Résumé
Roberta, une grosse fille de 19 ans, est retrouvée dans une étable, assise auprès de son père, décapité. Elle avoue son crime avant de se réfugier dans le mutisme.
Deux policiers sont chargés de l'enquête dans le Yorkshire : l'inspecteur Thomas Lynley, aristocrate, riche et beau garçon, et Barbara Havers, au physique ingrat, qui éprouve pour son collègue une profonde aversion.
Au terme de leur investigation dans une Angleterre bucolique, Lynley et Havers vont découvrir la vérité sur Roberta et sur... eux-mêmes.
L'assassinat de William Teys va agir sur eux comme un révélateur et ils ne seront pas épargnés dans leur lente plongée dans un monde de haines féroces, de scandales enfouis, de monstruosités ordinaires...
Précisions
Ce livre a fait partie de la sélection de 1989 pour l'Edgar Allan Poe Award du meilleur premier roman décerné par les Mystery Writers of America, et a obtenu l'Anthony Award du meilleur premier roman à la Bouchercon de Philadelphie ainsi que l'Agatha Award du meilleur premier roman à la Malice Domestic Conference. En 1990, il a obtenu en France le Grand Prix de littérature policière.
(Tiré des propos de Jacques Baudou et d'interviews d'Elizabeth George)
La première carte maîtresse de EG dans Enquête est l'originalité de son duo de détectives. Un duo parfaitement antagoniste puisque composé d'un homme séduisant et d'une femme sans grâce. Mais de surcroît, à la différence des sexes et à la dissemblance physique viennent s'ajouter des origines sociales très éloignées : Thomas Lynley appartient à la vieille noblesse anglaise : il est comte d'Asherton - et EG avoue dans un entretien pour The Armchair Detective qu'elle l'avait fait comte pour le plaisir un peu incongru d'avoir un personnage portant deux noms différents ! - tandis que Barbara Havers est issue d'un milieu populaire et vit dans une banlieue misérable.
EG a prémédité cet écart social. Elle s'en explique dans une interview (Mystery scene n°37, 1992) : "je pense que la société anglaise est une société de classes très marquée. J'ai écrit Enquête dans le brouillard en donnant à Lynley un partenaire d'un milieu très différent du sien, parce que je voulais un personnage qui puisse lui servir de repoussoir. Il me semblait que Lynley était trop excentrique pour être vraiment sympathique. C'est pourquoi j'ai crée un autre personnage qui inviterait le lecteur à détester Lynley avec lui. Si j'arrivais à faire évoluer l'opinion de Barbara Havers sur Lynley au fil du roman, le lecteur changerait d'avis lui aussi et finirait par oublier qu'il est un aristocrate pour voir en lui un homme plein de compassion. Je n'ai jamais essayé vraiment d'explorer le système de classes anglais. J'ai juste trouvé intéressant le fait qu'il y en ait un et j'ai voulu que mon roman s'en fasse le reflet...".
En fait, avec Thomas Lynley et Barbara Havers, EG a dessiné deux portraits de policiers bien plus fouillés qu'il n'est de coutume, même dans les romans où les auteurs prennent soin de développer la psychologie et la vie privée de leurs enquêteurs et leurs effets sur leur comportement professionnel. Elle est allée très loin dans la dissection des âmes, dans l'analyse des personnalités.
SPOILERS
La seconde carte maîtresse du roman, c'est son thème, ou si l'on préfère la nature du crime qui est au centre de l'intrigue. Et il n'échappera à personne que ce crime n'est pas l'assassinat de William Teys, mais l'inceste. (...) Ce qui est admirable, c'est la façon dont EG l'a traité. Sans schématisme aucun, en abordant tous les aspects de cet épineux problème, en évoquant toutes les séquelles déstructurantes d'un tel acte, en occultant rien de la façon dont l'entourage des victimes réagit généralement. Mais sans surenchère non plus, en laissant au seul témoignage des deux sœurs le soin d'énoncer l'horreur avec une sobriété glaçante. (...)
Dans la Presse
Gore, gossip and gracefulness, Chicago Sun Times
Avec un sens lyrique du langage et un regard cinématique du détail, George a construit une histoire vraiment fascinante qui est, d'une part un livre à suspense psychologique, et d'autre part une histoire policière. Ces deux parties s'assemblent pour faire un extra-ordinaire tout.
Flaws don't detract from a stunning debut, par Tom et Enid Schantz, Denver Post
Il y a les livres vraiment spéciaux, ceux qui ne parraissent qu'une fois tous les 5 ans, et encore, si on a de la chance. Il s'était écoulé beaucoup de temps depuis la dernière fois qu'une nouvelle venue avait fait irruption sur la scène des mystères avec une nouvelle ayant la grandeur du livre d'Elizabeth George "A great Delivrance". Ses éditeurs la comparent déjà à P.D. James et Martha Grimes (nous pensons qu'elle est meilleure), alors que d'autres critiques la comparent à Ruth Rendell, Ngaio Marsh ou même Dorothy L. Sayers. C'est parfaitement justifié, bien que pour nous, A great Delivrance" ressemble plus à Charlotte Bronte ou William Falkner.
C'est Faulkner qui a dit que la littérature montrait le coeur humain en conflit avec lui même, et c'est certainement le thème unificateur de la remarquable chronique sur l'amour et la mort dans un village du Yorkshire, d'Elizabeth George.
Ce roman, d'une incroyable envergure et pouvoir, est un formidable début pour un écrivain dont on entendra surement parler de nouveau.
Mon avis - SPOILERS
Ce roman est extra-ordinaire. Très bien écrit - les quelques "défauts" que j'ai relevés ne sont que des points de détail.
E.G. donne une vraie place à chaque personnage rencontré, des policiers qui enquêtent et sont bien sur les héros du roman - si tant est qu'il y ait réellement des héros dans les livres d'EG - qu'aux personnages qu'on ne croise que sur une ou deux pages.
Le détective privé engagé par William Teys en est un parfait exemple. Il n'a qu'un tout petit rôle dans l'histoire, et pourtant, une grande part de sa personnalité est révélé, le rendant extrêmement vivant. Il n'est pas un simple interlocuteur lors d'une conversation téléphonique. C'est un individu qui se crée un personnage, qui met en place une mise en scène lors de cette brève conversation, laissant deviner ce qu'est sa vie, ce à quoi il aspire, etc.
Cette attention accordée à chaque personnage est une particularité d'E.G. qui me plaît beaucoup. Il est vrai que parfois je souhaiterais lire plus de passage concernant les 5 personnages récurrents et moins concernant les personnages secondaires voire moins que cela. Mais cette remarque ne tient pas concernant Enquête dans le brouillard car une très grande place est accordée à Lynley et Havers dans le récit. Nous faisons leurs connaissance, nous voyons s'installer la relation qui perdurera entre eux dans les volumes suivants.
Bien qu'ayant lu ce livre pour la première fois il y a environ 16 ans, j'avais mémorisé beaucoup de phrases. Souvent des débuts de chapitres, parfois des phrases importantes dans le récit, d'autres fois des phrases dont j'aimais simplement la tournure ou la façon dont elles étaient placées dans l'histoire.
Je possède deux éditions de ce livre, et entre la première, qui contient la toute première traduction, et la deuxième qui est dans un livre regroupant quatre romans d'E.G., des phrases ont été modifiées.
C'est le cas notamment de la première phrase du roman.
A l'origine : "Ce fut un solécisme de la pire espèce".
Devenu : "Ce fut le manque de savoir-vivre porté à son comble".
Solécisme... dès le début de la lecture un mot que je ne connaissais pas et qui m'avait fait ouvrir le dictionnaire.
J'avais beaucoup apprécié ce premier chapitre, très "Georgien" (j'entends par là "typique d'Elizabeth George"). Il n'était pas facile de deviner à quelle époque se situait l'histoire. Et l'époque actuelle semblait être la moins probable, ce que dément très rapidement la suite du récit.
Dans Enquête dans le brouillard, l'étude des caractères, de la gestuelle associée aux paroles est très poussée. C'est essentiellement à travers le regard de Lynley que nous le constatons.
Par exemple la première fois qu'il rencontre Tessa, il pense : "C'est étrange, les membres d'une même espèce ont recours à une gestuelle identique pour lancer des signaux de détresse. Main qu'on porte d'instinct à sa gorge, [etc. jusqu'à] léger tressaillement destiné à parer un choc psychologique".
Je trouve que Lynley parait simple par rapport à la complexité de la personnalité de Barbara. Simple et logique dans son comportement, dans ses sentiments vis à vis de ses amis, des gens qu'il rencontre dans le cadre de son travail, au cours des enquêtes.
A l'inverse Barbara est très complexe. Il s'agit d'une "complexité interne" car cela relève de son caractère et de sa façon d'envisager ses relations avec autrui. Elle ne voit pas la vaste palette de couleurs que peuvent revêtir les choses. Elle ne se contente pas non plus d'un simple noir ou blanc. Elle va chercher dans l'extrême. L’extrêmement noir, l'extrêmement blanc, elle est d'extrêmement bonne humeur ou d'extrêmement mauvaise humeur, Lynley est extrêmement mauvais, ou peut-être extrêmement bon. Je caricature un peu, mais à ses débuts, je trouve que c'est ce qu'exprime son comportement.
Quand je parle de la simplicité de Lynley, je ne veux pas dire qu'il est simple (qui pourrait s'apparenter à fade, sans grand intérêt...), mais que je le trouve simple à comprendre.
Il est très humain, très sensible, et ouvert d'esprit, ce qui lui permet de comprendre facilement les gens, de faire preuve de beaucoup de tolérance, de patience et qui lui permet de se faire une opinion juste des gens assez facilement et rapidement après les avoir rencontrés.
Assez rapidement, E.G. dit qu'ils peuvent devenirs amis. Ils partagent un fou rire lors d'une discussion sur Nigel Parrish, et ils ont tous deux cette pensée.
A moi, cela semblait bien moins évident.
Parmi les choses m'ayant interpellée :
- "Vannée", du jargon d'ancien élève d'Eton.
Vannée est un mot que j'emploie fréquemment (sans rapport avec le fait que je vive à Vannes ^_^). Je ne lui trouve rien de particulier. Je me demande donc si le mot anglais d'origine était plus typique et n'avait pas d'équivalent en français, ou si vanné n'est pas utilisé aussi souvent que je le pense.
- A propos de Nigel Parrish : "Le sourire était son arme défensive, sa façon de refouler toute émotion susceptible de percer la mince carapace d'indifférence dont il s'enveloppait."
Je suis un peu comme ça. Ce qui tendrait à me faire dire que quand on lit des livres d'E.G., en plus du formidable récit qu'elle nous offre, on apprend des choses sur les autres, et des choses sur soi.