9- La France

RETOUR en Métropole de la 7e Compagnie du II/117, le 28 décembre 1962

Afin que nul n'oublie : AHMED-CONNAIS-PAS

"Ce retour doit être conté car il est un indice du peu de considération qu'a un gouvernement vis-à-vis de son Armée.Quelques jours avant l'embarquement, le capitaine nous a réuni autour d'une table pour fêter notre retour en métropole et prématurément ... Noël. L'ambiance n'était pas délirante, nous avions trop d'amertume de quitter ce pays abandonné aux mains de tueurs. Nous avions aimé cette population qui bon an mal an nous a appréciés. Nous avions remarqué qu'elle était maintenant sous le joug d'une politique marxisée et nous présumions du sort qu'il adviendrait.

C'est ainsi, il faut tourner la page et partir avec une nouvelle base que nous étions loin d'imaginer si peu amène qu'elle fut pour les militaires ayant connu les colonies. Nous demeurerons des parias à évincer au plus tôt. Pour les appelés se fut facile, une fois rendus à la vie civile ils ne poseraient plus de problèmes, quant aux militaires d'active, c'est une autre histoire.

L'avant-veille du départ, le lieutenant adjoint fit le tour des cadres et individuellement tint un discours préventif en ce qui concerne notre armement personnel, récupéré au cours des opérations et non déclaré.

Pour ma part, j'avais un Astra 9 m/m, un revolver d'ordonnance, modèle 92, avec étui et munitions de 8 m/m et un fusil de chasse, calibre 12. Devant ma réticence, il dévoila le grand jeu en me précisant que sur le bateau nous serons fouillés et condamnés pour trafic d'armes. L'OAS, sévissait encore en Métropole et nous serons considérés comme des fournisseurs. Au bout d'un temps, j'ai cédé et lui offris ma panoplie. Mais voilà, nous ne savions pas que le lieutenant en tant qu' officier post-curseur, n'embarquera pas avec nous. Qu'est-il devenu ? Et à qui était destinées les armes récupérées ? La fouille n'eut pas lieu.

Logés, depuis plusieurs jours, dans un entrepôt d'un quai d'embarquement, nous commencions sincèrement à douter de l'arrivée d'un bateau promis à notre rapatriement. Quand enfin il fut annoncé, nous avons eu la désagréable surprise de connaître sa reprise de service alors qu'il était désaffecté ... Le paquebot "Chanzy" à peine chargé prit la mer et son Commandant communiqua, qu'en raison de sa vétusté, il longerait les côtes des îles espagnoles au cas où ! Réjouissant ! ... Des marins disaient que le paquebot ne résisterait pas au coup de tabac dans le Golfe du Lion ! Ce fut son dernier voyage avant de rejoindre un port italien pour la casse.

Marseille, 28 décembre 1962, -7 de T°, du jamais vu ! Je passe sur les péripéties du débarquement, de l'attente des bagages et des matériels, des provocations des dockers hargneux. Nous voilà, à peine débarqués conduits à pied vers la gare où un train nous attendait. Quand les matériels et bagages furent chargés, tout ce petit monde trouva sa place par section. Les cadres administratifs s'engouffraient enfin dans un compartiment chauffé, un luxe ! Il était temps, nous étions frigorifiés. Il fallut un temps considérable pour qu'enfin le convoi quitte la gare, à la nuit tombée, pour une destination inconnue, nous avions appris que Le Mans était occupé par un Régiment d'Infanterie Colonial qui avait pris notre place.

Le trajet fut très long et étonnant dans son parcours, nous découvrions ébahis les noms des gares : Toulouse, Bordeaux, puis enfin la suite logique vers la Bretagne. Nous ne savions pas où cela nous conduirait. Le commandement devait le savoir, il s'est tu.

Mais pas si sûr... Car, un petit matin nous découvrîmes la gare de Rennes. On attendait sagement le départ pour une autre destination, quand enfin on nous gueulât l'ordre de débarquer. Après, déchargement, nous nous trouvâmes sur le parvis à attendre les camions pour nous transporter à la caserne. Il faisait -20 ° C, et le sol était verglassé. Nos vêtements d'hiver étaient plus que légers.

Pas de camions. Il ne fallait pas être grand clerc pour comprendre la situation. Par sections et groupes administratifs, sacs marins et bergames, armes et équipements, le tout à dos d'homme, nous tentions une sortie de la gare en patinant comme des pingouins. Ha! Elle était belle l'Armée de la Colonie, les vainqueurs des Djebels qui sous le regard étonnés des rares passants divaguaient tels des ivrognes à travers les artères de la ville ! Nous ravalions notre morgue. Une colère sourde montait.

Enfin une caserne. mais d'un coup d'œil, on comprit que les bâtiments abandonnés que nous apercevions n'étaient pas ceux qui allaient nous héberger. Après une halte et une remise en ordre de la compagnie, une délégation nous attribua les bâtiments à occuper. Etonnés, personne ne bougea, on n'avait pas envie de plaisanter sous ce froid intense et l'estomac vide de repas chauds depuis des lustres. Nos officiers nous intimèrent l'ordre de rejoindre les chambres allouées. Elles étaient totalement démunies de portes, de fenêtres et encore moins de poêles. Nous n'avions qu'une seule couverture, celle de notre voyage à mettre sur une paillasse infeste.

Après l'étonnement passé et la saisie de la réalité de la situation, nous nous concertâmes pour une juste revendication auprès des membres du bureau de la Place qui le prirent de haut et ne voulurent pas apporter une quelconque modification à notre dénuement.

Trop c'est trop ! Avec un ensemble parfait, la meute des plaignants injurièrent copieusement les antagonistes et les menacèrent de leur faire la peau. Devant cette attitude inhabituelle, on se ravisa pour pallier à la polémique. Un général vint nous conter les difficultés rencontrées par la venue imprévue d'un bataillon au sein de sa garnison et nous promit de régler ça au plus vite en nous mettant tous en permission de 20 jours, délai indispensable pour trouver une solution compatible. Dans l'attente du lendemain, pour régler les démarches, le dépôt du matériel et de l'armement, nous dûmes dormir une nuit dans ce froid polaire. Dormir est un bien grand mot : plutôt debout, à faire de l'exercice pour ravigoter nos membres engourdis en ayant mis sur le dos toute la panoplie de vêtements superposés. Tels des fantômes nous errions dans les couloirs à nous croiser et recroiser. Le lendemain, une horde de loqueteux puants envahissaient les quais de la gare pour rentrer chez eux et retrouver la chaleur d'un foyer longtemps oubliée.

Le nouvel an a été fêté dans le train, décidément rien ne va aux parias ... Pour certains, après huit ans passées en A.F.N ( ce qui fut mon cas), le retour en métropole fut une affligeante amertume, la caserne, trop peu pour nous.

Après nos 20 jours à retrouver nos marques dans la société civile, la 7ème compagnie fut affectée à St Malo, caserne Rocabey.

Des cadres inconnus nous attendaient et comptaient bien nous faire marcher droit. Pour mon cas, privilège appréciable, j'ai rejoint l'administration des foyers et des cercles, libre d'aller et venir en ville à toutes heures du jour et de la nuit. En avril une autre affectation plus compatible à mes souhaits fit que je quittai définitivement le 117e et le 41e RI qui l'avait phagocyté.

Avant cela, à Rennes, le capitaine nous avaient réunis une dernière fois avant de nous quitter définitivement pour une mutation dans les troupes de montagne. "J'ai encore sur moi le solde de la caisse noire de la 7ème, Je vous invite ce soir au restaurant, soyez propres, nets et corrects."

La soirée fut mémorable, les soudards tenaient parole malgré les copieuses libations, tout allait pour le mieux à voir le ravissement du capitaine. Mais voilà, dans la salle jouxtant la nôtre, les neufs Compagnons de la chanson entonnèrent un chant de marin. Un temps surpris par leur présence et par ce fait inhabituel, nous eûmes spontanément, grâce au nombre, une réplique couvrant leur chant par le nôtre emprunté au corps de garde. Capitaine en tête avec en main le sceau de l'amitié, une bouteille de champagne, le troupeau de la 7ème, verres levés, entourèrent la table des Compagnons qui eux aussi debout à l'unisson parachevaient notre hymne."

Sergent-chef Louis, webmaster des sites du 4e RT , du 117e RI et du 7e RI.