ALMA MARINE août 1962
La 6ème Compagnie du II/117e RI
Suite du récit du sergent André.F.
"Puis ALMA MARINE à 150 m de la plage. La troupe sous les tentes et quelques privilégiés comme moi, sergent fourrier et le gratin, dans les murs en dur.
Depuis Hussein Dey j’avais changé de magasinier, Cussinet était devenu mon adjoint et depuis nous faisions chambre à deux pour garder les armes non affectées. Nous étions dans une baraque en dur, OK, mais très bas de hauteur, juste sous les tuiles. La journée il y faisait une chaleur atroce et la nuit les chauves souris tournaient au-dessus de nos lits. De peur qu’une bestiole se prenne dans nos cheveux, nous dormions le drap sur la tête.
Et les WC de l’époque !!!!??? Une tranchée entre deux rangs de vigne, deux planches en travers et les feuillées étaient prêtes à l’emploi.
Comme à cette époque il n’y avait plus grand-chose à faire en ce qui concerne le maintien de l’ordre, nos commandants de compagnie commençaient à envisager le rapatriement du matériel. Un jour j’ai reçu l’ordre de faire le tri dans les caisses à munitions et de sortir tout ce qui pouvait être périmé.
Nous avons noyé des caisses entières de grenades et de cartouches à la mer. Il fallait rapatrier le moins de chose possible."
voir la suite : Ménerville
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La 7e compagnie du II/117e RI
La 7°cie du II/117° RI fit un bref séjour au bord de mer qui d'après certains fut plutôt des vacances qu'une vie de garnison. Nous étions alors sous les ordres d'un grand échalas venant d'un Groupe Nomades (Paul Cazelles, entre Médéa et Djelfa). Cet officier, au demeurant fort sympathique, avait belle allure avec sa culotte de cheval et ses bottes rutilantes. Un camp de toiles fut aménagé dans un bel ordonnancement. C'était l'été, la fin des hostilités et l'espoir d'un rapatriement en métropole. Peu de missions hormis la sécurité du cantonnement et les bains de mer sur une plage rocheuse.
Photo 3 : le sergent-chef Louis avait encore les attributs du 4e Régiment de Tirailleurs dissous en juin 1962 à Boghar.
Sur la photo centrale, on peut voir la rusticité des lavabos. Un abreuvoir en zinc chargé de robinets était alimenté par une citerne surélevée en tôle qui alimentait également une douche plus ou moins chaude selon les effets solaires. La difficulté de l'approvisionnement et le chargement de cette citerne limitait grandement le nettoyage du linge. Une tonne à eau remorquée servait uniquement aux cuisines et à l'eau potable dont chacun emplissait un bidon selon ses besoins. Les feuillées étaient suffisamment vastes pour la durée de notre séjour. Chaque jour, pour l'hygiène et l'odeur, un infirmier saupoudrait régulièrement le contenu de grésil. Une épidémie de diarrhée sévit un temps et chacun s'en remit plus ou moins bien, on dit même qu'il y eut aussi de la dysenterie. Le commandement nous avait assuré que des platées de riz arrosées modérément d'anisette nous requinqueraient. Beaucoup en ont abusé, et le mal et le riz disparurent mais pas l'habitude d'y remédier. Les jours d'orage ou de mauvais temps, plus personne ne sortait des tentes. On occupait les chambres collectives pour jouer aux cartes. L'humidité relative imprégnait tout, y compris nos vêtements et nos draps. Pas le moindre feu pour atténuer ces désagréments. La tente la plus fréquentée était celle du foyer et du mess, la chaleur humaine, dans cet espace trop réduit par le nombre de présences, nous comblait d'aise mais amenuisait notre solde !
Pour s'échapper quelque peu de cet enfermement qu'on avait dit provisoire, les missions extérieures étaient les bienvenues et malgré les dangers que cela représentait nous étions tous volontaires. Les spécialisations ou les emplois évitaient les passe-droits. J'étais comblé grâce à mes qualifications transposables à souhait. De plus, je connaissais bien Alger et les États-Majors, l'Amirauté et Maison-Blanche (aéroport). Le tout effectué avec mon éternel compagnon de mission, le sergent-major Sch..., quand nous étions encore à Hussein-Dey. À Alma Marine Sch... a été hospitalisé longuement et je crois rapatrié sanitaire. Il n'a pas été remplacé, j'ai dû assurer seul les missions avec des moyens légers, une jeep et un chauffeur, sans aucune escorte ou garde personnelle. Je n'avais comme patron que le lieutenant qui commandait la compagnie. Cela me seyait bien et j'en ai gardé que des bons souvenirs. J'ai eu cette chance de ne rencontrer aucune patrouille ou barrage routier FLN, car il était toujours délicat de se justifier ou pire, on pouvait se faire délester de son arme. Pour ne pas avoir à faire des comptes rendus de vol ou de perte de mon pistolet automatique de service, je l'avais remplacé par un PA personnel, un Astra espagnol récupéré chez les fells.
"Un matin, nous eûmes la chance de capturer un thon de forte taille échoué sur la plage. Après force de bras et à l'aide d'une jeep, nous l'avions transporté sur le capot vers la compagnie en liesse. Le commandant d'unité, d'un coup de badine, fixa la direction à prendre : le restaurant, encore en activité, tenu par un Pied-noir. Les cadres se restaurèrent copieusement en échange d'une partie du butin réservée au restaurateur. La salle ne pouvant contenir tout le monde, la troupe s'en délectait néanmoins sous la guitoune du réfectoire.
Inutile de préciser que ce jour-là la sieste fut plus longue que d'habitude. Le soir venu, l'extinction des feux fut sonnée par les clairons de service, disposés aux quatre coins du cantonnement qui reprirent un à un le final en point d'orgue. Instant Sublime dans la nuit déjà avancée. C'était une invention de notre lieutenant, qui debout, au centre du cantonnement savourait son œuvre, jambes écartées et poings sur les hanches. Un coup de badine sur la botte mit fin à la mise en scène. Il virevolta d'un pas décidé vers son palais en toile avec sans doute des rêves plein la tête...". Nous étions comblés.
Sergent-chef Louis.
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Camp de toiles d'Alma Marine septembre 1962.
Le sergent Francis F. avec quatre hommes de son choix composent la patrouille désignée pour sécuriser le village jouxtant le camp. Elle a pour but aussi de vérifier que les hommes de la compagnie se comportent civilement et respectent l'heure de regagner le camp. Les moyens sont modestes, une tenue de combat, un casque PM, un pistolet automatique pour le gradé, et une matraque à chacun des patrouilleurs. La nuit tombe, les clairons sonnent "l'extinction des feux" et les cinq hommes quittent le cantonnement et empruntent la route conduisant à Alma Marine très proche. Francis occupe l'axe de la route alors que les hommes utilisent les arbres la bordant pour masquer au mieux leur présence.
A l'entrée du village, se produit une rixe particulièrement violente. Francis accélère le mouvement de la patrouille et ordonne à ses hommes de s'abriter derrière les arbres et de se tenir prêts à toutes éventualités. Au contact des querelleurs, le sergent s'aperçoit que les quatre agresseurs sont arabes habillés en bleu de travail, ils portent à la ceinture un pistolet. La victime civile semble être de type européen. Sur une injonction du sergent de stopper toute agressivité, les quatre arabes obtempèrent et celui qui semble être le chef le renseigne sur leur acte.
- On a surpris cet homme à cambrioler un appartement ! Viens avec moi au premier étage en désignant la rampe d'accès extérieur.
Francis mesure à présent les conséquences de son audace spontanée et souhaite ardemment que ses hommes, toujours derrière les arbres, ne dévoilent pas leur infériorité en arme. Il suit donc le chef et découvre, tel un enquêteur, l'évidence de l'infraction de la résidence. Il demande à son interlocuteur de lui remettre l'auteur du délit pour qu'il soit emprisonné au camp.
Sans même s'embarrasser de civilités, il saisit le prisonnier et le pousse dans les bras de ses gaillards qui rapidement s'éloignent des lieux avec la complicité de la nuit. Le sergent occupe le milieu de la chaussée et traîne un peu pour leur permettre de prendre une belle avance.
Le prisonnier, qu'il n'a même pas pris soin de dévisager, est maintenant dans les locaux du poste de police. S'ensuit le rapport verbal à l'autorité de service.
Tout en regagnant son logement, Francis revit la situation qui aurait pu mal finir pour la patrouille, s'il n'avait pas été aussi persuasif et déterminé, ce qui a sûrement surpris les agresseurs qui ont temporisé instinctivement. Ce qui permet une hypothèse : ces hommes n'étaient pas du FLN, mais des miliciens à la solde d'un propriétaire à qui ils avaient l'habitude d'obéir. Mais cela ne demeure qu'une supposition somme toute gratuite. En ces temps de vengeance et de rancœur, les exactions étaient monnaie courante.
Le lendemain, on lui demande de signer le compte rendu et, sans même daigner le lire, il s'exécute.
Puis quelques jours plus tard, un secrétaire lui fait part que le prisonnier, en fait un Pied-noir, est un petit gradé de la compagnie qui a évité une condamnation grâce à sa signature. Furieux d'avoir fait prendre un gros risque à ses hommes et furieux de s'être fait berner par le commandement qui a sans doute modifié les faits à son insu, le sergent Francis s'en veut de ne pas avoir demandé le nom et, jusqu' à ce jour, cherche à connaître ce voyou protégé à qui il ne pardonne toujours pas son acte.
Les feuillets
Le lieutenant, commandant la 7ème compagnie, dès l'arrivée de celle-ci à Alma Marine, nouvelle garnison projetée par le commandement après Hussein, repère le sergent Francis qui sera souvent sollicité grâce à sa propension à la débrouillardise. Sa nouvelle mission, et pas des moindres, car d'une nécessité absolue pour une collectivité, est de créer de toutes pièces des feuillées. Mais voilà, ce camp de toiles n'avait aucun matériel pour sa réalisation. "Carte blanche, en toute légalité" lui-dit-il, et le sergent acquiesce et déjà s'organise avec l'aide de joyeux comparses tout heureux d'être occupés. Quand la tranchée fut faite et prête à recevoir ce à quoi elle était destinée, le sergent envoie ses hommes couper des roseaux et quelques bambous pour dresser un paravent. Mais, perplexe, il se dit qu'il manque quelque chose pour pouvoir ajuster les pieds par le travers du réceptacle. Ayant fait le tour du campement et étendant son rayon de recherche, rien ne convenait. Le lieutenant, tenu au courant, lui donna l'ordre d'aller à Alma Terre au PC du 2ème bataillon. Un Dodge 6X6 emporte l'équipe rassemblée pour quérir l'indispensable.
Sur place, la partie n'est pas gagnée. Il est projeté d'un gradé à l'autre, soit incompétent ou hors fonction, soit absent, et le temps s'écoule inexorablement vers l'interdiction de circuler passée une certaine heure. Au hasard de ses pérégrinations, il tombe enfin sur un stock de fouillis divers dont des planches de toutes tailles. Tant pis, c'est le moment de s'en contenter, de charger le véhicule et de quitter ce lieu pas très avenant.
De retour au camp, le sourire béat, il rend compte au commandant de compagnie le contenu de sa cargaison.
Le lendemain matin, le lieutenant l'invite à prendre la navette pour le bataillon et de se présenter auprès du commandant. Celui-ci lui tient un discours moralisateur sur le vol de matériel et de l'avenir sombre qui l'attend dans une geôle. Néanmoins, bon père, il lui demande de se justifier. Francis joue la carte d'une compagnie démunie de tout à qui on demande d'être à l'égale de certaines plus nanties. Convaincu que ce sergent, somme toute débrouillard et vaillant, ne méritait pas d'être exclu de sa compagnie qui serait privée de ses services, il lui enjoint d'y retourner sans autre forme de procès.
Ces ainsi que les feuillées de la 7ème Compagnie furent ornées d'un bel ensemble de planches parallèles servant de repose-pieds à la façon des toilettes à la Turque.
Le S/C Louis se souvient :
Avant la réalisation des feuillées, le matin ou le soir, on courait à travers champ à la recherche d'un masque précaire pour se décharger de son lourd fardeau, les uns vers la mer, les autres plus loin vers les terres. C'était cocasse à voir quand on n'était pas concerné. Pour moi, le choix fut un carré imposant de piments rouges nanti d'une haie d'épineux relativement dense. La longueur du parcours assurait la quiétude des lieux et incitait à la rêverie. Quand enfin les feuillées furent réalisées, j'ai dû faire une ou deux tentatives pour l'honorer. Vu la promiscuité, l'odeur et le risque de glisser dans la matière, encore qu'elle ne fut pas très fournie à son début, ne m'engageaient pas à poursuivre sa fréquentation. J'optais définitivement pour mon petit carré de paradis, ça ne manquait pas de piment! Les jours de pluie, il fallait attendre une petite accalmie, mais dans les feuillées sans toit, les occupants n'étaient pas mieux lotis.
voir la suite : Belle Fontaine.