Dix-neuf
« UNE MONARCHIE
PAR ACTION »
"Le seul ennemi de la démocratie, c'est un bon Roi..." Oscar Wilde
ne certaine dichotomie réductrice veut que la démocratie soit l'antithèse de la monarchie. Or, l'expérience a montré que, non seulement des régimes monarchiques pouvaient être démocratiques (Grande-Bretagne), mais que la restauration monarchique pourrait être l'instrument de la consolidation démocratique (Espagne). Si les deux systèmes ne sont pas nécessairement antithétiques, on peut constater une distinction entre des monarchies « présidentielles » en transition démocratique et des républiques « monarchiques » despotiques!
Paradoxalement, le monde arabe souffre surtout de la deuxième variante. Pendant que les partis européens se bagarrent pour remonter des écarts électoraux de 1 ou 2%, Ali Abdallah Saleh, a été réélu au Yémen par 96, 3% des voix puis ré-réélu après avoir clamé son départ. Avant son décès, Hafez El Assad s'était assuré un nouveau septennat par 99,98% des syriens.
Parfois, pour mieux faire semblant, certains présidents sortants-rentrants tolèrent des candidats formellement concurrents, pour servir de lièvres qui, à l'instar des certaines courses d'athlétisme, donnent plus d’éclat à la victoire du super favori. Au lendemain de la révolution du Palais de Carthage, le vieux lion Bourgiba se fit dévorer par un certain Benali, officier de l’armée. Lequel promettra l’alternance démocratique à la république tunisienne. Avant de mettre la Constitution au rythme de son autocratie pour briguer un cinquième mandat !
On a vu des présidents à vie dans les pays arabes préparer leurs enfants à l'héritage de l'autorité suprême (Jamal Moubarak, Saïf Al islam Kadhafi…). On a aussi vu aussi comment tout cela s’est si mal terminé !Ce qui ne fut pas le cas en Syrie où, pour présidentialiser Bachar Al Assad, le parlement amenda en quelques minutes une disposition de la Constitution relative à l'âge d'éligibilité. Au lieu que le candidat à la succession soit soumis à la Constitution, c'est la Constitution qui lui a été soumise! Leurs populations rêveraient d’appliquer à leur nanisme économique et démocratique, les mêmes scores d’unanimisme politique !
our Hassan II, in La mémoire d'un Roi, « la Constitution affirme que les partis constituent l'encadrement de la population pour la former, l'éclairer. Mais ils n'ont jamais représenté pour moi le passage obligé pour parler au peuple».Cela signifie-t-il pour autant que le Souverain soit seul «maître du jeu»? « Non, répond-il dans le même livre-entretien, je reste maître d'un jeu, à savoir que je suis aimé par mon peuple. Je n'y peux rien si c'est au détriment de quelques partis politiques. Si, chaque fois qu'un parti tient son congrès, je me présentais dans la salle en disant : Je me propose comme secrétaire général, je serais élu à l'unanimité ».
On demanda à Hassan II ce qu'il pense de cette appréciation de Charles-André Julien: « Le rapprochement entre le roi et Abderrahim Bouabid a une valeur historique, parce que rien ne pourra se faire au Maroc s'il n'y a pas une entente…sur les points principaux, entre le souverain et Bouabid qui représente la jeunesse et qui a la capacité d'être un opposant ».Il répondra que « la part que Charles-André Julien fait à M. Bouabid dans la pérennité du Maroc, il faut qu'il la fasse à tous les partis politiques. Il n'y a pas de super parti au Maroc qui puisse assurer la pérennité de la monarchie constitutionnelle».
D’ailleurs, le défunt souverain ne s’en privera pas. Ses conseils allaient jusqu’aux détails organisationnels de certains partis. Ahmed Kadiri raconte qu’avant de consommer la scission du RNI, « on a fait appel à l'arbitrage de feu Hassan II, en demandant à ce qu'on crée un parti. Et lorsque nous avons parlé de Parti Social Démocrate, sa majesté a répondu: nommez-le Parti National Démocrate ». Une autre fois, au moment des tractations avec le Palais pour ré-autoriser l’organisation communiste, Ali Yata se vit proposer par Hassan II la transformation du PLS en PPS.
Au lendemain du décès de Maâti Bouabid, les membres du bureau politique de l'UC ont été reçus par Hassan II qui leur demanda de recourir à une présidence tournante en attendant le prochain congrès. Elle fut si mal perçue et si mal conçue qu'elle sera le début de la fin d'un parti dont les interminables intérimaires useront sans modération des renvois du congrès. Au moment d’en tenir un, plus de la moitié des membres du bureau politique étaient morts, démissionnaires ou démissionnés.
La spécificité majeure de la monarchie marocaine, clairement exposée dans La Mémoire d’un Roi, est d'être « constamment en mesure d'éviter que la Constitution, le Parlement et l'exécutif deviennent un écran entre le roi et le peuple », fera observer Hassan II. Avant de trancher : « franchement, cette histoire de monarchie qui sort de son rôle d'arbitre est une légende. Chez nous, la monarchie s'appuie sur l'allégeance, la Beiâ, qui est un contrat d'ordre religieux tempéré par le fait que le monarque n'a pas le droit d'agir par inaction, il est obligé d'agir par action ».
Dans le même ordre d'idées, à l’occasion d’un entretien publié dans le Figaro, le roi Mohamed VI notera que «les Marocains n'ont jamais ressemblé à personne et ils ne demandent pas aux autres de leur ressembler. Les Marocains veulent une monarchie forte, démocratique et exécutive. Chez nous, le Roi ne se contente pas de régner».A une question du Time, le souverain rappellera que «Nous ne sommes pas l'Allemagne, le Suède ou l'Espagne... Chaque pays a ses propres caractéristiques de la démocratie... ».
Etant ainsi placée au-dessus de toute appartenance partisane, la monarchie sera partie prenante à tous les niveaux de proposition législative, de contrôle judiciaire et de mise en œuvre exécutive. Une monarchie d’autant plus exécutive qu’au-delà d’un gouvernement qui décide et gère avec ses départements ministériels, un autre lieu de pouvoir fonctionne autour du Cabinet royal et des conseillers du Roi, dans un réel espace de pouvoir parallèle.
Le Conseil Consultatif des droits de l’homme, le conseil royal consultatif des affaires sahariennes, le Conseil supérieur de l’enseignement, la Fondation Hassan II pour les Marocains résidant à l'étranger, la Fondation Mohamed V pour la Solidarité et la lutte contre la pauvreté, la fondation Mohamed VI pour la promotion des œuvres sociales, de l'éducation et de la formation, le Conseil supérieur de la magistrature (transformé par la constitution du premier juillet 2011 en Conseil supérieur du pouvoir judiciaire), le Conseil supérieur de la communauté Marocaine à l’étranger sont l'expression d'une volonté de transcender tous les pouvoirs et tous les courants politiques et, par conséquent, les résultats factuels de telle ou telle élection.
Le souverain est tellement au-dessus des partis que, quel que soit le positionnement partisan des hommes politiques, ils peuvent assumer des missions d’Etat. Ce fut le cas, alors qu'ils étaient dans l'opposition, d’Abderrahmane El Alaoui en tant qu'ambassadeur du Royaume auprès de Nations Unies et d’Habib El Malki à la tête du CNJA. Alors que son parti s'opposait à tout ce qui bougeait, Abdelwahed Radi fut nommé ministre de la Coopération entre 1983 et 1985, Chargé jusqu'en 1986 du secrétariat général de l'Union Arabo-Africaine (Maroc-Lybie).Abbès El Fassi a été nommé ambassadeur en Tunisie puis en France, alors que son parti de l’Istiqlal consacrait toutes ses apparitions parlementaires à la critique systématique des choix gouvernementaux, politiques, économiques, sociaux et … diplomatiques.
Héritant de la douce alternance inaugurée par Hassan II, le nouveau règne nommera à la représentation diplomatique un ancien ministre du PPS (Nabil Benabdallah), un dirigeant de l’USFP (Mohamed Lakhssassi), un ancien prisonnier politique (Abdelkader Chaoui). Ainsi qu’un ex-fervent opposant droitdelhommiste (Driss Yazami) à la tête du Conseil de la communauté marocaine à l’étranger, un ex-prisonnier politique, Ahmed Herzni à la présidence du Conseil Consultatif des droites de l’Homme, après le décès de Driss Benzekri. Puis de l’ex-opposant Abdeslam Aboudrar à la tête de l’Instance centrale de prévention de la corruption, transformée par la nouvelle constitution en Instance nationale de probité et de lutte contre la corruption.
Quand les leaders des partis ne travaillent pas sous l’impulsion d’une nomination officielle, ils tentent quelques actes de présence à peine perceptibles au niveau de la diplomatie parlementaire et partisane internationale. L’Istiqlal justifie son absence de l’Internationale socialiste (à laquelle appartient l’USFP) par son refus de siéger aux côtés du parti socialiste d’Israël. Dans le camp des partis dits de droite, seule l’UC adhère à l’Internationale Libérale. Il faut croire que les problèmes de cuisine intérieure et de soumission, des années durant, à l’ingérence de l’Intérieur leur ont laissé peu de moyens à consacrer à une politique extérieure.
Ce qui n’arrange pas une diplomatie marocaine si versatile et si peu professionnelle que Mohamed VI lui consacra une sévère critique dès ses premiers discours. Son plus grand échec aura été sa gestion de « l’affaire du Sahara Marocain ». Plusieurs décennies après la Marche verte, nous sommes passés des « provinces du Sud récupérées » aux « provinces sahariennes » soumises à la formalité d’un « référendum confirmatif ». Avant d’aboutir à la proposition d’un « projet d’autonomie ».
Entre-temps, les « mercenaires du Polisario» ont donné au « watan ghafour rahim » quelques hauts fonctionnaires qui n’ont pas évité au royaume le dédoublement des interlocuteurs entre la vieille garde de Tindouf et les jeunes pousses de Laâyoune ou Smara. Plusieurs décennies de tergiversations diplomatiques pour passer du Polisario des terres algériennes au Polisario d’addakhil (intérieur du pays)!
ctobre 1994, Hassan II proposa à la Koutla la formation d'un gouvernement d'alternance consensuelle avec un Premier ministre issu de l'opposition. A condition «d'œuvrer à ce que le déficit du budget ne dépasse pas un certain seuil, d'agir sur l'inflation et de créer des postes d'emploi productifs».Le tout assorti de la garantie royale d'une «stabilité parlementaire d'au moins trois années. Jusqu'au terme de la législature, si besoin est». Une démocratie au fur et …sur mesure à laquelle l'USFP refusera de participer à travers un cabinet de minorité parlementaire que devait présider M'hammed Boucetta. Un communiqué officiel annonça l'avortement des tractations. En raison de l'insistance du Palais de maintenir Driss Basri à la tête du ministère de l'Intérieur.
Un an après les partis, le gouvernement et les syndicats signeront l'accord du premier août 1996, jetant les bases d'une « paix sociale ». Au mois de septembre de la même année, la nouvelle Constitution est acceptée par référendum. Dans la foulée, les partis et le gouvernement ont signé un Code d'honneur relatif aux conditions morales de déroulement des élections. Driss Basri sera présent à toutes ces étapes d'un «processus consensuel».
Un processus bouclé par la nomination, le 14 mars 1998, de Abderrahmane Youssoufi, au poste de Premier ministre. L'USFP et l'Istiqlal, pressentis au «gouvernement de changement», ayant révisé leurs conditions à la baisse, l’ex-ministre d’oum al wizarate (mère de tous les ministères) sera promu au rang de ministre d’Etat. Ce qui en fera, selon l'U.C Abdelaziz Lemsioui, «le Ronaldo du gouvernement d'alternance !».
■ Cette péripétie couronnera la fin des années de lutte entre le Palais, les partis du Mouvement national radical et certains militaires pour investir l'appareil de l'Etat. La page des premières années de l'après-Indépendance n’étant jamais tournée, elle continuera d’alimenter autant les tenants de la légitimité historique que les prétendants à leur remplacement :
● Les premiers ne cesseront de rappeler la rébellion du Rif (octobre 1958), le boycott du Conseil National Consultatif (Avril 1959), la dissolution du Parti Communiste (février I960), l’arrestation des dirigeants de l'UNFP, Abderrahmane Yousoufi et Fquih Basri (Février I960), l’arrestation de dirigeants de l'Istiqlal pour atteinte à la sûreté de l'Etat (juin 1963) l’arrestation du Président de l’UNEM (août 1963), puis des dirigeants de l'UNFP et du P.C.M. (octobre 1963), la condamnation à mort par contumace de Ben Barka et de Hamid Berrada, président de l’UNEM (novembre 1963), la condamnation à mort de 11 dirigeants de l’UNFP pour «le complot» de juillet 1963, la proclamation de l'état d'exception (juin 1965), l’assassinat de Mehdi Ben Barka (octobre 1965) ….
● Pendant que les autres tiendront à faire savoir que les années de plomb ont commencé dès le lendemain de l'Indépendance. Dans «Dar Bricha ou l'histoire d'un disparu», Mehdi Moumni relate les conditions de détention, entre 1956 et 1960, des anciens résistants et des opposants au parti de l'Istiqlal, appartenant essentiellement au parti Choura et Istiqlal (PDI). Le livre rapporte une lettre inédite de Mohamed Ben Abdelkrim El Khattabi sur l'existence des dizaines de centres de détention. Quand il est reproché à Mahmoud Archane ses activités à Derb Moulay Cherif, le patron du MDS déclara à un hebdomadaire national : «Fquih Basri a introduit des fusils à lunette pour tuer Hassan II... Les subversifs sont devenus des héros... ».
■Historiens et mémoires d’anciens rappellent qu’à la veille de l’indépendance, il y eut des assassinats et des enlèvements commandités par certains dirigeants de l’Istiqlal dont Allal El Fassi, Abdelhak Torres et Mehdi Ben Barka. Quand Abdelkrim El Khattabi fut contraint à l’exil en 1926, l’Istiqlal aurait usé de ses réseaux pour que cet éloignement se fasse en Egypte et non en en France ou en Espagne, d’où « le lion du Rif » aurait pu garder toute son influence sur les combattants du Nord.
- Aux premières années de l’indépendance, ce qu’on appela «l’opposition armée» de l’organisation secrète ittihadie (le Tanzim) infiltra des éléments depuis la Lybie pour la fabrication de bombes et la prolifération d’armes à feu. Avant de se déployer en groupuscules à Khénifra, Guelmim, Figuig ou Tinghir. Mehdi Bennouna, dans son livre Héros sans gloire, retrace l’épopée dramatique de ces jeunes guérilléros qui voulaient renverser le pouvoir en 1973 en embrigadant des paysans de l’Atlas. Ils seront décimés par l’armée, plus jamais cités par les ex-gauchistes arrivés au pouvoir.
- Deux journalistes du journal Le Monde, Stephen Smith et Pierre Turquoi, ont décrit le Fquih comme « l'artificier de la violence subversive, en accord avec ses «camarades » qui, par la suite, auraient aimé nier ce partage des rôles au sein de la gauche marocaine qui a été, jusqu'au milieu des années 1970, démocratique, le jour, et insurrectionnelle, la nuit ».
Longtemps après avoir été condamné à mort par contumace en 1963, Hamid Berrada confia à Ashark Al Awsat que Mehdi Ben Barka «n’était pas un opposant politique mais un militant guerrier». Avant d’avouer qu’on lui a « confié la mission de tuer Hassan II dans son lit en 1963 (…) Oufkir n’était pas le seul impliqué dans le coup de 1972 mais le Fquih Basri et beaucoup d’autres ».
- Abdelkader Chaoui, ancien prisonnier politique, reconnaît qu'avec ses anciens compagnons, il «planifiait pour une guérilla populaire de longue haleine pour changer le régime ». Avant de se rendre compte, plus de trente ans plus tard, que «le maoïsme, le nassérisme, le polpotiste n'ont aucune relation avec la démocratie ».
- Abdelaziz Tribak, ex-détenu politique, a passé 11 ans de sa vie en prison. Il a confié à un quotidien national que le combat de Ila Al Amame était voué à l'échec. Il raconte comment, après l'interdiction de l'UNEM en janvier 1973, la répression et la torture augmentant d'intensité, au lieu d'arrêter l'hémorragie, Ila Al Amam a décidé de continuer sa stratégie de confrontation. Le mot d'ordre était que les militants s'exposent et résistent quitte à se faire prendre ».
Le VII ème congrès de l’UNEM tenu en 1963 ira jusqu'à annoncer que «l'une des tâches urgentes du mouvement étudiant est de faire tomber le régime et le remettre entre les mains des forces vives du pays ».Au début des années 60, on pouvait lire dans un communiqué que le but final était d'implanter «le vrai marxisme-léninisme au Maroc en guidant une révolution totale qui mettra fin à l'hégémonie réactionnaire et à l'hésitation des partis politiques... La lutte de masse doit avoir son écho à l'Université » ! En 1968, à l'occasion du congrès de Fès, est apparue «la jeunesse révolutionnaire» qui quittera le clan guévariste pour tenter une nouvelle organisation des masses marocaines à ... la Chinoise !
- Témoin de cette époque, Hassan Bazwi écrira dans son ouvrage L'UMT; Le Rêve et la Réalité : «les fossoyeurs de l'action radicale étaient dans la bergerie, ils détruisaient, à notre insu, tout ce qui pouvait être construit. Nous ne pouvons mesurer l'ampleur des dégâts et des torts qu'ils ont pu causer. Nous ne pouvons savoir, à quel point ces loups ont poussé beaucoup de jeunes, dans les années soixante et soixante-dix, à certaines extrémités pour s'en débarrasser et par la suite, se servir de leurs luttes et sacrifices pour redorer leurs blasons».
U
P
O
Très tôt, d’une monarchie politiquement entreprenante, Hassan II était passé à une monarchie économiquement entrepreneuriale. Depuis le passage de l’ex-Omnium Nord-Africain dans le giron royal, l’ONA deviendra si omniprésente dans le monde des affaires qu’un Miloud Chaâbi confia au Journal son souhait que le roi Mohamed VI « ne soit pas actionnaire dans l’ONA. Ce groupe ne lui crée que des problèmes ».
Suite à la fusion–absorption d’ONA par SNI, le nouvel ensemble grandit pour atteindre pas moins de 36 filiales (Lafarge Maroc ; Nouvelles Sidérurgies Industrielles ; Wana ; Somed ; Centrale Laitière ; Cosumar ; Lesieur-Cristal ; Attijariwafa bank ; Managem ; Nareva ; Bimo ; Renault ; Longométal Afrique ; Atlas Hospitality Morocco ; Marjane Holding ; Omapar-CMO ; Soread 2M ; Sopriam....).
Lors d'un entretien, Mustapha Oukacha, président de la chambre des conseillers, prend le discours royal pour tout «le programme autour duquel les partis doivent s'unir ». Au point de provoquer chez le journaliste la question de savoir si « vous faites donc partie d'un parti qui s'appelle le roi?». Et chez l'interviewé un « bien sûr, nous faisons partie du parti du roi »! Une interprétation si abusive de la monarchie exécutive appellera le souverain à rappeler, dans le discours du trône de juillet 2003, qu'il «ne peut effectuer le travail qui incombe au ministre, au gouvernement ou au président d'une collectivité locale».
Certains avis vont jusqu'à «autoriser» les partis à ne plus prévoir de programme de gouvernement. Parce que « c'est le Roi qui définit, lors des discours, les priorités du moment ». Abbès El Fassi, devenu Premier Ministre, a fait part de son intention d’« appliquer le programme de Sa Majesté ». La déclaration de politique générale du premier ministre sera axée sur des priorités définies par le roi à l’ouverture du parlement.
■ « Au Maroc, le chef du gouvernement a un pouvoir. Mais Sa Majesté est le propriétaire suprême de ce pouvoir », déclara au quotidien espagnol El Pais Abdelilah Benkirane, nouveau Chef du gouvernement de la nouvelle Constitition. Ce qui n’a rien à voir avec la spécificité britannique dont la reine lit un discours au Parlement …écrit par le premier ministre.
Avant son arrivée à la tête du gouvernement, Abdelilah Benkirane reconnaît «avoir pitié de certains ministres. Quand nous les questionnons sur des aspects qui relèvent en principe de leurs attributions mais dont ils n’ont parfois aucune idée. Parce que ces prérogatives relèvent d’autres personnes et d’autres institutions. Et que, par-delà le premier ministre, des orientations sont données aux ministres au nom du roi. Alors qu’elles peuvent émaner de conseillers ou de proches du monarque ».
« Le maintien des ministres se fait aujourd’hui comme hier sur la base de leur degré de fidélité dans l’exécution de la politique royale et non pas forcément sur la base de leur compétence », explique Omar Bendourou, professeur de droit constitutionnel. Dès lors, des voix expriment une certaine crainte de voir le Trône s'ériger en micro gouvernant, directement exposé à l'évaluation de son action, sans fusibles d'intermédiation.
Un éditorialiste estimera que « cette personnalisation extrême du pouvoir a un dangereux effet secondaire : elle délégitime toutes les institutions, et vide de son sens le principe de délégation du pouvoir, qui est le socle de la démocratie. Pire, elle donne à croire que la démocratie est un mécanisme nuisible car le pouvoir, s’il est délégué, le sera forcément à des gens incompétents et malhonnêtes. Conclusion, nous n’avons que faire de la démocratie, puisque le chef de l’Etat peut régler tous les problèmes lui-même. Le drame, c’est que le peuple a endossé cette conclusion avec enthousiasme, depuis un moment déjà ».
Résultat, pour affronter tant de défis, le souverain doit faire avec un système juridico-partisano-syndical qui s’en remet beaucoup à lui pour trancher les vraies questions. Pour certains observateurs, la force du système, appuyé sur un seul homme, devient sa faiblesse. Pendant que les zouama, en perte de crédibilité et de popularité, dépourvus de toute initiative réformatrice, empêtrés dans leur cuisine intérieure, trouvent leur solde pour tout compte derrière la ligne de conduite, politique, économique, sociale et diplomatique tracée par le Palais « exécutif ».
■ Tant de paris économiques se sont perdus dans les labyrinthes de la méfiance et la suspicion qui, après la contestation sectaire, ne laisseront au pays que le réflexe sécuritaire. L'expérience a montré que les hommes de confiance ont certes joué le rôle qui leur a été attribué mais ils l’ont dépassé à un moment ou à un autre. En exploitant à leur compte, à celui de leurs proches, une partie de l'influence politique ou symbolique du Roi. Sur la base de «cette rente sécuritaire, tant de profiteurs ont pris en otage le régime et l'avenir du peuple marocain, laissant se développer une mafia politique et administrative» (Nadia Barklil).
Il aura fallu tant d'années et de démentis infligés aux «révolutionnaires » d'antan pour les entendre proclamer leur conviction monarchique, avec un Souverain devenu leur «meilleur atout». A la question d'un journaliste qui le trouvait homme du palais, Abdelwahed Radi confirmait que : «oui, pour mille et une raisons. Le palais est incontournable dans ce pays et on ne peut rien faire de bon et d'intéressant sans le Palais, sans le Roi. C'est la pierre angulaire de toute la vie politique marocaine ».
La monarchie « exécutive » des précédents discours et interview du souverain devient une « Monarchie citoyenne » garante des fondamentaux de la nation, assurant des missions de souveraineté et d’arbitrage suprême.
En témoigne la suppression dans la nouvelle constitution de toute référence à la sacralité de la personne du Roi, en lui substituant la notion, plus moderne, d’inviolabilité et de respect dû au Roi. Comme en témoigne la distinction explicite et circonstanciée des pouvoirs du Roi, en tant que Commandeur des Croyants, (en charge du domaine religieux) et en tant que Chef de l’Etat ayant des titres et des missions (exercées conformément à la Constitution) de représentant suprême de l’Etat, symbole de l’unité nationale et territoriale, assurant des missions d’arbitrage, garant du choix démocratique et des intérêts fondamentaux du pays.
Plus d’un demi-siècle est passé à côté des chances d’asseoir un développement économique, resté soumis aux tiraillements politiciens. D’abord, pour prendre le pouvoir. Ensuite, pour discuter des conditions de son partage. Enfin, pour convenir que le plus important est d’y participer !
Après le cinquantenaire de l’indépendance, la plus haute autorité du royaume mit en garde contre « la corruption et la prévarication, l’abus de pouvoir et des biens sociaux, les féodalités rentières, les rapines et la pratique de partage des butins ». C’est dire l’ampleur du retard, un demi-siècle après l’indépendance, le diagnostic n’a pas bougé !
La lutte entre le Palais, les partis du Mouvement national radical et certains militaires pour investir l'appareil de l'Etat est un moment révolu. Mais que de temps perdu ! Qu’il s’agit de vite rattraper. Pour qu’entre le judiciaire, le législatif, l’exécutif, les médias et l’associatif, on n’ait plus à se soucier autant de la séparation que de la réparation des pouvoirs et des contre-pouvoirs !