Progrès technologique

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Site scientifique à but non lucratif créé par Riad BALAGHI et Mohammed JLIBENE

I. Les défis de la sécurité alimentaire

Selon les dernières projections de la FAO, la production agricole devra progresser de 70% d'ici à 2050 pour nourrir les 2,3 milliards d'individus. En raison de l'accroissement de la population mondiale, la part de terres arables par habitant diminuera dans le futur (Figure 1).

Figure 1: Évolution actuelle et future des ressources en terres comparées à l'accroissement de la population dans le monde.

L'irrigation est un moyen pour diminuer la dépendance de l'agriculture au climat, pour contrecarrer les effets des sécheresses et pour améliorer la productivité de l'agriculture. De tous les secteurs d'activité, l'agriculture est celui qui est le plus demandeur en eau, en raison des besoins croissants en irrigation pour améliorer la production agricole (Figure 2). En Asie, où les capacités en irrigation sont plus importantes, il est prévu un accroissement important des prélèvements en eau dans le futur en raison de l'accroissement rapide de la population. Les changements climatiques vont exacerber ces prélèvements sans que cela ne profite entièrement à la consommation en raison des pertes par évaporation qui iront en augmentant.

Figure 2 : Prélèvements et consommation en eau en fonction des continents en prévision des changements climatiques.

En conséquence, les gains de production proviendront essentiellement de l'amélioration des rendements des cultures et de l'intensité culturale (90%) sur les terres cultivées existantes plutôt que de l'expansion des terres arables (10%). Pour les pays en développement, la FAO estime que ce ratio sera de 80/20. Mais dans les pays qui souffrent de pénuries de terres, la quasi-totalité de cette croissance devra venir de l'amélioration des rendements, tout en tenant compte du fait que les disponibilités en eau pour l'irrigation iront en diminuant.

Par exemple, dans tous les grands pays producteurs de céréales, excepté en Inde, la tendance est à la stagnation des superficies cultivées alors que l'on observe une croissance de la productivité agricole responsable de l'amélioration de la production (Figure 3). Ce gain de productivité est le résultat du progrès technologique dans les pays développés et de la combinaison du progrès technologique et des capacités d'irrigation encore existantes en Asie (Balaghi & Gommes, 2009).

Figure 3 : Évolution des superficies (en haut) et des rendements (en bas) des céréales (blés et orge) dans quelques pays à climats contrastés.

II. Les émissions de gaz à effet de serre à la source du changement climatique

Dans le monde, les émissions les plus faibles sont en Afrique (3.0% des émissions totales), en Amérique latine (3.5%), au Moyen Orient (4.8%) et au Pacifique (7.4%). Toutefois c'est en Asie, que l'accélération des émissions de CO2 est la plus forte alors que dans les pays d'Europe du nord les émissions tendent à se stabiliser ou à diminuer comme en Allemagne ou en Pologne (Figure 4).

Figure 4 : Rejets de CO2 par la combustion d'hydrocarbures en 2006, par pays (En milliers de tonnes, les valeurs élevées sont en bleu).

(Source : International Energy Agency, 2009 http://www.iea.org/co2highlights/CO2highlights.pdf)

La Chine est le premier émetteur de CO2 (21% des émissions totales), même si ses émissions par habitant sont relativement faibles (Figure 5). Les émissions de la Chine sont suivies de près par celle des USA (20% des émissions totales). Elles sont en accélération depuis 2001, à un rythme de 524 millions de tonnes/an. Les autres pays du globe n'émettent qu'une fraction du total des émissions (exemple, en 2007 : Inde 4.6%, France 1.3%, Maroc 0.1%, Kenya <0.1%). Les 10 pays les plus pollueurs contribuent à 67.2% des émissions totales de CO2. Le Maroc est donc un pays à faible émissions de CO2 (<1,84 tonnes équivalent CO2/habitant), mais subit de plein fouet des conséquences des émissions des pays industrialisés ou des pays émergents. Malgré sa contribution très peu significative aux émissions mondiales, le Maroc s'efforce de mettre en place un arsenal juridique et réglementaire adéquat et de s’adapter au changement climatique.

Figure 5: Émissions de CO2 dans quelques pays à développements contrastés.

(Source : International Energy Agency, 2009).

III. Le changement climatique de la période 1980-2008 au Maroc

Une étude réalisée au Maroc (Balaghi, 2006) a montré, qu’à partir du début des années 80, la pluviométrie au Maroc a diminué brusquement de 25 à 30% selon les régions agricoles, durant les décennies 1980, 1990 et 2000 par rapport à la décennie 1970. L'analyse de ce changement climatique a été réalisée en testant statistiquement la présence de rupture, ou absence de continuité, dans la série chronologique de la pluviométrie cumulée de septembre à juin, correspondant à la durée du cycle de production de la majorité des cultures pluviales. Trois tests statistiques non paramétriques de Pettitt (1979), Buishand (1982) et Lee & Heghinian (1977) ont été utilisés pour détecter la présence de rupture pluviométrique. Ils ont été appliqués aux données de 15 stations synoptiques réparties sur tout le territoire marocain et pour lesquelles de longues séries chronologiques sont disponibles.

Les résultats de cette étude montrent que cette rupture vers une baisse de pluviométrie, a été générale à l’ensemble du pays (Figure 6). Les volumes pluviométriques annuels ont diminué pour l’ensemble des régions agricoles du pays, de 25 à 30% selon les régions, par rapport à la décennie 1970 (Jlibene, 2008). Par exemple, la pluviométrie annuelle, cumulée de septembre à mai, à chuté de 151, 82 et 151 mm, respectivement à Meknès, Fès et Oujda, entre les périodes 1931-1980 et 1981-2004.

La sécheresse est devenue ainsi une caractéristique du climat marocain et sa fréquence s’est accrue significativement sur la période récente. La fréquence des années sèches (<400 mm/an) a augmenté progressivement à 6 années sur 16 (37.5%) sur la période 1980-1995 puis à 4 années sur 7 (57.1%) entre 1996 et 2002, alors qu’elle a été faible durant les années 40, 50, 60 et 60, avec seulement 5 années sur 40 (12.5%) (Jlibene, 2008). De plus, la fréquence des années sèches (< 400 mm/an) a augmenté. Dans la région de Meknès, par exemple, elle a quintuplé, passant d’une année sèche sur 15 années normales durant les décennies 30, 40, 50, 60 et 70, à une année sur 3 durant les trois dernières décennies (Jlibene, 2008). La rupture climatique de 1980, qui a fait baisser la pluviométrie à Meknès de 180mm en 1980, constitue un premier indice du changement climatique.

Figure 6 : Distribution de la pluviométrie annuelle sur le cycle des céréales (de septembre à mai) de 1961 à 2008 dans les régions de Meknès et Settat.

On observe la de rupture de la pluviométrie survenue en 1980 au Maroc, après une augmentation durant les années 70. La pluviométrie a ensuite diminué continuellement tel qu'illustré par paliers de 10 ans depuis 1980. (Jlibene et Balaghi, 2009).

À l’intérieur de la saison, la durée de la période sèche a aussi augmenté, ayant dépassé les 75 jours, en 1995, 2005 et 2007. Les évènements liés aux fortes averses se sont aussi accentués, provoquant des intempéries (inondations, grêle, dégâts sur les terres et infrastructures).

IV. Les prévisions de changement climatique au Maroc

D’après des projections futures réalisées pour le Maroc, on s’attend à une augmentation des températures, à une diminution des précipitations et une augmentation de leur variabilité. En effet, la température moyenne pourrait augmenter de 1.1 à 1.6 °C d’ici à 2030, de 2.3 à 2.9 °C en 2050, et de 3.2 à 4.1 °C en 2080. Au niveau de l’ensemble du pays, les précipitations pourraient diminuer de 14% en 2030, de 13 à 30% en 2050, et de 21 à 36% en 2080.

Les études d'impact du changement climatique sur l'agriculture marocaine réalisées par l’Organisation des Nations Unies pour l'alimentation et l'agriculture (FAO), l'Institut National de la Recherche Agronomique (INRA) et la Direction de la Météorologie Nationale (DMN) (Gommes et al. 2009), prévoient une diminution de la productivité des principales cultures pluviales dans les zones semi-arides ainsi qu’une augmentation de la variabilité de la production agricole. Dans ces études, le changement climatique futur est analysé à partir de modèles atmosphériques qui transforment des hypothèses d’émissions de gaz à effet de serre (notamment, le CO2) en projections de pluviométrie et de température. Les hypothèses d'émission de gaz se basent sur des représentations de ce que pourrait être le monde jusque l'an 2100, selon deux scénarios A2 et B2. Les experts du Groupe d'Experts Intergouvernemental sur l'Évolution du Climat (GIEC) ont appelé scénarios ces représentations du futur, qui conduisent chacun à des trajectoires d'émissions mondiales de gaz à effet de serre très différentes. Au niveau planétaire, les projections ont été établies par le GIEC sur des mailles grossières de 250 km x 250 km. Pour le Maroc, les projections ont été réalisées dans cette étude sur des mailles réduites de l'ordre de 10 x 10 km, par une technique statistique de réduction d'échelle.

Scénario A2

Il s'agit d'un scénario pessimiste qui décrit un monde où la population mondiale est en rapide augmentation, avec une croissance économique forte qui repose sur des technologies polluantes dans un monde devenu plus protectionniste avec des inégalités croissantes entre le Nord et le Sud. Recours persistant aux énergies fossiles, croissance économique inégale selon les régions.

Scénario B2

Il s'agit d'un scénario optimiste qui décrit un monde où l'accent est placé sur des solutions locales, dans un sens de viabilité économique, sociale et environnementale. La population mondiale s’accroît de manière continue mais à un rythme plus faible que dans A2. Il y a des niveaux intermédiaires de développement économique et l’évolution technologique est moins rapide et plus diverse.

Par rapport à la période 1961-1990, prise comme référence, la baisse de la pluviométrie va concerner tout le pays et s'accélérer à l'horizon 2080 (Gommes et al. 2009) (Figure 7). L'augmentation de l'aridité dépendra des scénarios climatiques considérés, A2 ou B2. Dans le cas du scénario A2, qui est pessimiste, la pluviométrie annuelle baissera de l’ordre de 20% d’ici 2050 et de 40% à l’horizon 2080, à l’exception de la zone Saharienne où la baisse sera de 16% à l'horizon 2080. C'est au cours de l'automne et du printemps que la baisse pluviométrique se fera particulièrement ressentir, c'est-à-dire durant les saisons au cours desquelles on enregistre normalement des pics de pluviométrie.

De la même manière que pour les précipitations, les augmentations de températures affecteront tout le pays. Dans le cas du scénario A2, le réchauffement avoisinera 3°C d’ici 2080 pour les six zones agro-écologiques du Maroc et atteindra 5°C dans les zones "Défavorable Orientale" et "Montagneuse". Cette augmentation de température entraînera une augmentation de l’évapotranspiration (somme de l'évaporation des sols et de la transpiration des plantes) de l’ordre de 20% d’ici 2050 et 40% à l’horizon 2080, à l’exception de la zone Saharienne (9% en 2080).

Figure 7 : Prévisions de changement climatique sur le Maroc (Gommes et al. 2009).

V. Impact du changement climatique sur les principales cultures de sécurité alimentaire (céréales, légumineuses alimentaires, olivier) à l’horizon 2030

1. Impacts du changement climatique sur l'agriculture mondiale

L'agriculture est le secteur le plus dépendant du climat et le plus exposé aux changements climatiques. Plus de 80% de la variabilité de la production agricole est due aux conditions climatiques dans le monde. La sécheresse, qui sera l'expression la plus fréquente des changements climatiques, est responsable de la majorité des crises alimentaires dans le monde (Figure 8).

Figure 8 : Causes des crises alimentaires dans les pays en voie de développement (Source FAO).

Au niveau mondial, les changements climatiques se traduiront par une fréquence accrue des phénomènes climatiques extrêmes, une variabilité plus importante de la production agricole dans toutes les régions, particulièrement dans les pays du sud aux capacités d'adaptation faibles. Plus on se rapproche de l'équateur et plus l'agriculture sera affectée par les changements climatiques. L'impact le plus important sur l'agriculture est prévu en Afrique qui accuse les taux les plus élevés de pauvreté et d'insécurité alimentaire (Figure 9). Dans les pays de l'hémisphère nord, les conditions climatiques seront plus favorables aux cultures, en raison des températures hivernales plus clémentes et des apports en eau plus importants.

Figure 9 : Projections de température et de pluviométrie en raison des changements climatiques dans le monde.

Le rapport de synthèse 2007 publié par le GIEC fournit un certain nombre de conclusions fondamentales en ce qui concerne les impacts du changement climatique qui devraient se manifester à l'échelle des systèmes, des secteurs et des régions au cours du XXIème siècle. Bon nombre d'entre eux auront une incidence directe sur l'agriculture, perspective qui confirme la nécessité d'adopter des mesures d'adaptation et d'atténuation. Parmi les impacts identifiés par le GIEC, plusieurs touchent l'alimentation et l'agriculture. À l'échelle mondiale, le potentiel de production alimentaire devrait augmenter tant que la hausse des températures moyennes locales restera de l'ordre de 1 à 3°C, mais devrait diminuer au-delà (degré de confiance moyen de la projection). D’autre part, selon les projections, un réchauffement moyen de la planète dépassant 1,5 à 2,5°C associé à un accroissement de la concentration de CO2 dans l’atmosphère entraînera d'importants changements dans la structure et le fonctionnement des écosystèmes, dans les interactions écologiques des différentes espèces et dans leurs aires de répartition, le plus souvent au détriment de la biodiversité et des biens et services éco systémiques, tels que les ressources hydriques et les disponibilités vivrières.

Le changement climatique représente donc un défi sérieux à l’agriculture et devrait influencer les activités agricoles. Il va induire deux grands types de conséquences : une multiplication et une aggravation des accidents climatiques (sécheresses, inondations) ; un changement des affectations de terre, compte tenu des élévations de température. La conséquence directe est une instabilité croissante de la production, et donc des disponibilités alimentaires. On s'attend donc à une multiplication de crises alimentaires locales et à une volatilité croissante des prix des aliments qui affecteront les consommateurs les plus vulnérables. Cet accroissement des incertitudes aura aussi pour conséquence de limiter les investissements des agriculteurs, du fait de leur aversion au risque, et de limiter par conséquent la capacité du secteur à répondre aux enjeux de croissance de la demande alimentaire future.

2. Impact du changement climatique sur l’agriculture marocaine

2.1.Impact du changement climatique de la période 1980-2008

Au Maroc, comme dans la plupart des pays arides en voie de développement, une année pluvieuse signifie une bonne récolte, une meilleure sécurité alimentaire et une croissance économique. En raison de la faible pluviométrie, les rendements céréaliers sont faibles et surtout très volatiles, comparativement à un pays voisin comme l'Espagne (Figure 10).

L’agriculture marocaine repose essentiellement sur une agriculture pluviale qui domine largement les superficies cultivées. Cette agriculture est par conséquent sensible aux aléas climatiques qui caractérisent le climat marocain ainsi qu’au changement climatique attendu. Avec 85% des terres agricoles qui ne sont pas irriguées, les rendements des principales cultures subissent des variations très importantes en raison de la forte variabilité des précipitations et une fréquence élevée des sécheresses. Les fluctuations annuelles des précipitations expliquent 75% de la variabilité interannuelle du Produit Intérieur Brut (PIB). Par exemple, la sécheresse de 2005, la plus sévère dans l’histoire récente du pays, a diminué de moitié la production nationale céréalière.

Figure 10 : Rendement du blé au Maroc, comparativement à quelques pays Méditerranéens ou développés (Badraoui, Balaghi et Dahan, 2009).

Le Maroc a été particulièrement vulnérable au changement climatique à cause du progrès technologique modeste qui a été réalisé en agriculture, du poids de l’agriculture comme source de revenus (15 à 20% du PIB) et d’emplois (40 %) et du faible usage d'instruments de gestion du risque sécheresse. Le Maroc est situé dans une région très vulnérable aux changements climatiques, à cause de l'aridité de son climat et la dépendance de son économie et de sa sécurité alimentaire vis-à-vis de l'agriculture et de la pêche maritime.

2.2.Prévisions d’impact du changement climatique futur sur la productivité des cultures à l’horizon 2030

a. Incertitudes concernant les impacts du changement climatique

Les modèles physiques sur lesquels reposent les projections climatiques prévoient mieux les valeurs moyennes de pluie et de température que leurs extrêmes (Gommes et al. 2009). Il en découle, que les impacts prévus dans le futur représentent des moyennes de valeurs qui peuvent parfois fluctuer fortement d'une année à l'autre. Les projections de rendements diffèrent toutefois très peu entre les scénarios A2 et B2 jusqu’en 2030[1]. Au-delà de cette date, et jusqu'en 2100, des divergences énormes existent entre les scénarios en raison des incertitudes liées aux quantités de gaz à effet de serre qui seront réellement émises dans l’atmosphère, de la dynamique[2] du secteur agricole et de la capacité d’adaptation de l’agriculture marocaine.

Pour cette raison, les estimations d'impact sont fiables jusqu'en 2030 et vraisemblables au-delà. Cependant, l’amplitude des changements climatiques attendus à long terme est telle qu’un renversement de tendance est peu probable. Ces prévisions d'impact sur les productions agricoles sont largement tributaires des modèles climatiques développés par les climatologues et ne sont valables que pour les conditions actuelles de l'agriculture marocaine. En d'autres termes, des altérations des systèmes de production actuels tels que la gestion de l’eau, l'affectation des terres, l'amélioration variétale, les cultures existantes ou l'adaptation des agriculteurs aux changements climatiques‏ peuvent modifier les prévisions d'impact. Les incertitudes liées aux projections d'impacts sont principalement dues à notre difficulté à imaginer le monde de demain, aux imperfections des modèles climatiques, aux techniques de réduction d’échelle ainsi qu'aux erreurs statistiques inhérentes aux données statistiques qui ont servi de référence.

b. Impact du changement climatique sur la productivité des cultures

Le changement climatique va augmenter la probabilité des récoltes faibles ou nulles dans les zones de cultures pluviales, où l’irrigation n’est pas présente pour atténuer les conditions climatiques défavorables. Dans le cas des blés en culture pluviale, l'impact du changement climatique serait relativement faible jusqu'à l'horizon 2030, puis sévère au-delà (Gommes et al. 2009). En absence de progrès technologique, les résultats des projections climatiques sur le Maroc indiquent que les rendements du blé tendre et du blé dur en culture pluviale diminueraient, de 6% et 3% respectivement, par rapport au rendement actuel à l’horizon 2030, dans le cas du scénario A2 (Figure 11). À l’horizon 2050, la diminution serait plus sévère pour ces deux espèces, de l’ordre de 25%, et plus sévère encore à l’horizon 2080, de 55%. En présence du progrès technologique maintenu stable, les rendements des blés en culture pluviale continueront à croître, de l'ordre de 26% et 40% du rendement actuel jusqu'aux horizons 2030 et 2050, respectivement. À partir de 2050, le changement climatique serait tel que le rythme actuel du progrès technologique serait insuffisant pour maintenir une progression du rendement du blé dur.

11a

11b

11c

11d

Figure 11 : Impacts du changement climatique sur le rendement du blé tendre pluvial (11a), du blé dur pluvial (11b), du blé tendre irrigué (11c) et du blé dur irrigué (11d), dans le cas du scénario A2. (Source de données : Gommes et al. 2009).

Dans le cas des blés irrigués, l'impact du changement climatique serait relativement faible. En absence du progrès technologique, les rendements du blé tendre et du blé dur en culture irriguée diminueraient relativement peu, de 1% et 2% respectivement, par rapport au rendement actuel à l’horizon 2030, dans le cas du scénario A2. À l’horizon 2050, la diminution serait plus importante pour ces deux espèces, de 11% et 21% respectivement pour le blé tendre et le blé dur, puis de 19 et 35% à l’horizon 2080. En présence du progrès technologique maintenu stable, les rendements des blés irrigués continueront à croître jusqu'en 2100.

Dans la Figure 11, le décalage entre la ligne verte (avec progrès technologique) et rouge (sans progrès technologique) est un indicateur de la capacité d'adaptation de la culture des blés au changement climatique attendu. Toutes les cultures n'ont pas la même capacité d'adaptation au changement climatique. Le blé tendre a une grande capacité d'adaptation au changement climatique, en culture pluviale, alors que le blé dur s'adapte mieux en culture irriguée. Les cultures qui s'adapteront le mieux sont celles qui sont irriguées et celles pour lesquelles le rythme du progrès technologique est important (Figure 12).

Figure 12 : Contribution du progrès technologique à l’adaptation au changement climatique pour les principales cultures au Maroc.

(Tiré de Gommes et al. 2009).

Le progrès technologique le plus spectaculaire se retrouve pour la tomate, la luzerne, la banane ou la pomme de terre par exemple (Gommes et al. 2009). Parmi les cultures qui verront leurs rendements augmenter en irrigué, figurent les cultures à métabolisme C4 (maïs, sorgho, ou canne à sucre) et les cultures fruitières et légumières (Figure 12). Les autres cultures à métabolisme C3 seront affectées par le changement climatique, à rythme modéré jusqu'en 2030 et rapide au-delà.

13a

13b

Figure 13 : Pourcentage de réduction du rendement des principales cultures au Maroc, selon deux scénarios de changement climatique, A2 (13a) et B2 (13b), à l’horizon 2100.

L'adaptation par le progrès technologique actuel n'est pas prise en compte ici. Les cultures sont rassemblées en "groupes d’impact" A à F qui peuvent être caractérisés comme suit :

A: Légumineuses irriguées et fourrages - B: Arboriculture fruitière irriguée et cultures légumières - C: Fourrages et cultures légumières - D: Céréales pluviales et légumineuses - E : Céréales d'automne pluviales - F: Autres cultures pluviales.

Toutes les zones agro-écologiques ne seront pas affectées de la même manière par le changement climatique. Les zones agro-écologiques "Favorable" et "Intermédiaire" seront les plus vulnérables au changement climatique. Le changement climatique aura des répercussions négatives sur l'aptitude des terres à être cultivées (Figure 13). Les terres les plus vulnérables perdront leur vocation à être cultivées en raison du changement climatique (Mereu et al. 2009 ; Motroni et al. 2009).

Figure 14 : Impact des changements climatiques sur la vocation agricole des terres à la culture du blé, selon le scénario A1B (Motroni et al. 2009).

Ce sont les terres les plus arides, principalement au sud et à l'est du pays, qui seront le plus touchées et la zone agro-écologique Orientale deviendra presque entièrement inapte à la culture des blés dans les zones non irriguées. Les zones qui seront relativement épargnées sont celles qui sont situées au nord du pays où la pluviométrie est plutôt élevée. Dans le cas du scénario A1, la superficie des terres qui ont une aptitude forte ou moyenne à la culture du blé passeront de 16.4% du territoire national, actuellement, à 14.1% à l'horizon 2050 et 10.5% vers 2100. Par contre, les terres à aptitude faible ou inaptes à la culture des blés, qui représentent actuellement 83.6% de la superficie du pays, représenteront 85.9% en 2050 et 96.5% vers la fin du siècle.

En résumé, le changement climatique aura donc des conséquences négatives sur l'agriculture marocaine, notamment :

· La chute de la productivité agricole, surtout pour les cultures pluviales et celles pour lesquelles le progrès technologique réalisé est faible ou nul, tels que l'orge, le blé dur, le blé tendre, l'olivier, et les légumineuses alimentaires ;

· La diminution de la capacité des terres à l’agriculture ;

· Le déplacement de l'aire de culture de certaines espèces comme celles qui sont exigeantes en eau (maïs, tournesol, fève, olivier) ou qui seront affectées par la hausse des températures (espèces arboricoles fruitières ayant besoin en froid) ;

· La perte de fertilité des sols en raison de la baisse de la matière organique des sols et de l'érosion hydrique et éolienne ;

· La baisse des disponibilités en eau d’irrigation.

VI. Situation actuelle de la productivité des principales cultures de sécurité alimentaire

1. Céréales

Les statistiques agricoles mondiales montrent que les rendements des blés (blé tendre et blé dur) augmentent de façon linéaire dans plusieurs régions sur la période de 1961 à 2007. La progression des rendements a été plus importante en Europe (0,6 Qx/ha.an) que dans le reste du monde (0,4 Qx/ha.an) ou en Afrique (0,3 Qx/ha.an) (Figure 14). Au Maroc, le rythme du progrès technologique pour les blés est relativement faible, de 0,12 Qx/ha.an, comparé à un pays voisin comme l'Espagne où il est de 0,44 Qx/ha.an. En Egypte, le rythme du progrès technologique est très important (1,02 Qx/ha.an) et les rendements sont très peu variables d'une année à l'autre en raison du recours très important à l'irrigation. À l'échelle du pourtour méditerranéen, le Maroc se situe parmi les pays où le rendement moyen du blé est faible (11 Qx/ha) et où sa variabilité interannuelle est très forte (35%) sur la période de 1961 à 2007.

15a

15b

Figure 15 : Progression du rendement du blé dans le monde (15a) et dans le pourtour méditerranéen (15b) (Source FAOSTAT ; http://faostat.fao.org/).

Les statistiques agricoles de 1979 à 2006 (Source : Direction de la Stratégie et des Statistiques, DSS), montrent qu'il y a eu au niveau national, pour le blé tendre et le blé dur, une progression moyenne des rendements de près de 0,2 quintal par hectare (Qx/ha.an) et pour le maïs (0.1 Qx/ha.an) (Tableau 1). Pour l'orge, le progrès technologique a été nul car les variétés nouvelles, créées par la recherche agronomique, manquent de diffusion à grande échelle. Le progrès technologique n'est pas identique sur toutes les zones agro-écologiques du Maroc (tableau 1). En particulier, le progrès est plus important dans les zones agro-écologiques Favorable et Intermédiaire. En particulier, ce progrès est le fruit d'un effort important fourni par l'Institut National de la Recherche Agronomique (INRA) pour créer des technologies nouvelles telles que les variétés résistantes à la sécheresse et aux maladies, les systèmes de production en climat aride et la gestion des intrants et de l’eau. Dans les domaines expérimentaux de l'INRA, le rythme du gain de rendement a atteint 0,5 Qx/ha.an pour les nouvelles variétés de blé tendre (Jlibene, 2008), ce qui dénote les efforts qui restent à faire en matière de transfert de technologie. Pour l'orge, les rendements n'ont pas progressé au niveau national en raison du faible taux d’utilisation (moins de 1%) des semences sélectionnées.

Tableau 1 : Progression annuelle des rendements, en quintal par hectare (Qx/ha.an), des principales céréales avec leurs coefficients de détermination pour chaque zone agro-écologique du Maroc (série de 1979 à 2006 ; Source de données : DSS, Balaghi et Jlibene, 2009).

La forte variabilité des rendements, qui est due à un climat très aléatoire surtout à partir de 1980, ne permet pas de distinguer visuellement le progrès technologique accompli. En faisant passer une courbe à travers les records de rendements de blé enregistrés successivement, durant les campagnes agricole 1961-62, 1967-68, 1985-86, 1987-88, 1990-91 et 2005-06, on peut remarquer le progrès technologique réalisé pour les environnements favorables (Figure 15). On constate aussi que les rendements du blé rechutent à des niveaux très bas lors des années de sécheresse agricole extrême, aux alentours d'une moyenne de 5 Qx/ha à l'échelle nationale. Cette limite inférieure des rendements, qui n'a pas pu être relevée depuis 1961, continue de peser sur la sécurité alimentaire du pays.

Figure 16 : Évolution du rendement du blé tendre au Maroc (en vert) (Source de données: FAOSTAT et DSS).

La courbe tracée en bleu montre l'évolution importante des six records de rendement réalisés successivement en 50 ans (1961-62, 1967-68, 1985-86, 1987-88, 1990-91 et 2005-06). La droite en rouge montre le niveau moyen des rendements obtenus en années de sécheresse agricole extrême (1960-61, 1980-81, 1994-95, 1999-2000 et 2006-07).

Le progrès technologique moyen cache les différences entre les progrès réalisés dans les environnements favorables, intermédiaires et défavorables. En moyenne, il est de l’ordre de 0,15 Qx/ha.an pour le blé, comme indiqué dans l’équation de régression de la figure 4. Le progrès technologique est positif (+0,3 Qx/ha.an) dans les environnements favorables (>400 mm), nul dans les environnements intermédiaires (300 à 400mm) et négatif (-0,3 Qx/ha.an) dans les environnements défavorables (<300mm). Dans les parcelles de certains agriculteurs élites, des records de rendements (>80 Qx/ha) ont été enregistrés en années humides avec des variétés sélectionnées de blé tendre. La productivité de l’eau à l’échelle nationale a été aussi améliorée, Les décennies 80 et 90 ont enregistré une EUE de pluie, de l’ordre de 2,5 kg par mm, une amélioration de 67% par rapport aux décennies 60 et 70 (Jlibene, 2008).

Lorsque les campagnes agricoles sont classées par ordre de productivité, on constate que les années favorables sont mieux valorisées, avec un progrès de plus de 0.30 Quintal/ha aussi bien pour le pour le blé tendre que le blé dur (Figure 16 et Figure 17). Durant les années intermédiaires, le progrès a été nul pour le blé tendre et négatif pour le blé dur, alors que durant les années à faible productivité, le progrès a été négatif pour les deux espèces. Il convient de noter que la constante régression de 1980 à 2008, a dû annuler tout progrès réalisé aux niveaux des années intermédiaires ou sèches.

Figure 17 : Progrès technologique réalisé en 28 ans sur le blé au Maroc.

Les campagnes agricoles (série de 1979 à 2006) ont été subdivisées selon trois classes de rendement correspondant à trois classes de pluviométrie (<300, 300 à 400 et >400mm/an) : environnements secs (losange), intermédiaires (triangle) et favorables (croix). Le progrès technologique est de +0,15 Qx/ha.an en moyenne (ligne noire), de -0,3 Qx/ha.an en environnements secs (ligne marron), nul en environnements intermédiaires (ligne verte) et de +0,3 Qx/ha.an en environnements favorables (ligne bleue). (Balaghi & Jlibene, 2009)

Figure 18 : Progrès technologique réalisé en 28 ans sur le blé dur au Maroc.

Les campagnes agricoles (série de 1979 à 2006) ont été subdivisées selon trois classes de rendement correspondant à trois classes de pluviométrie (<300, 300 à 400 et >400mm/an) : environnements secs (losange), intermédiaires (triangle) et favorables (croix). Le progrès technologique est de +0,15 Qx/ha.an en moyenne (ligne noire), de -0,46 Qx/ha.an en environnements secs (ligne marron), -0,26 Qx/ha.an en environnements intermédiaires (ligne verte) et de +0,35 Qx/ha.an en environnements favorables (ligne bleue). (Source de données :DSS). (Balaghi & Jlibene, 2009).

2. Légumineuses alimentaires

Au Maroc, la pluviométrie est concentrée essentiellement sur les saisons d'automne et hiver, alors qu'au printemps elle est faible. Par rapport aux céréales d'automne, les légumineuses, qui sont cultivées durant la saison de printemps, sont vulnérables à toute diminution de la pluviométrie, car elles comptent principalement sur la réserve en eau du sol constituée en automne et en hiver et, en appoint, sur les pluies du printemps. Elles sont donc plus sensibles aux variations climatiques (Figure 19).

Figure 19 : Fluctuations interannuelles des rendements des légumineuses au niveau national (Source de données : DSS).

L'évolution des rendements des légumineuses est nulle et parfois négative (Tableau 2), car le progrès technologique n'a pas pu compenser la baisse conséquente de la pluviométrie qui est due au changement climatique observé à partir du début des années 80 au Maroc. Le progrès a été nul à négatif pour toutes les espèces et dans toutes les zones agro-écologiques. Le progrès a été nul, même lorsque les campagnes sont groupées par environnements. Il y a presque un délaissement complet de ces cultures qui se répercute sur le déclin de la superficie.

Tableau 2 : Progrès technologique pour les légumineuses, calculé sur la série statistique de 1988 à 2006 (Tiré de Gommes et al. 2009).

1 Données statistiques insuffisantes; 2 Pas de données

3. Olivier

En matière d'arboriculture, l'olivier qui occupe l'essentiel des superficies, n'a pas connu de progrès technologique, que ce soit en régime pluvial ou en irrigué (Tableau 3). A l'inverse, en absence de progrès, les rendements ont baissé à cause du changement climatique des quatre dernières décennies. Le parc national reste dominé par la variété population 'Picholine marocaine' et par une conduite traditionnelle. Le progrès est négatif pour les années favorables, nul pour les années intermédiaires et légèrement positif pour les années sèches. Il faut reconnaître que le mode de conduite de l'olivier n'a pas évolué et reste du domaine de la cueillette.

Tableau 3 : Progrès technologique pour l’olivier, calculé sur la série 1985-2005 (Tiré de Gommes et al. 2009).

ns Tendance non significative

1 Données insuffisantes

2 Pas de données.

La fluctuation interannuelle des rendements de l'olivier (Figure 19) est due à la variabilité pluviométrique et au phénomène d'alternance et à la faiblesse de l'irrigation (41% des superficies irriguées, en moyenne, de 1985 à 2006). La relation entre le rendement national de l’olivier et la pluviométrie cumulée (données de 1989 à 2006) entre les mois de septembre est linéaire avec un R2 faible de 0,32 (Figure 20). L’ajout d’une variable d’alternance (une année de bonne production suivie d’une année de mauvaise production dans un ordre qui n’est pas toujours continu) comme prédicteur des rendements à côté de la pluviométrie cumulée améliore la prédiction, avec un R2 de 0,59.

Figure 20 : Fluctuations interannuelles du rendement national de l'olivier au niveau national (Source de données : MAPM).

Figure 21 : Relation entre le rendement national de l'olivier et la pluviométrie cumulée sur les douze mois de septembre à septembre. (Balaghi, 2009).

4. Plantes fourragères

Le progrès technologique pour les cultures fourragères à l'échelle nationale est significatif, de à 0,57 tonne par hectare et par an (Tableau 4). Il est surtout dû au progrès réalisé au niveau des zones pluviales. Les cultures irriguées, qui n'ont pas bénéficié de travaux de recherche, n'ont pas connu d'avancée technologique sauf en montagne où un progrès modeste a été réalisé.

Le plus grand progrès a été réalisé en régime pluvial, au niveau de la zone dite 'Bour Favorable' dont la pluviométrie annuelle dépasse 400mm. Non seulement ce progrès est très significatif (2 tonnes.ha-1.an-1 mais il est consistant dans le temps (R²=0.91). Ce résultat est le fruit des recherches entreprises à l'INRA au niveau du programme de recherche sur les cultures fourragères.

Tableau 4 : Progrès technologique pour les fourrages, calculé sur la série 1992-2006 (Tiré de Gommes et al. 2009).

1 Le progrès technique n’est significatif qu’à partir de 1999.

2 Données insuffisantes.

3 La série statistique montre que les rendements sont stables de part et d’autre d’une cassure située entre 2002 et 2003. Les rendements sont plus faibles entre 1992 et 2002 qu’entre 2003 et 2006.

VII. Contribution de la recherche agronomique au progrès technologique

Les rendements dans la production végétale ont notablement augmenté à l’échelle mondiale, grâce à la sélection variétale, à l’amélioration de la fertilisation et à la protection des végétaux. Le poids de chaque facteur est fortement dépendant des conditions de chaque région ou pays. La contribution de la sélection à l’augmentation des rendements durant la période 1952 à 1993 peut être estimée à 40 % pour le blé, à 50 % pour le maïs, à 46 % pour le colza et à 25 % pour la betterave à sucre (Hoffman et al. 1997).

Au Maroc, en dehors de l'amélioration génétique, les technologies qui ont le plus d'impact sur la productivité des cultures sont, par ordre d'importance, la protection phytosanitaire, la fertilisation minérale (la fertilisation azotée principalement) et l'irrigation. Malheureusement, mise à part l’amélioration génétique des cultures pour les cultures pluviales et la protection phytosanitaire, ces technologies n'ont pas eu l'effet escompté sur l'amélioration de la productivité des cultures pluviales chez les agriculteurs (Tableau 5 et Tableau 6). Au niveau national et durant la période 1979 à 2008, il y a eu en moyenne un gain de productivité de 0,64 quintal de blé tendre par kg de pesticides consommée. La protection phytosanitaire a permis des gains de productivité de 12.8, 1.63, 27.5 quintaux par kg de pesticide, respectivement pour les fourrages, la vigne et la betterave à sucre. Elle a permis des gains de productivité importants les cultures maraîchères et surtout pour la tomate en plein champ et sous serre : 37.9 quintaux de tomate par kg de pesticide. La fertilisation azotée a permis un gain de productivité important pour le maraîchage primeur, de 11,8 quintaux par kg d'azote.

Tableau 5 : Relation (R2) entre les rendements (tonnes ha) des principales cultures et la R/D à l’échelle nationale (Données de 1979 à 2008, Source de données MAPM). Les encadrés en gris représentent les relations les plus significatives. Les blancs représentent les relations statistiquement non significatives (Balaghi et Jlibene, 2009).

Tableau 6 : Gain de productivité (tonnes/Kg) pour les principales cultures par technologie à l’échelle nationale (Données de 1979 à 2008, Source de données MAPM). Les encadrés en gris représentent les relations les plus significatives. Les blancs représentent les relations statistiquement non significatives (Balaghi et Jlibene, 2009).

1. Contribution du progrès génétique

Les cultures qui ont bénéficié de la recherche en amélioration génétique sont principalement les grandes cultures, l'arboriculture, et les cultures pastorales. Pour les autres cultures maraichères (tomate, pomme de terre, etc.) et industrielles (betterave à sucre, canne à sucre, coton, thé, etc.), l'amélioration variétale provient essentiellement des introductions étrangères. Pour les autres productions animales, il n'y a pas de programme de sélection structuré. L'amélioration génétique provient des croisements avec des races étrangères, réalisés par les producteurs. Des variétés productives en conditions de sécheresse ont été créées pour une large gamme d'espèces végétales, principalement les céréales, suivies des fourrages, légumineuses alimentaires, olivier, agrumes, et palmier dattier. En absence de programmes nationaux de sélection, les variétés des plantes maraîchères proviennent surtout des programmes de sélection des pays étrangers.

Les variétés de blé tendre qui dominent encore les superficies cultivées sont celles qui valorisent surtout les conditions environnementales favorables (conditions d’humidité et de fertilité). Les variétés résistantes à la sécheresse, qui permettent de produire en conditions de faible humidité, sont disponibles au niveau de la recherche agronomique mais ne sont pas encore transférées aux agriculteurs. En année de sécheresse extrême, ces nouvelles variétés assurent également un minimum de production en grains, quand les variétés actuelles en sont incapables, permettant ainsi de contribuer à la sécurisation d'une récolte minimale pour le pays. De plus, ces nouvelles variétés valorisent aussi les conditions environnementales favorables de la même manière que les anciennes variétés.

Le gain de rendement dû à la variété est plus important dans les domaines expérimentaux de l'INRA. Il peut aller jusque 0,5 Qx/ha.an pour les variétés de blé tendre nouvellement créées à partir de 1984. Ce gain représente le potentiel génétique atteint jusqu’à présent et qui est prêt à s’extérioriser au niveau des champs si le rythme de transfert des semences sélectionnées et des techniques agronomiques est accéléré.

La stabilité des rendements a été améliorée en augmentant la productivité en conditions de sécheresse. En termes de productivité de l’eau, appelée aussi Efficience d’Utilisation de l’Eau (EUE) de pluie, le potentiel pouvant être atteint par les nouvelles variétés, au niveau des terres agricoles à pluviométrie défavorable, a été estimée à 22 kg/mm (Jlibene, 2009). Cette EUE permet ainsi une économie potentielle d’eau de 2,27 mm/an (ou 22,7 m3/ha.an) par rapport à la variété de référence Nasma, qui a été inscrite par l'INRA au Catalogue Officiel en 1982. Rapportée à la superficie moyenne cultivée en blé tendre au Maroc (2 millions d’hectares), le gain en EUE de pluie représente l'équivalent d'une économie d'eau de 45 millions m3/an, soit la capacité de rétention d’un barrage comme Smir dans la province de Tétouan.

Les qualités majeures de ces nouvelles variétés productives, qui ont été incorporées durant les années 80, sont : la précocité qui permet d’échapper à la sécheresse de fin de cycle, le semi nanisme qui permet de valoriser les intrants, et en particulier l’azote, et la résistance à la rouille brune. La résistance à la septoriose (Septoria tritici) et à la cécidomyie (Mayetiola destructor) a été incorporée durant les années 90. La résistance à la rouille jaune (Puccinia striiformis) et à la sécheresse a été incorporée à partir de 2005 (Jlibene, 2008).

Pour l'olivier, il n'y a pas eu d'amélioration des rendements, car les seules variétés sélectionnées présentes sur le marché sont "Haouzia" et "Menara" qui sont issues d'une sélection clonale au sein de la population hétérogène de "Picholine marocaine". Leur adoption par les agriculteurs est récente, bien qu'elles aient été développées au début des années 90.

Pour les légumineuses alimentaires, des variétés performantes de pois chiche, de lentille et de fève et féverole, ont été développées et adoptées. Cependant, les effets du changement climatique ont probablement annulé ceux de la technologie variétale.

Cependant, après la mise au point de variété, il faut attendre une dizaine d'années avant qu'elle aboutisse chez l'agriculteur, à cause de la lenteur du système de multiplication des semences et plants et de transfert de technologie.

À part les cultures maraîchères qui sont destinées à l'export, les semences sélectionnées sont faiblement utilisées dans presque tous les autres secteurs de l'agriculture marocaine. Pour les céréales, le taux d'utilisation de la semence sélectionnée ne dépasse guère les 10%, variable entre 1% pour l'orge et 20% pour le blé tendre. Cependant, de façon globale, les variétés sélectionnées de blé sont de plus en plus utilisées et les semis précoces se généralisent. Le taux d’utilisation des semences sélectionnées de blé avoisine les 13%, mais celui de l’orge ne dépasse guère le 1%. Le temps qui s'écoule entre le moment où la variété est inscrite au Catalogue Officiel et le moment où elle est utilisée par les agriculteurs est long, de 10 ans en moyenne, en raison de l'inefficience des circuits du programme de semence et de transfert de technologie (Jlibene, 2008).

2. Contribution du progrès agronomique

La contribution des techniques agronomiques à l’amélioration du rendement national n’a pas encore été scientifiquement évaluée au Maroc. Cependant, de façon globale, les variétés sélectionnées sont de plus en plus utilisées et les semis précoces se généralisent.

2.1. Les engrais

Les engrais sont faiblement utilisés et leur consommation est en baisse alors que, dans le monde, la consommation est croissante pour répondre aux besoins des rendements en constante augmentation (Figure 21). La quantité d'azote utilisée actuellement par les agriculteurs (20 Unités Fertilisantes/ha) est largement inférieure aux quantités requises pour assurer la sécurité alimentaire du pays. En effet, la production d’un quintal de blé exige trois unités d’azote ; pour un rendement national de 21 Qx/ha, nécessaire à la satisfaction des besoins nationaux actuels, une quantité de 63 Unités Fertilisantes d’azotes est requise, dont le tiers pourra être fourni par le sol. La quantité d’azote à apporter doit ainsi être doublée par rapport à la quantité apportée actuellement.

22a

22b

Figure 22 : Consommation des principaux éléments fertilisants (1000 x tonnes ; azote, phosphore et potassium) dans le monde (22a) et dans quelques pays du pourtour méditerranéen (22b). (Source FAOSTAT ; http://faostat.fao.org/).

a. Période de 1960 à 1985

Durant la période 1960 à 1985, la consommation en éléments fertilisants majeurs (azote, phosphore et potassium) est en constante évolution, à un rythme soutenu de 4646 T/an pour l'azote, 3841 T/an pour le phosphore et 1685 T/an pour la potasse (Figure 22). Cette progression a été le résultat des opérations de développement de grande envergure sur la promotion de la fertilisation en agriculture qui ont été lancées durant les années 60 par les pouvoirs publics. Les rythmes de consommation de l'azote et du phosphore sont quasiment identiques durant cette période contre toute logique agronomique car le rythme de l'azote devrait être plus élevé compte tenu des besoins. Si le rythme d'utilisation de l'azote est justifié par les besoins d'augmentation de production, celui du phosphore est le résultat d'un choix délibéré de formulation d'engrais à haute concentration en phosphore (engrais 14N – 28P – 14K). Cette formulation a fait que le phosphore est consommé deux fois plus que la potasse, alors que les besoins des plantes sont normalement quatre fois plus élevés en potasse qu'en phosphore. Toutefois, la faiblesse des apports en potasse est probablement due à la richesse des sols marocains en cet élément.

Figure 23 : Consommation en fertilisants chimiques au Maroc (Data source : FAOSTAT).

b. Période 1985 à 2002

À partir de 1985, la consommation en phosphore et en potassium a stagné, fluctuant autour de 107000 tonnes par an pour le phosphore et 54000 tonnes pour la potasse, alors que celle en azote a continué à progresser pour atteindre 250000 tonnes/an en 2002.

c. Analyse par écosystème

L’analyse de la consommation des engrais selon les zones agricoles montre qu’environ 58 pour cent des tonnages sont utilisés au niveau des zones irriguées, contre 42 pour cent en pluvial (terres bour), principalement pour les cultures maraîchères à forte valeur ajoutée. Au niveau des cultures pluviales, la consommation moyenne à l'hectare est faible, ne permettant pas d'atteindre les rendements potentiels.

d. Analyse par culture

La répartition de la consommation des engrais selon les cultures montre qu’environ 32 pour cent des engrais sont utilisés par les agrumes, les cultures sucrières et les cultures maraîchères qui n’occupent que cinq pour cent de la superficie cultivée et qui se font essentiellement en irrigué (figure 14). Quant aux cultures céréalières, qui occupent 63 pour cent des superficies cultivées, elles ne mobilisent qu’environ 43 pour cent des tonnages globaux. La consommation des engrais par les céréales ne dépasse pas 60 kg d'engrais azoté, 40 kg de phosphore et 20 kg d'engrais potassique (tableau 9), soit 48 unités fertilisantes à l'hectare, satisfaisant à peine la moitié des besoins. Dans l'ensemble, la consommation nationale satisfait à peine le tiers des besoins des cultures (FAO, 2006).

Figure 24 : Répartition de la consommation des engrais par groupe de cultures (Source: MADRPM/DPV/SAFP, 2004).

Tableau 7 : Utilisation des fertilisants par culture et par type (Source de données : FAOSTAT).

Note: AN = ammonium nitrate; AS = ammonium sulphate; SP = single superphosphate; TSP = triple superphosphate; DAP = di-ammonium phosphate; PS = potassium sulphate; straights = containing one nutrient; NPK = compound containing N, P2O5 and K2O.

e. Impact sur la productivité

Le rythme de progression des engrais devrait normalement se répercuter positivement sur les rendements agricoles. La disponibilité des statistiques de consommation en fertilisants par culture et par écosystème permettrait d'estimer l'apport de la fertilisation au progrès technologique enregistré pour certaines cultures.

Les engrais sont faiblement utilisés au Maroc comparativement à d'autres pays du pourtour méditerranéen. Le rythme de leur consommation est en baisse alors que, dans le monde, la consommation est croissante pour répondre aux besoins des rendements en constante augmentation. La quantité d'azote utilisée actuellement par les agriculteurs (20 Unités Fertilisantes/ha) est largement inférieure aux quantités requises pour assurer la sécurité alimentaire du pays. En effet, la production d’un quintal de blé exige trois unités d’azote ; pour un rendement national de 21 Qx/ha, nécessaire à la satisfaction des besoins nationaux actuels, une quantité de 63 Unités Fertilisantes d’azotes est requise, dont le tiers pourra être fourni par le sol. La quantité d’azote à apporter doit ainsi être doublée par rapport à la quantité apportée actuellement.

2.2. L’Irrigation

Les superficies irriguées (1,36 millions d'hectares) ne représentent qu’à peu près 14,6% des terres cultivables alors qu'elles contribuent pour 45% à la valeur ajoutée agricole (jusqu'à 75% en années sèches) et produisent près de 75% des exportations agricoles (Bzioui, 2005). L’irrigation localisée ne représente encore que 6,7% de la superficie irriguée, ce qui est très faible comparativement à certains pays du bassin méditerranéen ou ayant des conditions similaires à celles du Maroc (17% en Tunisie, 60% en Jordanie et près de 100% à Chypre) (FAO, 2003). Dans les périmètres irrigués, l'irrigation du blé lors des phases critiques de son cycle peut relever le rendement à 80 Qx/ha, permettant ainsi de contribuer à l’accroissement du rendement national.

2.3. La protection phytosanitaire

Les pesticides et les herbicides restent sous utilisés. Les herbicides actuellement utilisés sont souvent de type anti-dicotylédone contrôlant les mauvaises herbes à feuilles larges. Les herbicides anti-monocotylédones sont peu utilisés et de plus en plus coûteux. Le contrôle des maladies foliaires n’est que rarement appliqué par les agriculteurs élites durant les campagnes pluvieuses au cours desquelles les maladies sont dans des conditions de développement favorables. Dans le domaine de la protection des végétaux, les quantités de pesticides importées sont essentiellement consommées au niveau des grands périmètres irrigués (Gharb, Loukkos, Tadla, Doukkala, Haouz et Souss Massa). Les cultures concernées par l’utilisation des pesticides sont essentiellement les cultures maraîchères conduites sous abris plastiques ou en plein champ, le bananier, les cultures florales (œillet et rosier) conduites sous abris plastiques, les agrumes, les céréales, la vigne, les rosacées, le coton, la betterave à sucre et l’olivier. Presque 50% de la consommation nationale en pesticides revient aux cultures maraîchères et aux agrumes. D’une manière générale, l’évolution des catégories de produits phytosanitaires, montre que ce sont surtout les fongicides et les insecticides qui sont les plus importants suivis des nématicides et des herbicides. Toutefois, à partir de 1990, on note une forte augmentation dans le tonnage des nématicides.

Figure 25 : Valeur des importations de pesticides au Maroc (Source de données: FAOSTAT).

2.4. La mécanisation

Le taux de mécanisation en agriculture est encore faible au Maroc, dépassant à peine 6 tracteurs pour 1000 ha en moyenne, comparativement à d'autres pays voisins ou dans le monde (figure 26). La mécanisation a surtout eu un impact positif pour les cultures maraîchères et les cultures sucrières (tableau 5 et 6).

Figure 26 : Nombre de tracteurs par 1000 hectares de terres arables dans quelques pays voisins du Maroc et dans le monde (Source de données: FAOSTAT).

2.5. Contribution du progrès en systèmes de suivi et de prévision agricole

La production agricole dépend essentiellement de la pluviométrie au Maroc malgré les efforts consentis pour réduire la vulnérabilité de l'agriculture vis-à-vis du climat, notamment par une politique de construction de barrage initiée au début des années 60 (Balaghi et al., 2007). Les terres agricoles pluviales représentant toujours 85% de la Superficie Agricole Utile, soit 7,9 millions d'hectares. La variabilité des rendements qui est une conséquence du climat aléatoire du Maroc a des répercussions négatives sur la planification de l'utilisation des intrants agricoles (fertilisation, pesticides, désherbage, irrigation, etc.) et la gestion des risques de sécheresse en agriculture pluviale (assurance agricole, prévision des rendements agricoles, etc.). Disposer d'une information fiable et précoce sur l'état des cultures et sur les rendements attendus est un moyen important d'amélioration de la productivité agricole en situation de risques climatiques.

Des systèmes opérationnels de prévision ont été développés récemment par la recherche agronomique et permettent de suivre la campagne céréalière et d'avoir une estimation précoce et précise des productions céréalières pluviales à l'échelle nationale (Jlibene & Balaghi, 2009 ; Narciso & Balaghi, 2009). Ces systèmes, qui sont le fruit de plus de dix ans de recherche à l'INRA, se basent sur des méthodologies statistiques relativement simples d'utilisation et nécessitent relativement peu des données comme les indices de végétation (Normalized Difference Vegetation Index) qui sont issus de l'imagerie satellitaire, et de données climatiques courantes facilement disponibles. Ces systèmes peuvent aussi réaliser des suivis de la campagne agricole à des échelles plus fines, telles que celles des régions agro-écologiques ou des provinces. De tels systèmes ne sont pas encore disponibles à l'échelle des exploitations agricoles ou des parcelles d'agriculteurs. A ces échelles, des efforts additionnels de recherche sont encore nécessaires pour développer des systèmes pour gérer une agriculture de précision qui soit efficiente en facteurs de production.

VIII. Besoins futurs en productivité dans le contexte du changement climatique à l’horizon 2030

Le Maroc a consenti depuis l'indépendance des efforts incontestables pour améliorer le bilan alimentaire, en accordant la priorité à l'agriculture et aux aménagements hydro-agricoles. Au niveau du développement, le pays a fortement investi dans l’infrastructure hydro-agricole et dans le soutien à la production agricole. Jusqu'à présent, la combinaison de tous ces efforts d‘adaptation s’est traduite par un progrès au niveau de la production agricole qui a permis de compenser en partie les effets des changements climatiques passés. En effet, pour réduire sa vulnérabilité à la variabilité climatique et aux sécheresses, le Maroc a fortement mis l'accent sur ce que l'on qualifie "d'eau bleue" grâce à la politique des barrages initiée par Feu Sa Majesté le Roi Hassan II en 1967. Cette politique a permis au pays de devenir un leader dans la région méditerranéenne en matière de mobilisation des ressources en eau et en irrigation. Parmi les chantiers importants lancés par le MAPM dans le cadre du PMV, figure les programmes de reconversion des systèmes d’irrigation gravitaire en irrigation localisée.

Le rythme actuel du progrès technologique ne permettra pas de renverser la tendance baissière de la productivité à long terme. Le Maroc peut adapter son agriculture aux changements climatiques s'il opte pour une meilleure utilisation des terres, des techniques agronomiques peu consommatrices en eau, la sélection de variétés adaptées à la sécheresse, des mécanismes institutionnels de compensation ainsi que l'avertissement agricole.

1. Stratégies d’adaptation au changement climatique

L’adaptation au changement climatique survenu à partir du début des années 80 est le résultat d’un effort national en matière de recherche et de développement. La combinaison de tous ces efforts d‘adaptation est, par commodité, résumée par le terme "progrès technologique" qui est habituellement mesuré par l’augmentation, dans le temps, des rendements agricoles. De façon conceptuelle, cette combinaison d'efforts peut être résumée par le terme "progrès technologique". Le progrès technologique est mesuré habituellement par l’augmentation dans le temps des rendements agricoles (Quintaux/ha.année). Il peut être aussi mesuré par un autre indicateur qui est la productivité de l’eau de pluie (Quintaux/ha.mm).

Au niveau de la recherche agronomique, l’agriculture marocaine s’est adaptée au changement climatique, grâce à un effort national en matière de Recherche et Développement (R/D) qui s’est traduit par un impact positif mais insuffisant pour le développement agricole. Les actions de R/D qui ont été engagées depuis 1980 ont concerné plusieurs technologies agricoles dont l'amélioration génétique, l'irrigation, la protection phytosanitaire, la fertilisation minérale et la mécanisation. Au niveau du développement, le pays a fortement investi dans l’infrastructure hydro-agricole et dans le soutien à la production agricole, pour contrer le changement climatique apparu au début des années 80.

Les stratégies d'adaptation au changement climatique, surtout à l'aridité, ne peuvent être développées que grâce au progrès technologique. Dans les conditions climatiques difficiles pour l'agriculture qui attendent le Maroc, il ne pourra pas y avoir de sécurité alimentaire sans la disponibilité de technologiques souveraines développées pour les conditions particulières du Maroc. En effet, la plupart des grands pays producteurs seront soumis à une forte pression sur leurs ressources naturelles dans le futur et seront donc moins disposés à vendre leurs produits agricoles et leurs technologies. Ces technologies souveraines devront permettre de produire plus de produits alimentaires au Maroc tout en utilisant le moins d'eau, d'intrants et d'énergie possibles. Les technologies qui existent déjà au Maroc et qui ont été développées, par la recherche agronomique marocaine, durant la période de sécheresses récurrentes qu'a connues le Maroc depuis 1980, assurent un niveau de productivité important qu'il reste à extérioriser au niveau des champs d'agriculteurs.

Le niveau de productivité moyen actuel réalisé à l’échelle nationale pour le blé tendre, par exemple, qui est de 14 Qx/ha, pourrait être rehaussé de 50% par la généralisation des technologies agronomiques existantes. L’utilisation de nouvelles technologies de gestion de l’eau permettrait de s’approcher encore davantage du potentiel génétique, qui se situe en moyenne autour de 35 Qx/ha. Ce potentiel génétique pourrait être davantage amélioré et se rapprocher ainsi du potentiel biologique qui dépasse les 150 Qx/ha.

Parmi les technologies les plus efficaces, qui méritent d'être encore améliorées, on trouve : les nouvelles variétés sélectionnées de blés, la gestion de l'eau en milieux arides (semis direct, "water harvesting", irrigation d'appoint, etc.), les outils de gestion territoriale de l'agriculture (Cartes de Vocation Agricole des Terres) et les systèmes d'alerte et de prévision des récoltes. Les actions entreprises jusqu'à présent par l'Etat sont plutôt réactives, excepté les opérations de promotion des blés de la décennie 1986 à 1995. Des actions proactives sont nécessaires pour accélérer le rythme du progrès technologique. Pour y arriver, différentes options agronomiques complémentaires sont envisageables afin d'améliorer le potentiel génétique et enfin le potentiel agronomique (Figure 27). Le potentiel biologique est une limite théorique limitée par la constitution des plantes. Le potentiel biologique peut être amélioré par la biotechnologie et les technologies d’utilisation efficiente de l’eau. L'amélioration génétique des plantes cultivées ambitionne de rapprocher le potentiel génétique du potentiel biologique. Le potentiel génétique est en constante amélioration grâce aux croisements entre les germoplasmes présentant des qualités intéressantes de productivité. L'agronomie tend à rapprocher le potentiel agronomique du potentiel génétique des plantes cultivées. Le potentiel agronomique s'améliore avec la gestion de l'eau de pluie et d'irrigation, la gestion de la vocation des terres agricoles, la gestion des risques climatiques par les systèmes d'avertissement agricole et de prévision agricole et le transfert de technologie.

Figure 27 : Schéma théorique représentant les trois niveaux de potentiel à réaliser pour améliorer la productivité agricole. (Balaghi et Jlibene, 2009).

Pour le blé, par exemple, le rendement réalisé au niveau national est de 14 Qx/ha (100%), le potentiel agronomique est de 50% supérieur, pouvant atteindre 21 Qx/ha) ; La potentiel génétique est aussi de 50% supérieur au rendement national, pouvant atteindre 30 Qx/ha) ; Le potentiel biologique est 1000% supérieur, pouvant atteindre 150 Qx/ha en irrigué et reste inconnu en pluvial.

1.1.L'option génétique

Le progrès génétique réalisé au Maroc est le fruit d'un effort important fourni par INRA pour créer des variétés, de plus en plus productives et résistantes à la sécheresse et aux maladies, en dépit de la brusque baisse de la pluviométrie constatée à partir du changement climatique observé au Maroc à partir du début des années 80. L'option génétique permet de relever le potentiel de progrès technologique au niveau d'un pays. La productivité des nouvelles variétés par unité d'eau de pluie est suffisante pour contrecarrer les effets négatifs du changement climatique prévu d’ici à 2030, dans le cas du scenario A2. Ce progrès potentiel peut encore être rehaussé si l'on réduit le temps de développement de la variété. Les critères de sélection variétale importants à retenir pour améliorer d'avantage les rendements incluent : la valorisation des intrants, la stabilité du rendement, la tolérance à la sécheresse, la tolérance aux températures extrêmes, la résistance à la cécidomyie, la résistance à la septoriose et la résistance aux rouilles jaune et brune (Puccinia recondita). Le potentiel d’économie de l’eau par les variétés nouvelles est trois fois plus élevé que ce qui est réalisé actuellement, soulignant l’effort qui reste à investir en matière de techniques de production et de transfert de technologie (Jlibene, 2009). Surtout, ces nouvelles variétés assurent un seuil de production de sécurité, en années de sécheresse extrême, ainsi que la stabilité des rendements et la sécurisation des revenus.

1.2.L'option de gestion de l'eau de pluie et d'irrigation

Au Maroc, avec une consommation de 83% d’eau stockée, l’agriculture est le secteur clé de la gestion de l’eau, pour le présent comme pour les décennies à venir, Cependant, il existe un risque de pénurie en eau qui va s’accroître sous la pression conjuguée des sécheresses, de la demande des secteurs non agricoles. L’irrigation permettra d’atténuer partiellement l’impact négatif du changement climatique à condition que l'eau soit efficacement gérée, Stratégiquement, l'eau ne devra plus être vue comme un moyen de production à rentabiliser économiquement mais comme une denrée vitale à rationaliser. Particulièrement la productivité de l’eau devra être améliorée par différentes actions qui consistent : (1) En agriculture irriguée, à mieux distribuer l’eau, à économiser l’eau en réduisant les pertes et en améliorant l’efficience de son utilisation ; (2) En zones forestières et pastorales, à bénéficier de l'eau perdue actuellement par le processus d'évaporation en développant les écosystèmes pastoraux et fruitiers ; (3) En agriculture pluviale, à augmenter la productivité par les techniques collecte de l’eau au niveau de l’exploitation, la conservation de l'eau au niveau du sol et l’utilisation efficiente de cette eau par les cultures (Balaghi et al., 2007).

1.3.L'option de gestion de la vocation des terres agricoles

Les terres agricoles ne doivent être exploitées qu'en fonction de leurs potentialités et de leurs contraintes de manière à ne pas dégrader irrémédiablement nos ressources non renouvelables. Des outils d'aide à la prise de décision existent et peuvent être améliorés pour mieux gérer les terres agricoles, tels que les Cartes de Vocation Agricole des Terres (CVAT). Les CVAT sont des outils d’aide à la décision pour la gestion optimale des ressources naturelles (eau et sol) du pays. Ces cartes permettent d'identifier scientifiquement, pour chaque unité cartographique des sols, la culture la plus apte à valoriser durablement la terre. En particulier, les CVAT peuvent servir de base pour l’identification des bassins de production, la réalisation des cartes de fertilité des sols et pour l’orientation des politiques publiques d’appui/subventions. Le programme de Cartes de Vocation Agricole des Terres (CVAT) est réalisé par l’INRA depuis 1998. Actuellement, le programme a réalisé près de 5.5 millions d’hectares dans les zones pluviales. Ce programme mérite d'être étendu à toute la Superficie Agricole Utile du pays, et affiné par l’introduction de nouvelles méthodologies plus précises et soucieuses des considérations environnementales.

1.4.L'option de systèmes d'avertissement agricole

Les systèmes d'avertissement agricole et de prévision des productions agricoles permettent de donner une visibilité à l'agriculteur durant les opérations culturales et au décideur de prévoir les récoltes bien avant terme. Le principal frein à la généralisation du semis précoce et à l'utilisation optimale des intrants réside dans le manque d'information utile qui permette à l'agriculture de prendre les décisions cruciales en temps réel. La date de semis a un effet déterminant sur les niveaux de rendement. Les semis précoces permettent d'atteindre des niveaux de rendement supérieurs à ceux des semis tardifs. Le semis tardif, par contre, expose les cultures aux sécheresses de fin de cycle et, parfois, au risque de Chergui. Les semis sont souvent effectués après les premières pluies d'automne qui surviennent généralement en octobre mais les semis sont effectués en général entre novembre et décembre. L'arrivée des premières pluies rassure les agriculteurs, permet l'émergence des mauvaises herbes que les travaux de sol éliminent par la suite, et rendent le sol plus meuble et donc facile à travailler. Les applications d'azote après la levée des plantes dépendent de l'humidité du sol car l'azote est toxique en cas de déficit hydrique dans le sol. L’importance des pluies reçues vous renseignera sur la quantité d’azote à appliquer aux cultures. Une information fiable sur la date d'arrivée des premières pluies ainsi que leurs durée et quantités permettra de réussir les semis précoces au Maroc ainsi que la fertilisation azotée.

L’enjeu déterminant de tous les systèmes d’avertissement est l’information qui doit être disponible en temps réel. Aussi des systèmes experts doivent être développés pour que les producteurs puissent bénéficier de conseils. Des ingénieurs agronomes, formés à ces systèmes, peuvent jouer le rôle de conseillers auprès des producteurs.

1.5.L'option de transfert de technologie

Le transfert de technologie est un terme qui désigne le passage d’une technologie, de la station vers la parcelle de l’agriculteur. Au Maroc, la technologie variétale a été plus facile à diffuser auprès des agriculteurs que les technologies agronomiques (désherbage, fertilisation, irrigation d’appoint, etc.). La raison en est l’absence de coût supplémentaire lorsque l'on utilise une nouvelle variété. En effet, cette nouvelle variété a été sélectionnée pour produire d'avantage dans des conditions environnementales (sol, fertilité, insectes, maladies, etc.) similaires à celles des anciennes variétés.

En dépit de cela, le temps de passage de la variété, depuis les premiers croisements en stations de recherche jusque chez l'agriculteur, dure environ 30 années, dont 13 années pour sa mise au point, 7 ans pour produire de la semence et 10 pour la diffusion auprès des agriculteurs. Cette durée pourrait être raccourcie de 10 années (Jlibene, 2008). Au rythme actuel du progrès (0.15 Qx/ha.an), et sur 2 millions d’hectares réservés au blé tendre par exemple, ce retard fait perdre 0.3 million de quintaux par an.

En plus de ce retard, le taux d’utilisation des semences sélectionnées est faible, de l’ordre de 11% (Rahim, 2001), alors qu’il dépasse les 30% dans plusieurs pays du globe. Récemment, l’objectif de doubler la production de semence a été adopté dans le cadre du Plan Maroc Vert.

Comparées à la technologie variétale, les technologies agronomiques prennent moins de temps de développement mais plus de temps pour leur diffusion auprès des agriculteurs. La fertilisation azotée, par exemple, est connue au Maroc depuis les années 70 mais reste largement sous appliquée. Il en va de même pour la date de semis, le désherbage chimique, le traitement phytosanitaire, l’irrigation d’appoint, etc. Le semis direct, qui est une technologie de conservation de l’eau développée il y a plus de vingt ans, n’est toujours pas largement diffusé aux agriculteurs, malgré les démonstrations apportées sur son utilité.

1.6.L'option de biotechnologie

Les rendements réalisés actuellement au Maroc sont loin des limites de production pouvant être biologiquement réalisés par les plantes. En amélioration génétique des plantes cultivées, la seule limite connue à l’amélioration des rendements est le potentiel biologique des plantes qui est une fonction du rayonnement solaire et de l’alimentation en eau. Si le rayonnement solaire n'est pas limitant sous nos latitudes, ce sont les ressources en eau qui connaitront des restrictions dans le futur en raison de la diminution des apports pluviométriques, et probablement aussi les intrants en raison de leur cherté croissante. Jusqu’à présent, la biotechnologie a contribué à améliorer les rendements des variétés grâce à la création de variétés capables de résister aux insectes et aux herbicides. Il reste à la biotechnologie de créer des variétés plus résistantes à la sécheresse, à la salinité et aux hautes températures en prévision du changement climatique. La capacité photosynthétique en milieu stressant peut être améliorée, en plus de la résistance à la sécheresse du début du cycle. L’évaporation augmentera à cause de la hausse des températures due à l’effet de serre. Aussi, toute technique permettant de limiter cette évaporation, contribuera à améliorer la productivité et permettra de se rapprocher du potentiel théorique.

[1] Assez logiquement, les différences entre scénarios sont plus faibles pour les cultures irriguées que pour les cultures pluviales.

[2] Nous incluons dans ce terme les diverses tendances actuellement observées au Maroc, qui répondent à des logiques économique, environnementale, etc.