Historia magazine
Copie ) HISTORIA magazine supplément au numéro 3 6 9 ( paru en 1974)
LA GUERRE D’ALGERIE Edition Tallandier Force Locale Nos lecteurs nous écrivent……..
J’avais été incorporé directement en Algérie, le 5 janvier 1961. Le lido, un camp d’instruction de la cavalerie, situé à Fort de l’Eau, prés d’Alger, abritait cinq a six mille soldats fraîchement incorporés. Après la période des « classes », j’avais fait un peu de maintien de l’ordre à Alger. Nous avions subi le putsch des généraux sur nos transistors, les paquetages alignés dans la cour. Le Colonel Commandant le camp avait jugé préférable de barrer les trois entrées du camp avec de vieux chars en panne. Muté début Mai, au 2ème régiment de chasseurs d’Afrique, j’avais été versé au 2ème escadron a Sebdou, prés de la frontière marocaine, au sud de Tlemcen. Je conduisais un G.M.C et transportais une vingtaine de soldats du commando 127.Nous attendions les rebelles franchissant le barrage électrifié.
Au mois d’Avril 1962 je partis en permission en France. Aucun rebelle n’avait franchi le barrage depuis huit mois et les derniers « fells » accrochés dans la région, l’avaient été trois mois auparavant. Apres trois semaines passées en France, je regagnais Sebdou. Mes premiers camarades me saluèrent avec une véritable compassion. J’apprit ainsi, par bribes, ma mutation à la « force locale » Je découvrais ce terme : j’allais découvrir ce qu’il signifié. Je me présentai aux bureaux de la force locale qui étaient installés dans le casernement de mon ancien escadron. Nous avions le même capitaine, le même bureau, les mêmes cuisines et les mêmes radios. Je fus affecté au 2ème peloton et fis mon entrée dans la chambrée.
J’avais a cette époque, 16 Mois d e service militaire, dont 12 à Sebdou. J’étais donc pas un « bleu », Pourtant, j’eus l’impression de rentrer dans une chambrée de bagne. La Chambrée, baraque préfabriquée en fibrociment de 15 m sur 5, contenait auparavant vingt personnes. Quarante lits superposés s’y entassaient à présent. Partout des soldats Musulmans, aucun visage Français. Des dizaines de transistors clamaient de la musique arabe. Des drapeaux de papier vert et blanc étaient épinglés sur tous les murs et partout des visages arables qui me scrutaient ; Et soudain, une frénésie sembla s’emparer d’eux. Les transistors hurlèrent à plein régime, un chant que j’entendis souvent ensuite : l’hymne F.L.N chanté par « Farid el Atrach » , Les arabes tapaient dans leurs mains riaient, exultaient, au comble de l’excitation. J’étais pétrifié. Je rentrais dans une autre pays, salué par un autre hymne.
Un visage connu s’avança, l’un de mes camarades du commando, un Charentais, me salua et je revins sur terre. IL était là depuis 15 jours. J’avais été muté durant ma permission ; Le commandement avait choisi des éléments peu hostiles aux Arabes. Nous étions dans la force locale pour apporter notre exemple et notre soutien moral à nos frères musulmans.
Cette Force locale, fruit des Accords d’Evian avait été formée avec des musulmans servant dans l’armé Française l’encadrement était mixte et chaque peloton avait un ou deux 2ème classe. Notre escadron avait 3 pelotons de 90 hommes et cinq Français dans ces trois pelotons. Je fus atterré. Le repas du soir m’apporta un peu de réconfort. nos camarades des cuisines confectionnaient une gamelle pour les 5 Français avec parfois du cochon et toujours du vin. Je fis connaissance avec mes quatre camarades, ou plutôt je les retrouvais car ils étaient tous issus du même commando 127. La faveur de nous réunir pour les repas nous fut retirée deux jours plus tard ; Les musulmans s’étaient plaints de nos réunions de « comploteurs » .L’Adjudant de quartier, arabe également, vint nous prévenir que nous déjeunerions dorénavant dans nos chambres, avec les autres. Cela nous supprimait nos réunions, le cochon, le vin .Nous étions complètement isolés. Ce fut le désespoir dans notre petit groupe. Le lendemain soir ce fut l’explosion. Nous avions décidé de solliciter du Capitaine, la faveur de nous réunir entre Français afin de partager les colis envoyés par nos familles. Le seul gradé du groupe se chargea de la démarche. Nous avions profité de la promenade du soir que les principaux officiers et sous officiers faisaient ensemble dans la cour, pour présenter notre requête ; Très vite nous avons compris qu’elle n’éveillait qu’un mince intérêt .Au comble de l’énervement, je me suis précipité vers le groupe. Je m’adressai au capitaine qui me connaissait ; - je n’ai pas demandé cette affectation ! Je ne les considère pas comme mes frères ! je n’en est rien a faire de la force locale ! Dés les premiers mots, le capitaine, m’arrêta : - puisque vous le prenez sur ce ton, Renaud, je refuse de vous écouter. IL me tourna le dos. Fou de rage, je continuer a lui crier mon désespoir. Le lieutenant R…un arabe, militaire de carrière, me prit le bras et m’entraîna a l’écart : - Qu’est-ce qu’il y a Renaud - Qu’est-ce qui ne va pas ? J’étais incapable de parler, des larmes me brouillaient les yeux .Et je me dégageai en douceur.
Notre désarroi était total. Nous étions livrés aux ordres d’une armée arable, commandés par des Arables que nous venions de combattre un mois auparavant. Certes, les gradés étaient de bons militaires français Mais tous étaient Arables. Ils étaient contents de leurs dépendances et nous le faisaient sentir. Au milieu de tout cela un Français pour porter le poste radio et un autre pour le fusil mitrailleur. Ces deux postes sont mal tenus par des musulmans. Nous partions en patrouille, 2 français parmi 80 arabes. Notre angoisse était telle que nous étions prêts a frapper, un officier de préférence, afin d’aller en prison. Le lendemain, un camion G.M.C et une jeep furent affectés au peloton. Je repris le volant et changeai de chambre. Huit jours plus tard, le peloton déménagea pour un poste situé 30 kilomètres plus haut : Bou-hallou nous gardions une centrale électrique. Notre capitaine était resté en route et le lieutenant R .. commandait le peloton.
L’échéance fatidique approchait : le 1er juillet 1962, l’indépendance fut officielle. Nous sentions qu’il allait se passer quelque chose. Les bruits les plus alarmants circulaient ; 3 « gus » avaient été égorgés par leurs peloton à EL-Arricha ou ailleurs. Nous étions une quinzaine de Français y compris les gradés, perdus en plein djebel. Ce qui nous rassurait, c’est que les gradés étaient à la même enseigne que nous. Effectivement, le 30 juin au soir, un camion du régiment vint nous chercher. Le paquetage fut vite bouclé. Le soupir de soulagement qui souleva nos poitrines à la sortie du camp reste dix ans plus tard, présent à ma mémoire.
L’aventure « Force locale » était terminé
Dans la nuit, le drapeau F.L.N remplaça le tricolore. L’épuration commença aussitôt. Tel sergent assomma un autre sergent farouchement, francophile, lui. Depuis six ans, ils mangeaient au mess l’un en face de l’autre. Notre Lieutenant-colonel responsable de l’intendance du régiment voulut récupérer le matériel : Camion, jeep ; radio, chambre froide, ect . On lui barra l’entrée, baïonnette sur l’estomac.
Cette période reste le plus mauvais souvenir des deux années passées là-bas. Nous avions été livrés à une force locale préfigurant la nouvelle armée Algérienne.. Pour nous elle l’était déjà. Nous venions de combattre le F.L.N, depuis 16 mois pour ma part. Du jour au lendemain, nous devions le servir, Nous avions la nette impression d’avoir été livrés aux vaincus comme prisonniers de guerre, nous n’étions pas volontaires. Pour respecter je ne sais quelle clause d’armistice, nous devions servir cette armée au drapeau incertain
M.C. R
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