Six
DES SCRUTINS
ET DU BUTIN
II faut vraiment croire qu'en deçà d'une certaine pauvreté la sainteté n’est plus possible.
Saint Augustin
A
trente-quatre ans, Victor Hugo fut candidat à l'Académie. Le comte Mole et le médiocre dramaturge Dupaty se présentaient contre lui. Ce dernier fut élu avec dix-huit voix, Mole en obtint douze et Hugo... deux seulement, celles de Chateaubriand et de Lamartine. Ce qui inspira à la spirituelle Mme de Girardin ce commentaire : Si l'on pesait les voix, Victor Hugo serait élu ; mais on les compte. Ce qui reflète toute la problématique électorale. Quand des scrutins d'apparence démocratique peuvent donner des majorités gonflées sous vide.
Un mode de scrutin, loin d’avoir la neutralité technique, peut biaiser la représentation des citoyens. Comme il peut s’en tenir au plus petit électeur commun ! La démocratie des pauvres peut alors conduire à la pauvreté de la démocratie.
’après une étude publiée par le cabinet de conseil Oliver Wyman, la fortune cumulée des plus nantis de la planète s’élèverait à 50.000 milliards de dollars. C’est trois fois et demie le PIB américain. Le magazine Forbes en recensait 209 en I998. Il en compte 1125, dix ans plus tard. Des nababs russes, turcs, polonais et brésiliens font encorbellement à un palmarès toujours dominé par les Américains. Avec des percées en Russie, en Inde, en Chine, en Turquie, pays où la pauvreté domine et où les inégalités augmentent.
Le PNUD relève que les 40% de la population mondiale vivant avec moins de 2 dollars par jour reçoivent 5% des revenus mondiaux. Les 20% les plus riches rassemblent les trois quarts de ces revenus.
Déjà, en I974, la FAO s’était promis de vaincre la faim en … I985. Elle dut vite déchanter. Allant jusqu’à créer le Programme Alimentaire Mondial (PAM) pour atténuer les conséquences dramatiques de ses ratés stratégiques. L’aide à la production finira par s’effacer derrière l’aide à la consommation. Au bonheur des grandes sociétés multinationales. Unilever génère en chiffre d’affaires plus du double du PIB de la Côte d’Ivoire.
On a calculé qu'un porc breton ou une vache normande ont un pouvoir d'achat supérieur à celui du paysan du tiers-monde. Pour nourrir leurs chiens, les citoyens d'un pays occidental sont la cible de spots destinés à vanter un lait maternisé. Le passage de ces réclames sur le petit écran enregistre, en moyenne, la mort d'une trentaine de personnes de faim dans les contrées dites en voie de développement. On ne peut alors s'étonner si les enfants des uns aimeraient pouvoir mener la vie des chiens des autres!
Face à la première grande crise financière de ce siècle, des dirigeants du G8 furent quasiment tous absents à la grand-messe de Rome sur la sécurité alimentaire. Alors qu’ils furent si prompts à doter un système financier au creux de la vague de pas moins de 700 milliards de dollars. Non plus, le G20 ne fut qu’un G vain face aux appels des « j’ai faim » !
L'homme, dit-on, est au centre du développement. Il est pourtant des hommes, des femmes et des enfants qui restent à la périphérie, interdits de partage des biens les plus élémentaires, dans un monde profondément inégalitaire.
On a calculé que, sur les 5500 dernières années, le monde n'eut droit qu'à 292 ans de paix et qu'en plus de cinq millénaires l'humanité aura connu 15 milles guerres et conflits. Toutes les dépenses annuelles de l'Afrique en matière de santé correspondent à 17 bombardiers. Alors qu’avec 6% du budget militaire mondial, l'aide officielle de développement serait doublée.
Des chefs d’Etat arabes figurent au top ten des dirigeants les plus riches du monde. Alors que l'étude «Arab Human Développent Report », initiée par le PNUD, rapporte qu'un Arabe sur 5 survit avec moins de 2 dollars par jour, « 75% de l’économie arabe et 90% de son commerce sont contrôlés par … 5000 familles », selon un responsable de l’Organisation arabe du travail lors du séminaire de Marrakech sur l’auto-emploi.
Pendant que les habitants de certaines régions doublent leurs revenus en une décennie, un rapport publié par le PNUD sur le développement humain dans les pays arabes estime que 40% de leur population - soit 140 millions de personnes – vivent en dessous du seuil de pauvreté. Le directeur général de l’Organisation arabe du développement industriel fit savoir que 17 millions de personnes sont aujourd’hui en chômage dans le monde arabe. Soit, réunies, les populations du Bahreïn, du Koweït, d’Oman, du Qatar et des Émirats Arabes unis.
Pauvreté économique, mais aussi «pauvreté des capacités et des opportunités ».Dans un autre rapport du PNUD, les pays arabes accusent un grave déficit en matière des droits de l’homme. Un rapport de Transparency International explique que « les régimes en place consacrent un mode de production rentier créant une dépendance du citoyen à son gouvernement » et que « le but des systèmes politiques arabes n’est pas la recherche de l’intérêt public mais le maintien au pouvoir et des richesses entre les mains d’une minorité ». Du coup, avec beaucoup de pétrole et une faible population, le Qatar n’est classé, à l’aune de l’IDH, qu’à la 46è place mondiale!
Dans les récits de la Bible et certaines légendes de Mésopotamie, l’arche de Noé est ce grand bateau sur lequel se réfugièrent les êtres vivants destinés à remplir la Terre après le déluge. Quant à l’arche du NOE (Nouvel Ordre Economique), elle n’est remplie que de vœux pieux ! Chaque fois qu’un déluge d’inégalités surgit du désordre économique et financier international, il retrouve sur la même galère des rameurs différemment exploités. Au bonheur des meneurs profiteurs. En l’an I750, entre les pays les plus riches et les plus pauvres du monde il y avait un écart de 1 à 5. Aujourd’hui, il y a un écart de 1 à 100 !
Le Plan d’Action de Lagos avait visé la création d’un Marché Commun Africain en l’an 2000. A ce jour, les tentatives de groupements régionaux, à l’instar de la mort-née Union du Maghreb Arabe, ne donnent aucun signe de vie. La seule « intégration » commerciale réalisée au Maghreb et dans le reste de l’Afrique concerne les réseaux logistiques de la Cocaïne ! Du Sénégal au Nigéria, passant par le cap vert, la Guinée, le Mali jusqu’à la Mauritanie. Notamment à travers les aéroports de Casablanca et de Tripoli réputés pour leur porosité.
Les flux commerciaux régionaux intra-UMA représentent à peine 2,5% des échanges globaux des pays membres. Le non-Maghreb est estimé à un manque à gagner équivalent à deux points de croissance et 200 000 emplois par an ! Une perte à nuancer par le gain qui ne vient jamais à manquer aux réseaux de contrebande transfrontalière !
Si les pays pauvres n’ont pas eu la tâche facile, il faut convenir qu’ils y trouvent trop souvent un prétexte pour éluder les profonds changements internes. Point de salut solitaire, mais solidaire. A condition de commencer par s’aider soi-même et de ne pas laisser croire que les problèmes les plus cruciaux ne peuvent être résolus qu’au prix d’une discipline internationale, voire supranationale. Exceptés quelques idéalistes et utopistes esseulés, il n’existe aucune harmonie entre les intérêts nationaux correctement estimés et l’intérêt de l’ensemble du monde.
La main tendue détruit la politique des manches retroussées Dans l’attente d'une remise en question des rapports de dépendance, les pays en quête de développement tardent à balayer devant leurs portes et à tirer profit du bon voisinage.
Pendant ce temps, les appels à la coopération et aux dons dans différents forums mondiaux n’aboutissent qu’aux déclarations d'intentions d’un trop-plein de générosité, nul sitôt sorti de la lumière des caméras. Les meneurs du jeu mondial ne se priveront pas de sitôt du bénéfice d’une attitude offrant la façon la plus politiquement économique de s’aider eux-mêmes, la plus économiquement politique de faire des reconnaissants obligés.
La pauvreté humaine, selon l’Indice du développement Humain (IDH), est définie par le PNUD en fonction des critères de l’espérance de vie, du niveau d’instruction mesuré par le taux d’alphabétisme des adultes et le nombre d’années d’études, ainsi que par le pouvoir d’achat évalué en PIB par habitant.
Classé en queue de peloton, le Maroc 114e représente tous les stigmates d'une société profondément inégalitaire. Même la classe moyenne n’y peut rien. Car, pour le Haut commissaire au Plan, «en fonction du PIB par habitant, dans un pays pauvre, la classe moyenne est normalement pauvre» (sic).
Dans son rapport sur la richesse mondiale, Crédit Suisse estime que14 000 marocains disposent d’un capital supérieur à 1 million de dollars. Les ventes de Land Rover au Maroc ont explosé de 314% au premier semestre 2012. Sentant le bon filon du segment Premium Plus, la Centrale Automobile Chérifienne annonce la commercialisation des Bentley et Lamborghini. A parir de 2013, Univers Motors importe des voitures Ferrari mises en vente au pays de l’INDH à partir de deux millions de dh pièce.
Alors que 5,5 millions disposent de moins de 10 dirhams par jour et par personne, un Marocain sur 150 est un mendiant, un sur cinq vit au-dessous du seuil de pauvreté. L'écart entre les 10% des ménages les plus riches et les 10% les plus pauvres atteint 14 fois. Certains Marocains ont quatorze fois moins de chance de manger, de loger et de s'habiller convenablement, d'éduquer et de soigner leurs enfants.
60% des apports énergétiques proviennent des céréales. Bien qu’abondants, l’huile d’olive et les fruits et légumes sont peu consommés. Le Maroc, très mal classé par rapport à des pays similaires, l’est souvent par rapport à la moyenne mondiale:22Kg par personne et par an pour les viandes (47 Kg pour le monde) ; 50 litres de lait (89,5) ; 6 Kg de poissons (I5) ; 38,7 Kg de sucre (24,7) ; 322 Kg de farines (104) ; 1,6 Kg pour le thé (0,55) … Notez la performance paradoxale pour les farines, le sucre et le thé! « Lkhobz wa tay » n’est pas qu’un cliché.
Dans le milieu rural, 60% des écoles ne disposent pas de l’électricité, 75% ne sont pas raccordées au réseau d’eau potable et 80% manquent de sanitaires. Dans la banlieue de Casablanca, une petite fille avoue ne pas pouvoir choisir entre marcher trois kilomètres pour aller à l'école ou passer plus d’une heure à faire la queue devant l’unique robinet de la fontaine publique.
Un Marocain sur deux n’a pas 25 ans. 17% des 15–24 ans n’ont jamais été scolarisés. Parmi les autres, entre primaire, collège et lycée, près d’un demi-million abandonnent tous les ans sans aucune qualification. En quatre ans d’études, seulement un tiers des élèves connaît les opérations arithmétiques simples.
Selon le rapport de l’ONG Save the Chidren, sur la base d’une série d’indicateurs comme le bien-être de la mère et de l’enfant, le niveau d’éducation des femmes, le taux de mortalité chez les mères et les enfants, le Maroc est à la 72 ème place.
Le HCP annonce que 123 000 enfants âgés de 7 à 15 ans se sont retrouvés en situation de travail en 2011. Il révèle que 300 000 à 400 000 enfants de moins de 15 ans quittent l’école chaque année. De nombreuses petites filles issues de familles rurales pauvres deviennent dès l’âge de 6-7 des bonnes à tout faire.
En guise de confirmation, une étude de l’UNICEF démontre qu’une jeune adolescente risque 3 fois plus de se retrouver mariée avant d’atteindre ses 15 ans, si elle fait partie des 20% les plus pauvres. Le risque de non scolarisation des enfants de 7 à 17 ans est 11 fois plus important chez les plus pauvres. Ce risque touche 15,5 plus les enfants issus de certaines régions comme Doukkala /Abda que ceux qui évoluent dans la région de Goulmime /Smara. La probabilité qu’un enfant se retrouve privé d’eau ou d’assainissement est 2 à 3 fois supérieure selon les régions.
Dans les villes, trois jeunes sur dix sont en chômage. 2500 établissements, 300 000 fonctionnaires et le quart du budget général pour que, sur 100 élèves inscrits au primaire, seulement 26 terminent le cycle secondaire. Sur les 22 qui se présentent au bac, 9 réussissent et 7 feront des études supérieures. Dont 3 auront leur Licence et un seul trouvera du travail dans des délais normaux.
Selon une étude de l’Institution nationale de solidarité avec les femmes en détresse (INSAF), 8760 enfants ont été abandonnés en une seule année dans un pays qui crie sa tolérance. 9000 enfants vivent dans les rues. De la rue à la prison, il n'y parfois qu'un seul faux-pas.
Les 65 établissements pénitentiaires du Maroc comptent plus de 70 000 détenus pour une capacité de 40 000. Avec en moyenne 1 m2 et 5 DH par jour pour y vivre ! De 0,20 à 0, 60 centime pour les soins médicaux ! Le vol, l’alcool et la drogue sont les principales causes d’emprisonnement, pour un âge moyen inférieur à 34 ans. La réinsertion est tellement inopérante que des malfaiteurs en herbe y deviennent des professionnels. En prison, ils gagnent beaucoup d’argent en vendant des cigarettes et de la drogue. Après leur sortie de prison, ils font tout pour y revenir !
Parmi les 180 000 mendiants, clochards, SDF et repris de justice recensés, un tiers est composé de mineurs. Soixante ans après l’indépendance, alors que les femmes font moins d’enfants, que trop de femmes meurent encore en donnant la vie, et que trop d’enfants meurent à la naissance, le Maroc, en père imprévoyant, vieillira sans avoir assuré ni rassuré sa jeunesse.
Vivant 7 ans de plus qu’il y a 20 ans, les Marocains ne sont pas égaux devant leur âge : un enfant rural vit moins qu’un enfant urbain. Ils sont encore moins égaux devant le savoir. Ils vont plus nombreux à l’école mais n’y restent pas longtemps.
Un rapport du département américain des Affaires Etrangères relègue le Maroc au rang des pays peu soucieux du trafic d’êtres humains. Notamment pour l’exploitation des enfants au travail, parmi les petites bonnes à tout faire et dans le tourisme sexuel. Contrairement aux tenants d’un libéralisme laxiste, à visage inhumain, le travail des enfants, en plus du grand manque à gagner sociétal, aggrave le chômage des adultes et favorise le gel des bas salaires.
Selon le Forum africain de la politique des enfants, le Maroc est classé 26ème en Afrique (sur 54 pays) en terme d’engagement budgétaire pour la protection des enfants. A ce chapitre, même le Bénin fait mieux que nous !
D
Dès lors, l’accroissement de la délinquance des jeunes n'interpelle pas seulement les forces de sécurité mais tout le système sociopolitique. Une insécurité peut en cacher d'autres. Quand le chômage entre dans chaque foyer, y multiplie des besoins inassouvis par des parents débordés, plus de sécurité signifie surtout moins de précarité et plus de convivialité. L'incivisme, l'oisiveté, le chômage, le recul de l'éducation scolaire, la démission parentale y sont pour beaucoup. Dans les maisons, on ne s'occupe plus des enfants, dans la rue on ne les occupe plus.
omment motiver des jeunes qui, voyant le chômeur fraîchement élu s’enrichir à vue d’œil, apprennent que leur tout premier champion olympique, Abdeslam Radi, a vendu ses coupes et ses médailles à un collectionneur pour survivre à ses mauvais jours. Ou lorsque Rachad Barnoussi arrive à jouer une finale de la coupe du trône et que son capitaine (dont les coéquipiers vivotent entre 1000 et 2000 DH par mois) quémande pour son équipe le mouton de l’Aïd !
C
Que peuvent plus de policiers dans une société incapable d’élections transparentes, chargée d’opportunistes qui apprennent aux jeunes que tout s'achète ?Selon une enquête sur le civisme menée par des chercheurs de l’Université Mohamed V, les jeunes interrogés sur la corruption l’ont jugée comme « un usage normal en cas de nécessité ». A croire qu’il est moins utile d’enseigner la morale que de la faire vivre !
Et comment s'étonner - sans pour autant le justifier - du recours de plus en plus voyant des candidats à la fraude aux examens ? Si tous les oulémas leur apprennent que la religion est d’abord source de morale mais savent que l’Arabie Saoudite – berceau de l’Islam – est 70è dans le classement de l’indice de perception de la corruption. Alors qu’on tenta d’instaurer une feuille de présence au parlement, on s’est aperçu que les présents signaient pour le compte des absents. Ceux-là mêmes qui interpellent à propos des « fonctionnaires fantômes » !
Du bulletin de vote au pain quotidien, les urnes ne suffisent plus. La dignité humaine passe aussi, après un enseignement plus égalitaire, par l’accès à l’emploi justement rémunéré, à la santé accessible, au logement décent. Alors que la France souffre de ses cités, un gouverneur, sous couvert du projet Hassan II, décide un R+8 en zone de recasement des bidonvillois des carrières centrales. Densifiant des quartiers de relégation, au risque de les transformer en zones de ségrégation.
Après plus d’un demi-siècle d’indépendance, Il aura fallu la tenue des premières Assises de la jeunesse pour que le ministre concerné découvre que « le cadre juridique qui réglemente le secteur de la jeunesse est très ancien et dépassé ». Que faisaient ses prédécesseurs, pourtant dotés d’une constitution qui autorise autant le gouvernement que les deux chambres du parlement à doter le pays des lois nécessaires. Il faut croire que le nomadisme, l’affairisme et l’absentéisme ne laissent pas beaucoup de temps !
Un jeune qui ne trouve aucun espace socioculturel ou sportif est condamné au repli sur soi. Sur 370 communes urbaines, 160 ne disposent pas de bibliothèque. Le million de livres disponibles dans toutes les bibliothèques du royaume sont à peine l’équivalent de la bibliothèque de sciences-po à Paris !
Alors que poussent les casinos et les boites de nuit, il y a de moins en moins de bibliothèques par densité d’habitants. Et pendant que des librairies se transforment en cafés, des points de vente sont partout ouverts pour rapprocher le loto, la loterie et autres grattages des joueurs de plus en plus accro’ ! La masse, toute relative, d’ouvrages institutionnels ou scolaires masque l’extrême faiblesse de l’édition culturelle marocaine. Moins de 1000 titres par an, contre 100 000 en Allemagne, 60 000 en France. Selon une en quête de l’Institut de la pensée arabe sur le développement culturel, un habitant du monde arabe réserve en moyenne six minutes par an à la lecture, contre 200 heures pour le lecteur occidental !
Un manque à gagner loin d’être rattrapé par le ministère de la culture dont le budget représente 0,24 % du budget général de l’Etat, soit15,5DH par habitant (pour l’équivalent de 100 DH en Tunisie). Pour plus le dévaluer, le Bureau Marocain du Droit d’Auteur est placé sous la tutelle du Ministère de la communication. Lequel s’occupe aussi du cinéma qui a au moins l’avantage de drainer quelques précieuses devises des productions étrangères. Même si, pour ce faire, le Maroc doit accepter que certains quartiers de Salé puissent continuer à ressembler à ceux de l’Irak des combats et des attentats! Et que certains villages reculés du grand sud continuent de convenir au tournage des scénarios d’avant-Jésus christ !
Pour ne rien arranger, l’image télévisuelle marocaine relègue la culture au dernier de ses soucis de programmation, dans l’arrière-après-prime-time. Le patron d’une maison d’édition regrette qu’ « il se vend au Maroc davantage de voitures que de livres ». Alors qu’un autre estime qu’un best seller au Maroc, c’est 1500 exemplaires vendus. Le fameux ouvrage sur « L’idéoligie arabe contemporaine » de Abdallah Laroui s’est vendu à 140 000 exemplaires en cinquante ans ! L’enquête sur les valeurs, les perceptions et les activités de loisirs des jeunes, menée par le Haut commissariat au plan, nous apprend que 44% des jeunes âgés entre 18 et 24 ans ne lisent jamais.
Tout politicien, en bon opportuniste affairiste, y trouve pourtant son compte, dans un pays où il est plus facile d'acheter des voix que de vendre des livres et des journaux ! Pour beaucoup d'investisseurs électoraux, le pays qui n’a pas de pétrole peut aussi se passer d’idées!
L’habitat insalubre continue de s'accroître au rythme de 40 milles unités par an, soit 40% du total de ce qui est construit chaque année dans tout le pays. Dans 80 villes marocaines, un citadin sur quatre réside dans un bidonville. Après plus d’un demi-siècle d’indépendance, le Maroc des villes sans bidonvilles n’est toujours pas possible ! 83 villes ont été promises à l’horizon…. 2010. Il faudra repasser ! La démolition de 140.000 baraques représente à peine la moitié de l’objectif annoncé.
Les cinq agglomérations les plus résistantes sont Casablanca, Rabat, Kénitra, Larache et Marrakech. Sous prétexte d’urgence, les programmes de recasement ressemblaient davantage à des bétonvilles déconnectées de toute vie collective socioculturelle.
On peut encore trouver de larges espaces ruraux à l'intérieur de certains périmètres urbains. A la lisière et à l'intérieur des plus grandes villes, la «rurbanisation» avance à grandes rangées de baraques. Les berlines de luxe côtoient les charrettes et les vaches, les villas climatisées aux piscines intérieures longent des bidondouars sans cesse grossis par un exode rural massif. Un exode que l’Abbé Pierre avait lié à l’absence d’espérance de la jeunesse rurale : « ceux qui étaient destinés à être les premiers dans les villages, nous allons faire d’eux les derniers à la ville ». Avant sa mort, le religieux humanitaire aimait à répéter que « la misère ne se gère pas, elle se combat ».
Les inégalités verticales entre riches et pauvres rencontrent celles, horizontales, entre les différentes régions. Entre le milieu rural et le milieu urbain. Entre les provinces et préfectures d'une même région. Entre les communes, urbaines ou rurales, d'une même préfecture ou province. Entre les différents quartiers, résidentiels ou populaires, d'une même commune.
Quatre régions concentrent la moitié du PIB. Le Grand Casablanca arrive en tête (19%), suivi du Souss-Massa-Draâ (12,2%), de Rabat Salé-Zemmour–Zaër (9,8%) et de Marrakech-Tensift-Al Haouz (8,2%). Les plus petites portions reviennent à Taza-Al Hoceïma-Taounate, la région du Sud, Tadla-Azilal et Fès-Boulemane.
Pourtant, selon le dernier recensement général de la population et de l’habitat, lorsque la pauvreté parait relativement moins grande dans la capitale économique (2,73 % de la population), des poches de misère restent ouvertes à Lahrawiyine qui compte 22% de nécessiteux. Jusqu’à compter 80% d’habitants sous le seuil de pauvreté dans la commune de Sidi Ali à Rachidia.
Pendant ce temps, dans l’administration territoriale, un mouvement peut en cacher un autre. Il y a le Maroc clément et miséricordieux. Il y a aussi le Maroc qui agit en père fouettard. Chaque fois que des réaffectations d’agents d’autorité territoriale ou sécuritaire dans des zones très lointaines par rapport à l’axe Casa-Rabat sont officiellement perçues comme des punitions. Loin des yeux, loin du cœur… du pays ! La région-sanction en attendant la région avancée ! Sauf le cas de sanction « capitale » quand Rabat rappelle au « garage » des gouverneurs ou walis dépourvus des territoires !
Jour de l’an 2013, un policier de Tétouan, pris en flagrant délit de chant dans une discothèque de Tétouan, a été muté à Errachidia. Il n’est pas le seul. Plusieurs cadres de la police nationale, faisant l’objet de mesures disciplinaires, ont été mutés dans les provinces limitrophes et les contrées désenclavées. Du bâton à la carotte, l’Etat confirme les inégalités territoriales en prévoyant de verser une indemnité d’éloignement à certaines fonctions administratives comme l’enseignement et la santé.
Eté 2012, le ministre de l’Habitat et de l’Urbanisme, après avoir mis en place une entité chargée du suivi d’un plan d’action, estimera que « les responsables du ministère doivent tout faire pour respecter les deadlines. Sinon les retardataires seront mutés en Sibérie ». Même au deuxième de gré, la mise en garde n’est pas moins significative.
Dans l’arrière-pays montagneux de Beni Mellal, des classes frigorifiées accueillent de très jeunes élèves auxquels aucune dépense de chauffage n’est prévue dans les budgets des académies régionales.
A croire que l’appartenance à certaines contrées devient discriminatoire dans un pays dont la constitution garantît la liberté de circuler et de s’établir dans toutes les parties du royaume. Une liberté devant laquelle certains sont plus égaux que d’autres.
Un tel délit de résidence infligé aux habitants de ces régions n’est aucunement mérité. Pour preuve, à l’issue des résultats du bac 2012, alors que les villes de Casablanca et Rabat (enseignement public et privé confondus) sont absentes du palmarès des plus forts taux de réussite, la meilleure note (19,28) est obtenue par un élève de Zaouiate Sidi Smaïl !
Une banque marocaine est si « Populaire » qu’elle correspond avec un client sis aux « Toilettes Avenue Lagza ». Au pied de l’Atlas qui donna son nom aux lions de la sélection de football, des Marocains habitent des grottes. A cinq kilomètres de Séfrou, cent familles vivent à Lebhalil à l’âge des cavernes !
Les 800 habitants du douar de « khadak Rihane » habitent un village du Rif partagé par un ruisseau qui délimite deux communes : Bab Berred et Sakiet Malha. Leurs enfants doivent parcourir cinq kilomètres pour rejoindre leur école. Sauf l’hiver quand la piste, construite par les habitants eux-mêmes, devient impraticable et que l’oued déborde à cause des pluies. La punition est si mal prise que tous ses habitants sont noirs, descendants d’esclaves de la région de Chefchaouen.
Depuis 2010, la carte de pauvreté s’élargissant, 435 nouvelles communes rurales reçoivent les dotations en farine nationale de blé tendre pour la première fois. La moitié des localités rurales restent enclavées à l’heure du prochain TGV ! Même pour les plus touristiquement reconnues, comme Imilchil, l’hôpital le plus proche est à …138 km. Certaines communes du Maroc inutile, telles El Hajeb, Azemmour ou Khénifra, survivent des retombées d’un tourisme sexuel de bas de gamme, quasi exclusivement national. Pour les visiteurs étrangers, les villas et riads de Marrakech, Casablanca, Tanger et Agadir font le nécessaire !
Parmi les médicaments les plus consommés, on trouve les analgésiques, les pilules contraceptives et les pommades. Doliprane, déjà champion en volume, devient leader en chiffre d’affaires ! Pour accéder aux hôpitaux, il faut se faire délivrer une attestation d'indigence par l'autorité locale, non sans demander au malade d’apporter jusqu’au fil chirurgical. Encore faut-il ne pas en sortir encore plus malade !
Un rapport de la Cour des comptes épingle les dysfonctionnements concernant la période 2005-2008 au secrétariat d’Etat chargé du Développement social, de la famille et de la solidarité. Il ne faut pas moins de 4 ans pour bénéficier d’un fauteuil roulant et 6 ans pour bénéficier d’une carte d’handicapé ! En plus des nombreux objectifs non réalisés, des dépenses importantes à l’efficacité très limitée, des aides internationales qui ne figurent pas dans le budget, le double recours aux bons de commandes et aux marchés pour la même prestation. Les subventions aux associations, en majorité destinées au fonctionnement, n’ont laissé que 16% d’aide aux projets de développement social …
Pour faire face aux flagrantes inégalités ambiantes, la Fondation Mohamed V organise des campagnes de lutte contre la pauvreté. Certes, ses procédures de collecte et de distribution sont un exemple d'éthique et de transparence. Mais, au-delà des gestes hautement solidaires, la lutte contre la pauvreté devra constituer le credo quotidien des choix politiques et des réformes économiques. Sinon, l'action caritative risque de ne toucher que les symptômes d'un mal plus profond. N’empêchant pas la reproduction des appels à la charité, elle reportera des problèmes pour moins les affronter.
Auquel cas, l’Initiative Nationale pour le Développement Humain (INDH) risque de naviguer à vue, tant son impact local est difficile à évaluer en l’absence d’indicateurs de mesures significatifs (mortalité infantile, scolarisation, espérance de vie…). Comme elle risque de gérer les effets de la pauvreté, au lieu d’en combattre les causes. Des risques pourtant évoqués dès le discours royal du 18 Mai 2005, reconnaissant que « la mise à niveau sociale ne peut relever de l’assistance ponctuelle ou de l’action caritative spontanée ».
Lancé le I8 mai 2005, L’INDH affiche un bilan plutôt positif. Mais ses performances ne peuvent éluder la nécessaire révision du traitement des questions sociales de proximité. Avec des élus locaux, souvent eux-mêmes candidats à « l’aide » rentière ou corruptrice.
John Stuart Mill écrivait dès le milieu du 19 è siècle, dans ses Principes d’économie politique, que « lorsqu’il s’agit d’améliorer d’une manière durable la condition d’un peuple, les petits moyens ne produisent même pas de petits effets, ils ne produisent absolument aucun effet ».
Il est également légitime de se demander à qui profitent vraiment ttoutes les aides qui nous viennent de l’extérieur. Tel ce coup de pouce des Objectifs du Millénaire pour le développement (Millenium Challenge Corporation), initié par les Etats-Unis. Les 700 millions de dollars américains injectés dans l’économie marocaine servent-elles les restructurations performantes au lieu d’alimenter des perfusions permanentes ?
Pour son programme « Villes sans bidonvilles », le Maroc bénéficie des dons ou prêts internationaux, notamment de la Banque Mondiale, de l’Union européenne, de l’Agence française de développement… S’agissant de la prévention et la gestion des catastrophes naturelles, il compte sur l’aide financière de la Banque mondiale et de l’Agence suisse pour le développement et la coopération, de l’Agence mondiale pour la prévention et réduction des catastrophes.
Le Maroc en est au troisième plan-cadre pour l’aide au développement des Nations Unies (dit UNDAF). Ce nouveau volet, signé le 31 mars 2011, reconduit jusqu’à l’horizon 2016 les chantiers socio-économiques soutenus. Alors que, dans le « cadre de partenariat stratégique 2010-2013 » (CPS), la Banque mondiale accorde 600 millions de dollars à partir de 2011.
Pour sa part, l’Union Européenne, premier partenaire économique du Maroc, alloue en 2011 à la « Nouvelle Politique de Voisinage » 1,242 milliards d’euros de dons en complément aux 5,7 milliards d’euros déjà programmés pour 2011-2013. Auxquels s’ajoute le milliard d’euros de prêts émanant de la Banque Européenne d’Investissement.
Sans oublier les 5 milliards de dollars promis au Maroc par les pays du Golfe pour l’aider à réussir sa transition vers un meilleur après-printemps arabe.
Le dégraissage de la très grosse Caisse de Compensation constitue, avec les retraites, l’une des grosses patates chaudes refilées à chaque gouvernement par l’exécutif précédent. La compensation des produits de première nécessité équivaut à 5% du PIB. Pour la cibler vers les plus démunis, on calcule qu’elle devrait profiter à un million de familles. En leur distribuant 7000 DH chacune en moyenne annuelle, le budget de l’Etat ferait une économie annuelle de 7 milliards de DH. Le gouvernement propose des aides directes aux 47 500 ménages. Un programme « Tayssir » prévoit 60 DH par mois et par enfant en première et deuxième année, 80 DH en 3è et 4è année et 100 DH en 5è et 6è année du primaire.
Une expérimentation qui s’inspire de la méthode brésilienne de la Bolsa familia (Bourse familiale), destinée à une population ciblée de 12,4 millions de ménages ont accès à une allocation mensuelle versée aux familles, à condition de vacciner leurs enfants et de les envoyer à l’école.
Encore faut-il que la spécificité marocaine permette d’identifier les vrais indigents. Et d’éviter que le système de compensation soutienne plus les riches que les pauvres. Autant parmi les opulents chefs de ménages qu’à l’égard de puissantes multinationales ! Des produits exonérés comme le sucre peuvent toucher autant le bidonvillois que la multinationale Coca-Cola !
Statistiques officielles à l’appui, sur dix dirhams déboursés par l’Etat subventionneur, les plus pauvres ne touchent qu’un dirham. En moyenne, la subvention du sucre par personne et par an est de 229 dhs pour les plus munis et seulement I06 dhs pour les démunis.
Pour le cas du gaz butane, la subvention par personne et par an a été en 2011 de 585 dhs pour la catégorie la plus favorisée et uniquement de 257 dhs pour les plus défavorisés. Comme pour la farine qui concerne aussi bien le pain quotidien du petit paysan que la brioche du riche citadin.
Comme il peut lui arriver de soutenir beaucoup de faux pauvres. Dans une société minée par les réseaux clandestins de drogue, de corruption et de prostitution, submergée de métiers d’informel et de marché noir. Une société composite où il n’est pas rare de trouver, sur un même palier d’immeuble, de vrais faux chômeurs au train de vie nettement meilleur que celui de leurs voisins instituteurs, voire professeurs !
En attendant une meilleure solution structurelle, Tant de tergiversations devant une franche réforme de la compensation relèvent d’un choix politique délibéré. Ce qui en fait un élément de régulation conjoncturelle qui considère que les sommes qui s’y engouffrent représentent le prix à payer pour une paix sociale avec les pauvres. Quitte, en passant, à en faire aussi profiter tous les riches ! Or, pour éviter que l’exclusion se traduise pour l’Etat par des couts en hausse pour atténuer les pressions sociales, il faut que, sur le long terme, convenir qu’il ne peut y avoir de croissance soutenue sans réduction des inégalités de revenu.
Pour financer de telles largesses, les pouvoirs publics cherchent le manque à gagner dans la fiscalité indirecte. Son caractère incolore touche sans distinction les riches et les pauvres. Double avantage pour les uns, double peine pour les autres. Plus le pauvre est visible, plus le riche est caché ! Pour les impôts aussi !
Il faut quand même relativiser « le grand sacrifice budgétaire » de la compensation. Car l’Etat récupère d’une main une partie non négligeable de ce qu’il a donné de l’autre. Ainsi, quand il subventionne les produits pétroliers, il est généreusement payé de retour. En moyenne annuelle, la fiscalité énergétique peut atteindre 7% du PIB. La taxe intérieure de consommation (TIC) représente un tiers du prix des carburants. Un carburant qui, lorsqu’il fait avancer un véhicule, fait profiter l’Etat des droits d’importation et TVA sur importation, de la TVA sur vente de voiture et assurance, en plus de la vignette, la taxe à l’essieu, les amendes de circulation, les frais de permis de conduire, sur la visite technique, la carte grise, les amendes…
De l'autre coté de la barrière sociale, vivant sous un même soleil, il est possible de vivre sur une autre planète. En occupant un poste-clé, ouvrant des portes - Sésame, le long d'un itinéraire à péage, il est possible de s'offrir des mariages de stars, des voyages de rêve, des apparences de luxe... Tout en gardant assez d'argent à blanchir en placements fonciers, en bijoux et tableaux de valeur. Sans oublier le magot planqué à l'étranger ou blanchi à l’intérieur.
En sachant tirer profit de la meilleure position stratégique sur les voies hiérarchiques, Il est possible de filer à toute vitesse vers l'enrichissement illicite. Pourvu que la fonction détenue soit capable de faire le beau temps des laboureurs d'affaires en quête des sillons bien tracés. Pour se constituer de grosses fortunes, certains n'ont qu'à fructifier leur précieuse signature et leur statut d'initiés en tirant profit de leur appartenance à la caste des autorisateurs.
Dans un rapport sur le monde arabe, Transparency International relève que : «partout, les hauts fonctionnaires prennent connaissance au préalable de plans fonciers et refilent l’information à des proches ou à des partenaires qui achètent des lots à des prix très avantageux ».
En quête de bons filons, des élus passent maîtres dans l'art de «rentabiliser» un mandat parfois chèrement acquis. Leur astuce? Ignorer volontairement l'emplacement d'un équipement socio-éducatif dans un lotissement de grande surface et «récolter » au passage quelques lots dans la surface «rescapée». Ou s’abstenir de prendre les mesures réglementaires d’appropriation de certains délaissés de voirie, le temps de permettre à leurs anciens propriétaires de les récupérer sous prétexte d’expiration des délais d’appropriation communale. Ou encore recourir à un appel d'offres tellement restreint qu'il n'atteint que les fournisseurs des sociétés d'autant moins anonymes qu'elles sont confiées à des prête-noms. Ce qui transforme le critère du moins disant en moi-disant !
Une gymnastique «justifiée » par un système de valeurs auquel il importe plus de paraître que d'être, d'avoir que de savoir. Au Maroc de la Hadatha, On a du mal à croire que nous vivons à une époque où la production des connaissances prend le pas sur la formation du capital physique! Un diplômé chômeur est... un chômeur. Un riche analphabète mal élu est un « Représentant de la Nation »!
Nous sommes de moins en moins dans une société de savoir. De plus en plus dans une société où il faut avoir pour être. Seul compte le savoir-avoir ! Et si le Marocains, tous revenus et toutes fonctions confondus, voulaient de cette corruption qu’ils fustigent du bout des lèvres ?. Et si, devenue un lubrifiant du système socio-politico-économique, ses rouages ouvrent tellement de grandes sources et de petits ruisseaux qu’ils abreuvent un maximum d’assoiffés ?
Prenez l’exemple des permis d’habiter ! Plusieurs promoteurs, pour tirer le maximum d’un terrain en zone villas ou le maximum de surface habitable en zone immeubles, sont quasiment poussés à la faute par des surveillants de chantier et des élus délégataires vendeurs d’infractions. Du genre : fermeture de balcons, rehaussement des niveaux des caves, transformation de soupentes en étages, construction sur terrasse, empiètement sur recul réservé aux jardins… A l’obtention du permis d’habiter, richement payé, toutes les anomalies deviennent des éléments de plus-values. Comment alors séparer le corrompu acheté du corrupteur mieux vendeur de l’objet du délit ?
A l’aune de la perception de la corruption, le Maroc se classe en moyenne anuelle à la 80e place sur 183 pays, entre le Laos et le Rwanda ! A moins que, pour tout relativiser, il faille tenir compte de tous ceux, très nombreux, qui ont volontiers corrompu pour y avoir beaucoup gagné !
En fait, toutes les corruptions, des plus petites aux plus grandes, ont plus ou moins leur place dans le fonctionnement du système sociétal, dans toutes ses composantes structurelles, économiques, politiques, sociales et mentales.Il faut croire que le bakchich est arrivé à pénétrer les recoins de tout ce qui peut faire bouger ou débloquer le moindre acte de production, de contournement d'une obligation, du péage d'un raccourci.
De là à trouver que la corruption peut constituer une sorte de flux économique régulateur, à même de corriger la répartition des revenus, il n'y a qu'un pas que beaucoup ont déjà franchi : Pour faire sauter une contravention, s’offrir un « permis de confiance », échapper à un contrôle routier, transporter plus de passagers. Pour introduire des produits de contrebande, réussir un concours ou faire taire un délégué syndical. Pour accéder aux soins médicaux dits publics, avoir un permis d'habiter, de construire ou de lotir. Pour éviter un avis défavorable, occuper à l'œil un domaine public, avoir un crédit plus immédiat. Pour trouver un emploi, sous- dédouaner une marchandise, amadouer un contrôle fiscal, avoir une expertise favorable ou obtenir un marché. Pour améliorer le quotidien en milieu carcéral, voire en écourter le séjour en se payant une bonne réduction des peines, vendre un feuilleton à un programmateur de télévision ou obtenir une meilleure ville d'affectation…
Seule différence, si toutes les fonctions, politiques, civiles et militaires, sont potentiellement corruptibles, les corrupteurs et les corrompus ne sont pas du même calibre. Pour «graisser le lacet » on n'a pas toujours affaire aux mêmes pointures. II y a bien cette petite corruption, péché mignon, qui fait le pain quotidien de nos comédiens. L'amélioration prétendue de certains revenus injustement bas, ne prend sa revanche que dans la poche des revenus à peine moins bas. Faute de pouvoir empêcher la corruption de monter de plus en plus haut, on la laisse se conjuguer en un maximum d'autorisateurs. Ne pouvant être combattue, elle se trouve ainsi banalisée, presque démocratisée!
Quand le gouvernement, interpellé par une convention des Nations-Unies, est obligé d’instituer l’Instance centrale de prévention de la corruption, il s’arrange pour en réduire la portée. Sa mission étant purement préventive, elle n’aura aucun pouvoir d’investigation. Supportant l’étroitesse de ses attributions et la faiblesse de ses moyens matériels et humains, elle dispose d’un budget moyen annuel d’à peine 15 millions de DH, largement inférieur à celui alloué à l’organisation de certains festivals de musique !
La loi sur « la protection des victimes, des témoins, des experts, des dénonciateurs de corruption, de détournement, de trafic d’influence » ne prévoit qu’une protection physique pour les dénonciateurs. Pas les intérêts économiques des entreprises qui refusent de soudoyer, ni la sécurité de carrière des cadres privés et publics qui n’hésitent pas à lever le lièvre.
Entrée parmi les institutions constitutionnelles, elle est désormais baptisée « Instance nationale de probité et de lutte contre la corruption » (INPTC). Ayant pour mission « notamment de coordonner, de superviser et d’assurer le suivi de la mise en Œuvre des politiques de prévention et de lutte contre la corruption, de recueillir et de diffuser les informations dans ce domaine, de contribuer à la moralisation de la vie publique et de consolider les principes de bonne gouvernance… ».
Encore faut-il que ces promesses soient portées sur le terrain du quotidien. Sans pour autant en attendre tout et n’importe quoi. Lui donner les moyens de dissuasion par l’investigation ne l’autorise pas à enfreindre la séparation des pouvoirs et le respect de l’indépendance de la Justice. C’est le difficile équilibre qu’il faudra trouver entre efficacité et légalité de ses interventions.
En plus des raisons pratiques, des raisons systémiques pourront empêcher l’Instance de compter sur « les îlots de transparence ». Pour servir de contre-pouvoirs, comme les médias, la Justice ou les ONG.
Sur l’échelle de corruptibilité croissante, Transparency Maroc met le système judiciaire en tête, suivi de la police. Si la douane vient en troisième position, on s’attend moins à la trouver ex aequo avec…les partis politiques ! Lesquels sont chargés par la constitution de la mission d’encadrement et d’organisation des citoyens.
Quand ils s’assurent un électorat réduit à tendre la main avant de faire entendre sa voix, ils sont au cœur des institutions ! Si les élections se gagnaient sur la situation de l’emploi des jeunes, de l’état de santé publique, de l’équité et l’efficacité de la justice, de la gestion des villes… aucune majorité ne serait reconduite aux affaires !
Un bulletin de vote est, selon Abraham Lincoln, plus fort qu'une balle de fusil. Sauf quand beaucoup de mauvais électeurs tirent des balles à blanc au contact des billets. Une manne pour les «investisseurs électoraux », dans un marché marqué par la paupérisation grandissante. Une conduite qui s'explique par le modèle de vie qui nous est imposé et qui est au-dessus de nos moyens. Chacun vend ce qu'il a. Les uns vendent le pouvoir, les autres leur dignité, et ceux qui n'ont rien vendent leurs voix.
Face à trente partis, les électeurs n’ont pas à choisir entre trente projets de société. Ce sont les partis qui choisissent les plus vulnérables des électeurs. D’où une votation « iqtaïsée » parmi leur « h’bech », comme la féodalité avait ses g’neux et les romains leur plèbe ! Comme Il fut un temps où, sous d'autres cieux, seuls les riches avaient droit au vote censitaire. Chez nous, les riches candidats ont droit aux pauvres votants.