Dix-sept
VASEUX
COMMUNICANTS
"La dictature c’est fermer ta gueule et la démocratie c’est cause toujours" Woody Allen
assan II reconnaissait que «les épreuves subies par le Maroc à travers des siècles et les mauvais caps qu'il a franchis ont eu pour unique raison : la conspiration du silence. Le défunt souverain oublia d’évoquer l’incitation plus ou moins forcée au silence de la censure et de l’autocensure. Pour les déjouer, rien ne vaut une communication fluide et perméable. Après la société de consommation de l’homo économicus, voici l’homo communicus!
Une aubaine pour ces fameux conseillers en communication qui se bâtissent des fortunes dans les antichambres présidentielles. L’un d’eux déclara vertement sur les ondes de France Inter : « J'ai jadis vendu des assiettes et des tissus. Aujourd'hui, je vends des chefs d'Etat africains ». Peu importe la marchandise, seul compte l’emballage !
H
a réclame commerciale permet à des produits de se travestir pour se faire aimer. Les habille de rêves, pour faire la fête sur les panneaux de nos voies, nous faire du charme de page en page, glisser des refrains sur le chemin de nos soucis, convier nos écrans à la farandole des images heureuses. Elle peut aussi faire du mal en poussant la persuasion jusqu'au matraquage. Le rôle de la publicité commerciale est de convaincre qu'il est plus intéressant d'acheter son lait que d'avoir une vache.
Certaines pratiques, sacrifiant l'éthique à la promotion des étiquettes, rappellent une certaine communication politique. Les campagnes électorales en savent quelque chose. Chaque fois qu'elles étalent des semblants de programmes, cantonnés dans la facilité des promesses.
Pour certains candidats narcotrafiquants, l’argument financé par leur came vaut toutes les com’ ! Au moins pour « Le tiers des membres du parlement sont des trafiquants de drogue », selon le député USFP Abdelhadi Khaïrate lors d’un débat télévisé.
L
Ce n’est qu’à quelques semaines des départs aux urnes que les partis font semblant de croire aux bienfaits de la communication. Qui d’un programme plus-disant en création d’emploi, en généreuse croissance économique et sociale… Voire en distribution des revenus d’assistanat ! Qui d’un rapprochement du patronat pour solliciter son avis et « recruter » ses cadres. Pour suivre le rythme, la HACA organise les temps d’antenne pour contenir la bousculade devant les images et sur les ondes. Pour quels messages ?
Dans le flot des rencontres qui se suivent et se ressemblent, Il n’est question d’aucune mesure chiffrée sur la fiscalité locale, les plans communaux de développement, les problèmes fonciers, le patrimoine, le domaine public, la formation des cadres locaux, l’information continue des élus… Ni aucune réforme ficelée et budgétée pour un enseignement mieux formateur et plus employeur, une santé plus saine, une justice plus juste, une administration mieux administrée…Rien non plus sur les grandes et urgentes problématiques liées à l’endettement, aux caisses de retraites, à la compensation…
Dans les pays scandinaves, pour autoriser un nouveau parti, on lui demande de prouver l'originalité de son programme. A lire les tracts qui se suivent et se ressemblent lors des campagnes électorales marocaines, un tel critère ferait des coupes claires dans notre forêt partisane.
Faute de questionnements percutants et d’arguments profonds sur des propositions chiffrées et datées, face à beaucoup de vaseux communicants, l’auditeur et le téléspectateur se voient « fourguer » les meilleurs pronostics de reconduction de la majorité ou « gober » les pires diagnostics des opposants-candidats à son remplacement. Rien sur le coût budgétaire des ordonnances prescrites, ni sur la faisabilité des réformes, parfois impopulaires, mais combien nécessaires aux soins requis.
Pendant la campagne électorale, l’inflation galopante des partis oblige les deux petits écrans à s’ouvrir à un maximum d’intervenants. Conduisant à la présentation en pointillé des tranches de semblants de programmes envoyés dans une cacophonie générale. Or, quand on veut faire contribuer une télévision publique aux missions constitutionnelles d’encadrement, d’organisation et de formation politique citoyenne, il faut l’ouvrir au maximum d’opinions, avant, pendant et après les rendez-vous électoraux.
Faut-il rappeler à la Oula et à 2M que les électeurs, pourtant très peu éclairés, leur paient des redevances chaque fois qu’ils appuient sur un interrupteur ?Selon un sondage, réalisé par la Chaire pour la paix et le développement de l’université du Maryland aux Etats-Unis, 59 % des Marocains s’informent à Al Jazzera, 12% à travers la MBC et un téléspectateur su cinq zappe vers les news occidentaux. Ce qui laisse à peine 9% aux deux chaînes nationales.
■Hors campagnes, c’est surtout la télé du Ramadan, arme d’abrutissement massif, qui concocte le plus mauvais mélange entre sous, rires et autocensure ! Elle envoie entre deux longs passages de spots publicitaires, quelques brefs morceaux de programmes. Entre les télécom, les savons et les concentrés de tomate, se dégage alors un mauvais rapport entre un humour au rabais abrutissant et le rendement enrichissant d’un espace publicitaire vendeur du meilleur créneau horaire.
Ne résistant pas à la tentation d’autocensure, tout l’art de la corruption présenté sur le petit écran s’arrêtera alors au petit billet remis au pauvre chaouch. Il y a là une volonté politique qui, délibérément, systématiquement, entretient la désinformation, sympathise avec des pêchés mignons superficiels pour détourner toute tentation de prise de conscience politique, économique, sociale ou culturelle. La diversion historique est telle que les scénarios vont chercher le caïd sans cœur ni loi dans le Maroc colonial.
Un état des lieux d’autant mieux entretenu par des auteurs et des interprètes que le besoin transforme en éternels assistés. Quand, soucieux de leur précarité ou de leur santé, ils passent des mois à quémander un agrément de taxi ou une prise en charge médicale. Outre les sportifs, plusieurs comédiens, chanteurs, danseuses et chikhates allongent la liste des bénéficiaires d’agréments de transport.
Parmi les moins choyés, pour joindre les deux bouts, beaucoup de comédiens recourent à la figuration dans la production étrangère ou acceptent des miettes pour des films marocains. Parce qu’alors que la production étrangère paie les services techniques, artistiques et logistiques du pays à hauteur de 500 millions de DH par an, la réalisation du film marocain atteint un maximum de 3 millions de DH. Toute la subvention publique à la production théâtrale annuelle ne dépasse pas 3,5 millions de DH.
es pays en quête de développement, malgré les différences qui les séparent, ont au moins ceci en commun qu'ils connaissent des taux d'intérêt psychologiques très bas. Les avantages futurs perdent alors une grande partie de leur poids par rapport aux avantages immédiats. Dans la mémoire populaire prédominent des inconscients attentistes tels « li b’gua yarbah l’am touil » (longue est l’année si l’on veut gagner) ! Un discours peut alors tout annoncer et faire confiance au temps pour qu'il efface de la mémoire des auditeurs, des lecteurs et des téléspectateurs jusqu'au souvenir des promesses.
■Au gouvernement, avait constaté Victor Hugo, ces ministres disent ce qu'on veut pour que l'on fasse ce qu'ils veulent. Chez nous, un véritable manuel de langue de bois leur permet de couper chaque phrase en plusieurs parties combinables. Tout segment figurant à la rubrique du volontarisme peut être suivi de n'importe quel groupe de mots de la rubrique du lourd héritage. Au gré des défis de la mondialisation, de la mise à niveau, du respect des équilibres financiers. Avant de tout espérer de la hadatha (modernité), de tout ramener à la justice sociale et tout attendre de la transition démocratique et du Maroc nouveau !
Dans « la bataille de l’opinion », certains lobbys politiques n’hésitent pas à utiliser la désinformation pour semer la confusion. C’est, pour Guillaume Weill Raynal, la mise en œuvre sur un plan collectif, des éternelles ressources de la mauvaise foi humaine. Un phénomène qui repose sur un mécanisme « dual » : un émetteur qui réussit d’autant mieux à tromper que le récepteur ne demande qu’à être trompé. Le principe fondamental de toute désinformation était contenu dans le précepte de Lénine : « dites-leur ce qu’ils veulent entendre ! ».
Face à eux, les exclus du développement s’inventent une prose populaire aussi parlante que « hitisme», « hogra » ou « hrigue »…Pendant qu’un semblant de clarté du discours officiel peut se transformer en esquive, les gouvernants se plaisent à faire passer leurs rêves pour une réalité. Alors que des opposants s'efforcent, parfois en s'appuyant sur les mêmes chiffres, de nous faire prendre notre réalité pour un cauchemar.
En témoignent les prévisions, plus déroutantes qu’éclairantes, émanant du HCP et du ministère des Finances à propos d’un taux de croissance du PIB chaque année différente selon ces deux sources ! Autant d’opacité fait le bonheur des délits d’initiés. Dans une confidentialité très sélective, la Bourse de Casablanca fut le théâtre d’une fuite d’informations « privilégiées ». Tous les ans, les enquêtes menées par le Conseil déontologique des valeurs mobilières comptabilisent entre un et huit délits d’initié.
Quand ils nous parlent de créations d’emplois, ils évitent de soustraire les fermetures d’entreprises qui alimentent les rangs des nouveaux chômeurs. Alors que les certificats négatifs se confondent avec de nouvelles créations de sociétés et donc d’emplois, les jeunes entreprises souffrent d’un taux de mortalité croissant. Seule une unité sur quatre créée en 1988 était toujours en activité en 2003 ! Seul un certificat négatif sur deux aboutit à la création d’entreprise et un tiers des sociétés immatriculées au fisc sont mises en veilleuse.
Les pouvoirs publics n’ont jamais bien communiqué à propos du panier de la ménagère. Leur plus grosse bourde de communication remonte au début des années 80. Suite à l'injonction faite au Maroc par la Banque Mondiale de fermer la caisse de compensation aux produits alimentaires de grande consommation, plusieurs hausses brutales de prix seront publiées, de manière quasi confidentielle. Au lendemain d’un certain 28 mai 1981, la pilule ne passa pas. Parce qu’on ne donna aucune importance à la préparation de l'opinion publique, le pays supporta les conséquences que l'on connaît.
Autre couac de la communication, après les schistes bitumineux de Hassan II, Mohamed VI annonça aux marocains la découverte de pétrole en quantités très appréciables dans la région de Talsint. Quelques mois plus tard, la belle promesse fera place à une grande désillusion. Sans qu’aucun responsable gouvernemental ne fasse le moindre effort de communication pour expliquer comment il est possible d’induire en erreur lu plus haute autorité du pays !
■Pour faire en sorte que l’opinion publique ne soit pas sans opinion, Il ne s’agit en rien de faire de l’homme moyen un champion des hautes finances et de tous les arcanes politiciens. Il suffit d’éviter qu’une insuffisante diffusion des faits ne facilite l’action des deux ennemis d’une gestion saine : les dogmatiques et les intéressés !
On en est loin. Le Maroc ne possède aucun texte légal sur l’accès aux documents administratifs, à l’instar de la loi de Juillet 19 87 sur le même objet en France ou le Freedom of information act de I974 aux Etats-Unis qui obligent les services administratifs à communiquer à toute demande tout document ou information en leur possession sous réserve de certaines exceptions classiques relatives par exemple à la sécurité nationale.
A moins qu’un texte de loi vienne concrétiser les meilleures intentions d’une nouvelle constitution garantissant que « les citoyens et les citoyennes ont le droit d’accéder à l’information détenue par l’administration publique ».
Dans l’attente, une enquête Open-budget 2008 réalisée par Partenariat budgétaire international (IBP) place le Maroc dans l’avant-dernier groupe de pays qui fournissent une information minimale à leurs citoyens. Notamment pour comprendre, participer et surveiller l’utilisation des fonds publics.
Ainsi la restriction de l’accès à l’information entrave la capacité du public, des journalistes, des commentateurs, des universitaires et des organisations de la société civile la redevabilité des décideurs. Notamment pour que les gouvernements cessent de dissimuler les dépenses impopulaires, inutiles ou liées à la corruption.
La loi organique des finances s’en tient à la régularité des procédures budgétaires, plutôt qu’à leur opportunité et leur efficience. Sa réforme, visant l’organisation du budget selon les politiques publiques et la justification des dépenses, permettra de clarifier la lecture budgétaire aux citoyens observateurs comme aux parlementaires. En intégrant notamment la transparence des dépenses relatives aux 79 fonds spéciaux de Trésor et aux Comptes d’affectation (très) Spéciale dont le ministère de l’Intérieur se taille la part de lion ! Quand on sait que la part des collectivités territoriales dans le produit de la TVA est supérieure au budget de certains ministères, le statut d’ « oum al wizarate » ne manque pas de moyens !
La constitution révisée oblige le gouvernement à soumettre annuellement au Parlement une loi de règlement de la loi de finances « portant sur l’exercice précédent », incluant « le bilan de budgets d’investissement dont la durée est arrivée à échéance ». Ce qui nous changera des lenteurs précédentes qui noyaient les comptes de l’Etat dans les profondeurs des années de plus en plus éloignées !
Vivement le passage à l’acte ! Car il n’y a pas si longtemps, le CMF- MENA (centre indépendant de recherche pour la liberté des médias et le droit à l’information au Moyen-Orient et Afrique du Nord) publiait les résultats d’une enquête réalisée auprès de 150 parlementaires de toutes tendances politiques. 70% d’entre eux estiment avoir des difficultés d’accès à l’information et à la documentation nécessaires à leur travail législatif. Le rapport de transparency (0pen Budget Index) explique que « la loi de finance ne fournit que 17% des données nécessaires pour informer correctement les citoyens sur les activités financières du gouvernement ».
n politicien ne peut faire carrière sans mémoire. Car il doit se souvenir de toutes les promesses qu’il lui faut oublier. Encore faut-il que la communication transparente et permanente soit aussi une exigence citoyenne. Or, lorsque l’étude sur la société mondiale de l’Information, publiée par l’Union internationale des télécommunications et la CNUCED, parle de « success story » à propos du développement de l’Internet, le Maroc arrive en tête pour le mot « sexe » sur Google!
Dans La géographie des inégalités, Pierre Georges souligne que les moyennes sont les moules vides de part et d’autre desquels se répandent les réalités de vie, des fractions d’espace auxquelles elles donnent leur tonalité triomphante. Les statistiques, telles que définies par G. Vedel sont comme les maillots de bain : elles révèlent ce qui est suggestif et cachent ce qui est vital. Alors qu’on a comparé les chiffres à des réverbères dans les rues : ils éclairent mais, en même temps, créent des zones d’ombre, de fausses perspectives.
Pour évaluer l'équité d'une répartition des revenus, la moyenne servie à la faveur d'un discours de circonstance semblera d'autant plus réconfortante que seront éloignées les tranches les plus riches des tranches les plus pauvres.
Méfiez-vous donc! Quelques milliardaires mélangés à des milliers de smigards feront une statistique de niveau de vie optimum. Un peu comme si vous rentriez la tête dans le four d'une cuisinière et les pieds dans un réfrigérateur. Pendant que l'opposant vous rappelle votre souffrance, le gouvernant insistera sur la moyenne statistique qui mettra votre corps dans un état de tiédeur remarquable !
La pauvreté matérielle et culturelle peut transformer la désinformation en manipulation massive. Lors des années d’exil de la famille royale à Madagascar, beaucoup ont juré avoir vu le visage du sultan apparaître dans la lune. Cette trouvaille a longtemps entretenu la flamme nationaliste des Marocains. Ce ne fut qu’un effet de rémanence qui consiste, après avoir fixé une image pendant quelques secondes, à retrouver sur une surface blanche l’image stockée par le cerveau.
Puis ce fut cet euphémisme dont abuseront les éditorialistes et historiens officiels pour faire passer la colonisation du royaume pour un Protectorat qu’on devrait presque remercier. Feignant d’oublier que, dès août I907, les Français lourdement armés débarquaient à Casablanca, cinq ans avant la signature du traité de Fès instituant le soit-disant Protectorat. Et que dès le 19 août I908, le Sultan Moulay Abdelaziz, battu à Tamelalt, dans la région de Marrakech, dut abdiquer au profit de son frère-rival Moulay Abdelhafid. Lequel, après avoir signé l’acte de colonisation, abdiquera à son tour le 12 aout 1912 pour être remplacé par son jeune frère le Khalifa à Fès Moulay Youssef.
Dans le plus beau pays du monde, il n’y a pas que les mal formés, les mal élus, les mal transportés, les mal garés, les mal logés, les mal soignés… Il y a aussi les ayant-droits d’initiés et les exclus du droit d’être bien informés!
Tandis que les gens s’informent davantage grâce aux médias et que les dirigeants politiques sont obligés de tenir compte de cette réalité, c’est du forum de l’opinion publique que dépend souvent la solution des problèmes. La société exigera que la qualité de l’information mise à la disposition des électeurs soit meilleure, de sorte que les jugements de l’opinion seront infiniment mieux fondés.
La nouvelle Constitution marocaine garantit « … le droit d’exprimer et de diffuser librement et dans les seules limites expressément prévues par la loi, les informations, les idées et les opinions ». Pour ce faire, « les citoyennes et les citoyens ont le droit d’accéder à l’information détenue par l’administration publique, les institutions élues et les organismes investis d’une mission de service public… ».
Des meilleures intentions aux bonnes applications, le déficit de communication descend jusqu’aux rouages interministériels. On a tellement parlé de rapprochement vertical entre administrations et administrés qu'on est passé à côté du raccourci horizontal entre - et à l'intérieur - des administrations elles-mêmes. Il est regrettable que des informations d'un intérêt national indéniable soient assimilées à des biens privés et que, le recours abusif au confidentiel aidant, des documents soient gênés dans leur circulation entre des départements complémentaires devenus concurrentes.
La communication professionnelle rime aussi avec Conseil d’administration. Aux plus haut placés, on distribue des «jetons de présence » pour les convaincre de venir y écouter des rapports précuits et voter des résolutions prédigérées. Or, de l'avis d'un expert-comptable, dans la pratique, celui qu'il a nommé «O.M.P.» (Oui Monsieur le Président) est l'administrateur idéal. Ses pouvoirs sont tellement limités qu'il lui arrive de fermer les yeux devant les abus des PDG distributeurs de faux bénéfices.
Le véritable pouvoir de décision reste entre les mains du P-DG, beaucoup de conseils d'administration des établissements publics et semi-publics se contentent de signer le communiqué final d'autosatisfaction générale. La crise économique mondiale fait non seulement perdre les élections aux gouvernements sortants, mais elle ébranle également les conseils d’administration qui bousculent de plus en plus de P-DG trop gâtés.
La Cour des Comptes épingle une distribution disproportionnée des crédits et des facilités de caisse à des opérateurs hôteliers et des promoteurs immobiliers, une gestion hasardeuse des hôtels récupérés par la banque par voie judiciaire, l’attribution d’honoraires exorbitants aux cabinets d’avocats du contentieux… Sauf qu’elle oublie de relever que le pouvoir très important et unilatéral que détenait Khalid Alioua dans la prise de décisions stratégiques ne passait pas souvent par le conseil d’administration du CIH. Un Conseil au sein duquel siègent pourtant des actionnaires publics non moins stratégiques comme le Trésor et la CDG !
Au CIH, selon un rapport de l'inspection générale des finances, le conseil d'administration «n'est saisi de certaines décisions, même capitales pour le devenir de la banque, qu'après leur exécution ».Dix années durant, aucun P.V. des réunions des conseils d'administration n'a communiqué sur les difficultés financières du CIH.
Zine Zahidi, ancien PDG du CIH, raconte qu'il aurait décidé, avant d'arrêter les comptes en mars 1995, d'informer le directeur général de la CDG et le directeur général de Bank Al Maghrib de son intention de ne pas distribuer de dividendes et d'affecter la totalité des résultats aux provisions. Au moment de la déclaration fiscale habituelle, avec zéro bénéfice à distribuer, le conseil d'administration a fait volte-face. Il a été convenu de distribuer le dividende minimum et de faire une autre déclaration fiscale pour l'exercice 1994 permettant la distribution d'un bénéfice fictif !
Un bel exemple d’opacité qui n’a rien à envier à certaines pratiques tolérées par l’Etat-entrepreneur lui-même. Dans son livre Majesté, je dois beaucoup à votre père, l’auteur rapporte que, lorsque, fin 2000, le groupe Vivendi se porte candidat au rachat de 35% de Maroc Telecom, personne ne comprend pourquoi la firme française a accepté de surpayer l’acquisition de 10% environ…Les autorités boursières françaises et américaines découvrent alors qu’un avenant secret au pacte d’actionnaires avait été conclu entre l’Etat marocain et Vivendi, qui assurait à celui-ci, actionnaire minoritaire, le contrôle effectif de Maroc Telecom alors que les autorités marocaines détenaient toujours plus de 51% de l’entreprise».
Entre I990 et 2008, seuls cinq conseils d’administration ont été tenus à l’OCE. L’article 4 du décret relatif à l’Agence du bassin hydraulique de Bouregrag stipule que le Conseil d’administration se réunit au moins deux fois par exercice comptable. Cependant entre 2002 et 2007, l’Agence n’a tenu que quatre réunions. Pour orienter et contrôler la gestion de l’Office national des aéroports, le Conseil d’administration se contente de deux sessions par an. Celui des Aéroports de Paris se réunit huit fois.
Aux deux Chambres, les occupants se sont surtout distingués par leur penchant pour la communication... téléphonique aux frais du contribuable. Du Parlement, quand il n'est pas buissonnier, le téléspectateur retient surtout les querelles de procédure houleuses et véhémentes. Pour répondre aux questions, les ministres se contentent de lire scrupuleusement les feuilles préparées dans leurs cabinets. Curieusement, certains députés préparent à l'avance et par écrit la réponse à une réponse qu'ils n'ont pas encore écoutée. « Il nous arrive, reconnait un fonctionnaire du parlement, de rédiger une question orale et chercher ensuite un député qui veuille bien qu’on l’inscrive sous son nom ! ». Pour faire voir et faire valoir un élu dans son patelin, plusieurs questions s'en tiennent aux doléances relatives au creusement des puits, à l'entretien des chemins tertiaires.
La nouvelle constitution reconduit la séance hebdomadaire « réservée dans chaque chambre par priorité aux questions des membres de celle-ci et aux réponses de gouvernement » données dans un délai de vingt jours. Elle ajoute que « les réponses de politique générale sont données par le chef de gouvernement » lors d’une séance mensuelle, après un délai de transmission d’une trentaine de jours. Vivement sa stricte application !
■Outre son ton, une communication dépend aussi du temps auquel elle est conjuguée. Pour rester le plus longtemps au bénéfice du rassid attarikhi, si cher aux rentiers du mouvement national, la communication politicienne se conjugue encore au passé décomposé, pour éluder un présent imparfait et renvoyer à un futur pas si simple. « On ne sait jamais ce que le passé nous réserve » avait pertinemment prévenu Françoise Sagan !
Au moment où Mohamed Fquih Basri communiquait ses mémoires, Mohamed Ben Kaddour, remettait sur la table son histoire de « la valises de dollars » qu'il lui aurait remise au début des années 60. Ensuite, furent les mémoires des détenus de Tazmamate, de Kalaâte Mgouna, des torturés de Derb Moulay Cherif, Dar El Mokri, Jnane Baraka, Dar Rissouli...des Oufkir, fils, fille et épouse, le rappel des péripéties des deux tentatives de coup d'Etat, du procès du « complot contre le régime » en 1963, des événements de Casablanca en mars 1965, des circonstances de l'assassinat du colonel Abbès Messadi, des mémoires de Abderrahim Bouabid...
Plus une nation voudra explorer son avenir, disait Churchill, plus loin elle devra revenir dans son passé. A condition de tourner la page sans l'arracher et de ne pas écrire l'avenir en recopiant les extraits qui arrangent une certaine rente politicienne. L’instrumentalisation de L'histoire livrera juste ce qui filtrera d'un devoir de mémoire honoré en pointillé. A la manière de la bande-annonce d'un film qui s’en tient aux extraits susceptibles de nous donner l'envie de voir, sans rien savoir.
La vie, écrit Sôren Kierkegaard, ne se comprend que par un retour en arrière, mais on ne la vit qu’en avant. Le travail de mémoire peut nous être utile. A condition de le faire à la manière allemande de 1'après-nazisme, ou à la manière sud-africaine de l’après-apartheid. Dans une quête de vérité liée à l'édification d'une démocratie qui permet de multiplier les lieux consensuels de défoulement. Pour scruter de meilleurs horizons en meilleure connaissance de cause.
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