Options génétiques

Options génétiques d’adaptation du blé tendre au changement climatique

Site scientifique à but non lucratif créé par Riad BALAGHI et Mohammed JLIBENE chercheurs à l'INRA (Maroc)

Variétés à résistance multiple : sécheresse, cécidomyie, septoriose, rouilles brune et jaune

Grand Prix Hassan II pour l'invention et la recherche dans le domaine agricole, édition 2009

Mohammed JLIBENE

    De grands défis se sont posés à la sécurité alimentaire du pays à cause du changement climatique qui a débuté au début des années 80, avec comme manifestation première, des sécheresses répétées qui ont réduit la production des céréales en général, y compris celle du blé tendre. Le blé tendre étant la première source de pain au Maroc, les efforts de sélection variétale à l’Institut National de la Recherche Agronomique (INRA) ont donc porté, depuis cette période, sur la sélection de variétés de plus en plus résistantes à la sécheresse, capables de produire des rendements appréciables même en conditions sèches, tout en étant résistantes aux principaux parasites (maladies et ravageurs) connus dans le pays. Les de résistance à la sécheresse et à la cécidomyie, qui est l’insecte le plus redoutable, ainsi qu’aux maladies foliaires (septoriose et rouilles), ont été combinées et incorporées dans les variétés nouvellement créées. Les efforts de sélection variétale n’ont pas négligé non plus les aspects liés à la qualité boulangère puisque ces variétés sont appréciées par le consommateur marocain. Grâce à la sélection variétale entreprise à l’INRA, un gain supplémentaire de 18 millions de quintaux par an, en moyenne, est possible à l’échelle nationale en conduite technique optimale, dont six millions sont réalisables dans les conditions actuelles de production. L’objectif de ce document est de faire le bilan des réalisations en matière de sélection variétale de blé tendre au Maroc, durant les quatre dernières décennies, dans le contexte du changement climatique. Ce document, qui retrace les travaux de l’auteur en matière de sélection variétale du blé tendre, a eu le prestige d’obtenir le premier prix du Grand Prix Hassan II pour l'invention et la recherche dans le domaine agricole, dans son édition 2009.

RÉSUMÉ

Le blé tendre est la première source d’alimentation des marocains. Il est consommé sous forme de pain par toutes les catégories sociales et tous les âges. La consommation nationale de blé tendre a atteint son maximum au début des années 80, 144 kg/personne et par an, en raison de la pression de la démographie et du changement des habitudes alimentaires. Cependant, l’offre nationale en en blé tendre a été freinée par les sécheresses qui se sont succédées sur la même période en raison du changement climatique. Pour pallier au déficit de production céréalier, l’INRA en tant qu’organisme public de recherche pour le développement, a focalisés ses efforts sur des programmes d’amélioration génétique qui ont porté leur fruit.

Le progrès génétique annuel en matière de productivité à l’hectare (ha), entre 1973 et 2006, a été de l’ordre de 57 kg/ha en moyenne, en dépit des sécheresses résultant du changement climatique au Maroc. Les variétés créées durant les années 80 se caractérisent par des qualités de précocité, de semi nanisme et de résistance aux rouilles. Les variétés créées par la suite, durant les années 90, ont incorporé en plus des qualités précédentes, la résistance à la septoriose et à la cécidomyie et, à partir de 2005, la résistance à la rouille jaune et à la sécheresse.

La résistance à la sécheresse a été améliorée puisque dans les environnements secs grâce à la sélection variétale. Sur la période 1980-2005, le gain annuel de rendement réalisé a atteint 78 kg/an en moyenne, soit 50% de plus sur l’ensemble des environnements. L’économie d’eau résultante, par rapport à la variété témoin Nasma, a été de 115 mm/an grâce à 33 années de recherches en amélioration génétique. La stabilité des rendements a été améliorée, grâce à l’augmentation de la productivité en conditions sèches et à la résistance aux parasites. L’Efficience d’Utilisation de l’Eau (EUE) potentielle des nouvelles variétés dans la zone agro-écologique « Bour Défavorable », a été estimée à 22 kg.mm-1, permettant une économie d’eau de 0,77 mm par an et par hectare (17 kg / 22 kg.mm-1) par rapport à la variété Nasma. Actuellement, les variétés utilisées par les agriculteurs permettent d’économiser 25 mm d’eau à l’hectare dans les environnements défavorables. Le manque à gagner par rapport à l’utilisation des nouvelles variétés améliorées est énorme puisque que l’EUE peut être quintuplé à 115 mm.an-1.

L’utilisation des variétés améliorées comme « Marchouch » et « Achtar », a eu un impact manifeste aussi sur les superficies emblavées que sur le niveau et la stabilité du rendement grain. Les superficies ont quadruplé entre 1980 et 1996, permettant la réussite de l’opération de promotion de blé tendre engagée depuis 1985. L’objectif de cette opération a été doublement dépassé alors que les superficies avaient stagné autour de 500.000 hectares pendant les trois décennies 50, 60 et 70, en dépit des grandes opérations de développement lancées par le Ministère de l’agriculture (Opération labour, Opération engrais, et Opération semences). Les superficies auraient pu augmenter d’avantage si les variétés actuellement mises sur le marché, « Arrehane » et de « Nouvelles variétés » (appelées ci-après Nouvelles), avaient été exploitées.

Grâce à la contribution des nouvelles variétés sélectionnées, le rendement national s’est accru en moyenne de 17 kg/ha et par an, mais pouvant aller de 13 kg/ha dans le « Bour Défavorable » (à pluviométrie annuelle inférieure à 400 mm[1]/an) à 22 kg/ha dans le « Bour Favorable » (à pluviométrie annuelle supérieure à 400 mm/an). Des records successifs de production ont été enregistrés durant les campagnes agricoles 1985-86, 1987-88, 1990-91, 2005-06 et 2008-2009. Les gains de rendement varient aussi selon la performance des agriculteurs, puisque des rendements record, dépassant les 80 quintaux/ha, ont été réalisés dans certaines exploitations.

L’impact sur la production et sur la stabilité du rendement du blé pourrait être plus important si les variétés récentes (Arrehane et Nouvelles) sont utilisées à plus large échelle. Ces variétés sont plus tolérantes à la sécheresse, permettant de produire dans des conditions extrêmes contrairement aux variétés actuellement cultivées. Elles sont aussi résistantes à la cécidomyie et aux maladies foliaires, permettant par la même occasion de réduire les populations de parasites.

 

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Guide sur le choix de variétés tolérantes à la sécheresse

L’agriculteur fait face à un dilemme ; d’un côté il y a un profil variétal enrichi d’une soixantaine de variétés par espèce, et d’un autre, seul un nombre limité d’entre elles sont mises sur le marché et sont cultivées dans différentes régions céréalières du pays, sans distinction des potentialités régionales, ni des besoins des utilisateurs.

Dans d'autres pays de production céréalières,  le choix est aidé par l'utilisation d'un outil d'aide à la décision qui permet aux agriculteurs d'accéder et  exploiter la base de données,  sur les performances agronomiques et qualitatives des nouvelles variétés, recueillie  dans le cadre d'un système d'évaluation pour la productivité et la qualité dans une large gamme de localités variant aux niveaux climatique, édaphique, biologique, système de production… etc.

Au Maroc, un tel système n'est pas encore disponible. En attendant, l’agriculteur agit selon ses préférences, ou suit les recommandations des organismes semenciers ou des agriculteurs voisins. L'agriculture marocaine continue ainsi à drainer les manques à gagner liés au ciblage des variétés et au progrès génétique.  

Ci-dessous, nous présentons un guide de choix de la variété appropriée pour les environnements de culture et d'utilisation, qui tient compte des caractéristiques de l'environnement de production et de destination et des attributs de la variété sensées valoriser ces environnements.

Le choix de la variété de céréales tolérante à la sécheresse est raisonné à l’échelle locale, souvent au niveau de la parcelle agricole et par agriculteur. Le raisonnement comprend les étapes suivantes :

Diagnostic de l'environnement

L'environnement est pris dans son sens large: socioéconomique, climatique et météorologique, productif,  technique et technologique, et biologique.

Socioéconomique: La récolte peut être destinée à l'alimentation animale, comme celle de l'orge, à la consommation humaine,  comme celles des blés et une proportion de l'orge. Elle peut subir des transformations et donner des produits finaux de qualités différentes: galette et semoule pour l'orge, pâtes et semoule pour le blé dur, pain, viennoise et biscuit pour le blé tendre. Chaque produit final nécessite une qualité intrinsèque spécifique de la variété.

Climatique et météorologique: Le climat détermine les agrosystèmes. qui sont suffisamment caractérisés pour la nature et la durée de croissance qui déterminent les potentialités de production et les contraintes climatiques et parasitaires associées, avec leurs fréquences et leurs sévérités respectives. Le choix de la variété dépend des potentialités et des risques de l'agrosystème. On a le choix par exemple entre l'adaptation large pour l'agrosystème à fort risque et l'adaptation spécifique pour l'agrosystème à moindre risque.

Productif: Le système de production est varié, mais au final, c'est une combinaison de niveaux de richesse organique, hydrique et minéral des sols, et de pratiques culturales,  Chaque combinaison nécessite des attributs spécifiques de la variété, dont la productivité, la précocité, la taille  et autres.  Pour un système de production qui n'est pas bien caractérisé, on doit étudier la capacité d'adaptation spécifique des variétés à ce système. 

Technique et technologique: La technicité de l’agriculteur détermine la qualité des pratiques culturales mises en œuvre. Les attributs de la variété comme la productivité, la résistance aux parasites, la concurrence vis à vis des adventices, sont requis à des niveaux variés. Les nouvelles technologies comme l'agriculture de précision, l'agriculture de conservation, l'agroécologie, l'agriculture biologique, etc., nécessitent des variétés spécifiquement adaptées.

Biologique: Le cortège parasitaire, dont les principaux sont les insectes et les champignons qui s'attaquent aux parties aériennes et souterraines des cultures à de niveaux variés selon la météorologie de la campagne agricole et l'importance de l'inoculum présent.  Les plantes concurrentes (adventices) sont généralement contrôlées chimiquement. Dans le cas de non application des herbicides, les variétés à fort tallage et vigueur de départ sont recommandées.

Environnement socioéconomique

On distingue trois marchés principaux de la récolte des céréales au Maroc, chacun exigeant un set spécifique de critères de qualité :

Les différences variétales saillantes en matière de qualité incluent:

Environnements climatique et météorologique et biologique

Les agrosystèmes sont déterminés sur la base de l'humidité et de la température, qui varient selon l'altitude, la longitude et l'altitude, sous l'influence de quatre entités géographiques: l'océan atlantique, la mer méditerranée, le désert du Sahara et les montagnes de l'Atlas et du Rif. Les régions céréalières sont situées entre les pics de montagne et les mers.

L'agrosystème irrigué se distingue par une période de croissance courte, un potentiel de rendement élevé, la chaleur printanière, l'occurrence des maladies (rouilles brune et  jaune) qui nécessite de l'humidité et de la chaleur, car situé dans les zones arides du pays (Haouz, Tadla, Doukkala). 

L'agrosystème humide se distingue par une période de croissance longue, un potentiel de rendement élevé, le risque de verse, l'engorgement des sols, la germination sur épi, l'occurrence des maladies (septoriose, rouille brune, cécidomyie). Il inclue les régions de  Larache, Tétouan, Tanger, Chefchaouen,  et Ifrane.

L'agrosystème subhumide se distingue par période de croissance moyenne, un potentiel de rendement, grande une variation interannuelle de la pluviométrie, la chaleur printanière, l'occurrence des maladies (septoriose, rouille brune, cécidomyie). I inclue les régions Rabat-Salé, Kenitra, Tounate, Meknès, Fès, Taza.

L'agrosystème de montagne se distingue par une période de croissance variable selon l’aridité de la zone, un climat variant de l'aride à l'humide, du froid et gel, et l'occurrence des maladies comme la rouille jaune, la cécidomyie, l'helminthosporiose,  Il inclue les régions de Khénifra, Midelt, Azilal, Elhajeb, Azrou.

L'agrosystème semi-aride se distingue par une période de croissance courte, un climat aride à forte variation interannuelle de la pluviométrie, la chaleur printanière, l'occurrence des maladies comme la cécidomyie, la rouille brune, la septoriose,  Il inclue les régions d'El Jadida, Safi, Casablanca, Sidi Slimane

L'agrosystème aride se distingue par une période de croissance courte, un climat aride, une fréquence élevée de sécheresse, de fortes chaleurs, et des maladies comme la cécidomyie, la rouille brune. Il inclue les régions de Settat, Nador, Al Hoceima, Essaouira, Beni Mellal, Nouasser, Khouribga, Kasba Tadla