Sakamody - El Karouch - Montmartre, la 4e Cie du II/117e RI
Belleville à Montmartre et l'extrait de son livret militaire
J'ai été incorporé au 13ème régiment de tirailleurs algériens à Coblence (FFA) le 19 décembre 1954. En mars 1957 c’est le départ pour l’Algérie.
Voyage en chemin de fer quasiment non-stop Coblence - Marseille quatre soldats par compartiment, pas de douane à la frontière, quelques arrêts pour changer de locomotive, charger de l’eau ou du charbon. Interdiction de sortir des wagons pendant les arrêts, il est vrai que certains convois précédents avaient quelque peu été perturbés.
Terminus Marseille, température quasi printanière, pas le temps de réfléchir. Nous sommes entassés dans des GMC direction la caserne Sainte Marthe, moral à zéro, Que faisons-nous ? la décision est vite prise ! Nantis d'une permission - bidon signées Tartempion, nous prenons le tram sans tickets naturellement. Direction la Cannebière et le port, à peine le temps de visiter, nous terminons à un restaurent du port, une bouillabaisse, et retour à Sainte Marthe pour une courte nuit.
Quelques copains sont restés pour monter la garde autour de nos trousseaux, une nuit dans cette caserne, la réputation aidant, confiance limitée, je ne sais combien nous pouvions être de soldats dans cette sorte de hangar. C’était assez crasseux et bordélique.
Le lendemain, nous embarquons sur le paquebot "Ville d’Alger", la joie des passagers reflétait assez bien la destination de la croisière qui débutait.
Après 22 heures de navigation, nous débarquons à Alger, assez sonné par une cinquantaine d’heures de transports divers et une nuit agitée à Marseille, comme dans un état second, je n’ai pas conservé de souvenir particulier de cette réception sur le sol algérien. En moins d’une semaine nous sommes passés de l’hiver à l’été. Cérémonie de réception, accueil grandiose des autorités territoriales et militaires dans la zone portuaire au milieu des voies de chemin de fer en toute discrétion, fanfares, Marseillaise, discours de bienvenue bref un laïus habituel…
Ensuite direction les GMC et départ pour l’inconnu, à la sortie de Maison Blanche l’odeur des orangers en fleurs est le premier souvenir qui me soit resté.
A Fondouk, terminus, nous sommes fixés sur notre affectation, le 117e RI. Suivit la rituelle distribution d’un nouveau paquetage et surprise, également d’armement et de munitions. Après avoir dit au revoir aux quelques copains du 13e RTA. Seuls deux berrichons Jean Djelloul et moi, tous deux originaires de Bourges seront affectés à la 4e compagnie. Les autres dont une dizaine de berrichons seront basés à Fondouk ou dirigés vers d’autres compagnies. Un véhicule je ne sais plus GMC ou 4X 4 nous a conduit à la colonie de vacances de Rivet.
A notre arrivée le petit groupe fut accueilli par le capitaine Guichard, commandant de la 4ème. Compagnie où j’ai été affecté à la section de commandement comme opérateur radio-télégraphiste.
Le matériel de transmissions datait, SCR 543 en station de base et BC 611 handie talkie, téléphones EE 8, du matériel qui avait certainement fait la seconde guerre mondiale et la guerre d’Indochine. Ces deux appareils fonctionnaient se 3,5 à 6 MHZ. assez rapidement le SCR 543 a été remplacé par un ANGRC 9 les BC 611 par des ANPRC 6, ces derniers compatibles en modulation et en fréquences avec les SCR 300 et l’émetteur relais Lorenz situé à Sakamody. Les SCR 300 dont la fiabilité plutôt douteuse étaient déjà présents à mon arrivée, ils n’ont pas eu de successeurs pendant la durée de mon séjour sur le sol algérien.
Une partie de la section de commandement : de gauche à droite : Facchine Florian (Radio) deux amis dont j’ai oublié les noms, Belleville (radio) puis deux noms oubliés, l’un d’eux conduisait le Half-track. La photo a été probablement prise à l’école de Rivet ou à Maréchal Foch.
Nous prenions les douches une fois par semaine au sanatorium, notre séjour y fut très bref, quelques semaines. Ensuite déménagement à l’école de Rivet, une partie de la section de commandement et la station radio y étaient installées. Il y avait encore de quoi faire sa toilette. Par la suite, les casques lourds nous ont servi de lavabo et lessiveuse.
C’est au cours d’une patrouille près du barrage de l’Oued El Hamiz que j’ai fait connaissance aux premiers coups de feu. Cela a débuté comme une promenade, bien que sur le qui-vive cela surprend, après une pétarade fournie, les copains qui me précédaient ont couru comme des lapins après je ne sais qui ? , J’ai essayé de suivre, mais avec les quelques dix-huit kilos du SCR 300 j’ai été vite semé, j’ai signalé les coups de feu au PC, mais ne pus donner ma situation. Les soldats qui me suivaient n’ont pas tenté de me dépasser. Entre temps ils avaient arrêté un jeune de seize ou dix-sept ans maximum complètement paniqué, nous sommes repartis au pas de course, pas très rassurés et tout de même nous sommes parvenus à rattraper la tête. Ayant enfin rejoint le sous-off qui a complété les données précises. Une opération de plus grande envergure à laquelle je n’ai pas participé a eu lieu par la suite.
Ensuite déménagement avec armes et paquetages à Maréchal Foch quelques mois, pas plus, rien de spécial, la région était calme.
Le Capitaine avait la bougeotte, troisième déménagement, direction El Karouch, un piton qui venait d’être aménagé, pistes brutes de scraper ou de Bulldozer. Finie la vie dans les bâtiments en dur, lits Picot pour tous. La station radio était installée sous le mirador, la cuisine et la cantine étaient en dur ; Tout le monde couchait sous la tente.
Vues aériennes d’El Karouch (photos prises d’un hélicoptère par le Capitaine Guichard).
En haut à gauche de la photo de gauche : des bâtiments en dur, structure en bois, tôle ondulée : cuisine, cantine et le mess. Au sommet du piton, les tentes de patrouille, à droite le mirador puis la tente des radios. Entre les arbres la tente marabout du capitaine.
El Karouch
Hélicoptère Bell sur l’Aire d’atterrissage vu du mirador. Sur la photo, la partie droite de la piste conduit au piton. La piste part de Maréchal Foch pour aboutir au col des deux Bassins. Notre position devait être surveillée soigneusement, chaque départ de patrouille était signalé par des signaux de peaux-rouges (fumées.)
Photo de droite : Facchine et Belleville.
Dès notre arrivée à EL Karouch la compagnie a reçu un canon d'infanterie de 75mm sans recul. Le seul tir que j’ai vu effectuer était une réussite spectaculaire. Ceux qui assistaient au tir s’étaient abrités à bonne distance à gauche et à droite de l’axe de tir. La zone dangereuse est comparable à celle d’un LRAC, la tente radio installée à plus d’une vingtaine de mètres à l’arrière, et fortement décalée de l’axe de tir a été littéralement soufflée, la table, le matériel radio complètement chamboulés et les papiers, codes, formulaires de messages, messages en attente de diffusion sont partis au gré du vent. Avec la forte pente, les réseaux Ribard, les fils barbelés qui cernaient le camp et l’altitude prise par ces papiers, il a été impossible de récupérer quoi que soit.
Barrault dit Nounours
J’avais un récepteur radio à piles, un Pizon Bros à quatre ou cinq lampes 1 T 4, 1 R 5, 3 S 4 etc. J'écoutais régulièrement une émission animée par Armand Panigel : Les grands musiciens, un sergent-chef m’a demandé si j’aimais la grande musique et s’il pouvait participer à l’audition, naturellement ma réponse a été positive, bien vite je me suis rendu compte que ses connaissances sur l’histoire de la musique et des grands musiciens était de loin supérieure aux miennes. Nous n’avons raté les émissions qu’en cas d’opérations ou de vacations radio, qui cela va de soi passaient en priorité.
Nous écoutions aussi régulièrement Radio Africa Maghreb en Petites Ondes et France Inter en Ondes Courtes sur 6 200 kilohertz.
Les lampes du Pizon qui faiblissaient étaient remplacées par des modèles identiques qui équipaient les SCR 300, le 2ème échelon ne posait jamais de question.
Batteries de piles B.A 70
Pour les piles du Pizon, pas de problème, la B.A 70 du SCR 300 faisait parfaitement l’affaire, la section 4,5 volts lâchait rapidement, alors que les sections 60 et 90 volts étaient increvables.
Les B.A 70 servaient également à faire tourner les rasoirs électriques jusqu’à épuisement total, les bénéficiaires étaient en priorité les cuisiniers, il me fallait bien du rab ne serais-ce que pour nourrir mon chat. La B.A 70 à plat était exigée pour en obtenir une en remplacement. A ce moment les batteries étaient détruites, grands coups de masse et incendiées, il n’était pas question que des éléments étrangers à l’armée en fasse usage.
Armement
A mon arrivée comme tout bon opérateur radio j’ai été équipé d’un P.A (pistolet automatique) MAC 35 S. Comme je ne disposais que de 17 cartouches, deux chargeurs de 8, plus une dans le canon, de plus c’était un calibre de 7,65 m/m. j’ai trouvé la puissance de feu ridicule et ai demandé rapidement un P.M (pistolet mitrailleur) MAT49, avec 8 chargeurs dans les porte-chargeurs et le chargeur monté sur le PM la puissance de riposte passait à près de 200 cartouches. C’était plus lourd mais rassurant.
Quand nous pouvions, nous récupérions les étuis, inutile d’enrichir la rébellion, les alliages cuivreux avaient une certaine valeur.
Discipline
Comme on peut le voir sur les photos, la tenue vestimentaire, était plutôt libre, chacun s’habillait bien comme il le voulait. Ainsi, sur la photo de l’hélicoptère BELL, j’ai des charentaises dans les pieds.
La discipline était plus sévère pour la propreté, la coiffure et le rasage.
Comme la station radio était en écoute permanente, les opérateurs radio n’ont jamais monté la garde.
Un opérateur apportait le repas du matin au groupe radio. Pour les autres repas l’un de nous apportait la nourriture à l’homme de permanence.
A El Karouch aussi bien qu’à Montmartre, je n’ai aucun souvenir de cérémonies du levers des couleurs, les stations radio de ces deux sites se situaient pourtant sous les miradors surmontés des drapeaux.
De plus je crois bien qu’il n’y avait pas de joueur de clairon.
Quelques mois passés sur le piton, direction Sakamody. A Sakamody, la compagnie était cantonnée dans des bâtiments en dur. La station radio se trouvait dans une construction faite de rondins (genre abris de trappeurs) Deux mois de vie idyllique, parsemée de quelques accrochages, j’ai fait quelques stages à Montmartre. Quelques kilomètres à vol d’oiseau, une quinzaine par la piste.
Djebel Bou Zegza
En août 1957, la compagnie a participé au bouclage d’une opération impressionnante, bombardement aérien, roquettes, je n’ai assisté au combat que de loin.
La dernière opération importante à laquelle j’ai participé a eu lieu 29 novembre 1957, carré MY45. ??, déjà évoqué précédemment. C’est une des plus pénible qu’il m’ait été donné de connaître, au retour, hébergé, il me semble par la 3e compagnie, dans notre état d’épuisement nous n’aurions jamais eu l’énergie de regagner Sakamody. J’ai bien crû y rester, emporté par une coulée de boue, sans le secours d’un copain qui m’a tendu son MAS 36 et arraché de là, c’en était fini de moi. Je ne le remercierai jamais assez.
A la 3e compagnie, l’accueil a été très chaleureux, nos hôtes nous ont littéralement déshabillés, revêtus de vêtements secs, servi des boissons chaudes et de la nourriture.
En décembre 1957, la station radio de Sakamody a pris feu, les flammes étaient visibles depuis Montmartre.
Montmartre
Le mirador, la station radio sous les tôles. Le djebel depuis Montmartre, au centre en fond de vallée, la route nationale 8. Chat montmartrois, à droite du chat, les parpaings qui ont servi à construire un bâtiment en dur, j’ai quitté l’armée avant que ce bâtiment soit terminé.
Mr Jacques Chaban Delmas, Ministre des Armées, à Sakamody le 25 décembre 1957. Seule une partie de l’image est exploitable, la partie inférieure n’a pas résisté au temps, je pense qu’il y avait un texte relatant cet événement. Il me semble que des chasseurs venus des Deux Bassins étaient présents.
Pendant la cérémonie religieuse, j’étais à la station radio en liaison permanente avec un NORATLAS ( Nord 2501). Le Ministre et sa suite sont repartis par la route. M. Fernand Choisel a présenté le reportage en direct sur Europe1, Plusieurs reporters de la presse écrite étaient présents, un article devait également paraître dans la revue Paris Match. Je n’ai pu obtenir ce journal ni savoir s’il y a eu parution. Cependant j'ai retrouvé sur le net une VIDEO de l'événement qui corrobore mes souvenirs. Je n’avais jamais reçu autant de colis pour Noël, comme je devais être démobilisé une quinzaine de jours plus tard , j’ai quasiment tout donné leurs contenu aux copains qui restaient. (voir aussi les photos dans la photothèque )
Mon retour en métropole a été un déchirement, l’insouciance des amis retrouvés, bien qu’ayant mon âge, sursitaires pour la plupart, des critiques bien pensantes qualifiant notre action d’actes barbares, envolées syndicalistes ou politiques. Bref ! Je me sentais plus vieux qu’eux d’un siècle, je ne trouvais plus ma place. Peut-être ma famille m’a retenu, j’étais bien décidé à retourner au djebel, retrouver ceux qui crapahutaient, partager leur peur, leurs soucis. Je tremblais pour eux, la camaraderie n’était pas un vain mot, depuis, je n’ai jamais retrouvé cet état d’esprit.
Les faits datent de plus de cinquante ans, beaucoup d’éléments ont disparu de ma mémoire. N’ayant pu remettre la main sur mes carnets de route, je suis dans l’incapacité totale de dater les événements de mon séjour algérien.
De même je ne suis pas capable de situer géographiquement le site de Montmartre.
Quelques personnages qui ont compté pendant mon séjour :
Naturellement le Capitaine Guichard très près de ses hommes, avec lui je serais allé n’importe où. Intelligent volontaire, il était voué à un grand avenir.
Le sergent chef Barrault (je ne suis pas sûr de l’orthographe, comme le capitaine il était originaire de Bordeaux) Kotecky je pense qu’il était breton, deux anciens d’Indochine, et moi avions formé un trio inséparable.
Le groupe des opérateurs radio : Belleville, Kesclik,, Ormancais, Facchine, Aubert, Lestrade.
Quelques amis de Bourges ou du département du Cher (Classes 55-2C et 56-1A), Crotté, Lasne, Basselier, Audat, Djelloul, Thyrot, Bailly.
Un copain de la 56-2, je ne puis être affirmatif sur le nom : Guyon originaire de Vailly sur Sauldre dans le Cher également a été tué le même jour que Jaïc Doumergue, il était à la 3ème Compagnie. Nous étions à quelques kilomètres du théâtre des opérations. Depuis le lieu où nous étions postés en embuscade, étions témoins d’un accrochage violent avec un ballet incessant d’avions et d’hélicoptères.
~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~
Ferme Molinès, la CCAS du II/117e RI
Les traques de nuit :
Personnellement je logeais dans la maison [ferme Molinès] avec mon copain J.P. Chédru (sergent appelé). On avait 2 lits superposés. Sous le marabout à droite sur la photo, dormaient mes camarades de la section d'intervention half-track dans des lits picot[ lit de camp en toile et armatures]. L'half-track était garé sur la gauche avec sa mitrailleuse 12,7... Au fond du couloir de la maison , face à notre chambre, il y avait une piéce spéciale ...Sur la façade il y a des impacts de balles , par suite de mitraillages rebelles. La citerne à gauche servait pour boire et pour la toilette. Il y avait 2 postes de garde le jour et la nuit, nous étions à l'écart de FONDOUK.C'est à partir de cette ferme qu'on organisait nos sonnettes au douar Bédédrine toute une nuit à 4 soldats , largués très loin de la ferme. Comme armement : Pistolet Mitrailleur MAT49 et grenades quadrillées. Arrivés dans le douar à la tombée de la nuit dans une mechta inoccupée. Celui qui veillait était debout sur une table, la tête à l'extérieur à l'emplacement d'une tuile enlevée pendant que les trois autres se reposaient sur la terre battue. On venait nous récupérer à l'aube. C'était une mission particulièrement stressante, livrés à nous-mêmes sans aide extérieure. Nous assurions la surveillance d'une dizaine de suspects. C'était plus valorisant que l'embuscade de nuit ...Ces renseignements, en autres, étaient attendus du commandement afin de planifier les opérations à venir.J.Benoit
~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~
Témoignage du sergent Pierre S.....du II/117e RI - 1 ère Compagnie
" Incorporé le 15 décembre 1955, j'ai passé toute l'année 1956 en Allemagne à Coblence où j'ai fait mes classes et suivi les pelotons de caporal puis de sergent. Ensuite je suis devenu instructeur.
Début 1957, je suis affecté en Algérie. Embarqué à Marseille sur le "Ville d'Alger" débarqué à Alger, d'où je rejoins la 1 ère compagnie au poste de Poitiers. J'y resterais 5 mois.
Dans la nuit du 24 au 25 avril, deux sections effectuaient une sortie de nuit, la mienne est celle du sergent Fa....Nous sommes tombés sur des fellaghas. Wo..., un voltigeur et moi-même étions en tête...devant nous des bruits dans les broussailles...tous les trois, nous sommes mis à plat ventre et avons ouvert le feu. Derrière nous, un autre voltigeur fait feu avec son PM et touche le voltigeur à ma gauche (3 perforations intestinales), deux balles m'encadrent. Cependant Wo...sur ma droite lance maladroitement une grenade qui me tombe sur le dos, je la ramasse et je m'aperçois qu'elle n'est pas dégoupillée, je la mets dans ma poche. Au beau milieu de nous : un fell, que l'on fait prisonnier, et qui réussit à s'échapper.
La croix derrière le sergent Sal...désigne le lieu de l'embuscade. Vue côté est depuis le poste.
Le poste de Poitiers était chargé de la construire une piste dans la montagne, on utilisait les villageois du coin pour sa réalisation en assurant leur protection. L'un d'eux, nommé responsable, est venu voir un soir notre capitaine en lui exprimant ses craintes d'être assassiné par les fells qui l'avaient menacé. Le capitaine me désigne pour tendre une embuscade afin de le protéger. Mais au cours de la nuit, un autre ordre vient l'annuler, la compagnie devant être prête pour une opération au petit matin en mobilisant un maximum de personnels. Dans la nuit des coups de feu sont tirés sur le poste. Au petit jour nous avons découvert le plaignant de la veille, égorgé.
Au cours d'une opération, deux prisonniers parlent de l'affaire du village et dénoncent les guetteurs et le collecteur de fonds que nous avons conduits à Alger. Malheureusement, Alger les relâche sans nous avertir, les fells les ont aussi égorgés.
Nos missions à Poitiers se bornent en embuscades, patrouilles et ouvertures de route. Au début mai, je suis muté à Bouvine.
Rencontre insolite
Ouverture de route sur la voie conduisant à Bouvine
Dans la plaine, on aperçoit Fondouk depuis le poste.
H-M Van…du II/117e RI 1ère Compagnie
Je suis arrivé à Alger le dimanche 07 juillet 1957, direction caserne d'Orléans pour toucher l’habillement. Je me souviens du menu dominical : lapin-frites !!! Le lendemain, muni du paquetage, départ pour Fort de l’Eau au 9ème Zouaves.
Mes classes terminées, j’arrive à Fondouk le 5 novembre. De là, affecté au II/117e RI 1ère Cie, je me retrouve à Ornano. suite : 1958 (ferme Mercadal)
~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~
Médecin - Aspirant Christian Decavel de la CCAS du 3e Bataillon du 117e RI.
- De janvier 1957 à novembre 1957 : CCAS de l’Arba. Montait 2 fois par semaine jusqu’à Sakamody et Tablat
- De novembre 1957 à février 1958 : Rovigo.
Blessé dans un accident de camion à Taoudjert, fut hospitalisé à l'hopital Maillot à Alger puis rapatrié en Métropole.
SAKAMODY, mars 1957 …
Un très étrange épilogue par Christian DECAVEL, médecin au 3 / 117e RI (Article paru dans "La voix du combattant" d'avril 2014).
Photo de 2012 de la vallée de l'oued Djemaa en direction de Tablat. (On ne voit pas l'oued Djemaa qui est au fond du talweg. Ce qui serpente, c'est la piste à mi-pente).
Le 13 mars 1957, vers 4h du matin, le poste de Taoudjert, implanté à 1000 mètres dans l’Atlas blidéen, lance un SOS au 3ème bataillon du 117e RI (régiment d’infanterie), à l’Arba dans la Mitidja au pied de l’Atlas tellien.
Le message nous informe d’un accrochage et demande du secours d’urgence pour trois blessés. Le lieu de l’accrochage est dans la montagne à la cote 856, au sommet de la Koudiat Beni Anane.
Très rapidement réveillés et équipés, une dizaine d’infirmiers et chauffeurs partent à bord d’une ambulance et de deux jeeps équipées chacune d’une mitrailleuse sur affût, prêtes à riposter par le feu à tout instant. La Koudiat Beni Anane, culminant à 850 m d’altitude, n’est desservie que par des pistes piétonnières ou muletières de montagne, impraticables par des véhicules motorisés. Nous empruntons la route carrossable qui relie l’Arba à Tablat et à Bou Saada par le col de Sakamody. Cette route longe l’oued Djemaa en suivant des gorges assez profondes. Depuis des embuscades meurtrières en 1956, cette route est désormais interdite à toute circulation. Seuls les véhicules militaires armés et en convoi peuvent emprunter cet axe. Quittant la plaine de la Mitidja, la route sinue en lacets, montant vers le col de Sakamody. Parvenus à la cote 280, nous laissons les véhicules sur la route avant le col pour prendre le chemin muletier.
Par monts et par vaux, à pied bien sûr, avec les brancards, les musettes de secours, nos armes individuelles et les munitions, nous nous engageons dans le djebel. Après plus de deux heures de marche sur chemin montant, caillouteux, nous arrivons à la cote 856 où sont couchés trois corps, à même le sol. Il y a un tué et deux blessés. Une dizaine de leurs camarades leur ont donné les premiers soins. Ce sont des commandos à pied de la demi-brigade des fusiliers de l’air, surnommés les bérets noirs, car ils sont coiffés d’un béret de couleur noire type Gurkha. En patrouille de reconnaissance dans la nuit du 12 ou 13 mars, ils sont tombés dans une embuscade. Après la fusillade, les rebelles se sont enfuis, après avoir abreuvé d’injures en français, les commandos restés seuls sur le terrain. A notre arrivée, le jour commençait à poindre. L’aspirant tué a reçu une balle en pleine nuque, les deux autres blessés, particulièrement choqués, dont un sous-lieutenant d’active et un soldat appelé, tous deux sont touchés au thorax. Nous complétons l’hémostase, désinfectons la plaie et pansons le gril costal. Puis nous les allongeons sur un brancard et empruntons en retour le chemin muletier pour rejoindre la route. Le retour est pénible avec ces trois brancards portés à bout de bras. Nous arrivons enfin aux véhicules, plaçons les trois victimes dans l’ambulance et prenons la route de la vallée de l’oued Djemaa en direction de l’hôpital militaire de Maillot à Alger, dans le quartier de Bab el Oued. A Alger, la ville se réveille, les services municipaux sont au travail, les commerces ouvrent leurs stores. A l’hôpital, le corps de l’aspirant est déposé à la morgue, les deux blessés sont immédiatement pris en charge par le service des urgences. Le retour par la plaine de la Mitidja se fait sans problème. Un court arrêt dans une bourgade traversée entre Alger et l’Arba, où seule une tasse de café prise sur le pouce apaise notre sensation de faim matinale …Après des heures de tension physique et morale, le fait d’avoir accompli une mission de service nous console de nos fatigues et de nos peines.
Le médecin-Aspirant Decavel donnant des soins à la population
( photo : La voix du combattant)
Très étrange épilogue : trois ou quatre ans plus tard, alors installé dans un cabinet médical dans le nord de la France, en examinant un patient, je lui découvre une énorme cicatrice sur le thorax et l’interroge. « Ce sont les fellaghas à Sakamody ! », lâche-t-il. Inutile de dire que ce mot, de sinistre mémoire en Algérie mais totalement inconnu en France, réveille en moi des souvenirs à jamais gravés dans ma mémoire. En demandant des précisions au malade, je réalise qu’il s’agit du commando béret noir touché, le 13 mars 1957, en compagnie d’un aspirant tué et d’un lieutenant blessé …
Michel DUTTO
Le caporal-chef Michel Dutto est arrivé en Algérie en avril 1956 affecté au 57e Bataillon du génie qui faisait partie de la 7e Division Mécanique Rapide : " L'État-major de la division siégeait à Fort de L'Eau, ainsi que celui du génie. Avec le Génie nous avons fait ou agrandi des pistes dans les montagnes de l'Algérois (col de la Fera et de la Dira, piste du col des 2 Bassins en direction de Maréchal Foch et en direction de Taourtasine.
À Damiette, près de Blida, nous avons construit une piste d'aviation en 20 jours. Ma compagnie a rejoint les territoires du Sud pour réaliser une piste à Aïn Sefra. Puis retour sur Alger pour préparer l'expédition en Égypte du Canal de Suez où je suis resté 45 jours. À notre retour avec mon groupe d'aconiers, nous sommes partis pour la Tunisie, une autre affaire ...
Nommé Caporal-chef le 27 avril 1957, je quitte le campement du col des 2 Bassins pour la Base arrière de la Compagnie du Génie, à l'usine Altérac à Maison Carré pour prendre les fonctions de Vaguemestre. Tous les 2 jours, en passant par l'Arba, Sakamody protégé par les EBR du 3e RCA, je porte le courrier, les mandats et les colis à la Compagnie du génie au col des 2 Bassins puis à Taourtasine.
1 - Col des 2 Bassins en avril 1957, réalisation de la piste de Mal Foch à Touartasine. 2 - Usine Altérac. 3 - EBR du 3e RCA.
Le rocher qui fait boom, Avril 1957
Au col des Deux Bassins, notre 2e compagnie renforcée de la 21e compagnie, avions pour mission de créer une piste assez large reliant le village de Maréchal Foch afin que deux colonnes de véhicules puissent se croiser sans peine. Au petit matin, lors de la reprise des travaux, nous inspectâmes la piste faite la veille pour chercher des indices de passages des fells. Pour cela une colonne de véhicules occupait la voie de droite et l'autre celle de gauche. Cela a demandé du temps. Arrivés au point d'abandon des travaux du jour précédent, sur un tertre, un rocher imposant de 3 à 4 mètres de large dominait la piste. Le lieutenant, Pelette et moi allâmes l'inspecter et nous avons découvert qu'il avait été miné à sa base par des coups de pioche afin de le déstabiliser et le faire débouler sur la piste puis la pente allant vers Tablat. Nous avons en concertation décidé de le supprimer afin que les fells ne s'en servent pas à l'occasion d'une embuscade. Pour ce faire, le lieutenant donna des ordres pour protéger l'environnement en répartissant les groupes armés dans la montagne afin de les éloigner du lieu de l'explosion. Pendant ce temps, j'assujettis sur le rocher l'échelle transportée par le half-track et ensuite avec le lieutenant nous y plaçâmes les charges de TNT dans une faille située au sommet pour sa dislocation. J'ai fait remarquer à l'officier que les charges étaient disproportionnées pour l'effet recherché. "Vaut mieux plus que moins" me fut-il rétorqué et il y ajouta la totalité des charges restée dans le half-track. En fin de garniture, je récupérai l'échelle pour le remettre sur le half-track et je quittai les lieux pour gagner en distance une sécurité suffisante. En passant, je dis à Matusac, le chauffeur de la jeep du lieutenant, de s'éloigner, ce qu'il fit mais que d'une cinquantaine de mètres seulement. Comme convenu je donne au lieutenant le signal de l'allumage des charges par un long coup de klaxon. 10 mn plus tard, c'est l'explosion... énorme... Une volée de pierres projetées arrosent les alentours, puis une masse plus imposante vient casser le pare brise de la jeep et s'écraser sur le capot et casser le moteur, le conducteur ahuri s'en sort indemne. L'officier qui nous a rejoints me dit : " On s'en sort bien Dutto !". Il aurait dû me dire : " T'as raison Dutto, la charge était trop importante !"
Col des Deux bassins en 2012, la piste n'a pas changée, elle s'insinue discrètement jusqu'au col.
Pâques 21 avril 1957, Col des Deux bassins
Il pleut depuis hier soir, les uns écrivent, d'autres jouent aux cartes en attendant la soupe, la tempête fait rage, le brouillard est plus dense, cela permet l'enlèvement d'une sentinelle musulmane entre 12 heures et 14 heures au poste de garde de la route. La gendarmerie vient avec les chiens et procède à des fouilles, une piste les mène dans un talweg à 200 mètres du camp où l'on retrouve le casque, la capote et les brelages… Bien entendu les gardes sont doublées. Pour ma part avec un deuxième homme du Génie, on nous envoie au poste de la route, côté de l'Arba, poste occupé déjà par 4 musulmans. À l'intérieur, il y a 10 cm d'eau, nous sommes sur des madriers, les meurtrières au ras de la route sont sans visibilité. Le plus inquiétant ce sont les palabres entre eux dans leur langue qui donne la peur au ventre et cela jusqu'à la relève. Ce fut dur à passer… Le lundi plusieurs patrouilles partent à la recherche du disparu et rentrent bredouille. Pour notre part, nous n'allons pas sur la piste. Sous la persistance de la pluie, nous effectuons, à un kilomètre du poste, une corvée de bois que l'on coupera à la scie "still" en petits morceaux pour les charger dans le camion. Drôle de jour de Pâques.
Garde à l'usine en mai-juin 1957
L'usine Altérac à Maison carrée avait une structure sociale bien envieuse, elle comprenait des médecins, un dispensaire, une école pour les plus petits, et à proximité, une grande cité pour loger les employés. Il y avait aussi un bar avec billard, un économat à tarif réduit et des jardins familiaux.
Pour sa sécurisation en ces temps troublés, la 1ère compagnie du 57e bataillon du génie y séjournait. Les personnels étaient en majorité affectés à la réalisation de pistes au col des Deux Bassins et au-delà. Ceux qui restaient à l'usine assuraient les servitudes. Dès que je fus nommé caporal-chef, j'assumais fréquemment les gardes en doublure avec une Unité Territoriale qui avait recruté des réservistes parmi les employés de l'usine. Ces unités veillaient, sous forme de patrouille, le périmètre de l'usine augmenté de la cité et des jardins. Alors que les militaires du génie étaient plus particulièrement attachés à la garde. Un poste de garde unique à l'entrée servait aux deux éléments.
En rentrant de patrouille, l'un des territoriaux par négligence des règles de sécurité tira une rafale d'arme automatique qui heureusement n'a atteint personne. Après discussion, je décidai de ne pas faire de rapport, pour cela il me fallait occulter les trois impacts visibles sur le placard. Je leur ordonnai d'aller chercher des outils appropriés à la réparation ainsi que du bois, de la peinture et du vernis. Ce qui posa problème ce furent les éraflures sur l'un des murs. Nous avions un enduit nécessaire au rebouchage mais sa couleur dissonait. Alors après réflexion, on déplaça un porte-manteaux largement garni de vêtements et on y apposa une affiche pour masquer le plus visible. Au petit matin, la relève de la garde montante n'y a vu que du feu, à la grande satisfaction des territoriaux reconnaissants.
Vigipirate avant l'heure du 7 juin au 4 septembre 1957 à la base arrière de la 2e Cie du 57e bataillon du génie stationnée à la ferme "Rassauta" route de Fort de l'Eau à Cap Matifou.
Le dimanche nous déposions un élément de protection destiné aux restaurants et guinguettes de la plage de Fort de l'Eau, deux sentinelles armées par établissement, à charge pour les gérants de leur offrir le repas de midi. Nous déposions dès le matin les hommes désignés, transportés par un GMC protégé par un scout-car. J'assumais les recommandations d'usage, de ne pas quitter leur arme et encore moins d'aller à la plage, même s'ils étaient sollicités par les restaurateurs à plus de souplesse en leur camouflant l'armement pour cette escapade interdite.
La plage de Fort de l'Eau (photo du net)
Dès la mission terminée, j'allais chercher à Cap Matifou, mon ami d'enfance, Antoine Chiotti, avec deux de ses camarades des Transmissions. Casqués du lourd ou du léger, ils comblaient de leur rassurante présence le scout-car qui en imposait sur les rives de la Méditerranée. On passait ainsi une belle journée sur la plage de Fort de l'Eau. Le soir avant de récupérer mes hommes du matin, je ramenais nos trois invités à leur affectation. Réflexion faite, je n'avais pas conscience de la gravité de mon acte qui aurait pu avoir de lourdes conséquences dans le cas d'effet de surprise par la rébellion, peut-être était-ce dû à mon engin fortement armé.
Ces dimanches étaient fort appréciés et drainaient beaucoup de volontaires. Au retour ils ne cessaient de commenter leur journée comme des jacasses : " T'as vu la fille au maillot rouge, la paire de miches, si elle tombait avec des coussins pareils, jamais elle ne s'abîmerait le nez!". Et moi de me remémorer les échanges de sourires avec cette jolie petite blonde. J'avais enfin osé l'aborder et l'avais invitée à se retirer vers un cabanon qui servait de WC. Des baisers ils y en eut à nous déformer les lèvres. Voulant aller plus loin, elle se déroba adroitement, au point où n'en pouvant plus j'ai mouillé mon pantalon. J'avais envie de la revoir et le lui demandai. Elle griffonna sur un billet une adresse : Anita Fer..., ferme "Bejalou" retour de Chasse. Elle s'est bien foutue de moi avec ce retour de chasse et les copains de gueuler : "Mais non ! Il y a bien un bled qui s'appelle "Retour de Chasse" entre Fort de l'Eau et Maison-Blanche." Et de suite je me suis mis à lui écrire.
Je quitte la Compagnie du génie le 5 septembre 1957 pour remplacer le vaguemestre du Bataillon à l'État major de Fort de L'eau, durant la permission de celui-ci, jusqu'au 23 septembre. Ma fonction m'obligeait à porter aussi les plis à la Division dans une sacoche de cuir, et afin d'assurer la sécurité, cette dernière était munie d'une chaîne que l'on fixait au poignet droit. Mon cheminement au quartier inévitablement me faisait croiser des officiers que je devais saluer. C'est avec la main gauche que je respectais le règlement, étant gaucher, cela ne me posait pas de problème, aucun d'eux m'en fit la remarque. Au retour du titulaire, le Colonel Bruno, commandant le Bataillon du Génie, me convoque et me demande d'aller monter des baraquements dans un poste de l'Atlas Blidéen.
Le lendemain départ pour Rovigo puis acheminement jusqu'à Taoudjert par la liaison du 117e RI, ensuite dans un EBR, j'occupe le poste arrière, pour rejoindre Sidi Amed Ben Salah. Durant le parcours l'EBR tire 2 obus sur un point de la montagne, sans doute pour m'impressionner.
Sidi Ahmed ben Salah, cote 1050. Poste comprenant : la 12e cie du III/117e RI sous le commandement du chef de bataillon FAURE installé avec son État-major dans une villa à Rovigo, un peloton de 2 ou 3 EBR du 3e RCA, 2 batteries du 65e R A avec canons de 105. J'y ai résidé près de 4 mois pour construire les baraques préfabriquées et en durs. Le poste se trouvait en montagne dans l'Altlas blidéen, dominant la plaine de la Mitidja. Pour s’y rendre, depuis Rovigo, prendre la piste qui conduit au poste de Taoudjert occupé par la 11e cie du 3/117e RI, puis poursuivre vers la maison forestière de Tisseli, longer les falaises de Tassarine et arriver au poste de Sidi Ahmed en cours d'installation par les unités décrites ci-dessus qui logeaient sous toiles. Plus loin dans la zone interdite, les postes voisins sont Taourtasine (10e cie du 117e), Hammam Melouane et le col des 2 Bassins.
1- et 2- Au commencement, un camp de toiles. 3 - Rovigo : la villa occupée par le PC du III/117e RI.
Pour le travail des constructions j'étais seul du Génie. Chaque matin le commandement du poste m'attribuait une douzaine de soldats. En premier lieu, nous avons tracé au sol les fondations. Puis, un recrutement de 40 musulmans des environs qui, avec pioches et pelles ont creusé ces fondations. Une fois prêtes, on faisait le béton sans bétonnière. J'avais une règle et j'utilisais des bouteilles de bière à des dimensions précises où il y allait avoir les ancrages des panneaux. Le chef des musulmans m'appelait : l'ingénieur. C'était un chibani (ancien) qui avait fait 14-18 et qui disait : "Que la France beaucoup froid". Pour le montage des baraques, qui demandait plus de précision et d'attention, c'était avec les soldats du poste que je réalisais cela, ainsi que pour les pourtours et les toitures. On construisait également un bassin de 10.000 litres en réserve d'eau et, à environ 1 km du camp, un barrage à une source qui permettait de se ravitailler en eau potable sans aller à la maison forestière de Tisseli il où il y avait eu une embuscade avec plusieurs morts en juin 1957.
1 - Petit à petit les constructions en dur effacent les toiles de tente. 2 - Réalisation d'une alvéole destinée à un mortier de 81m/m. Une autre alvéole a été réalisée pour y adjoindre un canon de 105 m/m.
À la maison forestière, lors de sa démolition, j'ai récupéré des matériaux afin de couvrir la soute à munitions et le local pour les cuisines.
Le commandant de la garnison avait offert des chemises, des pantalons et des chaussures qui étaient vendus à bas prix aux manœuvres musulmans qui étaient revêtus de haillons. Le chibani approuvait l'initiative et il aimait à dire : " Que l'achat de vêtements c'était un peu moins d'argent pour le FNL qui les spoliait."
Chaque semaine une liaison à L'Arba permettait de faire le plein de matériaux nécessaires comme le ciment, le sable, les parpaings, les madriers et autres... J'avais recruté un soldat, menuisier dans le civil, pour aider l'artisan menuisier de l'Arba à confectionner les huisseries. Pendant deux jours je l'avais assisté afin que les règles de l'art fussent appliquées.
Le command car servant pour les liaisons.
Un peloton de mulets venant de Taourtasine pour notre ravitaillement, la piste est coupée par l'effondrement des falaises.
Le poste de Taourtasine
Ravitaillement complémentaire avec l'hélico, décembre 1957.
Atterrissage à Rovigo, accueil par le commandant Faure qui en remerciement des services rendus m'a fait une belle surprise.
Les liaisons :
Lors d'un ravitaillement du poste, je suis à la place du chef de bord dans la jeep conduite par le Commandant Faure, le chauffeur relégué à l'arrière. Au cours du long trajet, j'ose une question à l'intention du chef du 3e bataillon : " Mon Commandant ! Je suis sur votre siège, et si nous tombons dans une embuscade j'ai la place du mort !". La réponse ne se fait pas attendre : " Rassurez-vous, dans ce cas tous les occupants ont leur part du gâteau." Réjouissant ! Puis de poursuivre : " Aujourd'hui c'est le jour du marché de Taoudjert, sur la piste nous allons rencontrer des dizaines de fellahs avec femmes et enfants, nous avons le devoir de répondre à leur salut. Alors ce rôle vous est dévolu, vu que vous êtes à ma place. Vous comprendrez que votre bras ne s'arrêtera que très rarement car il y a des individus tous les 20 mètres. Alors amusez-vous bien et surtout n'oubliez personne. "
Il avait bien raison, j'ai au moins salué 100 à 150 fois sinon plus, certains exécutent un salut très militaire, presque au garde-à-vous. Impressionnant !
Le commandant Faure, pour me remercier du travail que j'avais fait à Sidi, m'a fait descendre à Rovigo par une liaison d'hélico le 31 décembre 1957 qui ravitaillait le poste isolé depuis 12 jours. Surprise je fus invité au repas des officiers du bataillon le 1er Janvier 1958. C'était extraordinaire!
1 et 2 : Tracts largués sur le poste de Sidi le 27 novembre 1957. 3 et 4 : Tracts récupérés dans le Djebel.
La mort de son copain Paul Charlier de la 12e Cie du 117e RI
(Documents Dutto)
Opération du 29 novembre 1957,dite de" Djema el Karmoud "montée par le 3e Bataillon du 117e RI (Cdt Faure) implanté dans ce secteur de montagne. Elle n'a d'autre ambition que de balayer les groupes de fells qui vivent sur le dos de leurs cousins, les villageois du djebel.
Michel Dutto transmet un raccourci du récit du Capitaine Jean-Marie Heissat "Les Mémoires du Grand Loup" avec quelques annotations extraits de son carnet de route.
Dès 3 heures du matin, à l'issue de la marche convergente des Compagnies sises à Sidi Ahmed, au Col des 2 bassins, à Taourtasine, à Taoudjert, renforcées par un détachement du 3e RCA ( peloton de sous-officiers sous le commandement du capitaine Heissat), de la Cie de Sakamody (2e Bataillon du 117e ), avant le lever du jour, tout le détachement se trouve à l'approche et ceinture le bastion de Karmoud (côte 930) où les renseignements connus font savoir la présence d'une petite bande de fells, mais hélas ! En réalité 200 ou plus avec pièces FM. Dès 08H00, Elle ouvre le feu sur la 12e Cie du 117e RI, les rafales s'intensifient et ne cessent plus. "Ce n'est pas normal" dit le capitaine Jean-Marie Heissat et avec son peloton il part au pas de course dans la direction. À un moment, en tête avec deux de ses voltigeurs, il découvre l'incroyable, à 200m en contrebas le terrain fourmille de fells en kaki. Le tir a cessé et les rebelles dansent et manifestent une grande joie. "C'est dingue! Je crois rêver, ils sont là au moins 200 gus, complètement déchaînés, et surtout ils ne nous ont pas vus arriver." Le capitaine poursuit son récit : " Je fais placer les F M et les lance-grenades en batterie, à cet instant arrive le radio qui me tend le micro, le Commandant de l'opération, qui me met au courant des évènements, la 12e Cie est tombée sur du gros et a subi des pertes, elle craint d'être submergée… J'ai les fells à mes pieds, plus d'une centaine, j'ouvre le feu… - Jean Marie je vous l'interdis, c'est ma 12e Cie, prenez contact avec elle… " Impossible de joindre la 12, jamais connu une situation aussi favorable, si je fais ouvrir le feu dans cette foule compacte en délire, bonjour les dégâts. Nos adversaires ont fini par nous voir et gerbent en 2 paquets, qui vont se jeter dans les Compagnies en bouclage, voilà que mon radio me tire plusieurs fois par la manche, agacé je lui demande ce qu'il veut à la fin, sa réponse me laisse abasourdi - Voilà un gars du 117eme et il me montre un fourré, je me retourne et je découvre un grand escogriffe coiffé du casque léger, il pleure à chaude larmes et il ne peut pas parler... D’où viens-tu? Il me montre un fourré à 15 m de nous… Où sont tes copains, la compagnie, un geste d'ignorance. Tout d'un coup sa machine se débloque… il s'appelle Thé..., il appartient à la section de tête de la 12e Cie... Hélas j'apprends que le dispositif a été changé, que les fells passeront pour rejoindre leur zone-refuge préférée, celle de l'oued Boulbane."
Et le capitaine continue son récit : " J'ai le capitaine Henri, adjoint de l'opération qui m'apprends que la 11e Cie va tenter d'occuper le piton 930, et me demande de rafaler pendant la progression, il y a la difficulté d'un dénivelé de 500m pour arriver sur les adversaires en position dominante, et tout se passa comme on pouvait le craindre, à mi-pente nos amis sont tirés comme des lapins, ils perdent 2 hommes et un officier blessé, ils redescendent au point de départ. Dans les minutes qui suivent, nous sommes surpris par le bruit de moteur, quelle surprise ! Un Sikorski juste au dessus de la crête tenu par nos adversaires, il descend dans les pins, les fells ouvrent le feu au FM. Le commandement ne nous a pas prévenus de cette tentative audacieuse pour récupérer nos blessées. J'apprendrai plus tard que l'infirmière de l'Armée de l'Air Jaïc Domergue a été tuée. À la radio Henri me dit -Tu es le seul à tenir une position au contact direct des fells, il faut les bouter dehors, sinon les aviateurs refuseront d'évacuer nos blessés. Difficile de répondre -Tu me demandes beaucoup, avec mes 70 gus et mes 15 harkis, je ne ferai pas le poids. Dans la foulée je demande un bombardement au napalm et l'héliportage de canons sans recul pour me donner un appui direct, réponse négative... J'accepte à condition d'un autre passage de T 6 et je prendrai l'assaut immédiatement après. Les quatre T6 arrivent enfin, ils passeront jusqu'à la dernière cartouche. J'y vais, je hurle en avant ! Tous les groupes démarrent en trombe, et atteignent la crête. À mon heureuse surprise les fells ont décroché dès le déclenchement de l'attaque. J'annonce à Henri objectif atteint, il semble soulagé, moi aussi. A ce moment une voix… - Mon capitaine ! Je me retourne et vois, un grand type étendu sur le sol, un fell, ce malheureux a reçu une roquette en plein visage, et pourtant il survit et parle. Comme il le souhaite je lui donne sa dernière cigarette, il ne la finit pas… N'est-ce pas cette complicité qui s'établit spontanément entre soldats, À la fin d'un combat?"
" Trois lampes de poche disposées sur les rochers balisent l'emplacement pour l'hélico qui viendra à 9 heures du soir prendre nos blessés. Comme toujours la nuit sera froide et les estomacs vides. Le lendemain je reçois l’ordre de suivre des traces des fells. Sur le parcours nous retrouvons 3 moudjahidines blessés qui ont été achevés par leur camarades."
Michel Dutto a noté sur son carnet le bilan de cette affaire qui s'est établi de 40 à 50 tués chez les fells contre 7 tués et 19 blessés à la 12e Cie, (dont son copain Paul Charrier dit le Vendéen, le Chouan), à la 11e Compagnie on déplore deux soldats hors de combat et un officier blessé. L'armée de l'Air a perdu Jaïc Domergue, l’infirmière tuée en plein vol lors de l'approche de l'hélicoptère pour évacuer les blessés.
Le Capitaine Heissat dira que "C'est cher payé!"
Et à Dutto de préciser l'acte héroïque de l'adjudant André qui, blessé dès le début de l'accrochage, demanda à ses hommes de l'abandonner derrière un rocher et de lui remettre quelques grenades pour protéger leur progression… il réussit même à en adresser quelques unes sur les assaillants lorsqu'ils remontaient à la charge. Malgré sa blessure il était encore là pour être évacué en soirée. Il reçut la Légion d'Honneur sur son lit d'hôpital.
Le final qui ne manque pas de piquant revient aussi chasseur musulman Dekerche, du 1er peloton du 3e RCA, qui au début des combats, s'est égaré sur le parcours. Seul, il se cacha dans un buisson toute la journée et ramassa 5 à 6 armes des fells abattus. Il attendit la nuit pour rejoindre le poste de Sidi Ahmed avec son précieux butin. Il patienta jusqu'au petit jour pour se faire reconnaître par la sentinelle de l'entrée.
Récit détaillé du capitaine Heissat
concernant le déroulement de l'opération et la mort de la convoyeuse de l'air
Jacqueline Domergue.
Pour en savoir plus sur Michel Dutto voir la campagne de Suez et de Tunisie : ICI.