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LES TAS DES LIEUX PARTISANS
La politique c’est comme l’accordéon.
Quand on appuie à droite, ça siffle à gauche.
Quand on appuie à gauche, ça siffle à droite.
Et à l’intérieur c’est du vent !
Raymond Devos
P
ataugeant dans la baignoire terminologique, il est difficile de ne pas s'étaler sur l'alternance consensuelle, la transition démocratique, le Maroc nouveau… Les électeurs, les lecteurs et les observateurs s'encombrent surtout des deux mots-valises: Gauche et Droite. Termes qui remontent aux places occupées par les élus des premières assemblées révolutionnaires françaises. Depuis, on aurait pu se rendre compte qu'ils ne sont pas aussi tranchants qu'on le croit et que la frontière supposée les séparer n'est pas aussi hermétique qu'on le prétend.
P
osez cette question à nos politiques: « Etes-vous de gauche ou de droite ? ». Face à un échiquier à géométrie variable, vous aurez droit à différentes réponses :
■ Si votre interlocuteur s’empresse d’évacuer une certaine gêne de se voir catalogué d’une « droite administrative », il tiendra à couvrir son appartenance partisane d’une étiquette libérale, rurale, sociale…
■ S’il appartient à cette ancienne opposition progressiste, démocratique et nationale, il vous rappellera ses états d’âme forgés dans la solitude de l’anti-pouvoir. Avant de goûter à sa bonne compagnie.
■ Il peut être plus à gauche que la gauche. Issu des courants de la mouvance étudiante marxiste-léniniste des années 70 et des différentes scissions ou démissions. Il se présentera alors comme une alternative à la gauche makhzénisée, cette gauche pastilla d’une rose socialiste moins parfumante ou ce communisme radis : rouge à l’extérieur, blanc à l’intérieur ! Sauf que, pour le scrutin législatif du 13 septembre 2007, la somme des voix des derniers des béni-non-non (PADS, Congrès Ittihadi, PSU) ne leur assure que trois strapontins au parlement. Dans le bureau de vote où se trouve le siège du parti d’Avant-garde, Ahmed Benjelloun a obtenu … 2 voix ! A peine 306 voix pour le leader du Parti Socialiste, Abdessamad Belkebir !
■ S’il entend s'éloigner des deux rives, gauche et droite, il vous fera part d'une position médiane qualifiée de Centre. Un positionnement moins justifié par une voie économique et un choix politique que par l'opportunité de «pomper » dans ce qui séduit chez les uns et dans ce qui rassure chez les autres. Au risque de goûter à l'inconfort de se trouver assis entre deux thèses.
■ Si votre interlocuteur veut se démarquer de toute référence temporelle, il se contentera d’un « référent islamique » plus adapté à une certaine modernité ou revendiquera une solution "islamiste" visant la réforme de la société par la «charia ». Le terme « islamiste », autre mot-valise, regroupe sous la même appellation Al-Qaida, le Hamas, les Frères musulmans, le hezbollah et …le Parti de la justice et du Développement (PJD) et Al Adl wal ihsane marocains ! d’où la necessité de faire lapart des doses :
- Le PJD sera l’émanation du Mouvement Populaire Démocratique Constitutionnel (MPDC) du docteur Al Khatib et des anciens de la chabiba al islamia. Sans couper les ponts idéologiques avec Tawhid Wal Islah.
Trois autres partis sont issus de la Chabiba islamiya d’Abdelkrim Moutii :Al Badil Al Hadari, initié en octobre I995 par Mustapha Mouatassim, transformé en parti en 2002.Le le mouvement de la Oumma, créé par Mohamed Marouani en novembre I998, a reçu l’aval des autorités pour se transformer en parti le 21 mars 2012.Initié par Mohamed Khalidi en avril 2004, le parti de vigilance et de vertu naîtra de la scission du PJD.
Sauf qu’Al Badil et Al Oumma se considèrent plus proches de la gauche que du PJD.Brouillant davantage les cases d'un échiquier partisan suffisamment déroutant, Abdelilah Benkirane déclara, à la naissance du PJD, que «l'Istiqlal est un allié historique sur le plan idéologique. Mahjoubi Ahardane est un allié historique sur le plan pratique ». Depuis, avec la montée de l’opportunisme électoraliste, ses alliances communales et gouvernementales se font de plus en plus interchangeables.
De quoi se demander si le PJD est idéologiquement islamiste ? A part pour des médias friands de qualificatifs accrocheurs, aucun dirigeant du parti de la lampe ne s’est déclaré de la sorte ! Mises à part quelques voix de plus en plus esseulées qui parlent d’ « art propre » ou d’effacement des images publicitaires des jeux de hasard, que reste-t-il du prétendu référent islamique dans l’action gouvernementale conduite par un chef de gouvernement PJDiste?
Selon El Othmani, devenu ministre des Affaires Etrangères envoyé aux quatre coins du monde, « le nouveau gouvernement ne reposera pas sur une quelconque tendance ou caractère religieux. Nous sommes là pour travailler tous ensemble pour l’amélioration des conditions de vie des citoyens et des électeurs qui nous ont fait confiance ».
- Al Adl Wal Ihsane est tantôt présentée comme la «jamaâ » d'une mouvance religieuse, tantôt comme une organisation à caractère politique, plus structurée et mieux implantée que beaucoup de partis squelettiques. A travers son Majliss Choura, Majlis al Qotri (conseil national), son Cercle politique, sa Section syndicale, sa section féminine...
Sorte d'OPNI (objet politique non identifié) du ciel politicien marocain, Al Adl Wal Ihsane refuse sa mutation en parti politique. Parce que, de l'avis de Nadia Yassine. «il n'y a pas de jeu partisan au Maroc. En fait, il n'existe qu'un espace de dissidence octroyé au compte-gouttes par le Makhzen et c'est ce dernier qui en trace les contours, qui en décide la composition et qui en fixe les règles du jeu ».
Allant encore plus loin, la fille du morchid optera pour la république dans une interview publiée en juin 2005.Avec pour tout programme, « une centaine de rouas (rêves prémonitoires) faites par nos frères et sœurs ».
En fait, la divergence la plus profonde entre les islamistes du PJD et ceux d’Al Adl Wal Ihsane se situe au niveau fondamental de la reconnaissance ou non d’imarate al mouminine (commandement des croyants).
■ Enfin, si votre interlocuteur se déclare sans appartenance partisane (SAP), sachez qu'il ne le restera pas longtemps. Au lendemain des votes, vous le verrez vite virer aux couleurs dominantes, moins par conviction qu'au gré des différents intéressements plus-disant ! C'est ce qui, après les élections de 1977 et de 1983, donnera naissance successivement au RNI de Ahmed Osman et à l’U.C. de Maâti Bouabid. Les deux miraculeusement portés à la tête des nouveaux élus, poussés de « l’Intérieur » dans les bras des premiers ministres, premiers servis.
Le tracteur d’Ali Al Himma laboura tellement de transhumants au parlement qu’à peine fondé au lendemain des législatives de 2007, il mutera en deuxième puissance parlementaire du royaume (55 députés). Avant l’irruption du Parti Authenticité et Modernité (PAM) en 2009 à la tête des communales, des professionnelles puis du renouvellement du tiers de la chambre des conseillers.
Istiqlal affiche la plus grande longévité et la plus forte fécondité des partis en place. Né avant l'indépendance, ce parti des «frères» est aujourd'hui arrière-grand-père. La première «intifada» s’y était traduite par la constitution d'une cellule de dissidence le 25 janvier 1959, débouchant sur la création de l'Union Nationale des Forces Populaires (UNFP). Celle-ci donnera naissance à l’USFP qui ne pourra éviter l'arrivée du Parti d’Avant-garde Démocratique Socialiste (PADS) puis du Congrès National Ittihadi (CNI). Alors que le parti communiste marocain (PCM) sera transformé en Parti de Libération Socialiste (PLS) puis en Parti du Progrès et du Socialiste (PPS). Pendant que le «23 mars» donnera naissance à l’Organisation pour l’Action Démocratique Populaire (OADP).
Entre-temps, le Mouvement Populaire (MP) devait naître dans le prolongement d'une campagne menée auprès de tribus berbères du Moyen Atlas en août 1956 par le caïd Lahcen Lyoussi. Ce parti n'a pu éviter la naissance du frère ennemi MPDC. Avant d'être morcelé en Mouvement National Démocratique (MNP) en 1993, puis en Mouvement Démocratique et Social (MDS) en 1997, puis en Union Démocratique (UD) en novembre 2001. Avant la naissance d’ Al Ahd, benjamin d’une fratrie de famille plus décomposée que recomposée.
Le Rassemblement National des Indépendants (RNl) ne pourra éviter la scission qui donna le Parti National Démocrate (PND) puis le Parti pour la Réforme Démocratique (PRD). Ahmed Ziane, ancien ministre de l’Union Constitutionnelle (U.C), créa son Parti Marocain Libéral. Ali Belhaj scellera l’Alliance des Libertés. Au moment où Abderrahim Lahjouji tentait de rassembler ses Forces Citoyennes. Plus tard, un autre démissionnaire de l’USFP, Abdelkrim Benatik, aura son Parti Travailliste. Sans compter les tentatives mort-nées.
Le baby boom partisan est tel qu’entre 2001et 2002, neuf organisations politiques ont été enfantées. Auxquelles se sont ajoutées trois autres en 2005. Soit presque autant que ce que comptait le pays durant les 2O premières années de l’Indépendance.
A ce rythme, les manitous finiront par devenir plus nombreux que leurs indiens! Un député OADP, emporté par un excès d'humilité, reconnut que le congrès de son parti pourrait se tenir dans une Téléboutique! Des candidats sont alors obligés de passer une nuit blanche devant les préfectures pour avoir le premier symbole sur le bulletin de vote, plus repérable pour la majorité analphabète des électeurs !
Pour expliquer ces tas des lieux, on a suspecté une «volonté makhzeniène de diviser pour mieux régner». Le même makhzen, au nom d’une alternance très consensuelle, arrivera à faire cohabiter, dans le même gouvernement « cohérent et solidaire », un PPS et un Front des Forces Démocratiques (FFD) qui venaient de se séparer en toute inimitié. Ce qui témoigne, chez les progressistes, communistes et autres égalitaristes d’antan, d’une volonté de prendre son tour de rôle dans une rente de « nouba » de participation.
Cette multitude n'est pas forcément un signe extérieur de bonne santé démocratique, encore moins économique et sociale. La constitution révisée tentera d’y mettre plus d’ordre. On aura, d’une part, « les partis politiques (qui) œuvrent à l’encadrement et à la formation politique des citoyennes et citoyens, à la promotion de leur participation à la vie nationale et à la gestion des affaires publiques… ». Et d’autre part, « les organisations syndicales des salariés, les chambres professionnelles et les organisations professionnelles des employeurs (qui) contribuent à la défense et à la promotion des droits et des intérêts socioéconomiques des catégories qu’elles représentent… ».
Puisse cette répartition des tâches, plus politiques pour les uns, plus socioéconomiques pour les autres, permettre de voir plus clair dans la paysage représentatif national. Car l'inflation partisano-syndicale n'est favorable ni à la cohérence d'une majorité appelée à assumer une bonne gouvernance, ni à l'efficacité d'une opposition devant favoriser une véritable alternance. Encore moins à l'émergence de partis représentatifs : Aux élections législatives de 1997, sur 15 partis, 7 ont obtenu chacun moins de 5% des voix exprimées. Lors des communales 2009, sur 28 partis en lice, seulement sept ont dépassé un tel seuil !
D’où les tentatives de se rassembler, aboutissant à la constitution de plusieurs blocs, plus ou moins fissurables, à plus ou moins court terme :
■ Parmi les plus éphémères, koutlate al a'male al watani (février 1934), Mithak koutlate achamale (décembre 1942), Al Jabha Al Watania Al maghribia (avril 1951), le FDIC (mars 1963), La Koutla Al Watania (juillet 1970) entre le Parti de l’Istiqlal et l'UNFP. Suivis du Front Marxiste-léniniste, fondé par les organisations Ila Al Amame et 23 mars en vue d'appeler à «la révolution du prolétariat» pour instaurer «l'Etat des travailleurs ».
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■ Moins précaire, la Koutla addimocratia (17 mai 1992) englobera tous les partis issus du Mouvement national : l'Istiqlal, l’USFP, l'OADP, le PPS et l'UNFP. Plus tard, Abdallah Ibrahim fera cavalier seul. Auprès des deux grands frères (Istiqlal et USFP), les deux «petits », (PPS et OADP), tenteront tant bien que mal de préserver l'esprit de famille. Plutôt mal ! Refusant de répondre à l'appel (du 4 septembre 1992) des partis de la Koutla au boycott du référendum sur la Constitution, le PPS décida de voter oui. Puis, à l'occasion des élections législatives du 25 juin 1993, seuls l'USFP et l'Istiqlal ont présenté des candidats communs.
Des parlementaires USFP eurent pour consigne de voter pour le candidat du RNI au perchoir de la Chambre des conseillers. Un RNI, pendant longtemps taxé par la presse de la même USFP de pure «fabrication des Moqaddem» !
Entretemps, la Koutla sera incapable de passer d'une alliance revendiquant la réforme, à une alliance intégrée pour assurer le succès de « la transition démocratique ». Certes, le torchon brûlant au fil des tons, il a été reproché au parti d’Abbés El Fassi son alliance gouvernementale avec Driss Basri, marquée par «l'emprisonnement de militants syndicalistes ainsi que la mise sur le carreau de centaines d'enseignants et de fonctionnaires de la santé publique ».
Certes aussi l'Istiqlal n'a jamais pardonné à l’USFP d'avoir accepté, trois ans après le refus de M'hamed Boucetta, une primature confiée à un Abderrahman Youssoufi nettement moins-disant, acceptant une alternance tellement consensuelle qu’elle assura la promotion de Driss Basri au rang de ministre d’Etat. Sauf que les deux partis, conscients de l'arrivée inéluctable des vents de changement de maroquins, se sont toujours arrangés pour être tous les deux du bon côté du souffle. Jusqu’au team Benkirane qui garda des ministres PI et PPS et renvoya l’USFP dans l’opposition. Signat définitivement l’acte de décès d’une Koutla depuis longtemps moribonde.
Sur l’autre rive, qualifiée de droite, on tenta durant les années 90 de faire croire à une coalition baptisée Wifak (concorde) composée de l’U.C., le M.P. et le PND. Commandée d’en-haut, elle répondait à la confection d’une coalition gouvernementale, alternative au refus par l’Istiqlal de la première offre d'alternance consensuelle.
Fin 2011, une semaine après l’annonce de la création du mort-né « G8 », un nouveau regroupement concernera le PCS d’Abdellah Kadiri, le Parti de la liberté et de la justice sociale et le PRD de Abderrahman Al Kouhen.Cette « Alliance nationale», bricolée à la veille de la formation du gouvernement Benkirane, ne lui survivra pas !
Les partis formant « l’Alliance du Centre » (Renouveau et équité, le Mouvement démocratique et social et Al Ahd Addimocrati), ont signé en mars 2012 « une Charte politique qui définit l’identité, la référence et les principes et priorités de cette coalition ». Mort-née car mise au jour dans des foyers politiciens à l’abandon.
Pour encore brouiller les cartes, le ministre du précédent gouvernement, Akhchichene, arriva à rester ministre de la majorité pendant que son parti, le PAM, s’est replié dans l’opposition. Aziz Akhanouche se débarrassa de l’étiquette RNI qui le porta au parlement pour faire partie, sans étiquette, du gouvernement Benkirane. La chambre des conseillers, pourtant présidée par Cheikh Biadillah du parti de l’opposition, vota la confiance au gouvernement Benkirane.
Dès lors, les plus nets rapprochements gagnants se font entre électeurs, argent et candidats. La ruée vers les circonscriptions les plus prenables sera plus tribale, voire consanguine, plus notabilisée que partisane, moins convaincante que sonnante et trébuchante.
u fil des élections, le tarissement de la demande citoyenne a paradoxalement offert toutes les formes possibles de combinaisons partisano-syndicalo-associatives :
■ Des partis qui ont donné d’autres partis :de l’Istiqlal à l’UNFP, de l’UNFP à l’USFP, de l’USFP au PADS, de l’OADP au PSD, du Congrès national Ittihadi au Parti Socialiste, du PPS au FFD, du MP au MNP puis au MDS, du MNP à l’Union Démocratique et Al Ahd, du RNI au PND puis au PRD.
■ Des syndicats donnant des partis. Comme la Confédération Démocratique du Travail (CDT) qui mettra au monde le parti du Congrès National Ittihadi. Ou la centrale patronale (CGEM) qui donna un leader aux Forces citoyennes.
■ Des partis donnant desfiliales syndicales. A la manière des couples USFP-CDT, PI-UGTM, PJD-UNTM…
■ Des partis dont les contre-courants se transforment en associations. A l’instar de « fidélité à la démocratie » au sein de l’USFP, avant de cofonder le Parti Socialiste Unifié (PSU). Ou du « Mouvement de réforme démocratique », créé derrière Mohamed Marini par les dissidents de l’OADP avant d’aller se fondre dans le PSD qui se diluera dans l’USFP.
■Des associations qui mutent en partis, après avoir prôné la neutralité du contre-pouvoir de la société civile. Comme l’association Maroc 2020 qui aboutira à L’Alliance des Libertés. L’Association marocaine du Développement Local qui a préparé la transformation en parti Al Ahd des énièmes sécessionnistes du Mouvement Populaire. Ou le Mouvement de Tous les Démocrates qui servira à mettre sur orbite le Parti Authenticité et Modernité.
Pour ne rien arranger, nos politiciens restés en dehors d’une formation gouvernementale avaient déjà inventé le « soutien critique » qui tente le grand écart entre ni opposition ni majorité.
De « la gauche », chacun a sa définition, sachant par ailleurs qu’en fonction des époques celle-ci varie sans cesse. A entendre Gerhard Schröder en Allemagne parler de mettre fin aux indemnités des chômeurs de plus d’un an et Tony Blair proposer la privatisation des hôpitaux, le point le plus vulnérable de la gauche c’est qu’elle n’est plus de gauche !
Chez nous, pendant longtemps, dans le feu de l’action verbale de l’opposition virulente des années 70 et 80, moult observateurs confondaient Koutla et Gauche, permettant au très conservateur Istiqlal de fondre dans un vrai faux référentiel idéologique.
A la fausse étanchéité des clivages Gauche-Droite s'ajoutent des «brouillages» au sein d’une majorité trop plurielle et une opposition très singulière.
Porté à la tête du parti, Hamid Chabate enverra au chef de gouvernement un mémorandum faisant part de « la faiblesse » Allant jusqu’à relever « le recul des libertés » sous la Primature PJDiste.
Une attitude qui rappelle la mise en garde de Mohamed Bahi contre « la tentation d'avoir à la fois les avantages du pouvoir et l'honneur de l'opposition ».Beaucoup d’anciens ministres qui ont géré le pays à un moment ou un autre, ont prétendu, évidemment après avoir été débarqués, que leur part du pouvoir était très limitée. Plusieurs années après avoir quitté le gouvernement Youssoufi I puis II puis Jettou, Mohamed Achaâri regrettera d’y avoir participé. A leur encontre, on peut paraphraser J. Renard à propos de l’argent : « Si les portefeuilles ministériels ne font pas votre bonheur, rendez-les ! ».
Mohamed Hafid, ancien chef de la Jeunesse Socialiste, proposa de revoir la classification traditionnelle qui opposait les partis de l'administration aux partis du mouvement national. Il fera remarquer que « les pratiques de compromission politique des partis de l'administration ont tendance à se généraliser également au sein des partis démocratiques». Plus explicite, Mohamed Sassi, leader du PSU, parlera du «passage de la période de la droite administrative à celle de la gauche administrative ».
Les différences sont loin de se faire à travers la reconnaissance des courants démocratiquement constitués autour d'un débat d'idées. La balkanisation partisane étant l'expression d'un refus de fédération des sensibilités, la multiplication des luttes intestines autour d'intérêts égoïstes reflète plus de querelles de personnes que de différences de programmes.
D’où l'existence dans un même parti des réformateurs, des conservateurs, des libéraux, des populistes… La marche de Casablanca, défavorable au Plan d'intégration de la femme dans le développement, a vu les leaders de l'UMT côtoyer ceux de la CDT à Rabat et des dirigeants de la supposée libérale U.C. marcher aux cotés des Islamistes à Casablanca.
Pour Abdallah Laroui, le Maroc connaît cinq grandes tendances : la gauche moderniste, la gauche centriste, le centre libéral, le centre régionaliste, la droite populiste. On peut aussi retenir une distinction entre les partis de l’ancienne gauche devenue consensuelle, ceux de la gauche … de la gauche, l’aile conservatrice et l’aile libérale. Pourtant, sur le terrain, il est toujours possible d’obtenir les combinaisons arithmétiques les plus encastrables dans tous les moules gouvernementaux possibles et … inimaginables.
Le très SAP premier ministre Driss Jettou n’eut aucun mal à réunir dans la même équipe des ex-communistes, des ex-socialistes, des libéraux et des défenseurs de la féodalité rurale ! Des prochains ex-opposants chercheront sans gène toute prochaine ex-majorité !
La Constitution du premier juillet 2011 garantit à l’opposition parlementaire un statut lui permettant de s’acquitter des droits à même de lui permettre de s’acquitter convenablement de ses missions afférentes au travail parlementaire et à la vie politique.
Beaucoup restera à faire pour passer de tant de missions à leur manifestation sur autant de terrains de représentation, d’animation des débats, de démocratisation interne… Après que soit définitivement démodée la différence entre une gauche nécessairement bonne parce qu'ayant l'exclusivité «démocratique et nationale» et une droite foncièrement mauvaise parce que traînant une paternité «administrative».
Le processus électoral est donc moins la manifestation d'un multipartisme d'éthique que l’utilisation d'un stock d'étiquettes. Dès lors, les stratégies d'alliances se font moins sur des programmes communs que sur le plus petit dénominateur commun d'un consensus postélectoral. Alors que la confrontation de nouvelles idées étalonne les valeurs, un consensus suffisamment mou peut justifier une profonde atonie.
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