Vous me direz que de manipuler en plein jour, un bâton de Jacob dans un parc au centre-ville et même à l’intérieur d’un lieu public, un musée etc., n’est pas très indiqué. L’horizon et l’étoile polaire n’étant pas au rendez-vous, il est par contre très facile de les remplacer. Par exemple, le haut d’un arbre, d’une corniche d’un immeuble devient rapidement et de l’évidence même, l’étoile polaire et à hauteur du regard, un arrêt stop, un seuil de porte, le barreau horizontal d’une rampe, une cabine téléphonique, un commutateur de lumière etc., font très bien l’affaire pour définir l’horizon. Les gens sont emballés de faire l’essai de ce petit bout de bois, et il devient inévitablement le clou de ma démonstration. Maintenant, allons rejoindre le groupe, et nous allons être bientôt fixés sur les performances de chacun des membres. « Alors, vous Madame, combien de degrés lisez vous sur la règle de votre bâton de Jacob: 45 degrés, dites-vous, mais c’est excellent Madame et vous Monsieur, combien cela vous donne-t-il, ah…! 48 degrés mais c’est aussi excellent et vous, mon autre bon Monsieur, … quoi, 42 degrés mais de mieux en mieux et vous, jeune homme…44,… tiens…, 51 degrés …ah… un peu haut mais… bien valable, Monsieur,…bien valable. Enfin de compte, je crois, que vous êtes tous d’excellents navigateurs et si vous auriez fait partie du même voyage que votre ancêtre et que le navigateur serait tombé gravement malade, vous auriez certainement été en mesure d’amener le bateau et son équipage sain et sauf dans le nouveau monde, alors je vous félicite tous, » puis voilà de ces mots chacun ayant cru mes propos qui en fin de compte sont des pieux mensonges, je ressens toujours une toute petite fierté à leur avoir appris comment se servir de ce bout de bois. En toute honnêteté, je suis persuadé que pendant une minute ou deux ils se sont sentis, hommes ou femmes, jeunes filles, jeunes hommes et bien souvent grands mères… comme des héros aux commandes d’un galion ou d’une caravelle. Les plus suspicieux, les plus soupçonneux, je leur mets la main sur l’épaule et en confidence, abaissant un peu la voix je leur dis qu’avec beaucoup de pratique, ils deviendraient, certainement, de grands navigateurs. Vous voulez un petit secret : les femmes ont beaucoup plus de facilité à manipuler le bâton de Jacob que les hommes. Est-ce dire en ces propos que si les navigateurs du début de la colonie avaient été des femmes, ils y auraient eu beaucoup moins de naufrages...??? Moi qui jusqu’à présent… n’avais pas d’ennemis. Lorsque j’ai construit mon premier bâton de Jacob, j’ai choisi deux sortes de bois : du cerisier d’Europe pour graver les différentes latitudes et du merisier de Sainte Angèle de Laval pour façonner le marteau; je tenais à prendre dans ma main une pièce réunissant la France et le Québec. Enfin, quand je vais prendre quelques jours de vacances en Nouvelle-Angleterre, au bord de la mer, je ne manque jamais d’apporter avec moi mes instruments de navigation. Comme je suis un matinal, au soleil levant sur une plage faisant face à l’océan Atlantique, j’installe mon astrolabe de bois et mes deux sextants fabriqués, l’un en plastique, budget oblige, de marque Davis modèle 15, peu dispendieux mais très précis, et mon grand sextant de démonstration que j’ai fabriqué dans une planche de bois franc, qui est, disons assez précis et mon bâton de Jacob. Je demeure là sur le bord de la mer à rêver avec mes instruments, je prends des notes des comparaisons, je consulte les éphémérides; voilà ce que sont les vrais vacances. Depuis quelque temps avec mes écrits, vous aurez certainement l’impression que je vous mène en bateau et vous auriez probablement bien raison car je ne m’embarrasse pas trop de faits historiques rigoureux mais simplement du gros bon sens et vous me direz probablement que le bâton de Jacob n’est quand même pas rattaché aux grandes destinés de l’Europe et je vous dirais que vous avez aussi encore bien raison. Si le bâton de Jacob n’avait pas existé cela n’aurait certainement pas stoppé les grands découvreurs car ces gaillards seraient partis, quant à moi, les yeux bandés.