ROVIGO, la CCAS du III/117e RI
Le sergent Roger Hé... (61-1/B) rapporte :
« Le 18 août 1962, je quittais, pour une permission en métropole, mon régiment, le I/42e RA stationné dans l’OUARSENIS, plus précisément à Général Gouraud (Pont du Caïd), à 20 km au sud d’Affreville, où j’exerçais l’emploi de chef de groupe. De retour en Algérie, sans en avoir été averti, j’appris que le régiment venait d’être dissous et le cantonnement occupé par l’ALN (Armée de Libération nationale). Ne sachant que faire j’opte pour un contact avec la gendarmerie encore présente où j’y séjourne trois jours dans l’attente d’une information concernant mon devenir. Je reçois l’ordre de rejoindre ma nouvelle affectation à la CCAS du III/117e RI à Rovigo pour un séjour de septembre à décembre 1962. Cette compagnie était commandée par Capitaine Daviez. J’assurais l’emploi d’adjoint au chef de section commandée par un aspirant, récemment promu et affecté, jusqu’à ma libération du service militaire le 16 décembre 1962.
Le cantonnement plus que modeste devait être une ancienne ferme agricole, car entouré d’orangeraies. Pas un seul de mes anciens camarades étaient présents, j’ai perdu d’un coup 14 mois de connivence, et mon moral était au plus bas. J’ai reçu cependant un accueil chaleureux de la part des sous-officiers appelés et d’active du 117 qui m’ont vite intégré. N’ayant plus de missions militaires ou d’opérations à assurer, nous avions repris le service de garnison avec ses servitudes et son instruction militaire. On revivait alors ce que nous avions connu en caserne en métropole. Ce qui était frustrant c’est de vivre en vase clos, car toutes sorties extérieures nécessitaient un ordre de mission conforme aux accords d’Evian.
Cela générait parfois des tensions
Exclus du mess :
"Le gérant du mess des sous-officiers sans concertation aucune, avait pris l’initiative d’améliorer les repas ce qui occasionnait une élévation du coût. Pour les appelés non ADL qui ne touchaient que le prêt franc cet état de fait leur posait un problème, pour moi et mes camarades sous-off appelés ADL (Au-delà de la Durée Légale), nous avions les moyens de régler la note car nous avions une solde. Par solidarité, nous avions refusé de payer le supplément et après moult explications stériles, le coup de sang du gérant et de ses acolytes fit que nous étions exclus du mess. Que faire ? Cette situation a durée près de deux semaines sans que le capitaine s’en émeuve. Nous avons été accueillis à bras ouverts par nos camarades de l’ordinaire qui nous avaient réservés deux tables dans le réfectoire et les cuistots mettaient un malin plaisir à nous servir un repas égal à celui du mess des sous-officiers. Tout est revenu dans l’ordre par la suite et l’ambiance reprit le dessus….Nous reprochions néanmoins au président des sous-officiers d’avoir lui aussi ignoré ce bannissement intolérable, il était indigne de cette charge qui demande de la diplomatie et du discernement."
Le lynchage évité de justesse :
Le compte rendu laconique du sergent Roger Hé… adressé à son chef de section à la suite d’un accident de la circulation ayant entraîné de graves blessures à un enfant n’ exprime pas les conséquences que ce drame a provoquées.
« Etant chef de voiture à bord du véhicule Simca n° 567 118 qui progressait dans la direction l’Arba – Rovigo, le véhicule roulait à environ 20 km/h à la sortie du carrefour centre de l’Arba, lorsque un enfant traversa perpendiculairement la rue en courant et vint percuter le côté gauche du véhicule. Le chauffeur stoppa mais ne put empêcher le choc de se produire. »
« C’est en revenant d’une séance de tir organisée au niveau de la section que l’accident s’est produit. Mes hommes, au nombre d’une vingtaine, installés à l’arrière sur le plateau du camion ayant entre les jambes le fusil Mas 56 ou la mat 49 (armes très convoitées à l’époque d’autant que les prétendants nous savaient sans munitions conformément aux accords d’Evian). Pour ma part j’étais dans la cabine avec le conducteur avec comme armement un Pistolet Automatique et un chargeur autorisé. Le G.M.C. transportant les cibles et le matériel de tir précédait le nôtre. En tête du convoi la jeep de commandement avec mon Aspirant et son radio. Je fermais donc la marche en respectant les distances de sûreté.
Aussitôt l’accident, une foule de musulmans entoura progressivement le véhicule et commença à manifester une hostilité. J’invitais mes hommes à cacher leur arme et à ne pas bouger ni répliquer. J’armais discrètement mon arme en ayant la ferme intention de défendre chèrement notre peau, car la foule grossissait et devenait de plus en plus menaçante. Les femmes criaient ce qui augmentait l'agressivité des hommes. J’ai cru que notre dernière heure était venue.
Nous dûmes notre salut à l’intervention d’une patrouille de l’ALN qui avec force coups de crosse et d’injonctions dispersa la foule et donna l’ordre à l’un d’eux de transporter à bras l’enfant ensanglanté. Le bambin dut son salut grâce au réservoir à essence positionné devant le roue arrière gauche qu’il l’a heurté violemment évitant ainsi de passer sous la roue.
Mon chef de section qui avait rejoint le quartier, inquiet de ne pas nous voir arrivés a fait demi-tour et a pu se rendre compte de visu de quel merdier nous étions sortis. On doit une fière chandelle aux membres de l’A.L.N. qui pour une fois ont respectés les accords en suppléant les gendarmes français évacués sur ordres. Leur intervention a été capitale et a permise d’éviter un lynchage en règle. Ce n’était plus la guerre cependant nous risquions la mort au quotidien. »
QUI SEME LA TEMPÊTE, RECOLTE….des oranges
« Un matin de la fin novembre 1962, intrigué par un bruit inhabituel émanant du garage, je constate que les moteur tournaient en continu sur la totalité des véhicules en stationnement, dont les half-tracks. Le chef responsable de l'entretien me dit : - Il faut "brûler"le quota de carburant avant la fin du mois, sinon, pas de réapprovisionnement ! - Cette situation a durée plusieurs jours.
Pour accélérer la consommation, des sorties étaient organisées et je vais vous narrer celle à laquelle j'ai participé :
Nous sommes partis avec deux half-tracks et leur conducteur, le chef dans celui de tête et moi dans le second, direction Maison Carrée. La route était belle avec de longues lignes droites, très peu de circulation, ça et là, une carcasse de voiture calcinée jonchait le bas-côté de la route; nous roulions "à fond la caisse" en respectant néanmoins les distances réglementaires.
Devant nous, une camionnette chargée à ras bord de caissettes d'agrumes. Quand le premier half-track arrive à sa hauteur pour la doubler, son conducteur se rabat vers la gauche et lui interdit le passage; autre tentative du chef et même scénario qui se répète à chaque essai. Profitant d'un croisement l'half-track force le passage et double la camionnette surprise .....quand nous tentons à notre tour de la doubler, même stratégie de la part du chauffeur de la camionnette; le chef qui observe le manège, ralentit et quand celle-ci est proche du half-track, il freine brutalement. La camionnette tamponne l' half-track, alors que nous, surpris, percutons violemment son arrière. Prise en sandwich, ses cagettes explosent et se répandent sur la route, il y a des oranges partout...Trois civils sortent de la cabine en gesticulant et vocifèrent des injures...
Nous repartons sans faire de « constat ».
Nous n’avons jamais entendu parler de cet incident. C'était une belle journée, peut-être pas très réglementaire, mais qu'est-ce qu'il l'était à cet instant de chienlit ? Des regrets, nous n’en avions pas eu car cette camionnette était sans aucun doute le fruit d’une « confiscation » des ouvriers agricoles à leur patron en fuite ou mort assassiné. »