Un RENDEZ-VOUS?
Au cours des trente dernières années, depuis que le monde scientifique s’est emparé de la course à pied pour tenter d’optimiser la performance au prix de connaissances validées en laboratoire. De cette mainmise ont découlé des innovations et des modes, qui pour beaucoup n’ont pas duré au-delà de quelques années. Petit tour d’horizon de ces 4 flops mémorables.
- LE "LSD " : long slow distance
- LE RDS : le régime dissocié scandianave
- L'entraînement à 2 mmol
- L'altitude pour les efforts en plaine
LE « LSD » :
Popularisée au cours des années 60 par des experts tels que l’Allemand Van Aaken ou lors des seventies par le futur éditorialiste de « Runner ‘s World », Joe Henderson, cette forme d’entraînement a fait long feu. L’expression malicieuse « LSD » renvoyait en fait à la pratique quasi exclusive de l’entraînement de longue durée à allure lente (« Long Slow Distance ») en même temps qu’elle constituait un clin d’œil en direction de tous ceux qui, par ce biais, ont expérimenté les effets euphorisants consécutifs à la libération d’endorphines. Les bases de cette approche sont en fait antérieures à cette époque dorée de la course sur route, durant laquelle d’autres noms célèbres, tels Arthur Lyliard ou Serge Cottereau ont popularisé l’entraînement en « endurance ». On trouve ainsi trace de ce concept dans des travaux du début du XXe siècle. Dans la seconde version de son ouvrage « Lore of Running », Tim Noakes décrit les méthodes d’entraînement de quelques glorieux anciens, parmi lesquels figure Arthur Newton, dont il a retrouvé les écrits originaux. Rappelons que ce dernier, dans les années 20 s’était forgé une solide réputation sur les épreuves de 100 km (record à 7 h 26 mn) ou sur 100 miles. De son point de vue, il ne fallait pas que les vitesses d’entraînements soient trop élevées. L’essentiel du kilométrage couvert en cours de préparation devait se f aire à un rythme inférieur de 20 à 25% à l’allure de compétition, et ceci plus particulièrement dans l’optique d’épreuves d’ultra. Ceci impliquait forcément d’évoluer à des trains très faibles… qui a priori ne développent pas beaucoup de spécificités, si ce n’est l’endurance mentale et le réseau de capillaires qui irriguent les muscles. Mais de son point de vue « c’est toujours le rythme, jamais la distance qui épuise. De ce fait, il faut d’abord acquérir l’aptitude à tenir sur la distance préparée avant de chercher à développer la vitesse. Lors des prémices de votre préparation, vous devez seulement apprendre à couvrir une distance un peu plus longue chaque jour, sans augmenter votre fatigue. Votre travail, alors, est de développer cette aptitude par une pratique continue. » Cette approche l’amenait à conseiller pas moins de 160 km par semaine pour qui souhaitait prendre part à un marathon et envisageait uniquement de le terminer.
ette manière de voir, qui privilégie avant tout la notion de volume, c’est-à-dire de pratique, compte encore beaucoup d’émules dans une discipline comme le cyclisme. Faut-il la rejeter comme le témoignage d’une vielle école ? Pas si sûr malgré tout. Quelques éléments troublants éclairent en effet cette réflexion. Jean René Lacour, physiologiste de renom, a souvent noté que, à âge et à niveau hiérarchique égaux, les jeunes cyclistes possédaient souvent une VO2 Max supérieure aux athlètes. Selon lui, ceci est dû à la possibilité, à des âges précoces, d’effectuer un important travail musculaire sur le vélo sans encourir le risque de blessure. Chez les coureurs à pied, en effet, la répétition d’impacts des appuis sur le sol limite singulièrement l’approche axée sur le volume. En outre, comme le notait le stratège suisse Paul Köechli dans un interview donné à « Sport & Vie » il y a quelques années, ce temps plus important passé en selle permet le développement optimal des qualités techniques et tactiques et donne un fond d’endurance qui permettra, ensuite, de supporter un entraînement plus intense. En vélo, cette notion de « LSD » conserve donc quelque intérêt. Par contre il en va différemment en course à pied. Il ne peut pas s’agir d’une forme prédominante de préparation. L’application méthodique de ce modèle aux coureurs les expose à de sévères désillusions. Le risque de blessure augmente nettement. En outre, on sait aujourd’hui que celui qui veut optimiser ses qualités devra plutôt jouer sur l’intensité et la fréquence des sorties que sur le seul kilométrage de la semaine. Le développement des qualités d’endurance pour des épreuves plus longues sera réalisé par l’entreprise régulière d’une sortie longue, à allure appropriée. Effectivement une fois tous les 8 à 15 jours, on sera dans le registre du « LSD ». Par contre, on sait clairement que, tout seul, il ne fait pas mieux que l’entraînement moderne sollicitant l’ensemble des filières.
Reste le bénéfice psychologique que beaucoup reconnaissent à cette forme d’entraînement. C’est d’ailleurs lui qui a conquis tant de joggers de la première heure, trouvant là un unique moyen d’évacuer le stress. Mais, s’agissant du LSD, il ne faut évidemment pas en abuser… Du « slow » une fois sur deux, du « Long » plus rarement, et de la prudence avec la « Distance ».
Ce mode d’alimentation caricaturale, mais très populaire au cœur des seventies, est né en Scandinavie au début des années 60. Il a été conçu dans l'idée d'accroître la capacité de stockage en glycogène des muscles. Rappelons que cette forme de mise en réserve des glucides (ou « sucres ») est relativement limitée, alors qu’elle permet de soutenir des efforts intenses. D’où l’intérêt potentiel qu’il y aurait à en accroître la disponibilité. Grâce à l’invention d’une nouvelle technique permettant le prélèvement de petits échantillons de tissus musculaires, Bergström et ses collègues suédois ont pu faire notablement avancer nos connaissances. Lors d'une expérience restée célèbre, il a demandé à des sujets peu entraînés d'effectuer une séance intense sur une bicyclette particulière, munie d'une seule pédale. Ce système permet d'épuiser les réserves de glycogène d'un seul côté, celui de la jambe gauche par exemple, la droite servant alors de "contrôle". A l'issue de ce premier test, les cobayes se reposaient trois jours aux cours desquels ils recevaient une alimentation particulièrement riche en glucides. Des biopsies étaient ensuite effectuées à droite et à gauche qui montraient un taux de glycogène dans la jambe gauche presque deux fois supérieur au taux normal de la jambe droite. Ils en déduisirent que la combinaison d'un effort épuisant et d'un régime riche en glucides permettait l'élévation des capacités de stockage. Ces chercheurs en déduisirent alors, peut-être de manière abusive, que les performances s’en trouveraient améliorées… comme si, chez le sportif, seuls les muscles et les réserves d’énergie décidaient des résultats en compétition ! Aujourd'hui encore, beaucoup d'athlètes observent ce principe en se livrant à un effort épuisant trois jours avant la date fatidique de la compétition.
1/ sept jours avant l'épreuve, on épuise littéralement l'organisme avec un exercice long et intense (*)
2/ Ensuite, pendant trois jours, on adopte un régime pauvre en glucides (- de 10% de la ration énergétique) et on compense par une alimentation très grasse.
3/ Enfin, les trois derniers jours, on passe soudainement à des rations hyperglucidiques (+ de 70% de la ration énergétique), soit 10 grammes de glucides environ par kilo et par jour.
Selon les auteurs, l'association effort-carence-abondance devait élever les réserves musculaires en glycogène au-delà de leurs niveaux habituels. De fait, on obtint des résultats étonnants en laboratoire.
Sur le terrain, en revanche, la méthode a toujours rencontré un certain nombre de critiques. Il s'agit d'un régime, au sens le plus strict et le plus contraignant du terme: une arme à double tranchant. Celui qui l'impose espère un impact mental sur les sportifs. Mais celui qui le subit peut très bien le ressentir comme une contrariété, voire même une punition.
"La motivation est un point essentiel", expliquait le marathonien Jean Michel Charbonnel, un adepte de la première heure (**). "Car ce régime est difficile à suivre. Il présente un effet anxiogène qui implique une forte volonté". Malgré quelques exemples largement médiatisés, il est faux de croire que, dès le début, le RDS a rallié de manière unanime les spécialistes. Parmi ses détracteurs figurait, à l’époque, le Pr Creff, que j’ai eu la chance de côtoyer dans son service en 1984. « Je suis défavorable à ce régime, exprimait-il, car je suis convaincu qu’appliqué à l’échelle de la population il ne contribuerait pas à une amélioration de l’état de santé des Français », discours certes décalé des préoccupations de performance de ceux qui en faisaient l’apologie, mais finalement extrêmement précurseur, aujourd’hui, à la lumière des problèmes dramatiques rencontrés par le sport de haut niveau, qu’il s’agisse de cyclisme ou pire encore d’athlétisme.
Au fil des années, les positions se sont radicalisées. Ceux qui attaquaient le régime soulignaient son caractère artificiel et potentiellement néfaste sur le plan digestif. On contestait aussi l'idée de soumettre les organismes à un effort épuisant sept jours avant l'épreuve. Le problème, c'est que les travaux initiaux de Saltin & Hermansen qui avaient permis de démontrer qu'un épuisement préalable des réserves était indispensable au phénomène de surcompensation, ne tenaient pas compte du niveau d'entraînement des sujets testés. Or, c'est un point crucial! Lors d'autres expériences, il est apparu en effet que les mécanismes de régulation glycogénique ne répondent pas exactement de la même manière selon qu'il s'agit d'individus sportifs ou de sédentaires.
Dans le courant des années 80, des travaux faisant appel à des marathoniens entraînés (85 km/semaine en moyenne) ont montré qu'avec trois jours d'entraînement modéré puis trois jours de repos associés à un régime riche en glucides, les réserves atteignaient un niveau similaire à celui obtenu après un régime dissocié scandinave. Ainsi, contrairement aux pionniers des années 60, on ne demande plus aujourd'hui à un marathonien de s'imposer, à quelques jours de l'objectif, une séance aussi risquée. Il sera tout aussi efficace de lever le pied lors de la dernière semaine et d'augmenter leurs apports en glucides. Cela suffira largement pour saturer en douceur ses réserves de « super ».
La phase hyperlipidique allait ensuite être remise en question. Dans leurs travaux originels, les auteurs scandinaves indiquaient que celle-ci devait impérativement faire suite à l'effort épuisant et précéder le régime hyperglucidique. Ils recommandaient alors un régime sans sucres ni féculents, similaire à celui d'Atkins qui connut un immense succès dans les années 60 et 70 avant d'être décrié par la suite, notamment en raison des risques élevés de maladies cardio‑vasculaires. Pour les athlètes naturellement portés sur les pâtes en temps normal, ces trois jours gras étaient évidemment difficiles à vivre. Aujourd'hui, on est unanimement convaincu que c’est une phase inutile et dangereuse. Le scientifique américain Roberts, qui avait déjà souligné l'inutilité de l'effort préalable épuisant, s'est attaqué cette fois-ci à la partie lipidique du régime. Il démontra ainsi que la saturation des réserves de glycogène s'observait aussi bien lorsque l'apport glucidique des trois premiers jours était proche de 3 grammes par kilo et par jour -soit près de 200 grammes pour un sujet de 70 kilos- que pour les 30 grammes prévus initialement. Exit l'effort épuisant, exit la phase hyperlipidique: décidément, il ne restait plus grand chose du Régime Dissocié Scandinave, sinon la phase hyperglucidique à laquelle beaucoup de spécialistes restent attachés aujourd'hui.
Plus fort encore, certains auteurs mettent désormais en doute cette sacro-sainte phase hyperglucidique avant l'effort et recommandent de conserver en toute occasion une alimentation normale constituée à 60% de glucides. A partir de là, on comprend que la seule chose dont doit se préoccuper l'athlète sera d'éviter les problèmes digestifs en mangeant de la façon la plus saine et la plus équilibrée possible. Ce discours est relativement neuf en matière de nutrition sportive. Jusqu'au début de l'année dernière, on conseillait encore de démarrer le régime hyperglucidique le mercredi soir et de le poursuivre durant trois jours, en mettant en exergue l'extrême importance des premières 24 heures.
L’approche moderne de l’entraînement vise à étalonner précisément les qualités physiques des coureurs, comme à travers les tests de VMA ou la mesure de VO2 Max. Elle se fixe aussi comme objectif de modéliser l’entraînement à réaliser en fonction du type de compétition préparée.
De ce point de vue, sur une distance comme le marathon, le problème n° 1 est celui de l’approvisionnement en énergie de nos cellules. Une utilisation trop rapide conduit à une chute brutale d’allure. Un rythme trop prudent peut, certes, éviter cet inconvénient (ou en différer la survenue), mais inversement il ne permet pas de tirer la quintessence de ses possibilités du fait qu’on reste un peu « en dedans ». Il faut donc parvenir à repérer l’allure idéale, et ceci a longtemps reposé sur l’identification « scientifique » du « seuil ».
Il y a encore cinq ans en arrière, cette notion-là ne semblait pas mériter de remise en cause théorique. On admettait alors de manière consensuelle qu’il s’agissait d’une intensité d’effort à partir de laquelle la production d’acide lactique augmentait fortement conduisant à l’accumulation de ce dernier, avec simultanément une élévation de la quantité de CO2 rejeté par la respiration.
Le temps de soutien, dans ce contexte, est de l’ordre de 30 à 40 mn, tout au plus. Pour le marathon, il en va différemment. On évolue à une intensité moyenne qui est bien sûr plus basse, et sur des temps de soutien plus longs.
Encore faut-il savoir lesquels.
Aussi, la connaissance préalable du seuil a paru intéressante à un certain nombre d’experts, tel que le Dr Hervé Stephan qui dans les années 90, dans son centre d’Epinay/Seine, arrivait à des prédictions chronométriques sur marathon assez fiable.
Comment ?
Certains travaux de laboratoire, depuis remis en cause quant à leur interprétation, situaient ce « seuil » de manière universelle autour d’une allure moyenne correspondant à un taux de lactates de 4 Mmol. Certains d’entre vous se souviennent peut-être que la plupart des marathoniens d’élite des années 90 calibraient leurs allures en fonction des taux de lactates, déterminés directement sur le terrain grâce à de micro-prélèvements de sang au niveau du doigt ou de l’oreille. On pensait également que la vitesse moyenne sur marathon correspondait à un taux unique et très peu fluctuant d’un sujet à l’autre, correspondant à 2 mMol d’acide lactique dans le sang.
Depuis, il est apparu que la valeur à partir de laquelle cette dérive survenait n’était pas si universelle que cela. Au contraire, elle peut nettement varier d’un sujet à l’autre. Parfois, le seuil tombait pile à 4 mais, d’autres fois, il était plus proche de 3 ou de 6, compliquant de ce fait une programmation « systématique » à partir de courbes ou d’équations, comme on en rêvait à l’époque.
La même approximation pouvait également entacher la connaissance de l’allure optimale du sujet sur la distance-reine. Cependant, la détermination graphique individuelle, telle que la pratiquait Hervé Stephan, corrigeait ce point délicat.
En fait, le principal problème lié à cette allure « 2 Mmol » sur marathon réside plutôt dans les protocoles d’entraînement supposés aider à améliorer le temps de soutien. En gros, des spécialistes tels qu’Enrico Arcelli, grand prêtre des sulfureux marathoniens transalpins des années 90, sont venus défendre lors d’un colloque de la FFA consacré au marathon le point de vue suivant.
Pour améliorer ses performances sur marathon, il n’est plus utile, au plus haut niveau, de travailler sa VMA de manière systématique. Tout porte à penser qu’à l’époque il existait déjà des moyens plus radicaux que l’entraînement pour améliorer sa cylindrée… Ceci n’a jamais été opposé ouvertement aux experts italiens.
Par contre, Arcelli est ses collègues ont soutenu devant un parterre d’entraîneurs plutôt crédules que la clef de la réussite, sur marathon, consistait à effectuer des sorties d’une durée comprise entre 1 h 15 et une heure 30 à la vitesse qui correspond à ces 2 Mmol. Et si possible plusieurs fois dans la semaine.
La justification à cette stratégie plutôt risquée (car pouvant amener un coureur lambda à effectuer 30 à 40 km par semaine à l’allure de compétition !) était que cela améliorait l’aptitude à économiser le glycogène… ce qu’aucune étude n’est depuis venue suggérer et encore moins confirmer.
A l’inverse, les travaux menés en 2003 par Véronique Billat auprès de coureurs lusitaniens, ont montré qu’en effectuant des sorties à un rythme intermédiaire entre le seuil et la VMA, on obtenait des progrès bien plus conséquents qu’en se limitant à la répétition de séances à allure « marathon », correspondant à 2 Mmol de lactates.
Pour autant, l’extrapolation de ces constatations à la masse doit se faire avec beaucoup de présence, ne serait-ce que parce que la population de référence est constituée d’athlètes de haut niveau n’offrant pas de garantie quant à l’absence d’utilisation de produits dopants.
Or ceci, évidemment, fausse toute interprétation. Notamment dans le cas des séances à 2 Mmol, disparues aussi vite qu’elles furent proposées. Notons pour la petite histoire qu’à la même époque les cyclistes professionnels, en particulier ceux courant en Italie, définissaient le contenu de leurs sorties en fonction de leur hématocrite du matin.
Comme quoi on peut tout dire sur l’entraînement, à partir du moment où on oublie l’essentiel, à savoir que le haut niveau est truqué !