurer ? Qu’est-ce qu’on mesure ? Est-ce que ce sont des éléments très tangibles ? Par exemple, le dioxyde de carbone émis dans l’atmosphère. Ou alors, est-ce qu’on va mesurer des choses moins tangibles ? Est-ce que cette communauté est heureuse ? Est-ce que les gens se parlent ? Ou alors, parfois, ce sont des critères beaucoup plus individuels. À savoir, est-ce que c’est une communauté heureuse, ou alors est-ce que telle ou telle personne se sent heureuse ? Comment est-ce que chacun envisage son avenir ? Et, pour être très honnête, on ne sait pas. Et, est-ce que ça va marcher ? On ne sait pas non plus. Mais est-ce que ça fait quelque chose ? Ça, oui ! On peut répondre « Oui ». Pourquoi ? Il suffit de voir la vitesse à laquelle le mouvement s’est répandu dans le monde entier. Nous savons que ce mouvement fait quelque chose puisque les gens nous le disent. Ils nous disent l’effet que fait le mouvement Transition sur eux. On le sait aussi parce que des gens qui sont des gens de pouvoir s’intéressent à ce que nous faisons et viennent nous voir. Par exemple, le secrétaire d’État de l’Énergie et du Changement Climatique de Grande-Bretagne, nous a demandé s’il pouvait venir à notre conférence à Londres au mois de mai. Nous avons dit : « Oui, vous pouvez venir, mais pas comme intervenant ! Vous pouvez venir écouter. Mais nous ne souhaitons pas que vous preniez la parole. » Et il a dit : « Mais ce n’est pas comme ça que ça se passe normalement. Moi, je suis secrétaire d’État. » Et on a dit : « Essayons, venez voir comment cela se passe. » Et c’est ce qu’il a fait. Il est venu et il a beaucoup aimé. À telle enseigne qu’il est resté beaucoup plus longtemps que ce qui avait été prévu. Il y avait tous ses aides de camp qui essayaient de le faire partir, mais il était tellement passionné.

Ruth Stégassy : Mais ça, c’est un des principes du mouvement. C’est le fait qu’on a des relations avec les autorités, mais sur les bases qui sont celles du mouvement des villes en transition, et non pas sur les bases habituelles. Alors, est-ce que vous pourriez nous expliquer pourquoi ? Et peut-être nous décrire, maintenant, un peu plus, les principes du Transition towns mouvement ?

Peter Lipman : Nous pensons que pour que les gens comprennent vraiment comment ils peuvent avoir un impact dans le monde, il faut qu’ils aient le sentiment de maîtriser dans une certaine mesure ce qu’ils font, d’avoir une prise sur ce qu’ils font. Or, la plupart des structures qui nous entourent, sont des structures où personnes n’a vraiment de pouvoir et de prise sur ce qu’il fait. On n’a pas le sentiment d’être utile et que notre action aura un effet. Et évidemment aussi, les réactions à ces structures sont de même ordre. Par exemple, si vous voyez des structures de pouvoir beaucoup plus classiques, y compris à gauche, on dit souvent : « Voilà, on n’a pas telle chose et on veut telle chose. » C’est d’ailleurs comme ça que j’ai commencé à fonctionner dans un premier temps. C’est comme ça que je voyais les choses. Or ce que fait Transition, et qui s’éloigne de ça, c’est que ce mouvement dit : « Nous allons rechercher l’autonomie de chacun, tout en parlant toujours avec tout le monde. Avec absolument tout le monde, y compris avec les gens qui sont à l’opposé de ce que nous pensons. Et nous les respecter, parler avec eux, même si nous ne sommes pas d’accord avec eux. Raison pour laquelle nous sommes toujours heureux de parler avec les pouvoirs locaux, les entités locales et le gouvernement. Quitte à ne pas être d’accord. Et cet échange, d’ailleurs, nous espérons qu’il va s’intensifier de plus en plus, car il y a des autorités, des entités, notamment au plan local, qui sont désireuses de travailler avec nous. Il y a même des entités qui ont adopté des résolutions en disant : « Nous devenons une autorité de type Transition. » Alors, on leur a expliqué ce que ça signifiait concrètement, pour qu’ils puissent développer leur propre manière de faire les choses. Tout ceci me ramène donc aux principes fondateurs de Transition. Les principes touchent davantage au processus et à la manière de faire qu’à l’idéologie en tant que telle. Le processus est le suivant : l’hypothèse de base est que tout un chacun peut vraiment, vraiment agir et être agissant quand il est conscient de ses capacités et qu’il peut être en relation avec autrui. Après, reste à savoir comment on met en place le cas qui va permettre à chacun d’utiliser ce pouvoir qui est le sien. Dès lors, Transition est là pour permettre un processus où on s’écoute, où on se comprend, tout en comprenant les réalités concrètes, tangibles qui sont liées au pic pétrolier. Tout est lié à l’énergie ! Notre alimentation est liée à l’énergie. Les combustibles fossiles sont également une source d’énergie. Ils conduisent à un changement climatique du fait de notre utilisation de l’énergie. Il est donc essentiel de comprendre l’énergie. Et il faut également faire en sorte que les humains puissent prendre le pouvoir, prendre leur décision quant à la manière de vivre. Et c’est ça le processus et les principes de Transition… pour l’instant !

Ruth Stégassy : Kyle, vous enseignez la ville durable. Qu’est-ce que c’est que ça ?

Kyle : C’est assez difficile à résumer. Disons que ça concerne la manière dont on aborde nos problèmes d’environnement, de société, de politique ou d’économie. Tous les problèmes auxquels on est confronté en tant que société globalisée, et aussi trouver des modes de vies qui nous permettent de les résoudre. Par exemple, le changement climatique, les questions d’énergie. Les Etats-Unis ont besoin de beaucoup d’énergie fossile pour maintenir leur niveau de vie, leur économie ou leur système agricole. Et c’est pour cela que le Moyen-Orient est constamment sous leur pression. Parce que le pétrole est la ressource principale qui fait vivre les Américains. Mais si nous changeons nos modes de vie, nos façons de produire notre alimentation, beaucoup des ces problèmes perdent en gravité : le changement climatique, nos interventions au Moyen-Orient, nos villes qui sont vraiment hideuses. Aux Etats-Unis, où on est obligé d’avoir une voiture pour aller de la maison au travail, au centre commercial, partout, si on n’a plus de pétrole, ça va être très dur pour les gens. Parce qu’ils vont devoir faire tous ces trajet à pied.

Ruth Stégassy : Pourquoi est-ce que vous êtes venu à Bristol pour continuer à travailler sur ces questions-là ?

Kyle : Je n’ai pas vraiment choisi de venir ici. Ma femme passe un diplôme d’écotoxicologie. Elle étudie l’impact des produits chimiques sur l’organisme. Moi, je peux conduire ma propre recherche n’importe où dans le monde. Et d’ailleurs, partout dans le monde il y a des gens qui travaillent sur ces questions d’environnement et politique, environnement et société, et ainsi de suite. Alors, je peux travailler n’importe où. Et c’est passionnant parce qu’ils ont tous des méthodes différentes, des approches particulières en fonction de leur culture, du système socio-économique dans lequel ils vivent.

Ruth Stégassy : Quel regard est-ce que vous portez sur ce qui se passe ici, et en particulier sur le mouvement des villes en transition ?

Kyle : J’ai regardé un peu ce qui se passe dans Bristol en transition. Il semblerait que ce soit la première initiative de cette taille, à l’échelle d’une ville. Et le mouvement, ici, s’occupe de soutenir des initiatives plus petites dans les quartiers. Ce que je trouve être un très bon rôle à adopter pour Bristol. Mais bon, tout cela est encore assez récent. Je suis allé visité Totnes qui est vraiment le sommet principal du mouvement et j’ai été très impressionné par tout ce que j’ai vu là-bas. Et quand je suis retourné au Japon, il n’y a pas longtemps, j’ai découvert que Transition Japon avait démarré. Et j’ai passé un certain temps en Californie où je m’occupe de Transition towns. Et il paraît que le manuel des villes en transition a été publié. Il fournit une sorte de panoplie d’outils aux gens pour qu’ils puissent démarrer leur propre processus de transition dans leur ville, village ou autre. Et c’est un ouvrage vraiment, vraiment excellent ! Parce qu’il ne dicte pas de marche à suivre. Il se contente de dire : voici des outils, forgez-vous vous-mêmes les réponses aux questions que vous vous posez dans les situations que vous vous trouvez.

Ruth Stégassy : Qu’est-ce que vous avez trouvé de particulièrement impressionnant à Totnes ? Je n’y suis pas resté longtemps et je n’ai pas tout vu. C’est difficile parce qu’il ne s’agit pas de choses matérielles ou physiques qu’on peut décrire. C’est plus une espèce de processus culturel. Mais une des choses que j’ai trouvée formidable, c’est qu’ils ont là-bas cette forêt comestible. Le fait qu’ils cultivent une forêt et pas une des cultures annuelles classiques. Il faut voir la quantité de culture qu’ils produisent de cette manière. On m’a dit qu’avec le peu de terre qu’ils ont, ils réussissent à séquestrer plusieurs tonnes de CO2 par ce système agricole. Ce qui est vraiment révolutionnaire. Parce que la plupart des systèmes agricoles émettent des gaz à effet de serre. Mais celui là, il les emprisonne, et il produit de la nourriture. Et pas seulement de la nourriture, mais aussi du combustible. Du bois de chauffage notamment. Un système autosuffisant qui se fertilise. Ça, j’ai vraiment trouvé ça impressionnant ! Et aussi d’avoir créé leur propre monnaie (la livre de Totnes), tout un système économique et aussi un système éducatif. Ils font beaucoup d’effort pour enseigner aux gens à transformer nos problèmes en une sorte de situation exaltante, se dire qu’on n’est pas en train d’assister à une dégradation de nos existences mais qu’on tient vraiment une chance de pouvoir résoudre tous nos problèmes, changer tout ce qui ne nous plaît pas. Et ça, c’est vraiment très bien.

Ruth Stégassy : Il y a aussi, peut-être une question d’échelle parce que la première chose dont vous nous ayez parlé à propos de Totnes, c’est une réussite agricole. Et Totnes, effectivement est une toute petite ville. Est-ce que dans une dans une ville plus grande comme Bristol, ou dans des villes encore bien plus grandes comme Los Angeles, il est possible aussi d’envisager une transition vers l’avenir ? Et, est-ce qu’il ne va pas y avoir un problème avec la répartition des humains aujourd’hui dont on sait qu’aujourd’hui plus de la moitié vivent dans des villes ?

Kyle : C’est vraiment très difficile de répondre à cette question. Parce que ça dépende vraiment des villes. Bristol, c’est une ville très compacte qui permet de cultiver la nourriture juste à la sortie de la ville et dans sa périphérie, et donc de maintenir l’alimentation. Mais Los Angeles, par exemple, c’est une grande ville très étalée. Et elle repose complètement sur les énergies fossiles qui permettent de transporte tout ce dont elle a besoin. C’est le modèle par excellence de la pire ville au monde. Mais à Los Angeles il y a aussi beaucoup d’espaces vacants. Par exemple les gens se débarrassent des pelouses, ils commencent à planter des potagers devant la maison. Donc on peut faire pousser pas mal de nourriture là-bas. Sauf qu’à Los Angeles, il n’y a pas d’eau non plus, donc les problèmes sont complexes. Et je pense que les villes ne sont pas conçues pour produire ce qui est nécessaire à la vie mais plus pour produire des tonnes de déchets de ce que nous consommons. Donc il y a un bon potentiel pour être créatif, mais je pense qu’au bout du compte, on a besoin de réduire la taille de nos villes. Quand il y aura moins d’énergie disponible, comment est-ce qu’on va faire pour nourrir les gens ? Pour leur donner de l’eau ? Transporter leurs déchets ailleurs ? Les recycler ? Il y a toutes sortes de problèmes à régler dans notre système de ville. Et je ne crois pas qu’il ait beaucoup de gens qui aient la solution pour quand ça va devenir plus difficile.

Ruth Stégassy : Vous avez dit tout à l’heure que c’était aussi une question culturelle. Vous avez mentionnez le fait qu’aujourd’hui on trouve des villes en transition un peu partout dans le monde, y compris au Japon. Est-ce que vous pensez que dans des cultures très différentes, la traduction de ce mouvement est très différente ou est-ce que vous avez l’impression que là, on a trouvé une sorte de base commune de terrain d’entente sur lequel tout le monde peut se retrouver ?

Kyle : Je pense que le mouvement des villes en transition est bien conçu pour repérer les problèmes et s’y attaquer. Il permet que les gens s’approprient les outils et les utilisent en fonctionne de leur culture, les valeurs et les pratiques qui fondent les lieux dans lesquels ils travaillent. Donc le mouvement transcende les frontières culturelles. Mais en même temps, je pense vraiment, vraiment, surtout avec ce nom « villes en transition », que c’est un pur produit du monde occidental. Donc on verra bien si ça marche pour les produits non occidentaux. Cela dit, beaucoup de gens qui sont conscients des problèmes environnementaux, sociaux ou économiques qui sont les nôtres, comprennent qu’il faut que ça change. Le plus grand défi qu’on a, c’est d’affronter le changement climatique et la crise énergétique. Bon maintenant, il faut y ajouter le chômage de masse qui conduit tout droit à une grande instabilité sociale et politique. Les outils qui sont proposés dans le manuel servent à comprendre ce que sont ces problèmes, pourquoi nous les avons et quelles sortes de questions ont doit commencer à se poser autour de nous, parce qu’au fond, c’est de ça qu’il s’agit. Il s’agit d’aider les gens dans notre entourage à prendre conscience de ces problèmes. À eux ensuite de savoir comment s’y prendre pour les résoudre. On ne leur donne pas des réponses. On leur donne des outils. C’est pour cela que c’est fondamentalement un outil transculturel très puissant.

Ruth Stégassy : Peter Lipman, quand on vous écoute, on pense aux philosophies orientales, et je me demandais quelle est la place du conflit dans votre façon de voir.

Peter Lipman : J’ai étudié la philosophie à l’université. Aujourd’hui, j’aime encore penser à ce que nous sommes, et au fait que ce que nous sommes à l’intérieur a une incidence sur ce qui se passe à l’extérieur. Pas simplement y penser mais ressentir vraiment. Et dans cette pensée que nous avons dans le mouvement Transition, on prend en compte le travail intérieur, on prend en compte l’aspect spirituel de ce que nous sommes. Plus que ça peut se faire dans d’autres cadres politiques classiques. Alors, le conflit, vous en parliez, c’est fondamental. La vie est faite de conflits. Le conflit, il est là, implicite dans toutes les choses que nous faisons. Et si on lutte tellement, et qu’on bagarre tellement dans cette vie, c’est soit parce qu’on esquive complètement le conflit, soit qu’on le reconnaît mais qu’on le qualifie de négatif. On dit le conflit, c’est mauvais. C’est quelque chose qu’il faut éviter à tout prix. Ce qui est une absurdité. Le conflit est inhérent à toute forme de relation. Et c’est pourquoi Transition essaie de transformer le conflit. L’accepter, le reconnaître car il fait partie de la vie, et dire ensuite : « On en fait quoi ? » Parce que le conflit il est porteur d’une énorme énergie. Vous voyez quand les gens sont en situation de conflit, vous voyez l’afflux d’énergie qui se produit qui est à l’œuvre. Et bien, si on est honnête avec soi-même et qu’on n’a pas peur de ce conflit, on peut tout à fait essayer d’utiliser cette énergie. Le conflit n’est pas terrifiant. Il peut être fructueux. Il peut amener à de véritables avancées, et justement le travail de groupe que nous faisons, consiste en grande partie à transformer l’énergie du conflit.

Ruth Stégassy : Sur un plan plus personnel, comment est-ce que le mouvement des villes en transition a changé votre propre vie, votre existence ?

Peter Lipman : Le mouvement a changé ma vie du tout au tout. Est-ce que vous connaissez Edward Saïd ? C’est un Palestinien qui a écrit un très beau livre : Orientalisme. Il a dit : « Sans optimisme, on ne peut pas faire de travail politique utile. » Ce qui est vrai. Mais on peut voir aussi les choses différemment car lorsqu’on fait un travail politique utile, on a de l’optimisme naturellement. Et c’est ce qui s’est passé avec moi avec ce mouvement. C’est-à-dire que j’ai davantage d’optimisme. Et transition m’a permis de faire un travail vraiment très intéressant. Et puis autre chose, qui a été dit par William Morris. Il a fait la distinction entre la besogne inutile qui nous déshumanise, et le bel ouvrage qui nous donne toute notre humanité, qui nous permet de développer notre potentiel en tant qu’humain. Et c’est effectivement ce que je ressent et que j’ai pu vivre grâce à Transition.

Ruth Stégassy : Mais est-ce que vous vous occupez encore de Sustrans par exemple ?

Peter Lipman : Oui ! Mon activité rémunérée se fait justement chez Sustrans. Je suis directeur des politiques. Je consacre beaucoup de temps à Transition mais à titre gratuit.

Ruth Stégassy : Abby, vous vous intéressez à tout ce qui concerne les plantes, et vous participer à plusieurs des activités qui vous relient à ce mouvement des villes en Transition.

Abby : Oui, je suis venue m’installer à Easton, il y a deux ou trois ans maintenant, et depuis je me suis impliquée dans pas mal de choses, en fait. D’abord le mouvement Transition d’Easton et aussi le groupe de permaculture qui se réunit dans un centre social du quartier à Kebele, mais ça c’est autre chose. Le groupe Transition d’Easton est actif depuis la fin de 2007. J’y suis depuis le début. On a commencé par monter un groupe initial. Je ne sais pas si tout ça vous est familier. Non ? Bon. L’idée de base est que vous avez un groupe initial de 5 à 12 personnes qui se réunissent et qui organisent des événements. Ça peut être une projection de film, un atelier de partage de compétences, une soirée. N’importe quoi. L’idée, c’est que ça permette une prise de conscience qui ouvre sur la transition (autour de tous ces sujets liés à l’énergie comme le pic pétrolier, le changement climatique), et de les inscrire parmi les sujets de préoccupation du quartier. À Easton, en fait, on a eu du mal à trouver ce qui pourrait être la place de la transition. Parce qu’il se passait déjà beaucoup de choses dans toutes sortes d’endroits. Il y avait des groupes de jardinages, des cafés de quartier, et d’autres choses dans le genre qui existaient. On avait déjà tout. Ce qui fait que le groupe de Transition a vraiment cherché longtemps avant de trouver quel vide on pourrait éventuellement remplir.

Ruth Stégassy : Pourtant ça paraissait vraiment utile ou nécessaire.

Abby : Et bien, ça aussi, on en a beaucoup discuté. Enfin, oui, on pensait qu’il y avait de la place pour ça. Parce que même s’il se passait déjà des choses, tout n’était pas… Par exemple, nous avons commencé en projetant des films. Et ça, ça ne s’était jamais fait à Easton. Et d’autres des films qui parlaient du pétrole. L’autre chose, c’est qu’on a découvert que les groupes n’avaient aucune relation les uns avec les autres. Donc, nous on pouvait apporter ça. Donner des informations sur ce que chaque groupe Être une sorte de point central pour favoriser les relations.

Ruth Stégassy : Il y a du monde qui est venu ?

Abby : Oui, oui, il y a eu du monde. Au début, on a commencé par essayer de faire venir les groupes déjà actifs à Easton, pour leur expliquer qui on était, ce qu’on faisait, et ce qu’était la transition. Et il y a eu du monde. Même si, bien sûr, on en espérait davantage. Mais je pense qu’attirer les gens sur nos activités, nos événements, c’est beaucoup plus difficile que d’aller les rencontrer là où ils sont. Donc, si on prend ça en compte, c’est plutôt une réussite. Et ensuite, nos projections de films ont très bien marché. Quelques films ont attiré beaucoup de monde.

Ruth Stégassy : Vous disiez qu’il y avait d’autres activités dans lesquelles vous étiez impliquée, entre autres, la permaculture. Et vous avez dit : « … mais c’est différent. » Ce n’est pas complètement différent.

Abby : Non, vous avez raison. La transition, ce n’est pas si différent. La transition vient de là, bien sûr, d’un cours sur la permaculture. Ce sont ses racines. C’est juste que pour moi, ce sont deux engagements bien différents. J’ai suivi un cours de design en permaculture en 2006, et ensuite je n’ai plus fait grand-chose de ce côté-là. Quand je me suis installée à Easton, ça a été l’occasion de renouer avec. Parce qu’il se passait beaucoup de choses. Je me suis inscrite sur un mail-list pour recevoir des informations sur les réunions, les rencontres. J’ai trouvé un groupe avec lequel je m’entendais bien, au centre social du quartier. Et j’y vais régulièrement depuis deux ans. L’activité principale du groupe, ce sont les parcelles jardinées. Je ne sais pas si vous connaissez déjà. Le groupe de permaculture travaille dans un verger et un jardin collectif que le conseil communal nous loue. Nous payons un petit loyer chaque année. C’est ouvert à tous. Chacun peut passer quand il veut. Les jours de travail, il y en a deux par mois. Et faire… toutes sortes de choses : bavarder, cultiver des légumes, et des fruits, participer à la cueillette.

Ruth Stégassy : Deux jours de travail par mois ? C’est très peu.

Abby : Ça semble très peu, mais en fait les gens peuvent venir entre deux séances. On fait un peu ce qu’il y a à faire. Des fois même, des gens passent… En fait, on arrive à tout faire.

Ruth Stégassy : Dans ces jardins partagés, vous faites pousser surtout des légumes ? Surtout des fleurs ?

Abby : On a commencé surtout avec des arbres fruitiers, qui avaient été plantés plusieurs années auparavant. On est parti d’eux et on a planté dessous des oignons, de l’ail. On a fait des terrasses aussi, parce que le terrain est en pente. Donc on a aménagé des terrasses, et elles nous ont permis de planter davantage de légumes. Cette année on a pu prendre un peu plus d’espace, en bas de la pente. Ce qui est très bien. C’est une parcelle beaucoup plus plate. Et là on a fait un potager plus traditionnel avec toutes sortes de légumes, des salades, et ainsi de suite.

Ruth Stégassy : Les arbres fruitiers, c’est important aussi bien pour la permaculture que pour le mouvement des villes en transition ?

Abby : Oui, les arbres fruitiers. Je pense qu’on penche beaucoup vers tout ce qui est pérenne, en fait, dans la permaculture. Et « Ville en transition » soutient cette notion. Par exemple, ils ont organisé une journée de don d’arbres fruitiers il y a deux ans. Et ça, ça a vraiment très très bien marché. À Easton, on a dû donner quelque chose comme deux cents arbres. Les gens les avaient retenus, et ensuite ils sont venus les chercher. Du coup, il y en a beaucoup qui posaient des questions sur la transition. Ils voulaient savoir ce qu’on faisait. Et oui, ils avaient envie de faire pousser des arbres. C’était cool ! Le verger virtuel.

Ruth Stégassy : Pourquoi est-ce que c’est important cette notion de pérennité ?

Abby : Alors, d’abord, les plantes pérennes repoussent tous les ans. On n’a pas besoin de les faire germer à partir de semences. Ni de les nourrir avec des engrais. Tous ces efforts et cette énergie qu’on met dans les plantes annuelles. La permaculture cherche l’efficacité. Un effet maximum pour un minimum d’effort, ou quelque chose dans ce genre. Et les plantes pérennes font exactement ça en terme de croissance. Il y a des gens qui essayent d’utiliser cette capacité à plus grande échelle. Dans les techniques agroforestières, par exemple. Et aussi dans des fermes à permaculture. Ce sera intéressant de voir comment ça se développe à l’avenir.

Ruth Stégassy : C’est la raison pour laquelle les arbres fruitiers qui sont plantés ne sont pas, comme on pouvait le penser, par exemple, des pommiers, mais plutôt des noyers, des châtaigniers, des noisetiers.

Abby : À Bristol, les arbres que nous avons plantés, étaient des fruitiers traditionnels : des cerisiers, des pommiers, des poiriers. Beaucoup d’autres villes en transition ont planté des arbres à fruits secs, comme des noyers ou des noisetiers. Je ne crois pas qu’on ait fait ça ici. Du moins, pas encore. Mais oui, c’est vrai, en permaculture on recherche beaucoup ces arbres-là.

Ruth Stégassy : Ce système des jardins partagés, vous y êtes également très investie, vous l’avez dit. Vous êtes jardinière de métier. Donc, en fait, ce que vous faites, c’est aussi transmettre les savoir-faire.

Abby : Oui, c’est vrai. Aussi bien la permaculture que la transition encouragent le partage des connaissances. Un partage gratuit ! En plus, il y a un autre mouvement à Bristol, la Free Economy. Je crois bien que c’est international. Mais en tous cas à Bristol, c’est très populaire. Eux aussi, ils organisent des sessions de partage de connaissances. C’est vraiment une idée très très populaire. Et je partage ce que je sais faire, gratuitement, aussi souvent que possible. Pour moi, la différence entre le travail, le volontariat, la vie associative et de quartier, tout cela est très mélangé. Je sais que dans certaines cultures il n’y a pas de mot spécifique pour désigner le travail. Parce que le travail, c’est tout ce qu’on fait pour vivre. J’aime beaucoup cette idée. Donc je travaille comme jardinière, je jardine aussi beaucoup dans le jardin partagé, et dans les écoles. Donc, vous voyez, c’est très proche, le professionnel et l’associatif.

Ruth Stégassy : Dans les écoles, qu’est-ce que vous faites ?

Abby : L’année dernière j’ai commencé dans un projet qui s’appelle Growfon : Growing with organic food in open neighbours. Ça a commencé dans les petits jardins, à l’arrière des maisons en ville. Les gens pouvaient se porter volontaires pour jardiner chez les autres. Dix heures, ça leur donnait dix crédits. Et quand ils avaient fait dix heures, ça leur ouvrait le droit à une journée d’action dans leur propre jardin où les autres venaient les aider. Donc, au début, c’était ça, un réseau de voisinage pour s’entraider. Et puis j’ai commencé à faire de l’enseignement pour eux, parce qu’ils ont eu une subvention pour organiser des cours dans les écoles. Il y a une ou deux écoles de Easton qui étaient sur la liste. Et il y avait, je crois, trois enseignants. Et voilà ! On s’est mis à apprendre le jardinage aux enfants, à leur donner des notions de permaculture. On essaie de rester sur des choses très simples. On recycle. Aller là-bas, enseigner, expliquer, ça me plaît énormément. J’aime beaucoup les enfants d’Easton. Il y en a qui n’ont jamais vu la mer, ni la campagne, ni un bois. Les emmener dehors, ne serait-ce que pour ça, c’est un vrai plaisir.

Ruth Stégassy : Quelle est l’importance relative de ces activités ? Par exemple, est-ce que vous avez, à travers ces activités, suffisamment de légumes ou de fruits pour vous nourrir toutes l’année, ou bien est-ce que c’est juste le plaisir de rapporter trois tomates une fois par an à la maison ?

Abby : C’est un peu les deux. Je suis tellement heureuse de pouvoir travailler dans le jardin de mes parents, qui est à une dizaine de kilomètres du centre de Bristol. Là-bas, on a fait un potager avec des serres. On a planté des arbres fruitiers. Depuis quelques années, on plante de tout : des légumes, des fruits. Il commence à y avoir pas mal de choses. Cette année, on a fait vraiment une bonne récolte. On a pu rapporter de quoi se nourrir chez nous.

Ruth Stegassy : Et ça, c’est la famille. Ou bien est-ce que ça fait aussi partie du système de Growfon ?

Abby : Non, ça c’est uniquement la famille. On aimerait ouvrir le jardin dans les années qui viennent. Évidemment. Pour en faire un lieu d’apprentissage. Quelque chose de plus partagé. De moins personnel. Cette année, c’était génial. Je n’ai presque rien acheté, ni en légumes, ni en fruits. J’étais vraiment, vraiment contente. En ce qui concerne les jardins partagés ? Non, ça ne produit pas grand-chose. C’est beaucoup plus un endroit pour se faire des amis, pour apprendre.

Ruth Stegassy : Et vous pensez qu’à l’avenir, ça va prendre de l’importance ? Et que ça va devenir un mode de vie dans lequel les gens pourront s’alimenter eux-mêmes dans une ville ?

Abby : Je pense qu’on peut aller dans cette direction, en tout cas. Oui. De là à dire que tout le monde pourra s’alimenter grâce aux jardins partagés, non. Ce à quoi ils servent, c’est à donner aux gens assez de confiance en eux pour qu’ensuite ils se lancent sur une parcelle louée, ou dans leur jardin derrière chez eux, ou même sur un balcon, dans des bidons ou autres. C’est plus ça. Renforcer la confiance et les connaissances. Easton a plus de mal que d’autres quartiers à Bristol. Il y a très peu d’espaces verts ici. Les jardins sont minuscules. On a un défi plus grand à relever. Plus généralement, je pense qu’à l’avenir, dans un avenir où l’énergie sera rare, les villes vont réduire en taille. Les gens iront s’installer à la campagne. Les villes seront plus petites, plus concentrées. Les propriétés aussi diminueront. Oui, bien sûr qu’il y aura encore des villes. Mais plus petites.

Ruth Stegassy : On a évoqué le pic pétrolier. Qu’est-ce que vous appelez l’énergie nette ?

Peter Lipman : Lorsque l’on extrait de l’énergie, que ce soit du pétrole du charbon ou du gaz, il faut bien sûr de l’énergie pour extraire cette énergie. Et, ce que font les humains, comme les animaux d’ailleurs, c’est qu’on commence par prélever ce qui plus facilement prélevable. Donc lorsqu’on a commencé à forer, pour trouver du pétrole, on a foré dans le désert et le pétrole a jailli. Et donc le retour en énergie par rapport à l’investissement énergétique était de un baril pour cent barils. En bref, il fallait utiliser un baril d’énergie pour en retirer cent. Donc il y avait un énorme excédent énergétique. Si vous voyez ce qu’il se passe autour de vous, tout est possible puisqu’il y a une énergie excédentaire. S’il n’y avait pas d’énergie excédentaire vous seriez à la chasse et à la pêche à glaner votre alimentation. Quand on a peu d’énergie excédentaire, on recherche quoi ? De quoi manger, et encore de quoi manger, et éventuellement de quoi s’abriter. Et quand on a de l’énergie excédentaire, on va avoir des médecins, des comptables, des commerçants, des gens qui font tout un tas de choses, je dirais, non pas inutiles mais secondaires.

Or ces deux cents dernières années on a eu une explosion de cette énergie excédentaire. D’abord avec le charbon, puis avec le pétrole, puis enfin avec le gaz. Et nous avons utilisé cette énergie excédentaire qui a donné le monde que nous avons aujourd’hui, avec tous les problèmes qu’il commence à poser. Mais ce concept dont je parle, c’est bien l’énergie nette. Si vous avez vu la courbe de Hubbert, qui donc se présente sous la forme d’une distribution normale, vous atteignez un pic lorsque vous utilisez la moitié de l’énergie disponible et ensuite il y a une décroissance. Alors, cette courbe concerne l’énergie brute. Or nous avons quasiment atteint le pic pétrolier ce qui veut dire qu’on a utilisé la moitié de l’énergie. Mais c’est la moitié qui était facilement accessible. Cette moitié qui était juste sous terre, dans le Texas ou dans le désert en Arabie. Ce n’était pas le pétrole qui est caché sous la calotte glacière. De sorte qu’aujourd’hui le rapport entre l’énergie nette et l’énergie brute n’est plus de un à cent mais de un à quinze, ou de un à dix. Vous appliquez ça maintenant à la courbe de Hubbert. Ça veut dire que nous sommes maintenant au pic, donc on a utilisé la moitié de l’énergie brute, certes, mais nous avons beaucoup moins d’énergie nette parce que celle qu’on doit maintenant aller chercher, elle est beaucoup plus difficile à aller récupérer. Donc, lorsqu’on arrive au pic, on a utilisé la moitié du total de l’énergie brute, on a en fait utilisé les trois quarts de l’énergie nette, utile. De sorte que d’un coup, non seulement on a moins d’énergie disponible mais qu’en plus elle est plus difficile à aller extraire. Donc si on veut avoir des énergies renouvelables, il faut avoir en plus ce gaz encore disponible pour aller chercher l’énergie qui sera nécessaire pour construire les infrastructures de ces éoliennes, par exemple. Voyez l’Espagne. La moitié de leur électricité est venu de l’éolien, il y a deux semaines. Jamais un autre pays n’a fait autant. Certes, mais toute l’infrastructure de l’éolien a été créée grâce au pétrole. Car le transport et les infrastructures reposent sur le pétrole. Est-ce que nous aurons encore suffisamment d’énergie nette encore disponible pour mettre ne place les infrastructures qui vont permettre de soutenir les renouvelables ? C’est extrêmement important. Or nous ne connaissons pas grand-chose en matière d’énergie. Nous commençons tout juste à comprendre la question, dont nous n’avons pas encore les réponses. Et, si vous voyez, cette question de l’énergie nette, elle nous mobilise de plus en plus chez Transition. Voyez aussi l’exemple du Royaume-Uni. Tout le monde dit : « Vive le TGV ! Le train à grande vitesse, c’est merveilleux ! » En France, il y en a partout. Mais c’est complètement absurde. C’est ne pas prendre en compte les réalités de l’énergie. C’est que la vitesse est fonction de la résistance à l’air. Plus on va vite, et plus la résistance est forte. Dans un tel contexte, l’efficacité énergétique du TGV est absolument exécrable par rapport à un transport à vitesse classique. Si nous n’avons plus d’énergie nette, on ne pourra plus s’offrir le luxe de ce train à grande vitesse. Ça fait un drôle d’effet, ça donne l’impression qu’on essaie de trouver un remède à nos difficultés en appliquant justement ce qui a été la source du problème. Et effectivement des problèmes qui sont solubles vont finir par devenir des problèmes définitivement insolubles si on ne voit pas les choses différemment. Certains disent que nous avons déjà franchi le Rubicon et que la solution est déjà impossible et hors de portée, mais bon, puisque nous y sommes, essayons de limiter les difficultés au maximum. Alors, quelle est l’histoire culturelle qui sous-tend tout ça ? C’est quoi cette narrative ? Cette façon de nous voir ? Quelque chose dont on n’est pas forcément conscient. Surtout ici en Occident. Il y a toute une trame culturelle qui tourne autour du mythe du progrès. À savoir que l’on pense être capable éternellement de relever tous les problèmes qui se posent à nous et que donc la vie va forcément s’améliorer encore, et encore, et toujours. Il suffira de quelques petites améliorations technologiques. Mais il y a toujours un revers de la médaille. Or, le problème avec ce mythe du progrès, c’est qu’il y a également l’autre versant de la chose qui est le mythe de l’apocalypse, que l’on craint l’apocalypse. Et ces deux éléments, ces deux polarités sont toujours présentes. On l’a vu dans le marxisme, on l’a vu dans le christianisme. Cette espèce de narrative avec ses excès. Qu’elle soit présente, cette forme narrative ne me gêne pas en tant que telle. Ça fait partie de notre histoire. Nous avons besoin d’histoires et de récits pour élaborer une histoire. Par contre, ce qui m’inquiète dans la société occidentale, c’est que nous avons très très peu d’histoires qui sous-tendent justement notre pensée. Il y a ce mythe… un ou deux peut-être… vraiment très peu. S’il y en avait davantage, on verrait peut-être notre monde comme un monde de contradictions… un monde où l’on peut essayer différentes solutions pour voir ce qui marche, au lieu d’être dans ce monde où nous disons : « Voilà, ça, c’est la solution, on va l’appliquer, et ça va marcher. »

Ruth Stegassy : À ce point Peter Lipman, on hésite entre les histoires qu’on a envie de vous demander pour la suite. Il y en a deux, me semble-t-il. Une qui nous mène encore plus près de l’apocalypse, c’est l’histoire du changement climatique. Et l’autre histoire, qui pourrait être celle d’une issue plus heureuse, c’est : « Qu’est-ce qu’on peut faire pour sortir de tout ça ? »

Peter Lipman : Je pense que les deux histoires ont besoin l’une de l’autre. On ne raconte pas l’une sans l’autre. Alors, pour ce qui est du changement climatique, si l’on réfléchit à l’histoire des vingt dernières années, il est intéressant de voir que tout ce qui a été annoncé par les scientifiques s’est avéré erroné, non pas parce que le changement climatique n’existe pas mais parce que les choses se sont détériorées encore plus vite que ce qu’ils avaient prévus. Lorsqu’on parle avec cette communauté scientifique, c’est étonnant de voir à quel point ils sont affolés. Totalement effrayés. Et je pense que si nous poursuivons sur notre lancée actuelle, nous sommes dors et déjà dans une situation irréversible en matière de changement climatique. C’est une évidence. On a peut-être d’ailleurs atteint le point de non retour en matière de catastrophes. Et si nous avons franchi ce point, il y aura des catastrophes sans aucun doute. Nous vivrons dans un monde où il y aura beaucoup moins d’espèces, et beaucoup moins de complexité. Le changement climatique est un très grave problème, mais ce n’est que l’un des problèmes que nous rencontrons. Quand une espèce, en l’occurrence la nôtre, utilise tant la photosynthèse, on voit bien que le changement climatique n’est qu’un indicateur du fait que le système est sous tension et sous stress. Il n’y a pas que le changement climatique. Il y a d’autres éléments cruciaux dont on dépend. Par exemple, le cycle de l’azote, le niveau d’acidité dans les océans. Et les spécialistes nous disent que nous avons déjà franchi le seuil de l’infranchissable sur un certain nombre de ces critères. Alors, ce qu’on voit ici, c’est que nous avons des indicateurs qui nous montrent que le système est sous stress. Et les phénomènes se manifestent à différents niveaux. D’où la question : Comment réagir intelligemment ? Comment prendre cette menace extraordinaire sans pour autant baisser les bras en disant « Tant pis ! On va faire la fête. Après moi le déluge. » ? Non, il s’agit d’agir intelligemment. Et pour se faire il faut d’abord commencer par être honnête et reconnaître le danger dans lequel nous nous sommes mis, nous, et les autres espèces. Nous, j’entends par là aussi la beauté, la complexité. Et je crois qu’il faut commencer par faire le deuil et ressentir la tristesse, le profond chagrin de tout ce qui s’est fait. Et sauf à avoir vécu ce chagrin, on ne peut pas vraiment le comprendre, comprendre l’ampleur de la catastrophe. Ensuite, de cette tristesse, peut surgir enfin une passion, une volonté de transformer l’énergie. Une véritable passion qui dit que nous ne pourrons changer les choses que si nous travaillons avec les autres parce que nous sommes un animal social. Or, bien souvent, on va travailler avec quelqu’un de sa rue ou de son quartier. Parfois à un échelon plus vaste. À l’échelon international, par exemple. Mais en tous cas, il faut faire quelque chose. Et c’est en changeant les choses que l’on développe, et notre énergie, et notre pouvoir d’agir. Ce qui est assez étonnant, c’est que l’ampleur du problème devient alors plutôt une sorte de libération. On se dit : « Ce n’est pas quelque chose que je peux résoudre à moi tout seul, je ne sais d’ailleurs même pas si le problème est solvable, mais en tous cas, on peut faire de son mieux. » Et au moins moi le soir lorsque je vois ma fille de douze ans endormie, et qui lorsqu’elle dort a encore aujourd’hui ce visage tellement innocent, je sais à quel point elle m’admire et me fait confiance, et je la regarde dormir et je me dis : « Tout ce que je vais pouvoir te dire un jour, c’est : j’ai fait tout mon possible ! »

Fin de la première partie.

************ Halte à la croissance

C’est le titre français d’un rapport demandé à une équipe du Massachusetts Institute of Technology par le Club de Rome en 1970 et publié sous le titre "The Limits of Growth" (Les limites de la croissance). C’est la première étude importante soulignant les dangers écologiques de la croissance économique et démographique que connaît alors le monde. Par sa principale proposition, la croissance zéro, il a suscité de nombreuses controverses.

Ce rapport a valu à Dennis Meadows le Japan Prize en 2009.

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Article de Marianne : Relocalisation, mode d’emploi de Jean ZIN

Terra-eco : Relocaliser : une solution à la crise économique ?

article Monde Diplo : La décroissance, une idée qui chemine sous la récession

La sortie du capitalisme a déjà commencé texte d’André Gorz

**Pic pétrolier : wikipedia

Le pic pétrolier c’est en 2020, estimait Fatih Birol économiste en chef de l’Agence Internationale de l’Energie dans son rapport annuel 2008

(Créée en 1974 suite au premier choc pétrolier, l’AIE est une organisation internationale destinée à faciliter la coordination des politiques énergétiques des pays membres. Elle s’est tout d’abord donné pour but d’assurer la sécurité des approvisionnements énergétiques (pétrole principalement) afin de soutenir la croissance économique. )

lien vers le livre : Pétrole la fête est finie

Association pour l’étude des pics de production de pétrole et de gaz naturel

Pic pétrolier : le compte à rebours a commencé

Energies : les tendances actuelles sont insoutenables, avertit l’AIE

18 novembre 2008

« Les tendances actuelles dans l’approvisionnement et la consommation d’énergie sont manifestement non soutenables - écologiquement, économiquement et socialement. Elles peuvent et doivent être modifiées », avertit Nobuo Tanaka, le directeur exécutif de l’Agence Internationale de l’Energie. Mettant en garde contre les tensions prévisibles en raison du déclin accéléré des gisements et de la hausse de la demande - il faudra mettre en production l’équivalent de 6 Arabie Saoudite d’ici 2030 - il estime que « l’ère du pétrole bon marché est terminée. »

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La crise de notre système capitaliste, le pic de pétrole qui nous pend au nez, le manque de contacts sociaux, … autant de malaises qui minent notre société actuelle.

Nous le sentons tous plus ou moins confusément : le monde doit changer. Avec un réchauffement climatique dont l’accélération surprend les scientifiques, nous savons que nous n’avons plus d’autre choix que de diminuer nos émissions de CO2 de 80 % d’ici 2050. Difficile d’imaginer la mutation technologique et les transformations que cela représente, mais ce sera certainement considérable. D’autant que si l’Agence Internationale de l’Energie ne se trompe pas (le dernier rapport annuel annonce le déclin de la production pétrolière pour 2010-2012), il est difficile d’admettre que les choses puissent aller autrement. Ce n’est pas d’ici 2050 que ces bouleversements vont se produire, mais d’ici 2020. Car si l’énergie devient très chère et même insuffisante, un futur de haute technologie où notre vie sera peu différente de maintenant devient hautement improbable. À côté de la technologie, des changements de mode de vie seront inévitables.

C’est donc bien une transition qui commence, vers un monde moins émetteur de CO2 et consommant moins d’énergie. Il est difficile de se représenter à quoi ressemblera notre vie à l’issue de cette mutation, mais on peut déjà entrevoir une chose : les déplacements seront devenus si chers que non seulement les voyages lointains seront un luxe, mais on ne pourra plus s’offrir de pommes du Chili, ni même de jouets chinois. L’économie se relocalisera, nous dépendrons plus de nos ressources et de notre production alimentaire locales, les échanges seront plus locaux. Des industries qui avaient disparues, délocalisées, renaîtront.

Mais comment se prépare-t-on à une telle transition profonde et rapide ? Comment en amortir les conséquences économiques et sociales et tirer au mieux parti des nouvelles opportunités ? Que signifie une vie plus locale ? Qu’est-ce que cela signifie pour notre production alimentaire, dépendante d’engrais chimiques qui sont des sous-produits pétroliers et seront devenus hors de prix et moins disponibles ? Qu’est-ce que cela signifie pour nos métiers, nos emplois, notre vie sociale, pour l’avenir de nos enfants et des jeunes adultes ?

Au Royaume-Uni, des groupes de citoyens et des municipalités ont déjà commencé à préparer leur transition. Leur expérience a donné naissance au concept de transition, qui repose sur deux piliers : réduction des émissions de CO2 et des consommations d’énergie et relocalisation progressive des activités, par la création de circuits commerciaux à courte distance et de monnaies locales, complémentaires de la monnaie nationale et destinées à favoriser les échanges et les emplois locaux. Mais la démarche vise en premier lieu à créer des ponts entre les citoyens, les élus, les entreprises, les associations, les agriculteurs pour imaginer ensemble les solutions dont chaque région a besoin suivant son contexte et ses aspirations. Il s’agit d’apprendre ensemble à préparer le monde de demain plutôt que de subir les bouleversements à venir.

Il n’existe pas de réponse toute faite c’est à nous de la trouver tous ensemble. C’est pourquoi nous invitons les citoyens, élus, agriculteurs, entreprises et associations à préparer dès aujourd’hui la transition qui nous attend, que nous le voulions ou non.

Ignacy Sachs, Stratégies de l’écodéveloppement (presentation du concept en pdf)

Ignacy SACHS

Ignacy Sachs est un des socioéconomistes les plus remarquables de notre époque.Connu dans le monde entier, il est l’un des premiers à avoir travaillé au concept de l’écodéveloppement (précurseur du développement durable), une croissance économique au service du développement social, respectueuse de la nature.

interview : juin 1998

Comment en êtes-vous venu à théoriser et à populariser le terme d’écodéveloppement ?

I.S. : Lors de la préparation de la conférence des Nations unies de Stockholm, en 1972, sur l’environnement, les organisateurs ont eu la sagesse d’animer un grand colloque international à Founex, en Suisse, sur la problématique "environnement et développement". Il consistait à montrer que la préoccupation de l’environnement ne constituait pas un obstacle au développement, qu’il fallait harmoniser les deux. Maurice Strong, a proposé de faire de l’écodéveloppement. Le mot était donc lancé. C’est ainsi que je suis parti sur le chemin de cette réflexion qui visait à articuler le social, l’écologique et l’économique : les objectifs étaient sociaux et éthiques, avec une contrainte environnementale, l’économie n’ayant qu’un rôle instrumental.

Que pensez-vous de ce concept qui, pour moi, n’en est pas un et qui appartient à ce que j’appellerais l’écologiquement correct, le "développement durable" ?

I.S. : Le terme durable est dramatiquement mal choisi.Il y a eu une réaction politique au terme écodéveloppement. En 1974, nous avons participé à un colloque, au Mexique, à Cocoyoc, d’où est sortie une déclaration, probablement le document le plus radical jamais écrit à l’intérieur des Nations unies. Nous affirmions qu’il n’y aurait pas de sortie du sous-développement tant qu’il n’y aurait pas de frein au surdéveloppement.

Pour la séance finale du colloque, le président mexicain, Echeverria a fait un discours reprenant la déclaration que nous avions rédigée. Le lendemain, tous les journaux mexicains en ont fait leur une. Les États-Unis ont mal pris la chose et ont vivement protesté. La notion d’écodéveloppement aura une vie officielle courte puisqu’elle est condamnée par Henry Kissinger (Chef du département d’État) lors de la conférence ; elle sera désormais écartée du vocabulaire institutionnel international.

Mais l’idée d’un développement qui ne soit pas uniquement guidé par des considérations économiques mais également par des exigences sociales et écologiques va faire son chemin ; Peu à peu, les Anglo-Saxons ont lancé le terme de sustainable development (traduit à l’époque par développement soutenable puis développement durable ).

Mais les querelles sémantiques sont sans importance.

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Ecodéveloppement : La grande transition : les sorties de la civilisation du pétrole, par Ignacy SACHS

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Autonomisation : L’empowerment, terme anglais traduit par autonomisation ou capacitation, comme son nom l’indique, est le processus d’acquisition d’un « pouvoir » (power), le pouvoir de travailler, de gagner son pain, de décider de son destin de vie sociale en respectant les besoins et termes de la société. La personne autonome est une force pour la communauté.

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Flambée des prix et crise alimentaire

Aujourd’hui, les matières alimentaires de première nécessité font l’objet d’une frénésie spéculative de la part d’une communauté financière sans morale. Cette année de nombreux pays exportateurs (blé, riz) ont du cesser de l’etre afin d’assurer leur propre souveraineté alimentaire

Dans la première moitié de l’année 2008, le monde a été confronté à la flambée des prix la plus spectaculaire depuis 30 ans et à une crise mondiale de l’insécurité alimentaire. Les prix des denrées alimentaires ont augmenté de 40 pour cent par rapport à leurs niveaux de 2007 et de 76 pour cent par rapport à ceux de 2006. Bien qu’ils aient reculé depuis, ces prix sont encore supérieurs aux niveaux observés naguère et devraient le rester. Cette édition de La situation des marchés des produits agricoles examine la nature et les motifs de cette flambée des prix sur les marchés internationaux entre juin 2006 et juin 2008 ainsi que les enseignements (notamment en matière de politiques) qui peuvent en être tirés. Le rapport étudie dans quelle mesure les nouvelles "explications" - demande de biocarburants, prix records du pétrole et accroissement de la demande de denrées alimentaires en Chine et en Inde - permettent de comprendre l’inflation soudaine des prix des denrées alimentaires et le rôle des contraintes traditionnelles des marchés. La question de savoir si la situation a été aggravée par les flux de capitaux spéculatifs ou les mesures politiques appliquées par les gouvernements est aussi examinée. Tous ces facteurs ont joué un rôle et leur interaction est à l’origine de l’envolée des prix des denrées alimentaires.

Certains produits alimentaires pourraient être plus onéreux dans les supermarchés en 2010 on s’attend a un bond du prix des denrées de base comme le lait et le riz. Des données publiées dernièrement annoncent une forte progression de ces produits en raison notamment d’une baisse de leur production. Un sondage de Bloomberg avance que le prix de la tonne de riz pourrait grimper de 63% à 1038 $. GP Morgan Chase table sur une hausse du prix du sucre de l’ordre de 25% toujours en 2010.

source FAO Situation des marchés de produits agricoles 2009, (La). Flambée des prix et crise alimentaire.

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Souveraineté alimentaire

La souveraineté alimentaire est un concept développé et présenté pour la première fois par Via Campesina lors du Sommet de l’alimentation organisé par la FAO à Rome en 1996. Il a depuis été repris et précisé par les altermondialistes lors des différents Forums Sociaux Mondiaux.

La souveraineté alimentaire est présentée comme un droit international qui laisse la possibilité aux pays ou aux groupes de pays de mettre en place les politiques agricoles les mieux adaptées à leurs populations sans qu’elles puissent avoir un impact négatif sur les populations d’autres pays. La souveraineté alimentaire est donc une rupture par rapport à l’organisation actuelle des marchés agricoles mise en œuvre par l’OMC.

Complémentaire du concept de sécurité alimentaire qui concerne la quantité d’aliments disponibles, l’accès des populations à ceux-ci, l’utilisation biologique des aliments et la problématique de la prévention et gestion des crises, la souveraineté alimentaire accorde en plus une importance aux conditions sociales et environnementales de production des aliments. Elle prône un accès plus équitable à la terre pour les paysans pauvres, au moyen si nécessaire d’une réforme agraire et de mécanismes de sécurisation des droits d’usage du foncier.

Au niveau local, la souveraineté alimentaire favorise le maintien d’une agriculture de proximité destinée en priorité à alimenter les marchés régionaux et nationaux. Les cultures vivrières et l’agriculture familiale de petite échelle doivent être favorisées, du fait de leur plus grande efficacité économique, sociale et environnementale, comparée à l’agriculture industrielle et les plantations de grande échelle où travaillent de nombreux salariés. La place et le rôle des femmes sont privilégiés.

La souveraineté alimentaire privilégie des techniques agricoles qui favorisent l’autonomie des paysans. Elle est donc favorable à l’agriculture biologique et à l’agriculture paysanne. Elle refuse l’utilisation des plantes transgéniques en agriculture.

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Energies fossiles, métaux essentiels : comment s’adapter après l’épuisement des réserves ?

Si l’inévitable disparition commerciale des énergies fossiles carbonées ne peut plus être ignorée, peu paraissent encore se rendre compte de l’état d’épuisement des réserves de quelques métaux essentiels. Indépendamment des problèmes énergétiques, notre futur à moyen et long terme ne saurait donc ressembler à notre présent, faute de matières premières vitales.

Par Jacques HAMON

ingénieur agronome, ancien inspecteur général de recherches IRD (ex ORSTOM) et ancien sous-directeur général de l’OMS

La population mondiale s’est accrue très lentement pendant les 1500 premières années de l’ère chrétienne, à peine plus vite pendant les 250 années suivantes, puis de façon vertigineuse de l’an 1750 à nos jours, passant de moins de un à plus de sept milliards d’habitants, de 4 à 30 au km2 (1). La médecine a certes fait des progrès du 18e au 21e siècle, mais il semble que ce soit l’amélioration générale des conditions de vie(2) découlant de la disponibilité des énergies fossiles carbonées qui, à elle seule, puisse expliquer ce croît démographique exceptionnel(3).

Esclaves carbonés

L’utilisation du charbon, du pétrole, puis du gaz naturel, à des coûts dérisoires, a mis à la disposition de l’homme non seulement leur énergie (l’équivalent de dizaines d’esclaves par terrien – plus de cent par résident français(4)), des transports terrestres, maritimes et aériens presque gratuits, mais aussi l’énorme potentiel de la pétrochimie : engrais, médicaments, pesticides, plastiques, etc. Lorsque ces esclaves carbonés fossiles ne seront plus là, chaque être humain devra travailler beaucoup plus, pour produire beaucoup moins. Les famines n’ont pas disparu mais le rendement des cultures vivrières s’est progressivement accru, atteignant maintenant dans bien des cas un plateau d’un niveau très élevé, jusqu’à 8 tonnes de blé tendre à l’hectare par an en France, contre une tonne il y a un siècle(5), et approchant 30 tonnes de riz à l’hectare, contre 2 au plus autrefois, dans les cultures d’Asie les mieux menées(6). Une catastrophe comme la famine irlandaise causée par le mildiou de la pomme de terre au 19e siècle, avec ses trois millions de morts et d’émigrés, paraît désormais inconcevable(7). La disparition des pesticides et des engrais de synthèse, associée à celle des énergies fossiles carbonées, pourrait pourtant remettre cette situation en cause(8).

Gaspillage insensé

L’utilisation massive des énergies fossiles carbonées ne saurait durer plus d’un ou deux siècles, du fait de leur caractère non renouvelable et de l’épuisement des gisements(9). Par ailleurs, cette utilisation émet des gaz à effet de serre dont l’accumulation menace de perturber dangereusement le climat terrestre(10). La situation pourrait même être aggravée par une rétroaction positive du permafrost arctique (11). Les autorités nationales concernées s’agitent beaucoup, parlent encore plus mais, pour l’instant, font peu de tangible pour réduire massivement tant les émissions indues de gaz à effet de serre que le gaspillage insensé des énergies fossiles carbonées(12).

Substituts non renouvelables

Des substituts aux énergies fossiles carbonées ont été proposés, pour les véhicules avec des piles à combustible à catalyseur platine et des moteurs électriques à accumulateurs au lithium et, pour la production d’électricité, avec des panneaux photovoltaïques exigeant de l’indium ou du gallium, en négligeant toutefois quelques contraintes géologiques. Aux présents niveaux de consommation, les réserves escomptées de platine, de gallium et d’indium seront épuisées dans quelques décennies(13). Le lithium devrait être accessible plus longtemps. En comparaison, les réserves économiquement exploitables d’uranium 235, pour les centrales EPR, sont de l’ordre du siècle, et celles d’uranium 238, pour les centrales de quatrième génération, de l’ordre de plusieurs millénaires(14).

Métaux en voie de disparition

L’inévitable disparition commerciale des énergies fossiles carbonées ne peut plus être ignorée, mais elle n’est pas pour demain(15). Par contre, peu paraissent se rendre compte de ce que les réserves exploitables de quelques métaux essentiels comme l’argent, l’étain, le cuivre, le nickel, le plomb et le zinc, ne correspondent qu’à une à quatre décennies d’utilisation et que, pour des métaux qui nous sont aussi familiers que l’aluminium et le fer, les réserves ne nous garantissent guère plus d’un siècle de disponibilité(16). Indépendamment des problèmes énergétiques, notre futur à moyen et long terme ne saurait donc ressembler à notre présent, faute de matières premières vitales.

Trouver des millions d’ouvriers agricoles

L’agriculture moderne assure des rendements élevés, mais à un coût environnemental notable (contaminations chimiques et réduction de la diversité microbiologique des sols). En France, passer à une agriculture plus respectueuse de l’environnement pourrait, dans certaines conditions, améliorer le revenu annuel à l’hectare des exploitants(17), et augmenter les besoins en travailleurs agricoles (pas toujours disponibles). Une généralisation de cette approche associant prairies naturelles, élevage bovin et cultures, avec un minimum d’intrants, mais incluant des assolements de légumineuses, pourait être généralisable dans toutes les anciennes zones de bocage, sous réserve d’accepter les pertes résultant des aléas climatiques. Que faire ailleurs ? Politiquement, l’agriculture biologique a le vent en poupe, avec l’avantage de n’utiliser aucun intrant de synthèse, et l’inconvénient de nécessiter des agriculteurs très expérimentés, et beaucoup plus d’ouvriers agricoles. Certains croient que l’agriculture biologique pourrait facilement assurer la subsistance présente et future de la population mondiale(18), mais ce point de vue n’est pas unanime(19). Pour l’instant, en France, avec 2 % des surfaces cultivées, cette agriculture est protégée des parasites et des pathogènes par les 98 % de cultures conventionnelles utilisant des produits phytosanitaires. Dans le cas des céréales, le passage durable à l’agriculture biologique parait entraîner une perte moyenne de rendement excédant 50 % et, pour les pommes, une perte de 66 %(20). Ce qu’il pourrait en être des autres cultures reste à établir, mais une étude récente suggère que les produits bio sont 72 % plus chers que les produits conventionnels, du fait d’une productivité plus faible(21). Trouverons-nous par ailleurs les millions d’ouvriers agricoles nécessaires pour remplacer les équipements à moteur thermique et les herbicides ? La disparition des énergies fossiles carbonées, sauf mise en œuvre massive – technologiquement improbable – des énergies renouvelables(22), impliquera le retour à la traction animale ou le passage à des engins agricoles motorisés (s’il en existe encore) utilisant des agro-carburants ; dans un cas comme dans l’autre, 20 à 30 % des surfaces agricoles utiles devront être consacrées à cette fin(23). Elle impliquera aussi le remplacement des machines et des herbicides par le sarclage à la main ou attelé. L’irrigation et l’arrosage des cultures devront probablement être limités aux alimentations par gravité, par norias ou par éoliennes(24). Les rendements moyens diminueront.

Satisfaire les besoins essentiels

Actuellement, un tiers de la population mondiale n’a pas accès à l’eau potable, ou en manque quantitativement, et ne bénéficie pas d’un traitement des eaux usées et autres déchets. La disparition commerciale des énergies fossiles carbonées aggravera une situation déjà dramatique, avec chaque année, des dizaines de millions de morts prématurées qu’un accès à l’énergie aurait pu permettre d’éviter(25). La dérive climatique et la montée du niveau de la mer affecteront négativement la production agricole de nombreux pays, dont celles de la France et des principaux producteurs et exportateurs de céréales(26), induisant ici et là des migrations de survie auxquelles nous ne pourrons pas refuser l’accueil(27). De grands efforts ont été entrepris depuis une vingtaine d’années pour substituer une chimie verte à la pétrochimie, avec pour l’instant, des résultats bien modestes(28). Sauf percées spectaculaires, il faudra utiliser le chanvre, la laine, le lin, la soie, le soja et le cuir pour habiller et chausser les Français. La cuisson des aliments et le chauffage reposeront sur le bois et le charbon de bois, et marginalement sur l’éthanol, dont la production occupera une partie des sols exploitables. D’anciennes professions retrouveront leur importance(29), mais la transition sera lente, l’expertise ayant disparu de France. Les pays d’Afrique et d’Asie tropicales devraient pouvoir nous venir en aide, leurs artisans n’ayant pas perdu la main(30).

Parcimonie généralisée

Les connaissances accumulées au cours des siècles passés ne seront pas perdues, mais leur mise en œuvre pourrait être rendue difficile, voire impossible, dans un contexte énergétique de parcimonie aggravé par la raréfaction des métaux essentiels(31). Aurons-nous les moyens de construire des alternateurs pour exploiter les barrages hydrauliques et les aérogénérateurs modernes et des panneaux photovoltaïques pour obtenir de l’électricité, ou serons-nous obligés de revenir aux anciens moulins, à vent ou au fil de l’eau, pour moudre les grains, presser les oléagineux, scier les grumes, actionner les soufflets des forges, etc. Devrons nous nous éclairer à la bougie et à la lampe à huile ? En absence d’une électricité abondante et fiable, nous n’aurons ni chaine de froid, ni Internet(32). Les lignes ferroviaires d’Afrique orientale ont longtemps fonctionné au bois, mais elles avaient des rails. Conserverons-nous la possibilité de produire des rails ? Ou bien nos transports terrestres à longue distance seront-ils basés sur des caravanes de charrettes et de mulets – ou de chameaux plus au sud ? Les transports maritimes devront-ils être confiés aux bateaux à voiles et aux galères ?

Vers une autre occupation des sols

Il est peu probable que les grandes agglomérations urbaines restent viables, surtout si l’eau doit être tirée du puits avec un seau, puis transportée dans des outres ou des tonnelets, et les déchets évacués d’une façon similaire(33). Une autre occupation des sols s’imposera, avec un réseau de petites unités urbaines de services et leurs périphéries rurales, vivant en semi-autarcie(34), ou des régions presque indépendantes autour des restes d’une ville moyenne(35). Sans énergie bon marché et abondante, les nouvelles constructions reposeront sur le bois, la paille, la terre compactée et la pierre taillée et les briques cuites pour les privilégiés, comme au bon vieux temps. La monnaie, papier ou électronique, telle que nous la connaissons, garantie par un pouvoir central fort, disparaitra probablement, remplacée par différentes variantes de troc.

La décroissance ou la barbarie

Avant l’utilisation des énergies fossiles carbonées, le monde avait moins d’un milliard d’habitants. Pourra-t-il en nourrir plus de façon durable, et socialement acceptable après la disparition de ces énergies ? On peut en douter. Passer sans conflit violent de nos présents modes de vie et densités humaines à ceux de « l’après énergies fossiles carbonées » ne parait possible qu’en plusieurs siècles(36). Il faudrait faciliter cette transition en réduisant drastiquement nos présentes consommations énergétiques, en remplaçant le plus possible la machine par l’homme, en préparant la nouvelle occupation de l’espace, et en économisant les énergies fossiles carbonées pour faire durer leur utilisation dans les domaines essentiels : médicaments, textiles, plastiques, en attendant les progrès de la chimie verte et des inévitables biotechnologies associées(37). Nous n’avons le choix qu’entre une décroissance consensuelle de nos envies créées par la publicité et un retour à un mode de vie socialement riche, mais matériellement modeste – ou la barbarie des guerres mondiales, régionales et locales(38). Les baisses de niveau de vie ne pouront pas être d’un même ordre de grandeur partout car, en US $, les résidents des pays industrialisés ont un PIB par tête d’environ 27 000, ceux des pays en développement de l’ordre de 1200 et ceux des pays les moins développés de moins de 250(39).

Peu à offrir, beaucoup à souffrir

La France métropolitaine aura peu à offrir, et beaucoup à souffrir. Elle ne figure pas parmi les pays pouvant espérer, par égoïsme, de disposer des dernières traces de charbon, de gaz naturel ou de pétrole. Elle ne dispose pas de gisements de métaux essentiels ou rares. Sa surface agricole utile est pour l’instant de 0,4 hectare par résident pour les nourrir, vêtir et chausser, ce qui n’est pas beaucoup(40). Elle dispose par contre d’un quart d’hectare de surface forestière pour produire des bois de construction et de chauffage, si les feux de forêts, facilités par la dérive climatique, ne nous en privent pas, et de nombreux cours d’eaux exploitables mécaniquement, si les alternateurs font défaut. Certains pensent que les progrès technologiques associés à une re-socialisation de nos modes de vie devraient permettre de créer un monde durable, largement immatériel, sauf en matière de gestion des sols et de l’eau(41). Cette option est fort intéressante, mais me parait peu crédible et l’issue précédemment décrite est probable, mais pas inéluctable. Pour l’éviter, il faut réduire progressivement, mais rapidement, la consommation des énergies fossiles carbonées pour laisser en terre l’essentiel de leurs gisements, dont une minime consommation annuelle resterait possible à des fins chimiques(42). Il faudra aussi organiser le recyclage de chacun des métaux essentiels. Ce qui précède implique la mise en œuvre rapide de celles des énergies renouvelables les plus prometteuses. Le nucléaire devra être réévalué. Nul doute que cette analyse, tant au niveau national que communautaire et mondial, soit présentée par les candidats à des postes électifs – puis diffusée au sein de l’électorat en remplaçant les usuels objectifs à court terme par ceux, essentiels, à long et très long terme(43), bien que, comme l’a écrit Bertrand de Jouvenel, « à intelligence égale, la prévision est minimale chez l’homme qui se trouve au pouvoir »(44).

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Notes : 1. De Perthuis, C. 2009 – Et pour quelques degrés de plus… Nos choix économiques face au risque climatique – Pearson éducation, Paris, 306 pp. ; Pison, G., 2009 – Atlas de la population mondiale. Faut-il craindre la croissance démographique et le vieillissement ? – Autrement, Paris, 80 pp.

2. De Kervasdoué, J. 2007 – Les prêcheurs de l’apocalypse. Pour en finir avec les délires écologiques et sanitaires. – Plon, Paris, 254 pp.

3. Gérondeau, C. 2007 – Ecologie, la grande arnaque – Albin Michel, Paris, 279 pp. ; Perret, B. 2008 – Le capitalisme est-il durable ? – Carnets Nord, Paris, 214 pp.

4. Cochet, Y. 2009 – Anti-manuel d’écologie – Bréal, Rosny sous Bois, 312 pp.

5. Parmentier, B. 2009 – Nourrir l’Humanité – La Découverte, Paris, 293 pp.

6. Carfentan, JY. 2009 – Le choc alimentaire mondial : ce qui nous attend demain – Albin Michel, Paris, 295 pp.

7. Rivière-Wekstein, G. 2007 – « Mildiou, pommes de terre et OGM », Agriculture et Environnement, n°50, p. 1-3.

8. Bonaldi, J. 2007 – La vie (presque) sans pétrole – Plon, Paris, 164 pp.

9. Hamon, J. 2007 – « Manquerons-nous bientôt de pétrole ? Hélas non ! » - AOMS Quaterly News, janvier-mars, p. 7-8.

10. De Perthuis, 2009 ; Legendre, A. 2009 – L’homme est-il responsable du réchauffement climatique ? – EDF Sciences, Les Ulis, 207 pp. ; Le Treut, H. 2009 – Nouveau climat sur la Terre. Comprendre, prédire, réagir – Flammarion, Paris, 235 pp.

11. Foucart, S. 2009 – « Le sol arctique recélerait deux fois plus de carbone que prévu », Le Monde, 4 juillet 2009, p.4.

12. Gérondeau, 2007 ; Acot, P. 2009 – Histoire du climat – Perrin, Paris, 428 pp.

13. Kempf, H. 2008 – « Les ressources limitées de lithium pourraient freiner l’essor des véhicules électriques », Le Monde, 8 octobre 2008, p. 4 ; Villiers, M. & al. 2008 – « Planète finie », Sciences et Vie, n° 243, p. 44-47 ; Rogeaux, B. 2009 – Face à la rareté du pétrole, aurons-nous le temps de trouver des énergies de substitution ? – in « Quelles ressources spirituelles pour faire face à l’épuisement des ressources naturelles ? » - Chrétiens et pic de pétrole – Parangon/Vs, Lyon, p. 19-29.

14. Bataille, C. et Birraux, C. 2006 – Les nouvelles technologies de l’énergie et la séquestration du dioxyde de carbone – Rapport de l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques, Paris, Sénat, n° 254 / Assemblée nationale, n° 2965, 398 pp.

15. Hamon, 2007 ; De Perthuis, 2009.

16. Villiers, 2008 ; Rogeaux, 2009.

17. Pochon, A. 2009 – Le scandale de l’agriculture folle. Reconstruire la politique agricole européenne – Rocher, Paris, 166 pp.

18. FAO, 2007 – Conférence internationale sur l’agriculture biologique et la sécurité alimentaire – FAO/OFS/2007/REP, Rome, 210 pp.

19. Parmentier, 2009.

20. Guichard, L. 2007 – « De grandes cultures sans persticide », L’Ecologiste, n° 8 (1), p. 20-22 ; Bergot, S. 2009 – « Conversion en grandes cultures bio : des gains après trois ans », La France agricole, n° 3304, p.66-67 ; Parmentier, 2009 ; Rivière-Wekstein, 2009 – « Agriculture bio. L’Agence bio voit la vie en rose », Agriculture et environnement, n° 50, p. 1-3.

21. Bergot, 2009 – « Les produits bio 72 % plus chers, selon une enquête en grande distribution », La France agricole, n° 3310, p. 16.

22. Hamon, 2004 – « Comment sortir du nucléaire ? », Bulletin trimestriel de la Société d’histoire naturelle de la Haute-Savoie, 2e trimestre, p. 19-127 ; Perret, 2008 ; Rogeau, 2009.

23. Parmentier, 2009 ; Pochon, 2009.

24. Gras, A. 2009 – « L’électricité verte ? Des mines de cuivre, cobalt, lithium… », L’Ecologiste, n° 10 (2), p. 46-48.

25. Galland, F. 2008 – L’eau. Géopolitique, enjeux, stratégies – CNRS, Paris, 186 pp.

26. Hamon, 2005 – « Quelques implications généralement sous-estimées de la dérive climatique », Sud-Ouest Nature, n° 130, p. 16-17 ; Acot, 2009 ; de Perthuis, 2009.

27. Yade, R. 2009 – « Les futurs réfugiés du climat », Le Monde, 23 juin 2009, p. 2.

28. Colonna, P. 2006 – La chimie verte – Tec & Doc, Paris, 526 pp.

29. Hamon, 2001 – « Implications de la prochaine crise de l’énergie pour l’occupation et l’exploitation des sols en France métropolitaine », Ingénieurs de la vie, n° 455, p. 30-33.

30. Kempf, 2009 – « Afrique, aide-nous », Le Monde, 28/29 juin 2009, p. 2.

31. Gras, 2009.

32. Thomas, J. 2009 – « L’empreinte écologique d’Internet », L’Ecologiste, n° 10 (1), p. 17.

33. Gras, 2007 – Le choix du feu. Aux origines de la crise climatique, Fayard, Paris, 281 pp.

34. Gras, 2007 ; Cochet, 2009.

35. Heinberg, R. 2008 – Pétrole, la fête est finie ! Avenir des sociétés industrielles après le pic pétrolier – Demi-lune, Paris, 380 pp.

36. Heinberg, 2008 ; Cochet, 2009 ; Le Treut, 2009.

37. Hamon, 2007 – « Les organismes génétiquement modifiés, menaces pour notre avenir – ou solutions pour une agriculture prospère et durable ? », AIMVER Infos n° 90, 3e trimestre 2007.

38. Cheynet, V. 2008 – Le choc de la décroissance – Seuil, Paris, 217 pp. ; Cochet, 2009 ; Rogeaux, 2009.

39. Lebeau, A. 2008 – L’enfermement planétaire – Gallimard, Paris, 295 pp.

40. Parmentier, 2009.

41. Juvin, H. 2008 – Produire pour le monde, pour une croissance écologique – Gallimard, Paris, 299 pp.

42. Gérondeau, 2007.

43. Deneux, M. 2002 – L’évaluation de l’ampleur des changements climatiques, de leurs causes et de leur impact prévisible sur la géographie de la rance à l’horizon 2025, 2050 et 2100 – Rapport de l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques, Paris, Sénat n° 224 / Assemblée Nationale n° 3603, 296 pp.

44. Lebeau, 2008.