Questions pour l’oral :
- Cette fable est-elle morale ?- Comment s’exprime l’art de la fable ?
- En quoi cette fable est-elle un apologue ?
- En quoi cette fable est-elle satirique ?
- Expliquez pourquoi cette fable correspond parfaitement au principe "instruire en plaisant" si cher à La Fontaine.
- Que nous montre la comparaison des discours de l’âne et du renard ?
- Quels sont les procédés de la dénonciation dans cette fable ?
- Quelle est la fonction de l’alternance des différentes formes de discours (Discours direct, Discours Indirect Libre ? Discours Indirect) ?
- Pourquoi peut-on parler d’un théâtre social, d’une comédie sinistre ?
Jean de La Fontaine, Fables, Livre VII, fable 1
Composition :
v. 1-14 : présentation de la peste:
- relever les allusions à la tragédie
- préciser en quoi le registre est pathétique
- comment est désignée la peste? Commenter le relevé
v. 15-33 : discours du lion
- montrer que le lion parle "sans indulgence"
- quels éléments nous prouvent que le lion se sait intouchable?
v.34- 42 : discours du renard
- comment le renard minimise-t-il les fautes du lion?
- en quoi renverse-t-il les rôles de bourreau et victimes?
- montrer que le renard est un flatteur
v.43- 47 : la Cour
- relever ce qui prouve le renversement des valeurs
v. 49-54 : discours de l’âne
- qu'est-ce qui dans le discours de l'âne atténue sa faute?
v. 55-62 : verdict et condamnation
- comment se manifeste la haine du groupe dominant à l'égard du plus faible?
- commenter ces vers "ce maudit animal/ce pelé, ce galeux d'où venait tout leur mal"
v. 63 et 64 : moralité
- analyser l'utilisation du futur
- à quelle autre fable cette morale fait-elle songer?
INTRO
Cette fable est la première du second recueil (VII à XI) paru dix ans après le premier ; La Fontaine met l’accent dans son avertissement sur la recherche de « variété » des tonalités et des sujets. Il part ici d’une réalité encore dramatique au XVIIème (quatre grandes épidémies de peste au XVII font plus de 400 000 victimes), et il reconstitue une sorte de confession publique qui prend la forme dune scène de flatterie, puis d’un véritable tribunal. L'idée de trouver le coupable, celui qui a amené la peste sur la communauté n'est pas sans rappeler l'épisode de la grande peste de Thèbes qui dans Œdipe-Roi de Sophocle (430 av. J.-C.) provoque la recherche de la faute monstrueuse et inconnue qui a valu à la ville la malédiction divine.
Par quels moyens La Fontaine mêle-t-il tons tragique et ironique pour faire la satire de la justice et de la Cour ?
I) Un état des lieux tragique :
Cette fable emprunte son schéma à celui de la tragédie antique : le mal est en effet perçu comme un châtiment divin, fatal, envoyé par le « Ciel » pour punir les hommes de leurs « péchés ». Le thème de la fable fait référence au sacrifice et à la recherche d’un bouc émissaire comme le montre l’expression « que le plus coupable périsse ». L’importance des discours fait de cette fable un texte théâtral, une petite mise en scène d’un procès, un « conseil ».
Le fabuliste décrit tout d’abord en un long prologue épique –car les forces sont surhumaines et l’événement est mythique - de 14 vers les ravages causés par la peste. Les deux premiers octosyllabes font rouler un coup de tonnerre, le mot « mal » se prolonge dans les deux relatives d’un fracas d’allitérations en « R » -qui peuvent suggérer le grondement furieux de la colère divine- que renforcent, à la rime, les termes de « terreur » et de « fureur ». Ainsi mis en apposition à deux reprises, le mot « mal » annonce celui de « peste » -le mot n’apparaît qu’au vers 4 = périphrase inquiétante+ effet de suspens qui dramatise le sujet.
Le texte traduit l’aspect dévastateur de l’épidémie : le verbe "faisait(la guerre) n'apparaît que tard alors que son sujet est le premier mot du texte "Un mal"; le lecteur a du mal à reprendre son souffle et le dernier octosyllabe, au vers 6, referme la phrase. Le C.O.D. « la guerre » étant placé après le complément d’objet second : « faisait aux animaux la guerre ». Après cette ouverture, La Fontaine décrit les effets de la peste. Tout est ici sous le signe de la négation, de la privation. L’alexandrin, au vers 7, exprime dans un chiasme l’universalité du malheur –répétition de « tous »- et tous les verbes qui suivent sont employés à la forme négative –accumulation des négations- , sauf le verbe « fuir ». Privation de l’appétit, du désir aussi puisque même les tourterelles (qui d’habitude roucoulent…) se fuient, les prédateurs ne songent plus à chasser…. La régularité des octosyllabes (v. 10, 11, 12), le sentiment de durée exprimée par l’imparfait, font au lecteur la peinture d’un monde vide et désolé. [Référence mythologique au vers 5 « l’Achéron », le fleuve des Enfers, les morts le traversaient sur la barque de Charon, le passeur.]Le registe est pathétique : il souligne la souffrance du peuple animal aux prises avec un mal qui le dépasse et qui l'anéantit comme en témoigne le champs lexical de la mort et l'oxymore "une mourante vie"} la peste transforme le vivant en mort.
II) Un procès truqué- Les prises de parole : comment sont-elles révélatrices d’une hiérarchie sociale ?
1) Types de paroles rapportées : une argumentation qui tourne à vide.
D.D. : le lion (v. 15 à 33), le renard (v. 34 à 42), l’âne (v. 49 à 54).
D.I. : le loup (vers 57 et 58).
D.I.L. : le groupe (v. 60 à 62).
Les autres propos collectifs (On, v.44 ; au dire de chacun, v. 48, sont résumés de façon très elliptique.
Les puissants ont droit à la parole, le temps de parole du lion, le souverain, étant nettement plus long que celui du renard et à plus forte raison de l’âne. Le discours direct rend compte de la situation (confession publique et procès), des parties en présence et de leur comportement. Le renard est conforme à son type, c’est le flatteur hypocrite : il utilise un reproche à valeur d’éloge « trop bon, trop de délicatesse », v. 34-35 et au verbe « dévorer » employé par le lion au vers 26, le renard substitue celui de « croquer » au vers 38 à valeur d'euphémisme, il est habile dans son appel à la solidarité de classe (v. 41-42). De la même façon, l’âne bénéficie du D.D. car ce type de discours permet aisément de l’accuser. En effet, il respecte naïvement le modèle de l’aveu proposé par le lion, sans en comprendre les attentes implicites, ni la nouvelle règle du jeu imposée par les courtisans. Le discours indirect du loup résume sa harangue ; le discours indirect libre signale le jugement et le déchaînement de haine qui l’accompagne. Les autres animaux, hormis le tige et l’ours, demeurent dans l’anonymat. Leur nombre rendrait fastidieuse la reproduction fidèle de leurs propos et la Fontaine se contente de suggérer leur couardise et leur mauvaise foi.
Leur argumentation se vide de tout contenu, puisqu’à l’examen des fautes se substitue l’estimation des personnes, favorable (de petits saints, v.48) ou défavorable (ce maudit animal/ Ce pelé, ce galeux, v. 57-58, qui est un argument ad hominem (du latin hominem = la personne, argument qui vise la personne, jugée intrinsèquement coupable parce que c’est elle). La variété permet de déterminer le rang social des animaux en fonction de leur rapport au langage et de la maîtrise qu’ils manifestent (Tigre, Ours, autres puissances : ministres et grands seigneurs ? Gens querelleurs, simples mâtins : nobles férus de duels, jusqu’aux hommes de main ? Loup quelque peu clerc : les avocats, les religieux (un pré de moines, v. 50) ? L’âne, le baudet : le plus bas de l’échelle sociale, peut-être le paysan qui a maraudé pour survivre (v. 51-53) ?
2) La stratégie argumentative du lion qui contraste avec celle de l’âne.
Le jeu des pronoms : il = coupable inconnu ; nous = tous ; je = examen de conscience. Le lion joue la modestie et la familiarité (« Mes chers amis, je crois », v. 15-16) ; l’évocation de son cas personnel n’occupe que 5 vers sur 19 encadrée par des « nous » et des « on » qui dissolvent sa responsabilité individuelle dans la culpabilité collective.
Les mots placés à la rime : « amis, infortune, nous, commune, dévouements, indulgence, conscience, offense » (mais précédé d’un indéfini négatif), « pense, moi/justice ». Ils soulignent particulièrement la bienveillance et la modération apparentes du lion, sa lucidité mais aussi sa capacité à envisager calmement la situation en toute objectivité, dans le souci du bien commun. Le lion donne ainsi l'impression de jouer le jeu de l'honnêteté: "pour moi...", il n'hésite pas à avouer ses péchés dans ce qu"ils ont de cruel et de démesuré "mes appétits(pluriel) gloutons (il ne s'agit pas de se nourrir seulement), "dévoré" (caractère hyperbolique du verbe) "force moutons" (retour de l'hyperbole), le groupe "nulle offense offre un contraste saisissant avec ce qui précède et semble accabler le lion. La rime et le rejet manger/berger (vers de 3 syllabes) met en valeur la cruauté du lion.
Les connecteurs logiques : Peut-être (v. 20), donc v. 23, Pour moi (v. 25), Même (v. 28), donc, mais, car (v. 30, 32). Ces connecteurs confèrent au discours une tonalité posée, mesurée (modalisation par « peut-être », précision par « pour moi, même ») et en même temps une logique rigoureuse (donc, car). Le lion n’adopte pas le ton impérieux qu’autoriserait sa fonction : une main de fer dans un gant de velours. L’exercice du pouvoir est dissimulé. L’argumentation est donc très habile. La métrique joue un rôle : la brièveté des phrases donne au discours une allure souple, naturelle et comme improvisée. Le vers s’allonge pour les grands principes (vers 21, 31-32), raccourcit pour avouer, modestement, les crimes commis (v. 26 et 29). Le lion joue la sincérité (v. 25-29) tout en minorant ses fautes (v. 28-30, il m’est arrivé quelquefois : rareté + le lion se donne comme victime de son instinct). L’argument d’autorité (L’histoire nous apprend, v. 21-22) ou de valeur (selon toute justice, v. 32) sert en fait à le disculper.
On remarque également que dans son discours le lion utilise à deux reprises le groupe "le plus coupable", repris par le pronom "il": on note que par ce procédé le lion se distingue du coupable désigné comme quelqu'un d'autre. D'autre part, le lion annonce: "je me dévouerai donc"}on note le futur qui marque la certitude, cependant cette certitude se nuance un première fois avec le recours au conditionnel: "s'il le faut", puis disparaît avec l'adverbe "mais" qui témoigne de la mauvaise foi du lion.
L’âne quant à lui, reprend ce modèle du discours du lion et « joue le jeu » en quelque sorte, ce qui causera sa perte. Aux pluriels du lion qui cède à ses « appétits goutons » et qui a « dévoré force moutons » succède le singulier de la « faim », du besoin, de « l’occasion » unique de l’âne qui cède à la tentation.
III) La fable ironique et un enseignement pessimiste : critique de la justice et de la Cour.
Une justice contestable : c’est un enseignement pessimiste que celui délivré par La Fontaine : la fable oppose à l’irréductible pouvoir des puissants la condition misérable et tragique des faibles et des opprimés.
La morale est pessimiste, elle est devenue proverbiale avec sa double antithèse remarquable « puissant ou misérable/blanc ou noir ». Sa brièveté et l’utilisation du futur, temps de la certitude, la rendent implacable. Cet enseignement nie l’existence d’une justice qui ne tienne pas compte des intérêts particuliers. La justice est celle du plus fort, comme dans « Le loup et l’agneau ». L’âne est désigné coupable car il est faible. Il peut donc être chargé de la responsabilité collective. On craint trop les puissants et leurs amis capables de se défendre.
Une mise en cause des relations humaines : la fable est pessimiste dans la peinture qu’elle fait des réactions humaines, traduites par celles des animaux, face au malheur. Il n’est pas de l’opinion de La Fontaine, connu pour son irréligion, de croire aux châtiments divins. Son ironie peut être perçue dans le scepticisme affiché par le lion aux vers 16 « je crois », 20 « peut-être » et 21 « l’histoire nous apprend qu’(…) on fait de pareils dévouements ». Si le lion n’est pas convaincu, La Fontaine ne l’est pas davantage, mais il ne manque pas de décrire dans cette fable une réaction typiquement humaine face à l’adversité : les fléaux qui s’abattent sur lui sont des châtiments divins. Le Ciel de la fable est un Dieu vengeur, comme celui de l’Ancien Testament.
La fuite face aux responsabilités : la foule échappe à un sentiment de responsabilité en s’en déchargeant sur un bouc émissaire (cette expression provient de la tradition suivante : chez les Hébreux, le bouc défilait dans les rues du village, le jour de la fête des expiations, chargé des pêchés d’Israël. La foule le lapidait). Dans la situation dramatique qui est celle des animaux, l’âne est une victime expiatoire toute trouvée. C’est le coupable sur lequel on se jette avec véhémence : il paie pour les autres. Le vers 55 « A ces mots on cria haro sur le baudet » marque un tournant dans le drame : le coupable est désigné. Le vers cité traduit, par le hiatus « cria haro » et la répétition des mêmes voyelles, « haro » reprenant les voyelles « a » et « o » de « à ces mots », la violence du déchaînement de la foule. Il est révélateur que la colère s’exprime par la désignation des « défauts » physiques de l’âne dont le poil est ras, défauts tout autant importants que le crime. Les vers 61 et 62, de manière elliptique, font entrevoir le dénouement tragique: "on le lui fit bien voir". C’est le dernier acte de la fable.
La Fontaine se montre donc pessimiste, mais il peint avec une lucidité remarquable ses contemporains. C’est la bêtise humaine qu’il peint, la mauvaise conscience qui ne s’avoue pas et qui, pour se libérer, trouve un coupable. Cette fable repose sur un retournement de situation absurde qui met en valeur l’ironie du fabuliste.La harangue du loup témoigne de la haine du groupe à l'égard du plus faible: le rythme ternaire "ce maudit animal/ce pelé, ce galeux d'où venait tout leur mal"+ le démonstratif "ce" en anaphore: l'âne est montré du doigt, désigné comme coupable. On relève enfin l' efficacité du discours indirect libre « manger l’herbe d’autrui ! quel crime abominable ! » avec opposition et exagération ; remarquable chiasme phonique : « sa peccadille fut jugée un cas pendable »
= Pour que les mots aient une efficacité, il faut avoir le pouvoir de les prononcer : le roi peut tout dire, mais… n’est-ce pas aussi le pouvoir de la fable de dénoncer l’injustice par un subtil jeu argumentatif et un agencement des discours qui laisse éclater toute l’ironie de l’auteur.