Neuf
CHÔMAGE DES UNS,
FROMAGE DES AUTRES !
Le vrai désespoir du chômeur commence lorsqu'il comprend que son désespoir est un facteur d’équilibre du système qui l'exploite.
Hubert Cukewitz
I
l serait intéressant de se demander combien d'unités de production survivraient aux défis de la concurrence sans leur lot de travailleurs corvéables à merci, licenciables à volonté. D'autant plus malléables qu'un ouvrier sur deux et deux agriculteurs sur trois sont analphabètes.
Face aux inégalités devant le salaire, certains sont préparés à être plus inégaux que d'autres. Une inégalité doublée d'exploitation quand il s'agit d’un travail des enfants donnant tout au plus des béquilles aux déséquilibres structurels. Tant pis pour cette tranche juvénile de notre «classe laborieuse ». Elle n'a ni l’âge d'être syndiquée, ni celui d'être électoralement exploitée !
es comptes nationaux, publiés par le HCP sont un indicateur de partage de la richesse du pays. A travers le degré de rémunération des facteurs de production, la décomposition de la valeur ajoutée montre que, durant la période étudiée, la richesse produite est surtout allée à la rémunération du capital, pour près des 2/3 de la valeur ajoutée. Le facteur travail de rémunération des salariés représente le tiers restant.
En attendant de s’attaquer à la structure fonctionnelle des salaires, rapportée aux compétences et aux promotions méritées, on continue à procéder par retouches successives d’indemnités. Dont 30 sortes, régies par plus de 70 statuts, constituent 70% de certaines fiches de paie ! Alors que moult promotions et parachutages continuent de se faire par les voies du copinage partisano-syndical ou les réseaux de filiations bien nées.
Pourtant, le secteur privé rémunère moins bien que le public. 2500 DH en moyenne mensuelle, contre 6400 DH pour les fonctionnaires. Sur les 2 millions de travailleurs figurant dans les fichiers de la CNSS, 43% ont une rémunération mensuelle inférieure ou égale à 2.000 dirhams bruts.
La pyramide des salaires est tellement aplatie que le salaire mensuel d'un mokaddem ou d’un auxiliaire de Justice sont dans la tranche inférieure ou égale à 2000 DH par mois. De quoi se poser la question de savoir d'où vient le complément de survie de ces hommes omniprésents. L’écrasante majorité des ex-prisonniers du Polisario ne perçoit pas plus des 1700 DH.
Un imam touche 1100 dirhams. Si, en plus, il fait office de muezzin, cette somme est majorée de 400 dirhams. Et dans le cas où il exerce également la fonction de khatib, il perçoit 2000 dirhams. Du coup, pour arrondir ses fins de mois, il multiplie ses présences aux mariages, décès, circoncision… Voire s’adonner à des activités douteuses comme le charlatanisme. Loin d’une mise à niveau souhaitée par « Mithaq Al Oulama » qui vise la consolidation des fonctions dévolues à la mosquée en rehaussant le niveau académique des imams et en usant des supports de communication moderne.
Parmi les 12.600 greffiers du Royaume, bon nombre sont restés pendant 30 ans « coincés » entre la 1ere et la 3 e échelle. La majorité des 150 000 personnes exerçant dans les collectivités locales est cantonnée sous l'échelle 5. Des agents journaliers et temporaires, après plusieurs années de travail, ne sont pas encore titularisés. Parmi les 17000 recrutés «sociaux » au début des années CNJA (Conseil national de la jeunesse et de … l'Avenir !) quelque 2000 restent bloqués au bas de l’échelle!
D’où le succès de la belle promesse populiste de la campagne électoraliste du PJD, garantissant un Smig à 3000 DH ! Une enveloppe tellement lourde à supporter par le budget de l’état des lieux que les ministres d’un PJD gouvernant mettent aussitôt beaucoup d’eau dans le thé du PJD candidat! A croire que la réalité politicienne têtue doit se méfier des moralisateurs trop propres ! Car, dans une eau trop pure, ne nage aucun poisson, dit un proverbe Tibétain.
Selon l’OCDE, font partie de travailleurs pauvres toutes les personnes dont la rémunération est inférieure à la moitié du revenu par tête d’habitant de leur pays. Pour joindre les deux bouts, les milliers d’agents travaillant dans l'assainissement solide s’adonnent à la vente des produits recyclables retirés aux bennes. Les poubelles des riches peuvent améliorer l'ordinaire des pauvres. Ils vous diront qu'ils font semblant de travailler tant que l'Etat fait semblant de les payer !
Le sort des retraités, si dramatique, dut attendre le dialogue social de la mi-2011 pour s’assurer un minimum de survie de 1000 DH. Ils ont travaillé toute leur vie pour retomber dans la survie!
Il existe quatre caisses principales de retraites : la Caisse marocaine de retraite (CMR), le Régime collectif des allocations de retraite (RCAR), la Caisse interprofessionnelle marocaine de retraite (CIMR), et la Caisse nationale de sécurité sociale (CNSS). Si rien n’est fait, la CMR qui gère 863 000 actifs et 600 000 pensionnés, devrait connaître ses premiers déficits à partir de 2014, jusqu’à extinction des réserves en 2021 ! Le RCAR épuiserait ses réserves en 2049. Pour la CNSS, les cotisations annuelles ne pourront plus couvrir les prestations à partir de 2026.
Seul le quart de la population active pourra bénéficier d’une pension de retraite parce qu’affiliée à l’une des caisses, ce qui laisse 75% des travailleurs sous la menace réelle d’une précarité. S’agissant du secteur agricole qui emploie plus d’un million de personnes, moins de 6% sont déclarés à la CNSS. Des dizaines de milliers de femmes, employées dans le secteur du textile, n’ont ni couverture sociale ni assurance maladie.Parmi les jeunes, les emplois occupés sont souvent moins bien rémunérés, rarement contractualisés et très peu couverts par un régime de protection sociale. Un sur dix employés bénéficie d’une couverture médicale.
Ce qui arrange ce patronat qui, à défaut de productivité et de compétitivité, se rattrape en gains qui viennent à manquer aux salariés sous-payés, aux caisses sociales, d'assurance et de retraite court-circuitées, aux inspections du travail et aux contrôles soudoyés.
En haut de l’échelle, les ministres bénéficient d’émoluments dépassant 35 fois la paie d'un ouvrier industriel et 55 fois celle d'un travailleur agricole. Chaque ministre sortant a droit à une prime de départ, à laquelle s’ajoutera un seuil de revenu minimal mensuel de 39 000 DH à vie ! Le chef du gouvernement perçoit un salaire de base de 32000 Dh, auquel s’ajoutent une indemnité de représentation de 18 000 DH, une indemnité de logement de 15 000 Dh et des frais d’aménagement de 5000 DH. Les ministres ont un salaire global de 60 000 DH.
Cerise sur le gâteau, rien n’interdit aux ministres d’avoir des primes dans l’exercice de leurs fonctions. Salaheddine Mezouar, ministre des finances dans le gouvernement El Fassi, percevait 80 000 DH comme prime mensuelle. Comme le commun des cadres fonctionnaires bénéficiaies !
Au temps du Protectorat naissait le « Fonds particuliers », un compte hors budget. En I965, l’Etat instaure la « Masse des services financiers » destinée à récompenser les agents qui recouvrent l’argent dû à l’Etat. Faute d’un encadrement précis, l’arbitraire s’installe et tout le ministère des finances commencera à percevoir des primes, y compris les ministres. On ne change pas un texte qui fait tant gagner !
Par mois et en net, un Wali perçoit 69275 DH, un gouverneur principal 67 375, un gouverneur 62 7I2, un pacha principal 28 855, un pacha 23 I82, un caïd principal 19 655 et un caïd 16 680.
Dans les établissements publics, un directeur général de l’ONCF perçoit un salaire net mensuel de 75 000 dirhams, supérieur à celui de son ministre de tutelle, à la tête d’une entreprise qui lui arrive d’afficher des déficits! Le cas de l’ONE n’est pas moins significatif d’un établissement public aux comptes frileux et aux hauts salaires néanmoins très généreux. Un ancien directeur du Fonds d’Equipement Communal s’était autoaffecté, avec effet rétroactif, un salaire mensuel brut de 110.595,24 DH.
A Royal Air Maroc, le patron contractuel s’octroie la coquette somme de 150 000 dirhams nets par mois alors que les fonds propres de la RAM ne cessent de s’amenuiser, même en ne payant pas certains impôts pendant de longues années. Ce qui ne l’a pas empêché de faire bénéficier les cadres supérieurs partis à la retraite ainsi que leurs épouses et enfants de la gratuité totale et sans limite sur la billetterie de voyage autour du monde! Encore une rente de privilégiature marocaine !
Alors que la fiche de paie de milliers de salariés décortique leur moindre indemnité dûment justifiée, certains salariés d’en-haut se permettent toutes les largesses. Selon un rapport de la Cour des Comptes, les seuls compléments de salaire généreusement distribués à la Marocaine des Jeux, ont atteint plus de 4 millions de DH entre 2003 et 2008. Dont plus de la moitié pour le boss, Fadel Drissi, au seul titre d’« d’indemnités kilométriques forfaitaires et mensuelles ».
L
Quand la corruption s’en mêle, la rente de situation hiérarchique permet à ceux qui touchent de gros salaires de se permettre de ne pas y toucher. Pour les autres, on propose de faire plus de sacrifices pour réduire la part de la masse salariale dans le PIB.
■Au lendemain des augmentations salariales du dialogue social, le Haut Commissariat au Plan s’est ingénié à prouver que si, demain, la conjointure économique devait aller moins bien, se sera la faute des salauds de travailleurs. Car l’augmentation du SMIG et du SMAG réduirait la compétitivité des entreprises, au risque d’aggraver un déficit commercial compliqué par le recul des exportations.
Enfonçant le clou, Mohamed Berrada, ancien ministre des Finances, écrit que « le gouvernement donne aujourd’hui, d’autres paieront demain » ! Il oublie que ceux qui reçoivent si peu aujourd’hui sont depuis longtemps contribuables payeurs des folies de grandeur du train de vie de l’Etat des années 70 qui mena le pays au bord de la crise cardiaque, mal soignée par les difficiles années PAS.
Alors que 12 000 infirmiers manquent à l’appel, le Maroc ne dispose que de 9 infirmiers pour 10 000 habitants contre 15,4 pour la région Méditerranée orientale. Le pays affiche une mortalité néonatale digne du Yémen et de la Somalie ! Selon l’OMS, le Maroc compte 1,86 cadre médical et paramédical pour 1000 habitants, figurant parmi les 57 contrées sous-médicalisées !
Pour mettre en pratique l'éducation obligatoire, il faut des milliers d'enseignants supplémentaires. Faut-il lésiner sur la fonction médicale quand quatre accouchements sur dix ne se font pas en milieu surveillé ? Peut-on rendre la meilleure justice quand, à fin 2012, le ministre de la Justice exprime un besoin de 14588 cadres supplémentaires pour faire tourner correctement son département ?
En fait, le problème du Maroc est moins d'avoir beaucoup de fonctionnaires-d’ailleurs en majorité sous-payés- que d'être resté suffisamment sous-développé pour ne pas se permettre de meilleurs services publics. Le Maroc ne compte que 26 fonctionnaires pour mille habitants, alors qu’en France on en dénombre 90.
Qui gonfle la masse salariale ? la juteuse prime de masse généreusement distribuée aux principaux responsables de la collecte d’impôts ou l’instituteur qui perçoit 20 DH pour une heure de cours d’alphabétisation ? Des salaires parfaitement mérités donnent l'impression de gonfler la part relative de la masse salariale dans un produit national qui n’a pas été suffisamment grossi. Ou n’a pas été équitablement redistribué. Pour réduire la part de la masse salariale dans le PIB, on oublie la solution d’augmentation du … PIB.
Dans un rapport intitulé « Modernisation du système fiscal et de son administration », le FMI recommande un ensemble de mesures qui pourraient faire gagner au Maroc 1,1 point du PIB ! La Banque Mondiale avait estimé que l’absence de transparence, la non reddition des comptes et les défaillances dans les contrôles, pour le cas de la Région MENA, coûteraient environ 1,5 à 2% du PIB. 15 milliards de DH d’exonérations fiscales inscrites dans le budget représentent 3% du PIB.
Sans oublier la manne annuelle de la contrebande, estimée à 15 milliards de dirhams, qui échappe à toute taxation. Ni cet argent blanchi à l’ombre de l’informel et du boursicotage qui contribuent aussi à sous-estimer le volume réel du PIB. Ni oublier les manques à gagner au lâchage des canards boiteux. Comme cet OCE qui appartient à une autre époque d’Etat-entrepreneur ou ce vieux couple SODEA-SOGETA qu’on croyait enterré en 2003 après son démantèlement privatisé et qui continue de pomper dans un budget de l’état à bout de souffle !
Enfin, pour réduire la part de la masse salariale, sans s’en prendre aux salaires bouc-émissaires, ne faut-il pas diminuer le train de vie de l’Etat dont les frais de fonctionnement dépassent largement nos capacités d’endettement et de production de recettes fiscales ?
Face à une administration nationale ou territoriale protégée par de vrais remparts qui fourmillent d’excavations peuplées de personnes bénéficiant de véhicules, de primes, de logement et de personnels largement au-dessus de nos moyens. 900 000 fonctionnaires marocains disposent de 115 000 véhicules, La moitié est utilisée par les collectivités locales et les entreprises publiques. Contre 3000 véhicules de service au Japon, 3 400 en Angleterre et 72 000 aux USA.
our avoir les salaires qu’ils méritent, les travailleurs peuvent normalement compter sur l’appui des syndicats. Plus d’une trentaine de centrales en place devrait leur donner l’embarras du choix. Sauf quant chacun n’est pas moins occupé à améliorer le sort des siens qu’à se préoccuper du gain politicien. Sous prétexte que le mouvement syndical est né dans le sillage du Mouvement anticolonial puis dans de la virulence socialisto-communiste des années 60-70, l’action revendicative s’est longtemps placée dans une optique de rente clanique.
Dès 1976, l’UNFP refuse d'adhérer au processus électoral. Ayant pris part à cette décision en tant que dirigeant du parti, Mahjoub Benseddik se rabattra sur l’autre casquette pour autoriser l'UMT à se confronter pour la première fois à la représentation ouvrière au Parlement. Six candidats de cette centrale ont été élus au suffrage indirect. A partir de là, racontera plus tard Hassan Bazwi, «il nous a été donné d'assister à une représentation tragi-comique dont les acteurs étaient M. Benseddik d'un côté et les élus de l'autre. M. Benseddik ne manquait aucune occasion pour leur rappeler qu'ils étaient des mal élus ». Depuis, le groupe UMT s'est toujours illustré par son silence, parfois doublé d’absence aux débats de la chambre des Conseillers.
Après le décès de Mahjoub Benseddik, dans la même voie déroutante, lors d’un Hiwar d’Al Oula, le nouveau secrétaire général de l’UMT, Miloud Moukharik, fera observer que « l’UMT est un parti-syndicat ». Or, la relation entre le social et le politique ne signifie pas la confusion entre le syndical et le partisan. Chaque fois qu'un pays se démocratise, la séparation entre les partis et leurs syndicats se fait plus voyante. Dans le cas contraire, la confusion des genres permet aux politiciens à court de popularité de se rabattre sur des syndicats usant sans modération du donnant-donnant.
Pendant longtemps, la force réelle des partis dits démocratiques fut leur capacité de «nuisance » politique résultant de l'utilisation de leurs syndicats pour mobiliser la rue et améliorer leur rapport de force avec le pouvoir. Un bras armé syndical nettement ramolli depuis que les sources du pouvoir ont tendu quelques perches à des responsables assoiffés.
Abderrazak Afilal affirmera au mois d’août 2005 que « le premier paragraphe de notre statut dit que le syndicat ne peut faire de la politique ». Sans se gêner d’ajouter aussitôt que « Mohamed Douiri (dirigeant de l’Istiqlal) était responsable des relations entre le parti et l’UGTM. Il se réunissait avec nous pour discuter de nos programmes ».
P
A la veille de la réélection d’Abbes El Fassi à la tête du parti, Saâd El Alami eut beau déclarer que « l’Istiqlal et l’UGTM sont des structures séparées ». Il a aussitôt été démenti par Hamid Chabat qui « pense que toutes les organisations parallèles au parti, dont l’UGTM, à travers sa commission préparatoire, sont en faveur d’un renouvellement de son mandat… ». Allant jusqu’au bout du déraisonnement cumulard, le même Chabate gardera la casquette de l’UGTM au moment de prendre la tête de l’Istiqlal.
Un rapport du département américain révèle que 6% seulement des dix millions de travailleurs au Maroc sont syndiqués, dont une majorité de fonctionnaires. 2009, lors des élections des conseils paritaires, les syndicats ont creusé davantage leur distance avec la classe ouvrière. Outre un taux historique d’abstention, près de 65% des délégués du personnel dans le secteur privé se sont présentés sans appartenance syndicale.
Ce qui remet en cause la représentativité d’une multitude de centrales, voire leur légitimité à dialoguer au nom d’une majorité travailleuse qui les ignore. Malgré une démultiplication qui n’a rien à voir avec la multiplicité des courants, en complète contradiction avec une «unité de la classe ouvrière » régulièrement contredite. Puisqu’entre 1990 et 2000, une centrale syndicale est créée chaque année. Essentiellement née des désamours ardents entre les meilleurs ennemis :
- l'Union des syndicats Démocrates, créée le 30 juin 1996, avec à sa tête Mohamed Moucharik, préfigurait des penchants sécessionnistes des amis de Thami El Khyari qui fonderont le FFD.
- Les Comités Ouvriers Marocains nés le 15 mai 1997 sous la présidence du PPS Abdelmajid Douieb.
- Tayeb Mounchid, député USFP, est le premier secrétaire général de la Fédération Démocratique du Travail sortie des rangs de la CDT et contrôlée par l’USFP.
- L’Union des syndicats autonomes au Maroc, créée le 3O mai 2010, à l’initiative de transfuges de l’UGTM (Istiqlal) et de l’UNTM (PJD).
-La scission du Congrès National Ittihadi débouche sur le Parti Socialiste et un nouveau syndicat, l’ODT.
Pour mieux diviser, très peu visibles sur le terrain, quelques petits syndicats ne manquent pas d'afficher leur emballage partisan: L'Union des syndicats Populaires (fondé par Al Ahd), le Syndicat National Populaire (MNP), l'Union Démocratique des Travailleurs (MDS), le Syndicat National Démocratique (PND)…
Mahjoub Benseddik, avant de décéder en octobre 2010, tenait les rênes de l'UMT depuis sa création en mars 1955. Noubir Amaoui fera mine de démissionner lors du congrès tenu en mars 1997. Ce congrès le retiendra. Comme il retiendra le discours adressé par ... Driss Basri aux congressistes CDTistes ! Au moment de son éviction, Abderrazak Afilal en était à son huitième mandat depuis son arrivée à la tête de l'UGTM en ...1962. 95 % des bureaux nationaux des syndicats de travailleurs sont des retraités !
Pour que démocratie cesse de rimer avec ploutocratie, les jeunes loups sauront-ils percer la cuirasse des caciques de la gérontocratie ? Le peuvent-ils, lorsque, faute d'alternance des équipes et des générations, des congrès ont pour seul objectif de confirmer à l'applaudimètre l'ex-nouveau-prochain secrétaire général. Des congrès aux candidats uniques rassemblent suffisamment de témoins de l'intronisation du zaïm à la tête de «son » syndicat jusqu'à ce que mort s'en suive.
Ceux qui ne croient pas que « le chef a toujours raison », sont carrément poussés à la porte. Dans des centrales qui présentent des listes de candidats à la chambre des conseillers dont la pole position est réservée aux retraités septuagénaires !
■Le syndicalisme marocain ayant perdu les trois- quarts de ses troupes, les cotisations représentent moins d’un quart des ressources propres. Qu’à cela ne tienne ! L’aide financière de l’Etat, partie d’une décision royale dès l’année 1986, est officialisée par le code électoral mis en œuvre en 2003, puis par les dispositions du nouveau code du travail.
15 millions de DH ont été octroyés aux organisations syndicales pour le financement de la campagne du renouvellement du tiers de la chambre des Conseillers. 15 autres millions de DH versés par le budget de l’Etat s’ajoutent au million de dirhams réparti annuellement par le ministère de l’emploi en fonction des résultats des élections professionnelles. Si l’article 424 du code du travail soumet ces subventions « aux objectifs pour lesquels elles ont été allouées », aucun audit ne peut le vérifier.
La rente syndicale est si payante que des responsables syndicaux avaient inscrit leurs enfants dans les universités d’URSS grâce aux bourses des camarades communistes et aux copies non conformes du faux baccalauréat!
Des représentants syndicaux, sous prétexte d'organisation des fêtes du premier mai, tendent la main à des patrons trop heureux de contribuer au financement des porte-voix pour faire entendre les cris d'un jour et «s'acheter » le silence de toute l'année.
La passation des marchés a permis à 16 entreprises de garder pendant plusieurs décennies le privilège d'être les principaux fournisseurs de la CNSS. Avec une mention particulière à «Imprigima» supposée appartenir à l’UMT pour servir «la classe ouvrière». Au plus fort des luttes marquant les années 70, on y imprimait la très virulente Maghreb Information.
Après le décès de Mahjoub Benseddik en septembre 2010, le 10ème congrès désigna une commission du patrimoine. Elle n’osera jamais revendiquer la réappropriation d’Imprigema. Car, entre-temps, cette imprimerie, installée au cœur d’un quartier au foncier devenu hors de prix a déjà été cédée à des promoteurs.
Après l’éclatement du scandale CNSS, suite au rapport de la commission d’enquête parlementaire, l’UMT publia son « Livre noir ». Elle y donne l’impression de régler des comptes auxquels cette centrale a toujours participé en tant que représentant syndical majoritaire au conseil d’administration !
La parlementaire Khadija Ghamri reconnaitra que le syndicat UMT qu’elle représente « compte plusieurs dirigeants, partis des bas de l’échelle salariale pour mériter aujourd’hui, devenus très riches, de faire plutôt partie de la centrale patronale CGEM ».
Houcine Kafouni, ancien secrétaire général du syndicat des phosphatiers, raconte comment, au plus fort du « règne de Karim Lamrani, des supposés représentants des travailleurs jouissaient de voitures de fonction, de beaux voyages à l’étranger et de grosses miettes à travers le budget des œuvres sociales ».
Plus tard, suite au scandale de la Mutuelle générale du personnel des administrations publiques (MGPAP), 22 mis en examen ont été déférés devant la justice, dont 14 en état d’arrestation. Les chefs d’accusation vont du détournement de deniers publics et la falsification jusqu’à la corruption et l’abus de confiance et de pouvoir, en passant par le blanchiment d’argent. Le manque à gagner s’évalue à 70 millions de dirhams. Dans une mutuelle alors confiée à un dirigeant syndicaliste, Mohamed El Ferrae, devenu entre-temps député-maire d’Essaouira !
ertaines grèves ont été si politisées qu'elles ont fait vaciller tout le pays. Juin 1981, les sanglants événements de Casablanca aboutirent à l'emprisonnement des dirigeants de la CDT. Décembre 1990, l’appel commun à la grève par la CDT et l’UGTM se solda par des morts et des incendies à Fès et Meknès. Avec le recul de syndicalisation et la montée des scissions, l'appel à la grève générale n’a plus d’échos auprès des travailleurs qui en ont assez de servir de fantassins aux guéguerres des «zouamas» en quête des territoires électoraux.
Quelque 250 000 journées de travail ont été perdues en 2011, au lieu de 77 277 cinq ans plus tôt.Durant les années 2000, le pays a connu plus de 200 décrochages par an. Le Conseil Economique et Social en impute les raisons au non- respect de la législation du travail, la balkanisation syndicale, la faiblesse de la négociation collective au sein des entreprises, à l’impunité judiciaire, l’intérim et la sous-traitance. Pas seulement !
En effet, le déclenchement de certaines grèves jusqu'au pourrissement paraît moins motivé par des considérations revendicatives que par des règlements de compte claniques. Fallait-il s'étonner de voir le patron de Fruits Of the loom porté en triomphe par ses employés? Depuis, d’autres débrayages sont si mal préparés, si mal encadrés qu'ils donnent l'impression de moins s’intéresser au sort du travailleur qu'aux querelles de clocher pour tirer plus de marrons du feu de l’action
Entre les deux scénarios, tant de grèves restent socialement et économiquement légitimes. Parce que des patrons refusent de laisser entrevoir les bons rayons de soleil quand brille une bonne conjoncture. Au risque de ne pas être pris au sérieux après une année plus sèche. Ni donc un syndicalisme qui se confond avec une chasse aux patrons-sorcières qui ne brûlent qu'au feu nourri des emplois perdus à jamais. Ni un patronat qui croit que le chômage n'est pas un problème, mais une solution qui permet de peser sur les salaires.
Par ailleurs, l’irrespect du code du travail est d’autant plus tentant que la part vulnérable des bas salaires reste prépondérante dans une structure de production plus tributaire de bras que d’équipements, de plus d’équipements obsolètes que de courageuses adaptations technologiques.
Même les multinationales installées au Maroc n’hésitent pas à tailler dans les charges salariales pour faire baisser leurs coûts de production. Au lieu de servir le développement du Maroc, elles se servent de son sous-développement. Colgate- palmolive, pour rattraper une baisse de 9% de son chiffre d’affaires en 2OO9, a allégé sa masse salariale de 25%, permettant au final de faire progresser son résultat d’exploitation de 66%.
Par conséquent, le World Economic Forum sur la compétitivité internationale installe le Maroc au 86 ème rang, avec 59% de basse technologie dans la structure de production des exportations manufacturières.
Près de 70% de nos exportations proviennent des admissions temporaires. La prépondérance des intrants témoigne de la faiblesse de la valeur ajoutée des produits exportés. Résultat, en une seule année 2OI2, la valeur ajoutée de nos exportations a baissé de 5%.
Le pays importe deux fois plus cher qu’il n’exporte. Alors que nous importons quasiment tout de la Chine, nous lui exportons… des déchets métalliques ! En guise de confirmation, le rapport sur la compétitivité arabe, présenté lors du WEF à Marrakech, révèle pour le Maroc l’absence d’ouverture du marché financier, les disparités de salaires, la lourdeur administrative, le retard technologique et les carences du système éducatif.
Paradoxalement, la TVA et la taxe intérieure de consommation arrivent à soulager les lacunes du Trésor public grâce aux … importations. De quoi rassurer un financier en quête de croissance mais fortement inquiéter un économiste de développement. Car, quand la balance des paiements bascule du mauvais côté, cela signifie aussi que l’échange libéral mondialisé sert d’abord nos fournisseurs.
Chaque fois que nous importons des produits d’équipement ou de biens de consommation au meilleur rapport qualité- prix, nous cédons des emplois potentiels à des entreprises étrangères plus performantes.
Comment expliquer autant d’importation de beurre, de fromages, de jus… ? Nos sociétés ne peuvent-elles pas produire à coût compétitif de tels produits ? Abstraction faite des niches fiscales dans l’immobilier, l’agriculture, la pèche… des rentes moins apparentes proviennent des licences d’exploitation pour la vente d’alcool, le sable, le commerce de certaines denrées alimentaires de base. Qui pourrait batailler à l’export pour une marge de moins de IO% quand l’immobilier dégage 30%, voire plus ?
Pour limiter les dégâts, le Maroc se rabat sur l’accueil des productions et des services délocalisés. Il a fait son entrée dans le classement annuel des trente pays les plus attractifs en matière d’ « externalisation des ressources informatiques ». A condition qu’une telle prouesse ne serve pas qu’à assure des emplois précaires à la déception des lauréats universitaires.
Avec près de 30 000 postes créés, la Maroc est la première destination de l’externalisation des centres d’appel qui obligent nos Rachid et Eachida à s’annoncer au bout de la ligne en Christophe et Chiristine. Des centres d’appel dont les recettes se sont accrues à fin octobre 2012 de plus de 17% dans la balance des échanges de services. Vive le chômage des diplômés !
Autant de rentes d’une économie de sous- développement pour les puissances délocalisatrices. Selon une étude comparative sur l’attractivité des investissements à travers le monde, menée par le cabinet KPMG SA, le Maroc séduit surtout les capitaux étrangers attirés par les activités fortement utilisatrices de main-d’œuvre. Cela s’appelle, pour mieux faire passer la pilule, la colocalisation !
A l’aune de l’investissement direct étranger, le Maroc reste le principal récipiendaire en… Afrique. Dans la masse des revenus de ces capitaux, tous les bénéfices non réinvestis sont transférés sous forme de dividendes vers les pays d’origine. Soit dix milliards de DH pour la seule année 2011 !
Un patron regrette qu’on puisse, « accorder à ces groupes des avantages inouïs sous prétexte qu’ils investissent dans le tourisme. Alors qu’en fin de compte, c’est juste 5 à 10% du projet qui sont consacrés à la construction d’une entité touristique. Le reste est construit en ensemble immobiliers qui sont vendus et l’argent est rapatrié à l’étranger ». L’attractivité des pétrodollars, attirés par la braderie de terrains à vocation touristique, n’a rien à voir avec la compétitivité.
Grignotant sur le seul maillon faible dans la lutte contre une compétition mondialisée, la pression sur les plus petits salariés finit par devenir mortelle. Elle a emporté 56 personnes dans les flammes d’une usine à Casablanca. Partout, des apprentis enfants sont enfermés par des maâlems quasi esclavagistes. Comme aux années les plus noires de l’économie urbaine artisanale qui prépara, après le moyen âge féodal occidental, l’arrivée du capitalisme libéral. Nous faut-il absolument passer par là ?
Le souci de « Responsabilité sociale des entreprises » (RSE) est tellement secondaire que, depuis que ce label a été créé, l’année 2011 comptait moins d’une quarantaine d’entreprises qui ont accepté de franchir le pas.
Comme si, pour vendre nos diplômés frustrés, nos petites mains résignées. Quitte à avoir des ouvriers au seuil de la pauvreté et à voir leurs patrons habiter des villas plus vastes, plus aérées et plus sécurisées que leurs usines !
Cela devrait interpeller nos centrales syndicales. Pour se transformer d’un appareil « d’engraissement », de concession sous couvert de consensus, voire de compromission sou prétexte de compromis, en cadre d’organisation et en force de négociation et de proposition. Faute de quoi, le travail de quelques-uns se fera par le chômage de plusieurs et le fromage des uns se fera par le chômage des autres. Au prix de pénibles indigestions sociétales !
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