Le développement progressif de la presse écrite
Dans la plus grande partie du XVIIIe siècle, la presse a eu beaucoup de difficulté à pouvoir s'exprimer librement. Les gouvernements ont souvent pris des mesures pour l'empêcher de se développer, la contrôler ou la poursuivre en justice. La presse fait l'écho de l'opinion publique et réussit quelquefois à s'exprimer assez fortement.
En 1830, la politique du roi Charles X est fortement critiquée dans les journaux. En juillet, le roi va faire publier plusieurs décisions dont la première qui est de suspendre la liberté de la presse. C'est une des libertés pour lesquelles se battront les Français pendant la "Révolution de juillet" qui renverse Charles X.
C'est à cette période que naissent plusieurs journaux, ceux favorables au nouveau roi, Louis-Philippe, ou bien à l'opposition, des petits journaux illustrés présentant des caricatures ("Charivari", "La Caricature") ou des revues savantes ("la Revue des deux mondes").
Caricatures de Louis-Philippe par Charles Philipon parues dans Le Charivari.
La presse de province se développe aussi et se politise. En 1836, Emile de Girardin est le premier à introduire la publicité dans son journal "La Presse" et divise ainsi par deux le prix de l'abonnement.
Mais la liberté de la presse va être de nouveau limitée à partir de 1835 sous le régime de Louis-Philippe.
Louis-Philippe est renversé lors de la Révolution de 1848 à laquelle succède la IIème république. Après le coup d'état de Louis-Napoléon Bonaparte en 1851 qui fonde le Second Empire et devient Napoléon III, il faut attendre 1860, la deuxième partie de son règne plus libéral, pour voir la presse se développer à nouveau. C'est à cette période que renaît "Le Figaro", journal satirique en 1826, il est relancé et devient hebdomadaire en 1854 puis quotidien en 1866 (archive du 1er numéro). Le gouvernement impérial favorise aussi la petite presse à 5 centimes, non politique, pour satisfaire les besoins de lecture de la population. Comme avantage, cette presse n'avait pas à payer le timbre obligatoire pour être diffusée. C'est à ce moment-là que la vente au numéro se développe face à l'abonnement.
C'est à la fin de l'Empire, alors que la presse se libère et se fait plus critique envers l'Empereur, que naît le quotidien populaire à cinq centimes ou un sou. "Le petit journal" fondé en 1863 est non politique. Il est apprécié pour les chroniques de ses journalistes et ses romans-feuilletons. Il accorde également une grande place au fait divers. En 1870, il est imprimé déjà à plus de 400 000 exemplaires et marque les débuts de la presse quotidienne à grand tirage en France et dans le monde.
Suite à la défaite de la France dans la guerre contre la Prusse, l'Empereur abdique et la IIIème République (1870/1875-1940) s'instaure peu à peu.
Dans un contexte de démocratie où les opinions des différents partis sont exprimées, les journaux se développent fortement.
Les républicains vont voter la loi du 29 juillet 1881 relative à la presse qui lui accorde de grandes libertés. Elle est encore aujourd'hui avec la Déclaration des droits de l'homme, le texte qui défend la liberté de la presse. Le premier des soixante-dix articles annonce que « l'imprimerie et la librairie sont libres ».
Une grande partie des interdits et des difficultés administratifs qui touchent la presse sont levés. S'il y a encore des limites à cette expression (délit d'offense au chef de l'état et diffamation envers les hommes publics, condamnation des articles saluant et poussant le crime...), toutes les opinions vont pouvoir s'exprimer. L'état ne peut de toute façon plus contrôler toutes les publications qui sont présentes (1 316 publications en 1880, 2 635 en 1899 à Paris selon "l'Annuaire de la presse"). On parle alors d'âge d'or de la presse rendu possible par un contexte technique, économique et social favorable.
Le Petit Journal annonce 5 millions de lecteurs en 1899
Les facteurs de développement de la presse.
La transmission des nouvelles
- Le télégraphe électrique se déploie en 1845 dans toute la France et relie l'Europe à l'Amérique.
- En 1896, mise en place du télégraphe sans fil de l'Italien Marconi (transatlantique en 1901).
- Utilisation du téléphone dès 1880 et du téléscripteur.
- Transmission de photographies en temps réel par les lignes électriques ou radiotélégraphique dès 1907 (Bélinographe).
La fabrication
Jusqu'à la fin du XIXe siècle, la composition se faisait caractère par caractère. La machine de l'Américain Mergenthaler inventée dans les années 1880 permet la composition de lignes-blocs ce qui multiplie par cinq ou six la vitesse de composition. C'est la Linotype (de line of types, "ligne de caractères"). Elle n'est utilisée en France qu'à la fin du XIXe siècle à cause de son coût et des inquiétudes du Syndicat des ouvriers du Livre.
Dès les années 1860, on utilise la rotative de l'ingénieur français Marinoni. La première machine peut imprimer 10 000 exemplaires à l'heure d'un journal de 4 pages. Elle connaît ensuite des améliorations comme l'utilisation du papier continu en bobine.
Linotype et rotative permettent de répondre à l'explosion de la demande tout en faisant des économies de production.
La distribution
A la fin du XIXe siècle, le réseau ferroviaire du pays est complété. Toutes les grandes villes sont reliées à Paris. Ainsi, le journal imprimé le soir peut être transporté par le chemin de fer et arrive le lendemain dans toutes les villes de France.
On peut acheter aussi journaux et livres dans les gares grâce à un accord entre les compagnies ferroviaires et la maison d'édition Hachette. La librairie Hachette crée en 1898 les Messageries Hachette qui assurent une grande partie de la distribution des journaux.
Le lectorat
Alphabétisation de la population, réduction du temps de travail, baisse du prix du journal. Lire s'inscrit dans une culture de masse et la lecture du quotidien devient un réflexe pour toutes les catégories de la population, hommes, femmes, enfants, ouvriers et couches sociales plus aisées.
exemple de la diversification de la presse :
- Presse sportive (le vélo en 1892, puis l'Auto en 1900, 200 000 exemplaires en 1914)
- La presse féminine (Femina premier hedomadaire avec photographies en 1901)
- Presse jeunesse (la semaine de Suzette, 300 000 exemplaires en 1914)
Deux modèles de presse à la Belle époque.
La presse à grand tirage
La presse d'information à grand tirage est donc la presse de masse.
"Le Petit Parisien" (le journal au plus fort tirage du monde avant la 1ère guerre - 1,45 millions d'exemplaires), "Le Petit Journal", "Le Journal", "Le Matin" sont les journaux populaires les plus importants.
Le prix est bas, la pagination croissante (4 pages puis 6 en 1899, 10 à 12 pour le journal en 1914), de nombreuses éditions, des suppléments. Encore peu de publicité (10 à 20% des recettes contrairement à ce qui se passe en Angleterre et en Allemagne). Cette presse de masse attirant de nombreux lecteurs attire aussi les investisseurs.
La presse de masse établit un modèle bien particulier pour plaire au plus large public.
Tout d'abord, une grande importance est donnée au fait divers. On commente les crimes, on les illustre et on en tire une morale.
Le fait divers va jusqu'à occuper 30 % de la surface rédactionnelle du Petit Parisien. Tous les journaux cherchent les affaires qui feront le plus grand bruit et on développe des figures typiques du genre, celles du policier et de "l'Apache" et de l'anarchiste et celle du reporter courageux.
On trouve également des romans-feuilletons et des rubriques régulières qui fidélisent le public, des chroniques qui instruisent et divertissent et une information qui reste politiquement neutre.
Jusqu'en 1914, cette presse va évoluer en proposant moins de chroniques et de romans-feuilletons et plus de reportages, d'informations sportives et d'illustrations.
Le ton est celui d'une morale du plus grand nombre et qui défend les valeurs familiales et patriotiques. On va continuer cependant de jouer sur l'émotion et le spectaculaire.
La rapidité de transmission donne accès à de l'information qui va être publiée avec moins de commentaires pour la traiter. C'est ce que critiquent ceux qui pensent que la presse doit représenter des opinions, les défendre et jouer un rôle éducatif. C'est ce modèle de presse de masse que rejettent les représentants d'une presse plus traditionnelle, dite de doctrine.
Quelques journaux du XIXe siècle
La presse de doctrine
A côté de la presse grand public dite aussi "petite presse", la presse de doctrine (la grande presse) représente tous les courants de pensée politique allant de la presse monarchiste et bonapartiste à la presse socialiste en passant par la presse républicaine adressée à la bourgeoisie et qui, malgré un grand nombre de lecteurs, n'a pas un aussi grand lectorat que la presse populaire.
Dans certains de ces journaux, on va accuser l'accélération de cette industrie, la publicité, l'importance du divertissement, de ne pas respecter les valeurs de la presse (instruction de peuple, information des élites, contrôle du gouvernement, animation du débat public) et de favoriser l'émotion et les sentiments primaires à la tradition d'une culture classique.
En 1901, Henri Avenel, observateur de la presse française, écrit dans l'Annuaire de la presse française et du monde politique: « nous assistons depuis quelques années à la transformation ou, pour parler plus exactement, à la disparition de ce que fut autrefois le journalisme français avec son esprit doctrinaire et ses procédés de discussion logique et courtoise. De plus en plus, la presse tend à devenir une industrie qui subissant la loi fatale de l'offre et de la demande est tenue de se plier aux exigences de sa clientèle, avide d'une marchandise à la fois bon marché et de bonne qualité. »
En plus de la crainte de perdre cet "esprit doctrinaire" à la française, on critique à l'époque l'importance qui est donnée à l'information dans le sens où pour Émile Zola par exemple : « L'information a transformé le journalisme, tué les grands articles, tué la critique, donné chaque jour plus de place aux dépêches, aux nouvelles grandes et petites, aux reporters ».
Au modèle français de doctrine soutenu par ses lecteurs est opposé à un modèle anglo-saxon dans lequel l'information est dite séparée du commentaire et où la publicité tient une plus grande place. Puisque l'information coûte cher, la financer suppose trouver des sources qui risque de faire perdre la moralité et l'indépendance de la presse et sa mission depuis la Révolution française qui est l'instruction du peuple. Ainsi certains scandales (Emprunts pour la construction du canal de Panama, les emprunts russes) semblent à l'époque aller en faveur de cet argument. Cependant les historiens ont corrigé cette vision, la presse d'information "pure"n'ayant jamais pu vraiment s'imposer en France, les lecteurs de la grande presse demandant des commentaires, de l'analyse et des points de vue - en plus des faits divers. La presse française, encore au XXème, serait alors "l'altération du journalisme d'information par le journalisme d'opinion, politique ou littéraire" (Pierre Albert).
Petite vidéo contemporaine québécoise "l'ère de l'opinion"