Entretien avec Elizabeth George - Librairie Mollat, Bordeaux, le 16 novembre 1999 à 17h15. Propos recueillis par Lionel Germain
SOD : Vous êtes un auteur américain et pourtant vous avez choisi de situer vos intrigues en Angleterre. Pourquoi?
E.G : Je m’intéresse depuis longtemps à tout ce qui concerne la Grande-Bretagne. On peut aussi trouver une réponse plus complète à cette question en se connectant sur internet au site amazon.com où j’ai écrit les raisons de mon choix. Pour résumer, c’est en grande partie une affaire d’éducation. J’ai été davantage au contact de la littérature anglaise qu’américaine. Quand j’étais adolescente, la culture populaire était britannique. C’était les Beatles, Mary Quant, la mode des années soixante et le cinéma britannique. Ma sensiblité a été très influencée par cette culture.
SOD : Avez-vous vécu en Angleterre?
E.G : Non, jamais.
SOD : Vous mettez en scène deux personnages de policiers, un homme et une femme, Linley et Barbara, que tout oppose socialement. A travers eux, cherchez-vous à analyser pour vos lecteurs les paradoxes et l’étrangeté de la société anglaise contemporaine?
E.G : Je pense qu’est certainement ce que je fais même si je n’ai jamais projeté de le faire. Je n’ai pas commencé à écrire pour être publiée mais pour mon plaisir personnel. J’ai donc créé des personnages pour satisfaire ce plaisir dans la mesure ou l’écriture est une activité solitaire. Il y avait des personnages que j’avais envie de voir apparaître sur la page. C’était ça mon intention initiale. Le premier personnage que j’ai créé était le médecin légiste Saint-James et j’avais l’intention d’en faire mon personnage principal. Mais j’avais aussi besoin d’un personnage de policier sur le terrain qui puisse résoudre les affaires. J’ai donc créé Linley à ce moment là et j’ai écrit deux romans avec Linley et Saint-James avant que Linley ne résolve une affaire lui-même. Ce fut “Enquête dans le brouillard”, le premier livre publié.
SOD : Ces deux premiers livres, c’étaient des romans à énigme?
E.G : Ma première intention était d’écrire sur ces personnages et de leur faire résoudre une affaire criminelle. Je pensais ne pas avoir à suivre les règles du roman policier en vigueur à l’époque. J’ai simplement utilisé le crime et l’enquête comme une structure.
SOD : Mais cette structure est importante.
E.G : Elle sert principalement à lancer le roman dans une direction. Mais il y a des intrigues secondaires qui se développent en dehors des protagonistes officiels et qui déterminent la résolution de l’affaire principale.
SOD : Depuis “Le meurtre de la falaise”, Barbara Havers a énormément évolué. Malgré son acte courageux qui sauve la vie d’une fillette, elle a osé défié un supérieur et sa carrière est compromise. Elle tente de reconquérir sa place dans “Patience d’ange” mais Linley se montre intolérant.
E.G : Pour défendre Linley je dirai qu’il est droit. Ce qu’a fait Barbara était illégal.
SOD : Barbara aussi est droite même si c’est d’une autre manière.
E.G : Linley évolue. Au départ il éprouve de la compassion pour Barbara et il espère qu’elle va aggraver son cas si elle n’accepte pas de faire exactement le travail qu’on lui confie. Ensuite il pense qu’elle va se réintégrer progressivement en collaborant avec ce nouveau policier antillais, Nkata.
SOD : On a quand même l’impression que Linley méprise un peu Barbara.
E.G : Il est irrité parce qu’elle ne change pas. C’est toujours la “vieille” Barbara qui continue à n’en faire qu’à sa tête.
Bien-sûr, elle finira par avoir raison mais Linley est agacé et c’est vrai qu’il la méprise peut-être. C’est une attitude à mettre en relation avec son rapport aux femmes en général. Et là précisément, ça se focalise sur Barbara.
SOD : Vous éprouvez, vous, une tendresse particulière pour Barbara.
E.G : Dans ce livre ou en général?
Dans ce livre.
E.G : J’aime son personnage. Mais je n’ai pas le sentiment de le montrer davantage dans ce livre que dans les autres.
SOD : C’est un personnage excessif. La verra-t-on un jour plus apaisée, moins macho, plus séductrice?
E.G : Ce qui la rend attirante en dépit des difficultés qu’elle affronte, c’est qu’elle est capable de rire d’elle-même.
Elle envisage la vie d’une manière positive. Elle est très différente de ce qu’elle était dix livres plus tôt. Elle était coléreuse, amère et très haineuse contre le statut social de Linley.
SOD : Linley a enfin épousé Helen qui l’avait repoussé dans “Le lieu du crime”. Pourtant on ne se hasarderait pas à pronostiquer une union durable...
E.G : Linley souvent ne le pense pas lui-même. Il a une relation tumultueuse avec Helen parce qu’elle a une aussi forte personnalité que lui. C’est justement ça qui est intéressant. Que la relation dure, dépendra du comportement qu’ils auront l’un envers l’autre.
SOD : Dans un autre entretien vous avez reconnu être proche de P.D. James. Quel projet littéraire poursuivez-vous?
E.G : P.D. James et moi employons un point de vue à la troisième personne qui nous rapproche. Ce point de vue narratif est ce que nous avons en commun.
SOD : L’exploration de l’environnement des personnages est plus poussée chez vous que chez P.D. James. Vous semblez en fait plus proche de Ruth Rendell.
E.G : J’aime beaucoup les romans psychologiques de Ruth Rendell et un peu moins la série des Wexford. Je n’ai quand même jamais cherché à écrire un type particulier de livres. Je pense qu’écrire est une chose difficile. Avoir écrit un roman est un acte mystérieux. Quand je me mets au travail, je ne me dis pas que je vais contribuer à l’histoire de la littérature. Et je crois que c’est l’attitude de tous les écrivains, même classiques. Quand on écrit, c’est simplement pour écrire un livre.
SOD : Allez-vous poursuivre la série?
E.G : En ce moment même, je suis en train d’écrire un nouvel épisode sur Barbara et Linley. On y retrouvera également Saint-James et sa femme, et le superintendant Webberly.
SOD : Et allez-vous écrire un roman américain?
E.G : Si je trouve un sujet oui. Mais je ne mettrai jamais en scène mes personnages anglais aux Etats-Unis.
SOD : Vous aviez parlé une fois d’un roman sur l’Ohio, votre région d’origine.
E.G : (rire) Oh, non. Ce sont les mystères de la traduction. Je n’ai jamais dit que j’écrirai sur l’Ohio. Oh, si, maintenant je me rappelle ce que j’ai déclaré. J’ai déclaré que si je devais écrire un roman américain, l’atmosphère et les personnages que j’ai cotoyés dans mon enfance seraient une bonne source d’inspiration.
SOD : Avez-vous des projets pour le cinéma ou la télévision?
E.G : La BBC a acheté les droits de mon quatrième roman, “une douce vengeance” et le tournage devrait commencer en février.
NDAS (i.e. note de l'auteur du site) : Je tiens à remercier Lionel Germain de m'avoir transmis cette interview réalisée pour Sud-Ouest Dimanche.